dimanche 26 décembre 2010

LA SAINTE FAMILLE

La Sainte Famille / A
26/12/2010
Matthieu 2, 13-23 (p. 252)

Parmi les temps liturgiques de notre année chrétienne, le temps de Noël ou de la Nativité du Seigneur est le plus bref. Avant la réforme liturgique il durait jusqu’au 2 février, fête de la présentation du Seigneur au temple. Aujourd’hui il se termine en janvier avec la fête du baptême du Seigneur. Notre célébration du mystère de l’Incarnation est donc à la fois brève et intense : c’est un chapelet de fêtes que synthétise le temps de Noël. En partant de son fondement, la naissance du Sauveur dans la nuit de la Nativité, jusqu’au commencement du ministère public de Jésus au moment de son baptême, en passant par la fête de la Sainte Famille, de Marie Mère de Dieu et de l’Epiphanie... Que de richesses spirituelles en si peu de temps !

Nous célébrons donc en ce lendemain de Noël la sainte famille de Jésus, Marie et Joseph, non pas comme une fête à part mais comme une fête du temps de Noël, c’est-à-dire une fête qui manifeste un aspect du mystère de l’incarnation. Lorsque Dieu se fait homme en son Fils, même s’il vient au monde par une conception virginale, il entre, lui aussi, dans une famille humaine. La place de Marie était absolument nécessaire dans cette volonté divine de l’incarnation. Mais la place de Joseph l’est tout autant même si cela semble moins évident de par le fait qu’il n’est pas le géniteur de Jésus. Il fallait que Joseph prenne chez lui son épouse Marie pour que le Fils de Dieu s’incarne vraiment et qu’il ait donc comme chacun et chacune d’entre nous une véritable famille humaine.

Si saint Luc insiste sur le rôle de Marie, saint Matthieu, lui, centre tout son récit sur la personne de Joseph. Nous avons déjà rencontré cette figure discrète et attachante dans l’Evangile du 4ème dimanche de l’Avent avec le texte de l’annonciation à Joseph, lors d’un songe. Dieu adopte une manière particulière d’entrer en relation avec le père adoptif de son Fils unique : il envoie son ange à Joseph pendant qu’il dort pour le guider sur la conduite qu’il doit adopter. Notre Evangile signale tout de même trois manifestations angéliques à l’occasion d’un songe, ce qui n’est pas rien ! Dans la sainte famille Joseph tient la place du père protecteur. Quand Dieu veut se faire si proche des hommes pour leur dire son amour, l’ennemi du genre humain fait tout pour tenter de mettre en échec l’incarnation de la Parole divine. A Bethléem, lors du recensement, il n’y a pas de place dans l’hôtellerie pour Marie enceinte et Joseph. Après la naissance de Jésus au milieu des animaux de l’étable, Joseph parvient à trouver un logement pour sa famille à Bethléem comme semble l’indiquer le texte de Matthieu lors de la venue des Mages. Mais voilà que se lève un nouveau danger avec la folie meurtrière du roi Hérode d’où la nécessité de fuir en Egypte. Peut-être que certains pères pourraient jalouser Joseph en pensant que c’était bien facile pour lui d’être père puisque Dieu lui soufflait dans des songes la conduite à tenir... L’exemple de Joseph nous montre une paternité qui protège du danger, une paternité qui sauve et préserve la vie. Mais Joseph n’était pas pour autant un père possessif. Il disparaît des Evangiles, contrairement à Marie, après l’épisode douloureux de Jésus perdu et retrouvé au temple à l’âge de 12 ans. Joseph est ce père qui protège la vie en ses commencements, Jésus bébé et enfant, pour ensuite s’effacer devant son fils et sa mission. La vocation de père de famille aujourd’hui est probablement plus difficile à vivre qu’à d’autres époques, et cela pour des raisons que nous connaissons tous. La difficulté se situe, me semble-t-il, dans le juste équilibre à trouver entre une présence aimante et protectrice et le respect de la personnalité et de la liberté de ses enfants au fur et à mesure qu’ils grandissent et s’émancipent. Protéger ne signifie pas étouffer ou enfermer. De même que le respect de la liberté de ses enfants ne signifie pas indifférence à leur égard.

Saint Joseph peut être enfin une source d’inspiration pour les pères dans sa manière de faire. Si l’Evangile nous rapporte des paroles de Marie, avez-vous remarqué que Joseph semble être le grand muet, celui qui ne parle pas ? C’est l’homme des songes, nous l’avons vu. C’est aussi celui qui se caractérise d’abord par son agir : « Joseph se leva ; dans la nuit, il prit l’enfant et sa mère, et se retira en Egypte, où il resta jusqu’à la mort d’Hérode » ; « Joseph se leva, prit l’enfant et sa mère, et rentra au pays d’Israël ». La sainteté de Joseph, père et époux, se trouve dans son action en faveur des siens, dans sa docilité aux inspirations de Dieu. Le bon père de famille ne serait-il donc pas celui qui a conscience de participer à la paternité même de Dieu ? Ne serait-il pas celui qui donne l’exemple, davantage par ses actes que par ses paroles ? Il semble bien que oui lorsque nous contemplons la figure de Joseph. Et ce qui est valable pour les pères de famille l’est aussi dans une certaine mesure pour toute personne dévouée à l’éducation des enfants et des jeunes. La meilleure autorité sera toujours celle de l’exemple donné, un exemple qui invite l’enfant à désirer ce qui est bon et juste. Un exemple que le jeune voudra imiter s’il percoit que l’agir selon le bien est source de joie véritable.

NATIVITE DU SEIGNEUR

Nativité du Seigneur 2010
Messe du jour
Jean 1, 1-18 (p. 216)

Pour cette messe du jour de Noël, l’Eglise offre à notre méditation le prologue de l’Evangile selon saint Jean. Cette page évangélique est sans aucun doute l’une des plus belles de toute la Bible. Comment ne pas être touché tout d’abord par la beauté de la forme littéraire ? Le prologue de Jean mérite en effet d’être compté parmi les chefs d’oeuvres de la littérature mondiale. Cette beauté de l’écriture et de la composition, Jean veut la mettre au service de la révélation divine. Le prologue de son Evangile est beau parce qu’il nous révèle avec une profondeur de vue unique en son genre le mystère de l’incarnation : « Le Verbe s’est fait chair, Il a habité parmi nous ». Si Luc dans la nuit de Noël essaie de nous rapporter le plus fidèlement possible l’événement de la crêche, Jean, lui, choisit de prendre ses distances avec la narration de la naissance pour nous plonger au coeur même du mystère que celle-ci inaugure. Nous percevons tous la densité théologique ce de prologue qui nous présente la naissance du Sauveur dans un contexte plus large, celui du projet de salut de Dieu pour notre humanité.

Inspiré par l’Esprit Saint, Jean a l’audace de commencer ainsi son Evangile : « Au commencement était le Verbe, la Parole de Dieu... ». Comment ne pas penser à la toute première page de la Bible, au début du livre de la Genèse ? « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ». Nous pourrions lire et méditer en parallèle le premier chapitre de la Genèse et le prologue de l’Evangile selon saint Jean. Ces deux textes bibliques s’éclairent mutuellement. Dans son prologue Jean insiste fortement sur le rôle créateur du Verbe, de la Parole de Dieu. Dieu crée toutes choses par son Fils unique, par sa Parole. Lorsque dans le magnifique poème de la Genèse nous trouvons le refrain : « Dieu dit », nous comprenons alors qu’il s’agit d’une formule théologique cachée sous une expression à l’apparence banale... Oui, Dieu dit parce qu’il a une Parole, et c’est bien par l’expression de sa Parole qu’il fait surgir du néant l’être et l’existence. Et que crée-t-il au premier jour de la création ? La lumière, qu’il sépare des ténèbres. Une lumière qui a un sens spirituel puisque le soleil est créé seulement au 4ème jour... Et que lisons-nous dans notre prologue à propos du Verbe de Dieu ? « En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ; la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée ». Cette démonstration est peut-être difficile à suivre pour ceux qui n’ont pas une connaissance familière de ces textes mais elle nous indique une vérité précieuse dans le message transmis par l’évangéliste : A Noël, à l’instant où le Verbe se fait chair, c’est une nouvelle création qui commence, une recréation. La Genèse nous apprend que nous avons été créés à l’image de Dieu, selon sa ressemblance, par sa Parole. Cet Evangile nous révèle qu’à Noël Dieu crée pour lui des fils et des filles en nous donnant sa Parole, son Fils unique : « Il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu. Ils ne sont pas nés de la chair et du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu ». le grand mystère de l’incarnation annonce le mystère de notre renaissance par le baptême. Le Fils de Dieu se fait homme, pour que tout homme puisse devenir fils de Dieu. Voilà la signification principale du mystère que nous célébrons dans la joie et la gratitude. Dans la deuxième lecture nous avons comme un résumé de toute l’histoire du salut, histoire des alliances entre Dieu et les hommes. Il y a tout d’abord l’alliance fondamentale, celle de la Genèse, celle de la création. C’est ce qui est, que nous en soyons conscients ou pas : nous sommes tous des créatures de Dieu, nous portons dans notre vie, même blessée, la trace du Verbe créateur. Et avant de parvenir à la perfection de la Nouvelle Alliance, celle inaugurée par le mystère de Noël, il y a eu l’Ancienne Alliance, celle de Moïse, Alliance dans laquelle les créatures étaient appellées à servir Dieu pour trouver le salut. Avec l’incarnation, Dieu veut tisser avec nous des liens d’amitié, de tendresse, de confiance et d’amour. Il ne contente pas de ce qui est. Il ne veut plus voir en nous simplement des serviteurs, mais il veut nous appeler ses amis. Noël ne nous montre pas ce que nous sommes, si ce n’est notre condition de baptisés, mais ce que nous devons devenir : des amis de Dieu. Tout cela Jean le résume d’une manière synthétique dans son prologue : « Après la Loi communiquée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ ».

Dans la perspective de ce que nous venons de méditer sous la conduite de saint Jean, je laisse maintenant la parole au grand évêque de Lyon, saint Irénée :

« Oui, c’est le Verbe de Dieu qui a habité en l’homme, et qui s’est fait fils de l’homme, pour habituer l’homme à recevoir Dieu, et habituer Dieu à habiter en l’homme comme cela paraissait bon au Père ».

dimanche 19 décembre 2010

4ème dimanche de l'Avent

4ème dimanche de l’Avent / A
19/12/2010
Matthieu 1, 18-24 (p. 178)


Le 4ème dimanche de l’Avent est toujours pour nous une préparation directe à la fête de Noël et au mystère de l’incarnation. Pour cela la liturgie de la Parole nous fait entendre l’un des Evangiles de l’enfance en saint Matthieu ou en saint Luc. Marc commence son Evangile avec le ministère public de Jésus et Jean célèbre dans son prologue la venue de Dieu parmi nous sans se référer pour autant à l’événement de Noël. Nous entendrons le prologue de saint Jean lors de la messe du jour de Noël. Cette année nous méditons avec Matthieu l’annonciation faite à Joseph qui est d’une certaine manière le pendant de l’annonciation à Marie en saint Luc.
Ce récit, comme tous les Evangiles de l’enfance, nous met tout particulièrement en contact avec le surnaturel : l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph pour lui révéler le dessein de Dieu ainsi que sa vocation d’époux de la Vierge Marie et de père adoptif de l’enfant qui naitra d’elle. Le surnaturel, parce qu’il est différent de notre expérience quotidienne, peut susciter en nous bien des réactions : de l’incrédulité à la crainte... Nous sommes dans le domaine proprement divin, domaine dans lequel les lois de la nature ne sont plus contraignantes car tout est possible à Dieu en vue du salut de notre humanité. Dieu sait très bien que son action dans le cours de notre histoire humaine peut nous effrayer ou nous interroger fortement. Aussi son ange est porteur d’un message rassurant : « Ne crains pas ! » C’est le même message que celui adressé par Gabriel à la Vierge Marie. Et Marie elle-même, la toute sainte, fut bouleversée ou troublée selon les traductions lorsqu’elle recut la visite de l’archange. Ce qui est compréhensible lorsque nous percevons la distance entre Dieu et nous. Et que nous savons par expérience que les anges ne viennent pas nous voir de manière régulière pour nous apporter des révélations... Le surnaturel nous rappelle donc que Dieu est le Tout-Autre. Confronté à cette irruption du surnaturel dans sa vie par le moyen d’un songe, Joseph, lui, ne semble pas troublé : « Il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit et prit chez lui son épouse ».
Au centre de l’annonciation à Joseph il y a une réalité surnaturelle : Marie, Vierge, va enfanter un fils par l’action de l’Esprit Saint. C’est ce que nous nommons la conception virginale de Marie à ne pas confondre avec l’Immaculée Conception, dogme selon lequel Marie a été préservée du péché originel dès sa conception et de tout péché dans sa vie. Bien sûr la conception virginale a un sens théologique très fort : ce n’est pas pour le plaisir de contourner les lois de la nature que Dieu décide que son Fils viendrait parmi nous en naissant d’une jeune fille vierge. Et encore moins parce que la sexualité humaine serait une chose mauvaise en elle-même ! Dieu choisit pour son Fils une conception virginale pour nous dire qui est l’enfant Jésus. La conception virginale nous renseigne en effet sur l’identité et la mission de ce bébé qui naitra dans une crêche à Bethléem. Ce bébé unique dans l’histoire de notre humanité sera à la fois vraiment Dieu et vraiment homme. Vraiment Dieu parce que son seul Père c’est Dieu et que c’est par l’action de l’Esprit Saint qu’il vient au monde. Vraiment homme parce que Marie est sa mère et qu’il tient d’elle son humanité. En naissant d’une Vierge fécondée par l’Esprit de Dieu, Jésus est le signe d’une création nouvelle, d’une recréation. A partir de Lui et avec Lui une nouvelle humanité est possible, une humanité qui ne tirera plus son origine seulement des lois naturelles, celles de la chair, mais aussi des lois spirituelles, celles de l’Esprit. Ainsi la conception virginale de Marie annonce notre seconde naissance, notre naissance par et dans l’Esprit de Dieu, au jour de notre baptême. A Noël Joseph adopte Jésus comme son propre fils. Au baptême Dieu nous adopte et fait de nous ses fils.
Enfin si Dieu utilise le surnaturel parce qu’il est Dieu et que son oeuvre dépasse tout ce que nous pouvons imaginer, c’est non pas pour souligner la distance entre Lui et nous, c’est pour en quelque sorte l’abolir ! C’est tout le sens du mystère de l’Incarnation. Dieu en son Fils se fait vraiment l’un de nous ; en cet enfant nommé Jésus il épouse notre humanité pour s’unir à elle et cela pour toujours. Sans le « oui » de Joseph et de Marie cette merveilleuse union entre la divinité et l’humanité aurait été impossible. Remarquons donc que Dieu peut agir de manière surnaturelle mais qu’il a besoin de nous pour réaliser son plan d’amour et de réconciliation. Pendant les jours qui nous séparent encore de Noël gardons dans notre mémoire et dans notre coeur ce beau nom d’Emmanuel : Dieu avec nous, Dieu au milieu de nous, Dieu parmi nous. Méditons-le dans notre prière quotidienne en nous mettant comme Joseph à la disposition de Dieu pour qu’aujourd’hui encore il soit connu comme le Père tout proche de chacun de ses enfants, particulièrement des plus méprisés et des plus abandonnés.

samedi 4 décembre 2010

Deuxième dimanche de l'Avent

2ème dimanche de l’Avent / A
5/12/2010
Matthieu 3, 1-12 (p. 53)

Avec les prophètes, Isaïe en particulier, avec Joseph et Marie, Jean le baptiste fait partie de ces personnages bibliques qui marquent notre temps de l’Avent. Pourtant il ne se situe pas dans notre Evangile avant le mystère de Noël mais bien après. S’il nous est présenté c’est parce qu’il a cette fonction unique de préparer le peuple au ministère public de Jésus et d’annoncer avant lui la venue du royaume des cieux ainsi que la fin des temps. La caractéristique essentielle de ce royaume de Dieu nous est donnée par Isaïe dans la première lecture: “Il ne se fera plus rien de mauvais ni de corrompu sur ma montagne sainte; car la connaissance du Seigneur remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer.” Les images paradisiaques de paix et de réconciliation universelle entre les créatures signifient bien cette disparition totale du mal. Dieu règne en effet là où sa bonté et son amour triomphent. Et c’est dans cette perspective que Jean prêche au peuple la conversion et donne un baptême par lequel chacun se reconnaît humblement pécheur.

Matthieu nous présente Jean comme un prophète austère et sévère qui annonce la colère et le jugement de Dieu en traitant ceux qui viennent à lui d’”engeances de vipères”... Il utilise pour amener les Juifs à la conversion une méthode violente dans laquelle la charité semble être absente de même que le respect pour ses interlocuteurs. Il utilise deux images pour menacer les pécheurs par le jugement de Dieu désormais tout proche: celle de l’arbre fruitier et celle du blé. Le jugement sera une séparation entre les bons et les méchants, et ces derniers seront condamnés au feu qui ne s’éteint pas. Jean annonce la venue de Jésus non seulement comme celui qui baptisera dans l’Esprit mais aussi comme le juge redoutable qui séparera le bon grain de la paille.

Quelques chapitres plus loin dans le même Evangile nous retrouvons Jean dans sa prison. Il se met à douter de l’identité de Jésus qu’il avait annoncé comme le Messie et le juge. Et il envoie vers le Seigneur des messagers avec la question suivante: “Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre?” Pourquoi ce doute dans l’esprit de Jean? Tout simplement parce qu’il se rend compte que l’attitude de Jésus ne correspond pas du tout à ce qu’il avait annoncé: la venue redoutable du Messie juge qui allait faire le tri entre les bons et les méchants. La prédication de Jésus, même si elle a des points communs avec celle de Jean, marque en effet une nette rupture. Reprenons simplement quelques éléments pour le montrer. Le premier et peut-être le plus marquant du point de vue symbolique, c’est que Jésus demande justement à Jean, contre sa volonté, de recevoir le baptême en vue de la reconnaissance des péchés. Jésus, Fils de Dieu, est innocent, le péché n’a aucune place en Lui, il est le Saint de Dieu. Alors pourquoi se mêler à la foule des pécheurs se faisant baptiser par Jean? Pour signifier clairement le sens de sa venue et de sa mission parmi nous: il se montre ainsi solidaire des pécheurs. Il abolit de ce fait la loi de pureté de l’Ancien Testament qui séparait strictement le pur de l’impur, le saint du pécheur. En prêchant la justice parfaite de la Nouvelle Alliance, justice supérieure à celle des scribes et des pharisiens, il révèle, dans le cadre du commandement de l’amour des ennemis, le coeur de Dieu: le Père céleste “fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes”. La bonté de Dieu est universelle et parfaite, elle ne dépend pas du fait que nous soyons justes ou pécheurs. Et lors de l’appel de Lévi qui deviendra l’apôtre et l’évangéliste Matthieu Jésus se justifie ainsi face aux attaques des pharisiens: “Allez donc apprendre ce que signifie: C’est la miséricorde que je veux, non le sacrifice. Car je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs.” Nous comprenons pourquoi Jean commence à douter dans sa prison à propos de Jésus: il est tellement différent de ce qu’il avait annoncé! Jean marque cette frontière entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance, mais il appartient encore dans sa mentalité à ce qui est en train de passer pour laisser place à la bouleversante nouveauté du message évangélique. Il a beau être le plus grand des enfants des hommes, cependant le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui. Quelle réponse donne le Seigneur à Jean qui se demande si c’est vraiment lui le Messie? Un amas de citations d’Isaïe dans lesquelles la notion de jugement est totalement absente! Jésus lui répond: Oui, je suis le Messie parce que je guéris les malades et que j’annonce la Bonne Nouvelle aux pauvres. Enfin dans sa réponse Jésus souligne lui-même la distance qu’il prend par rapport au style austère de Jean son précurseur: “Jean est venu, il ne mange ni ne boit, et l’on dit: Il a perdu la tête. Le Fils de l’homme est venu, il mange, il boit, et l’on dit: Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des collecteurs d’impôts et des pécheurs.” Révélateur de la bonté et de la miséricorde de Dieu, Parole de Dieu faite chair, Jésus ne s’est pas présenté à nous sous les traits rébarbatifs d’un prophète triste et sévère: “Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous donnerai le repos... Car je suis doux et humble de coeur... Mon joug est facile à porter et mon fardeau léger.”

Jean comme Jésus nous appellent donc, avec des méthodes très différentes, à la conversion, au changement de vie pour accueillir en nous la réalité nouvelle du Royaume de Dieu. Peut-être que la grande conversion que nous avons à vivre en tant que chrétiens est la suivante: avec un coeur universel comprendre que le monde ne se divise pas en deux camps, celui des bons et celui des méchants. Cette vue simpliste ne correspond pas à notre expérience. Mais c’est bien dans notre coeur, en nous, que coexistent le bien et le mal, l’amour et la haine. La frontière entre le bien et le mal est intérieure. Et nous avons bien besoin de toute notre vie et du sacrement du pardon pour nous purifier toujours davantage de ce mal qui nous affaiblit et nous défigure. Et Jean a bien raison de nous rappeler que nous devons produire un fruit exprimant notre conversion. C’est ce que Notre Seigneur appelle d’une manière significative “faire la vérité”. Le chrétien vit la vérité de sa foi. C’est en mettant en pratique l’Evangile que nous pouvons le connaître et le comprendre: “Celui qui fait la vérité vient à la lumière pour que ses oeuvres soient manifestées, elles qui ont été accomplies en Dieu.”

dimanche 28 novembre 2010

Premier dimanche de l'Avent

Premier dimanche de l’Avent / A
28/11/2010
Matthieu 24, 37-44 (p. 6)

Au commencement de cette nouvelle année liturgique nous entendons le Seigneur Jésus nous parler de son avènement à la fin des temps. Pour les Juifs de l’époque du Christ la question du retour du Messie et de la fin du monde était une question essentielle. L’attente eschatologique était alors très forte et même les premiers chrétiens croyaient que le retour du Christ dans la gloire était tout proche... Dans d’autres passages de l’Evangile le Seigneur utilise un langage emprunté au style apocalyptique, ici il n’en est rien.
Au centre de cette page d’Evangile nous entendons une invitation pressante: “Veillez donc”. Et la raison pour laquelle nous devons demeurer vigilants nous est immédiatement donnée: “Car vous ne connaissez pas le jour où votre Seigneur viendra”. Pour les chrétiens que nous sommes veiller c’est donc se tenir prêts à accueillir le Seigneur qui vient, le Seigneur qui viendra. Voilà le premier sens spirituel du temps de l’Avent. Personne ne connaît la date de cet Avènement mais nous savons tous avec certitude que notre vie terrestre aura un terme au moment de notre mort. Et nous ne connaissons pas plus la date de notre mort que celle de l’Avènement du Seigneur. Même si nous pouvons mourir de bien des manières... Après une longue maladie ou de manière brutale et accidentelle par exemple. Autour de cet enseignement central de Jésus, “Veillez”, nous avons deux illustrations. La première est empruntée à l’histoire passée: Souvenez-vous de ce qui s’est passé au temps du déluge. La seconde est une petite parabole. Dans la première illustration le Seigneur compare notre situation à celle de nos ancêtres avant le déluge. Et il nous décrit les activités normales des hommes sans préciser qu’ils étaient pécheurs. Jésus adapte donc l’histoire de Noé puisque dans l’Ancien Testament ce qui motive le déluge c’est bien la méchanceté des hommes. Il insiste sur l’effet de surprise de cet événement. Et il nous montre comme une loterie du salut: l’un est pris, l’autre laissé; l’une est prise, l’autre laissée. Sans nous dire sur quel critère certains sont sauvés et d’autres sont exclus du salut de Dieu. Et nous pourrions véritablement avoir peur devant ce qui nous semble être un tirage au sort, un peu au hasard... La fine pointe de cet enseignement, nous l’avons vu, n’est pas de type moral. Mais ce qui fait que certains sont pris dans le Royaume de Dieu et que d’autres sont laissés à l’extérieur de ce Royaume c’est tout simplement la différence entre ceux qui veillent et ceux qui se sont endormis. Comme dans la parabole des vierges sages et des vierges insensées. Jésus veut ainsi nous convaincre de la nécessité que nous avons de nous préparer à le rencontrer. C’est déjà vrai en cette vie terrestre mais c’est encore plus vrai pour notre préparation au grand passage, à ce moment qui marquera la fin de notre vie. Cette vigilance spirituelle ne doit pas être marquée par la peur mais bien plutôt par une confiance encore plus grande en la puissance de l’amour de Dieu à notre égard. La première lecture comme le psaume nous montrent que le Royaume de Dieu est un royaume de paix. Et c’est dans la paix de l’Esprit Saint que nous devons nous préparer à entrer dans la Jérusalem du ciel. La meilleure préparation à la rencontre avec le Seigneur et à sa venue se trouve dans l’accomplissement joyeux et courageux de notre devoir d’état chaque jour en fonction de notre vocation et de notre âge. Je ne sais plus quel jeune saint avait fait cette réponse merveilleuse à un adulte qui lui demandait: “Que ferais-tu si tu devais mourir dans l’instant qui vient?” Il avait répondu: “Je continuerais à jouer avec mes camarades”. C’est cela être prêt.
Quant à la petite parabole du voleur elle insiste elle aussi sur l’effet de surprise. Dieu n’est pas un voleur bien sûr. Et son intention n’est pas de nous tendre un piège en nous laissant dans l’ignorance du jour de notre mort et du moment de la fin de notre monde. Dieu n’est pas un maître sadique qui profiterait de l’effet de surprise pour pouvoir mieux nous punir. Le fait que Dieu nous laisse dans l’ignorance du jour et de l’heure est au contraire une source de liberté extraordinaire. Ce serait terrible si nous connaissions par avance le moment de notre mort ou celui de la fin du monde comme le prétendent les témoins de Jéhovah (ils l’ont annoncé à plusieurs reprises...). Veiller, c’est bien utiliser notre liberté en ce monde en vue du combat de la lumière. Oui, la vie chrétienne est une lutte spirituelle non pas contre de prétendus ennemis mais contre ce qui, en nous, nous empêche de reconnaître le vrai visage de Dieu et de le rencontrer dans la foi, l’espérance et la charité. Veiller, c’est rechercher inlassablement la vraie paix, signe du Royaume de Dieu, et c’est rayonner la bonté de Dieu par nos actes et nos choix de chaque jour. Ce programme n’est réalisable que par la grâce de Dieu et par une vie de prière toujours plus authentique. Seule cette expérience de la prière personnelle est capable de nous faire passer des idées humaines sur Dieu à la connaissance intérieure du Dieu qui est Amour: communion du Père, du Fils et de l’Esprit Saint.

vendredi 19 novembre 2010

LE CHRIST ROI DE L'UNIVERS

Le Christ Roi de l’Univers / C
21/11/2010
Luc 23, 35-43 (p. 1042)

La fête du Christ Roi de l’univers, d’institution récente (1925), marque la fin de notre année chrétienne.

Dans un premier temps je voudrais méditer pour vous quelques aspects de ce mystère de la royauté du Christ à partir des lectures bibliques. Ensuite je vous proposerai quelques applications concrètes de ce mystère dans la vie de notre Eglise et dans notre vie chrétienne d’aujourd’hui.

La deuxième lecture, un très beau texte de l’apôtre Paul, nous invite à regarder le projet de Dieu dans toute son ampleur, de la création jusqu’à la fin des temps. La royauté du Christ ne se comprend que par rapport à ce projet du Père. Elle en est le commencement, le centre et l’accomplissement. Affirmer du Christ qu’il est le roi de l’univers, c’est donc d’abord rappeler que « c’est en lui que tout a été créé dans les cieux et sur la terre » et que tout est créé « par lui et pour lui ». Oui, Dieu donne vie à toute la création par son Fils unique, sa Parole vivante et éternelle. Et Adam est le roi de la création parce qu’il est créé avec Eve à l’image et à la ressemblance de Dieu. Adam et Eve sont l’image terrestre du Fils créateur. La vocation de l’homme et de la femme consiste donc à régner sur la création en collaborant à l’oeuvre même de Dieu. La royauté d’Adam est domination sur la création non pas pour la détruire ou l’asservir mais bien plutôt pour en faire une offrande au Père créateur, une action de grâce, un cri de reconnaissance et d’émerveillement pour l’oeuvre de Dieu. L’écologie ou le respect pour notre environnement naturel est donc une exigence chrétienne qui découle directement de notre vocation de roi de la création. Ce n’est pas quelque chose de facultatif pour le chrétien qui a compris le sens de sa place au sein de la création. Nous savons aussi qu’Adam et Eve, par le péché des origines, ont introduit le mal dans le monde. Ils n’ont plus été capables, en se séparant de Dieu, de continuer à exercer leur royauté sur l’univers de manière juste. En s’incarnant le Fils unique de Dieu vient nous redonner la royauté sur la création par le pardon des péchés et en nous offrant de nous réconcilier avec Dieu. En tant que baptisés et confirmés nous sommes déjà membres du royaume du Christ. Nouvel Adam, le Christ est aussi le roi de l’univers. Et c’est en lui que toute chose sur cette terre aura son accomplissement total. Tout chrétien est roi lorsqu’il fait remonter vers le Christ toute son activité, lorsqu’il offre au Christ l’ébauche d’une création nouvelle. Car c’est toute la création qui est appelée à entrer dans le royaume de Dieu, transfigurée par l’amour du Christ Roi. L’eucharistie en est une magnifique préfiguration puisque le pain et le vin deviennent le corps et le sang du Christ. L’Evangile nous montre comment le Christ est roi. Son trône, c’est la croix. Et il semble bien impuissant. En fait c’est sur la croix que, d’une manière paradoxale, le Christ déploie toute sa puissance royale qui est une puissance de don de soi et d’amour sans limites. C’est par la croix qu’il ouvre les portes du paradis fermé, le royaume de Dieu, au bandit qui le supplie.

Voyons maintenant quelques conséquences de ce mystère dans la vie de l’Eglise et dans notre vie. Depuis Constantin et jusqu’à une époque récente, l’Eglise a été tentée par la théocratie. En s’alliant étroitement au pouvoir politique elle a voulu dominer la société tout entière. Elle a succombé aux mirages du pouvoir et de la richesse, oubliant le caractère spirituel de la royauté de son Maître et Seigneur. Les chrétiens du 4ème et du 5ème siècles de persécutés qu’ils étaient sont devenus persécuteurs des païens. Et il a fallu des saints et des saintes, des Francois d’Assise par exemple, pour rappeler à l’Eglise sa vocation évangélique. Avec le concile Vatican II notre Eglise a renoncé à cette tentation d’imposer la royauté du Christ par la puissance et par la force. Elle est entrée en dialogue avec notre monde, comprenant qu’elle devait se faire la servante de notre humanité en adoptant les moyens qui furent ceux du Christ dans le temps de son incarnation. Ce n’est pas en dominant mais bien en servant que notre Eglise participe à la royauté du Christ sur l’univers. Mais plus de 40 ans après le Concile une autre tentation nous guette : celle de nous contenter de beaux discours. Ces beaux discours qui nous donnent bonne conscience et ne changent rien dans les faits ! Les chrétiens que nous sommes exercent la royauté du Christ sur cette terre non pas en créant des réseaux d’influence plus ou moins occultes mais en donnant l’exemple. Paul VI disait déjà en son temps à quel point l’homme contemporain avait davantage besoin de témoins que de professeurs. Enseigner la foi c’est bien, la vivre c’est encore mieux. Pour illustrer mon propos par un seul exemple : cela ne sert pas à grand chose pour le chrétien ou pour l’Eglise de répéter son refus de l’avortement tant qu’il ou elle n’agit pas pour accueillir les femmes en difficulté et pour les aider à garder l’enfant qu’elles portent. L’Eglise et les chrétiens seront crédibles dans la mesure où notre enseignement se transformera en actes et en choix concrets. Parler cela ne coûte pas grand chose, s’engager c’est tout autre chose. Ne soyons pas comme certains hommes politiques qui demandent aux citoyens des sacrifices alors qu’ils ne renoncent pas à leurs privilèges... Oui, nous sommes roi de la création par et pour le Christ si nous témoignons de son Royaume par nos actes et par le don réel de notre personne. La royauté du Christ s’étendra sur notre terre si nous donnons l’exemple de notre vie.

33ème dimanche du temps ordinaire

33ème dimanche du TO/C
14/11/2010
Luc 21, 5-19 (p. 990)

L’avant-dernier dimanche de notre année liturgique, celui qui précède la fête du Christ roi de l’univers, nous transmet un message difficilemment compréhensible si nous ne faisons pas l’effort de nous remettre dans la mentalité juive du temps de Jésus.
Pour mieux nous introduire à ce passage de la fin de l’Evangile de saint Luc, je vais utiliser des termes techniques en les expliquant bien sûr. Mais ces termes sont nécessaires pour nous éviter de recevoir ce texte d’une manière fondamentaliste et de nous retrouver ainsi dans la peur et l’angoisse.
Ici nous entendons une partie du discours eschatologique de Jésus, discours que l’on retrouve aussi en parallèle dans les versions de Matthieu et de Marc. Discours que nous réentendrons au début du temps de l’Avent, l’année liturgique commencant et se terminant dans la même perspective, celle de la fin des temps et du retour du Christ dans la gloire. Voilà le sens du terme « eschatologique ». Notre Evangile de Luc est d’autant plus difficile à comprendre qu’il mélange cette vision de la fin des temps avec la ruine historique de Jérusalem en 70 de notre ère. Nous sommes donc à deux niveaux de l’histoire humaine : le niveau historique avec l’allusion à la ruine du Temple et aux persécutions des premiers chrétiens et un niveau supra-historique puisqu’il marque justement la fin du temps de l’histoire humaine et l’entrée de toute la création dans le Royaume de Dieu. Et pour ajouter encore à la difficulté de compréhension ce discours eschatologique de Jésus utilise un style littéraire bien particulier, le style apocalyptique, déjà présent dans l’Ancien Testament. D’où toutes ces images de catastrophes cosmiques et de guerres.
Alors que retenir pour notre vie chrétienne d’aujourd’hui de cet Evangile au style obscur et déroutant pour nos mentalités cartésiennes ?

Il y a tout d’abord le point de départ de cet enseignement du Seigneur Jésus. L’admiration des disciples pour la beauté du Temple, qui, notons-le, n’était déjà plus celui de Salomon mais bien un Temple renconstruit. Et Jésus leur annonce que tout cela sera détruit. C’est en effet l’empereur Titus qui rasera le temple et pillera ses trésors en les ramenant à Rome comme nous le montrent les bas-reliefs de l’arc de Titus en haut du forum. C’est un peu comme si aujourd’hui un prophète nous annoncait la destruction du Vatican et de la basilique saint Pierre... L’homme par son génie artistique et par ses progrès techniques est en effet capable de réaliser des merveilles, des chef-d’oeuvres. Mais tout cela est fragile. Que nous reste-t-il des fameuses 7 merveilles de l’antiquité ? La lecon pour nous est la suivante : rien dans ce monde n’est éternel, tout passe et trépasse. Cela signifie aussi que notre monde actuel blessé par le mal et le péché n’est pas éternel mais qu’il connaitra une fin, une transfiguration dans le Royaume de Dieu.

Le deuxième point d’intérêt pour nous concerne l’annonce des faux prophètes. Ces menteurs utiliseront tout au cours de l’histoire la peur de la fin du monde pour grossir les rangs de leurs disciples. Les témoins de Jéhovah en sont une parfaite illustration. Avec la mondialisation et tous les problèmes économiques et humains qu’elle entraîne, comme un écart toujours plus grand entre des masses aculées à survivre dans la misère et une élite de très riches voulant toujours davantage, avec le terrorisme islamique et le réveil des intégrismes dans toutes les religions, les faux prophètes ont un terrain propice pour prospérer et se développer. Nous vivons sans aucun doute un temps de grave crise. Et dans une telle situation la Parole de Jésus doit demeurer notre unique espérance et notre source d’inspiration pour ne pas avoir peur mais relever les défis de notre temps en chrétiens.

Enfin un troisième point d’intérêt pour nous se trouve dans l’annonce des persécutions que les disciples du Christ auront à endurer tout au long de l’histoire. Le langage de Jésus relève bien de ce contexte apocalyptique : « Vous serez détestés de tous, à cause de mon Nom ». Mais il n’invite pas pour autant à la peur mais bien à la confiance : « Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu ». L’Aide à l’Eglise en détresse faisait remarquer avec justesse que les chrétiens n’auront jamais été autant persécutés qu’au cours du 20ème s. Et un hebdommadaire comme Marianne, que l’on ne peut pas soupconner de cléricalisme, s’indignait dans son dernier numéro du silence assourdissant autour du massacre des chrétiens en Irak. En disant : aujourd’hui la seule catégorie de personnes qu’on peut maltraiter impunément dans le monde ce sont bien les chrétiens qui risquent de disparaître totalement du Moyen et du Proche Orient. Pour nous qui vivons encore sous le régime de la liberté de culte en Europe ce message du Christ a un double sens : il nous montre d’abord que la croix fait toujours partie d’une manière ou d’une autre de la vie chrétienne et la persécution peut prendre des visages bien différents. Nous sommes bien prévenus : c’est par notre persévérance dans le témoignage de la foi que nous obtiendrons la vie à la suite du Ressuscité. Le message de Jésus nous invite aussi à la solidarité avec nos frères persécutés en terres islamiques. Par la prière bien sûr mais aussi par nos dons à des oeuvres chargées d’alléger leur fardeau comme l’Oeuvre d’Orient ou l’Aide à l’Eglise en détresse. Que la scandaleuse lâcheté de la plupart des hommes politiques et des associations de défense des droits de l’homme réveille en nous ce sens de l’appartenance au Corps du Christ dans lequel nous sommes tous solidaires les uns des autres.

TOUSSAINT

Toussaint 2010
Matthieu 5, 1-12 (p. 1297)

Chaque année la fête de la Toussaint nous rappelle le but de notre vie chrétienne : la sainteté. Au jour de notre baptême nous avons été sanctifiés par la puissance de l’amour du Christ pour nous. Nous sommes véritablement devenus des saints, des temples de la Sainte Trinité. Baptisés au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, confirmés dans le même Esprit, nous sommes déjà saints parce que nous portons le beau nom de chrétiens, parce que nous sommes les membres du Corps du Christ. Mais notre expérience nous rappelle aussi chaque jour à quel point nous avons du mal à demeurer fidèles à la grâce de notre baptême, à cette vie divine qui nous habite au plus profond de notre être. C’est l’expérience de notre péché et de notre faiblesse, d’où l’importance du sacrement du pardon qui chaque fois nous remet dans la grâce de notre baptême en nous redonnant un vêtement tout blanc pour reprendre l’image de l’Apocalypse ou encore un coeur pur. C’est ainsi que la sainteté est en même temps ce qui nous caractérise et ce que nous avons à devenir, notre vocation à tous. Le Concile Vatican II a enseigné que tous les chrétiens étaient appellés à la sainteté. Et cette vocation à la sainteté est un appel au vrai bonheur de l’homme. Car nous ne pouvons pas vivre ce bonheur en nous contentant des seules joies terrestres et matérielles. Elles sont importantes et nous n’avons pas à les mépriser, seulement à les mettre à leur juste place pour qu’elles n’étouffent pas en nous le désir de Dieu. Notre vrai bonheur ne concerne pas seulement notre corps, notre sensualité, notre intelligence et notre raison, mais aussi notre coeur et notre âme. Il exige donc l’expérience de l’amour véritable et l’expérience de l’absolu, de Dieu lui-même.
Avant d’aller plus loin dans notre réflexion, regardons comment les textes de cette liturgie caractérisent les chrétiens que nous sommes :

- Serviteurs de Dieu dans l’Apocalypse
- Membres du peuple qui cherche Dieu dans le psaume
- Enfants de Dieu dans la deuxième lecture
- Appellés au bonheur dans l’Evangile

Quelle richesse ! Je ne retiendrai ici que l’expression du psaume. Elle nous donne deux moyens de progresser vers la sainteté. Tout d’abord nous sommes les membres du peuple de Dieu, du Corps du Christ, nous sommes l’Eglise. Ce qui signifie que l’on ne devient pas saint tout seul, isolé dans son coin. Nous avons besoin les uns des autres pour grandir dans la sainteté et pour nous encourager sur ce chemin à la fois magnifique et difficile. La sainteté est toujours un don de l’amour de Dieu et ce don il nous le fait à travers notre appartenance à l’Eglise. L’expression du psaume nous rappelle aussi que nous sommes un peuple en marche, orienté vers notre avenir en Dieu. L’Eglise n’a pas d’autre but que d’aider chacun de ses membres à vivre dans l’amitié avec Dieu. L’Eglise doit sans cesse nous redire que nous avons à rechercher Dieu dans nos vies. Un saint n’est pas celui qui dit : j’ai trouvé Dieu et j’attends maintenant la mort pour parvenir à la béatitude éternelle. Le saint, c’est celui qui a conscience que jusqu’à son dernier souffle il devra chercher Dieu. Oui, Dieu s’est révélé à nous comme un Père en nous envoyant son Fils Jésus et en nous donnant l’Esprit de sainteté. Mais Dieu demeure toujours un mystère, c’est-à-dire une réalité inépuisable. Et c’est pour cela qu’en tant que croyants nous devons toujours le chercher, toujours revenir à Lui par le désir de l’amour.
Signalons enfin un danger pour nous tous, en fait une fausse représentation de la sainteté. Pour certains la sainteté chrétienne consisterait en une vie honnête, faite de mesure et de perfection morale. C’est ce type de vie que menait Paul le pharisien avant sa rencontre avec le Christ Vivant sur le chemin de Damas. Nous ne pouvons pas comprendre la sainteté chrétienne sans nous référer aux propos de Paul qui parle de la folie de la croix, donc de la folie de l’amour de Dieu à notre égard. Nous ne sommes plus dans cet idéal grec et classique de mesure mais au contraire dans l’excès. La sainteté, nous le voyons, va bien au-delà d’une vie morale honnête. Elle nous met en contact avec le Dieu vivant et vrai, le Trois fois Saint, elle nous fait entrer dans la vie divine de la Trinité, communier à cet échange de vie et d’amour en Dieu même. La sainteté ne nous met pas d’abord en relation avec une Loi ou des commandements mais en relation avec le mystère même de Dieu. Elle n’est donc pas d’abord une affaire de morale, mais une affaire d’amour et de recherche spirituelle. Nous avons peur de la sainteté parce que l’idée de perfection morale nous semble inaccessible, utopique au fond. Mais si nous attendons de vivre une morale parfaite pour nous mettre en chemin, alors oui nous en resterons là où nous sommes. C’est pas à pas, humblement, que nous avons à nous lancer dans cette grande marche de la sainteté à la suite de tous les saints et de toutes les saintes de l’histoire de notre humanité. Ne restons pas au bord du chemin en nous disant : ce n’est pas fait pour nous ! C’est progressivement, choix après choix, jour après jour, qu’avec la grâce du Christ, nous avancerons sur ce chemin. Les 9 béatitudes balisent notre route. Et ces balises nous rappellent qu’il est impossible de séparer notre recherche de Dieu de l’amour du prochain : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés ! » En résumé nous avons repéré trois moyens parmi tant d’autres de progresser dans la sainteté : parcourir ce chemin avec d’autres dans l’Eglise, rechercher sans cesse le vrai visage de Dieu et agir de manière concrète au service de la justice parmi les hommes.

31ème dimanche du temps ordinaire

31eme dimanche du TO/C
31 octobre 2010
Luc 19, 1-10 (p.891)

Saint Luc nous rapporte dans cette page d’Evangile la rencontre entre Zachee et Jesus. Avec une mise en scene pleine de details et d’une originalite rare. Pour mieux entrer dans cette scene je vais tenter une comparaison, une actualisation avec les limites que comporte bien sur ce genre d’exercice...
Pour cela vous devez imaginer que vous etes une personne riche avec un rang important dans la societe. Vous etes aussi passionne par le cinema et vos acteurs preferes se nomment Leonardo di Caprio, Nicole Kidman ou encore Matt Damon. Bref des celebrites dont tout le monde a entendu parler. Et voila que vous decidez de vous rendre au festival de Cannes. Vous attendez sur la croisette le passage de votre star preferee, mais la foule vous comprime, vous n’etes pas au premier rang et votre reve serait de voir ne serait-ce que le visage de Leonardo ou de Nicole... avant qu’ils n’entrent dans le palais des festivals. Et voila que vous vient a l’esprit une idee folle : vous etes dans vos plus beaux atours et vous vous mettez a grimper sur un palmier pour etre bien sur de ne rien rater du passage des stars ! Tout le monde se moque de vous, on vous prend pour un fou et la police ne va pas tarder a venir vous arreter, mais peu importe, votre desir est tellement fort que vous en oubliez les convenances humaines. Et voici que Leonardo di Caprio passant au pied de votre palmier vous repere, s’arrete et vous invite a venir le rejoindre ! Quelle joie pour vous !

Voila toutes proportions gardees la situation qu’a du vivre notre Zachee perche sur son sycomore a Jericho. Jesus etait un peu une star dont tout le monde parlait surtout a cause de ses nombreux miracles. Mais il avait aussi de farouches opposants. Avant meme que Jesus n’entre a Jericho la nouvelle s’etait repandue parmi la population et la foule ne cessait de grandir dans la rue centrale pour voir celui dont on parlait tant. Pour certains c’etait un divertissement dans la grisaille du quotidien, d’autres etaient simplement curieux et puis, comme toujours, il y avait les admirateurs et les opposants. Le riche Zachee, le chef des publicains, cherchait a voir qui etait Jesus. Son desir allait au-dela de la simple curiosite. La formule de Luc nous le revele. Il ne dit pas : Zachee cherchait a voir Jesus mais bien « qui etait Jesus ». Ce petit homme avait pressenti un mystere derriere ce Jesus de Nazareth. Et pour tenter d’y voir plus clair le voila qui se ridiculise aux yeux de tous en grimpant sur un arbre ! En montant sur cet arbre Zachee s’abaisse en fait aux yeux de tous, il joue sa reputation de notable, haï peut-etre, mais riche et craint dans la ville. La folie de ce chef des collecteurs d’impots va susciter une rencontre inoubliable, une rencontre qui le marquera pour toute sa vie. Celui qui voulait voir Jesus est vu par Jesus. Oui, le Seigneur s’arrete au pied de son arbre et lui demande de descendre vite. Le Seigneur s’invite chez lui ! Nous comprenons alors que c’est Jesus qui cherchait Zachee bien plus que Zachee ne le cherchait... Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui etait perdu. Et le premier effet de cette rencontre avec le Seigneur c’est une joie immense qui envahit le coeur de Zachee. Avoir chez soi Jesus de Nazareth c’est bien sur infiniment plus que rencontrer une star du cinema ou une celebrite quelconque. La joie est toujours le signe de la presence de Dieu, le fruit de l’Esprit Saint. Toute la suite du recit nous montre comment a partir de cette rencontre avec le Seigneur Zachee va se transformer, se convertir et finalement accueillir le salut de Dieu manifeste en son Fils bien-aime. Le signe que Zachee se convertit ce n’est pas seulement la joie qui l’habite mais sa generosite, son sens du partage. Il n’est plus un riche egoiste et parfois malhonnete. Il va largement partager ses biens et reparer les fautes qu’ils auraient pu commettre dans l’exercice de son metier. Oui, il est vraiment transforme et c’est desormais un homme nouveau.

Je ne retiendrai pour nous qu’un enseignement de cette magnifique page evangelique. Si nous voulons vraiment connaitre la personne de Jesus, nous devons absolument faire l’experience de la rencontre et de la communion avec lui car il est Vivant aujourd’hui comme il y a 2000 ans dans les rues de Jericho. Si notre raison et notre intelligence ont leur place dans la vie de foi, c’est surtout par l’amour que nous grandissons dans la connaissance de Dieu. Et le moyen privilegie que nous avons de grandir dans l’amour de Dieu c’est bien la priere personnelle et la frequentation des sacrements, en particulieur l’eucharistie et le sacrement du pardon. Notre sycomore ou notre plamier a nous ce sont ces moments que nous reservons a la rencontre avec Jesus dans la priere communautaire et personnelle. C’est par notre fidelite a la vie de priere que peu a peu nous nous transformons sous l’influence de l’Esprit et que nous devenons capables de nous depasser dans bien des domaines. Sans cette vie de priere personnelle, sans cette spiritualite de chaque jour, notre foi risque fort de s’atrophier. Il nous restera un vernis religieux, mais Dieu deviendra pour nous une idee abstraite ou pire une ideologie. Nous serons des hommes religieux, fideles a des rites, mais nous aurons perdu le contact reel avec le Dieu vivant. Que l’exemple de Zachee relance au plus profond de notre coeur le desir de Dieu, le desir de le renconter dans la communion de son amour !

30ème dimanche du temps ordinaire

30eme dimanche du TO/C
24 octobre 2010
Luc 18, 9-14 (p. 845)

Apres la parabole de la veuve et du juge, Jesus nous enseigne a nouveau en ce dimanche par une parabole, celle du pharisien et du publicain. Et comme dimanche dernier saint Luc nous donne le but de cet enseignement en nous designant a qui il s’adresse en particulier : « pour certains hommes qui sont convaincus d’etre des justes et qui meprisent tous les autres ». Le Seigneur veut ici nous mettre en garde contre une tentation qui peut concerner les hommes pieux et religieux, donc chacun de nous dans la mesure ou nous avons le desir de vivre notre foi chretienne de maniere fervente : celle de l’orgueil spirituel. Dans la savoureuse mise en scene de la parabole, tous les details sont importants et nous permettent ainsi de mieux connaitre la nature de cette tentation. Relisons ensemble cette mise en scene avec d’un cote le pharisien et de l’autre le publicain. Pour les deux personnages qui nous sont presentes en contraste, le contexte est le meme. Tous les deux montent en effet au Temple pour y prier. La priere du pharisien est interieure, ce que nous nommerions aujourd’hui l’oraison mentale. C’est aussi une priere d’action de graces, de remerciement, donc une priere qui commence tres bien : « Mon Dieu, je te rends grace... ». Combien il est important dans notre vie spirituelle de ne pas nous limiter a la priere de demande mais de donner aussi une place de plus en plus importante a la priere de remerciement, de louange et d’adoration silencieuse ! Mais voila que la priere de cet homme qui commencait si bien va deriver et se terminer tres mal... La ou ca derape c’est dans le motif de son action de grace : « parce que je ne suis pas comme les autres hommes... ou encore comme ce publicain ». Ce pharisien est le parfait exemple de l’orgueil spirituel et cela pour deux raisons. Tout d’abord de par son sentiment de superiorite spirituelle sur les autres, sentiment qui s’accompagne inevitablement d’un jugement impitoyable sur les autres qui sont tous mauvais... Nous connaissons peut-etre des personnes qui pour se prouver a elles-memes qu’elles sont dans le bon et droit chemin eprouvent le besoin de rabaisser les autres et de les condamner. Dans cette priere qui n’en a plus que l’apparence, le pharisien ne cherche pas a entrer en relation avec Dieu. De fait il se regarde lui-meme, se contemple, se considere si bon qu’il frise l’idolatrie. Est-ce vraiment Dieu qu’il adore ? N’est-ce pas plutot sa propre perfection morale et spirituelle ? La deuxieme cause de son orgueil spirituel se trouve dans l’etalage qu’il fait de sa fidelite aux details de la Loi de Moise. Cet homme n’a pas besoin de Dieu pour etre justifie et sanctifie. Il se justifie lui-meme a travers ses oeuvres. Non seulement ce n’est plus Dieu qu’il adore mais lui-meme, mais en plus il enleve a Dieu sa prerogative de juge des coeurs. Seul Dieu nous connait vraiment, bien mieux que nous-memes ne pouvons nous connaitre. Car seul Dieu lit dans les coeurs et penetre au trefonds de nos intentions les plus secretes. C’est grace a la connaissance parfaite qu’il a de notre coeur et des motivations de nos actions et de nos paroles que Dieu est le seul juge, celui qui ne peut jamais se tromper. C’est aussi pour cela que Jesus nous interdit de juger notre prochain et de le condamner. La deuxieme lecture nous montre comment saint Paul, le pharisien converti, a vaincu cette tentation de celui qui se justifie lui-meme en presence de Dieu. Dans ce passage de sa lettre a Timothee, l’apotre affirme sa fidelite a Dieu, il a persevere dans le droit chemin. Il a tenu bon jusqu’au bout, et c’est jusqu’au bout qu’il a annonce l’Evangile aux paiens. Mais il y a une grande difference avec le pharisien de notre parabole. Paul ne tombe pas dans le peche d’orgueil, il sait, et il le dit, que sa force, donc sa fidelite a sa mission, vient de Dieu : « Le Seigneur m’a assiste, il m’a rempli de force ». Paul ne tire pas sa justice de lui-meme ou de ses bonnes actions, car il sait que sans la grace de Dieu il serait encore prisonnier de l’ignorance et du peche. La priere du publicain, dans notre parabole, est une priere de supplication : « Mon Dieu, prends pitie du pecheur que je suis ! » Nos deux personnages incarnent donc deux attitudes opposees : l’orgueil et l’humilite. Rien ne nous eloigne davantage de Dieu que l’orgueuil spirituel qui est le peche de Satan, et rien ne nous unit davantage a Dieu que l’humilite. L’humilite, l’une des plus grandes vertus chretiennes, n’est pas l’humiliation ou encore le masochisme de celui qui ne veut voir en lui que les faiblesses, les defauts et le mal en repetant a longueur de journee : je suis nul, je ne vaux rien etc. L’humilite c’est porter un regard realiste sur ce que nous sommes et reconnaitre en effet la part d’ombre qui est en nous. Blaise Pascal dans ses Pensees a tres bien percu la valeur indispensable de l’humilite comme verite dans notre vie chretienne. Oui, la verite de notre etre c’est que nous ne sommes ni ange ni bete. Nous sommes des creatures humaines. Et il nous faut savoir garder l’equilibre de la verite lorsque nous nous presentons devant le Seigneur dans la priere. Nous ne nous presentons pas comme des saints ni comme des etres qui ne seraient que peche. Nous nous presentons tels que nous sommes : comme des pecheurs pardonnes et justifies, en marche vers la saintete. Pascal conseille au chretien, a la suite de l’Evangile, d’eviter les deux tentations opposees : l’orgueil d’un cote, le desespoir de l’autre. A nous de cultiver la simple et joyeuse humilite chretienne en sachant accepter les humiliations mais surtout en choisissant de nous abaisser en presence du Seigneur et des autres.

29ème dimanche du temps ordinaire

29eme dimanche du TO/C
17/10/2010
Luc 18, 1-8 (p. 799)

Apres nous avoir entretenu de la foi et de la gratitude, le Seigneur Jesus nous invite en ce dimanche a une reflexion sur la priere. Et cela a l’aide de la petite histoire du juge et de la veuve. Parabole tellement claire qu’elle se passe de commentaires. Si Jesus nous raconte cette parabole semblable a une autre dans le meme Evangile (celle de l’homme couche derange par son ami venu lui demander du pain), c’est dans un but bien precis : « pour nous montrer qu’il faut toujours prier sans se decourager ». Cet Evangile n’est donc pas un enseignement general sur la priere et cela pour deux raisons. La premiere, evidente, c’est qu’il nous parle de l’une des caracteristiques de la priere chretienne : elle ne se decourage jamais, donc elle est perseverante. La seconde, c’est qu’il s’agit ici de l’une des formes de la priere chretienne : la priere de demande. En effet la veuve demande au juge de lui faire justice. Et nous verrons enfin le lien de cet enseignement avec la realite de la foi. Priere et foi etant bien sur inseparables.
Pourquoi donc Jesus insiste-t-il tant sur cette qualite que doit avoir notre priere, la perseverance ? Parce qu’il nous connait mieux que nous-memes ne pouvons nous connaitre. Il sait qu’a cause du peche mais aussi parce que nous sommes des etres incarnes, corps, esprit et ame, nous pouvons tres vite nous decourager dans notre vie spirituelle. Dieu peut sembler a certains moments tellement lointain ou absent... Jesus sait aussi que quand nous demandons quelque chose a Dieu dans la priere et que nous ne l’obtenons pas immediatement, nous abandonnons facilement. Nous pratiquons la priere de demande dans un esprit de rentabilite. Et s’il nous semble que nous ne sommes pas exauces nous passons a autre chose. C’est contre cette tentation que le Seigneur veut nous mettre en garde. Permettez-moi de traduire d’une maniere triviale le message de la parabole : il faut casser les pieds au Bon Dieu a la maniere de cette pauvre veuve ! Partons de nos experiences humaines les plus simples pour comprendre a quelle point notre faiblesse nous expose a baisser les bras dans le combat de la priere. Ceux parmi vous qui ont ou ont eu de jeunes adolescents et vous les jeunes vous savez par experience combien il est difficile de perseverer dans un choix. Un tel veut jouer du piano, un autre veut se mettre au tennis, un autre enfin veut creer un groupe de musique avec ses amis etc. Combien ont commence plein d’enthousiasme pour au final abandonner au bout de 6 mois ou d’un an ? Je reprends l’exemple de l’apprentissage du piano. Au debut cela demande beaucoup de travail et de patience pour tres peu de resultats. Au debut on se fait tres peu plaisir a repeter des exercices et des gammes... Ce n’est que la perseverance qui apporte la joie de bien jouer ! Bien sur la priere est d’un autre ordre, surnaturel, et tout ne depend pas de nous dans cet ordre. Car prier est d’abord une grace de Dieu, un don de son amour, puisque nous ne pouvons pas prier sans la foi et la charite. Il n’en reste pas moins vrai que pour la part qui est la notre, celle de notre liberte, la comparaison avec la perseverance dans l’apprentissage du piano nous instruit. Je pense en effet que plus nous prions, plus nous sommes fideles a la priere, plus la priere devient aise et facile. La perseverance dans la priere nous permet de gouter, si Dieu le veut, son amour, sa presence d’une maniere plus intense et plus forte. Quand je dis qu’il faut donc casser les pieds au Bon Dieu, cela doit etre compris dans le contexte de notre Evangile. La priere de demande n’a rien a voir avec le caprices des enfants qui exasperent leurs parents tant qu’ils n’ont pas obtenu ce qu’ils voulaient. La parabole nous parle d’une veuve, donc d’une femme pauvre. Voila la premiere condition pour une bonne priere de demande : se tenir comme un pauvre en presence de Dieu. C’est cette humilite qui nous permet de dire en verite : Que ta volonte soit faite ! Si dans notre priere de demande perseverante nous mettons de cote cette demande du « Notre Pere » alors nous ne sommes plus dans la priere chretienne. Enfin l’autre condition pour une bonne priere de demande, c’est Jesus lui-meme qui nous la donne avec la fin de cet Evangile : « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » Cette interrogation angoissee nous interpelle. Alors nous savons comment demander dans la priere. Il est evident que nous n’avons pas le droit de demander des choses mauvaises mais seulement ce qui nous semble bon pour nous-memes et pour les autres. Nous le faisons avec humilite, foi et perseverance. Car aucune priere n’est perdue. Enfin souvenons-nous que le miracle de la priere de demande se trouve parfois ailleurs que dans son exaucement. Car toute priere nous transforme et nous rend meilleurs. Je terminerai par un exemple illustrant cela. Si je prie pour la conversion de mon ennemi, de celui qui me fait du mal, peut-etre que lui ne changera pas. Cela ne signifie pas que je ne suis pas exauce. Car il se peut qu’a travers cette priere perseverante Dieu augmente ma force et ma patience pour aimer malgre tout cette personne antipathique ou qui me veut du mal.

28ème dimanche du temps ordinaire

28eme dimanche du TO / C
10/10/2010
Luc 17, 11-19 (p. 756)

L’Evangile de ce dimanche nous renvoie en partie a celui de dimanche dernier dans lequel Jesus mettait en avant la puissance de la foi dans notre vie : « Releve-toi et va, dit-il au lepreux purifie, ta foi t’a sauve ». Cette consigne du Seigneur au lepreux apres sa guerison nous montre non seulement la puissance de la foi mais aussi son dynamisme. Dans un acte d’adoration ce samaritain se prosterne aux pieds de Jesus. Le dynamisme de sa foi l’invite maintenant a se relever, geste qui annonce la resurrection, et a poursuivre sa route, a aller de l’avant. Jesus loue le fait que cet homme soit revenu sur ses pas pour rendre grâce, pour dire merci. Dans la foi il nous est bon de faire memoire des bienfaits recus, et l’eucharistie est en partie action de grâce pour les merveilles accomplies par Dieu dans notre histoire. Mais notre foi serait incomplete si elle ne se tournait que vers le passe. Ce lien tres fort avec Dieu nous invite bien sur a vivre le present de maniere intense, l’aujourd’hui de Dieu dans nos vies. Et l’eucharistie n’est pas seulement un memorial dans le sens du passe, c’est un memorial qui rend present aujourd’hui l’amour du Christ Ressuscite dans sa Parole et dans son Pain. Enfin nous le savons la celebration de la messe nous oriente aussi vers notre avenir et celui de notre humanite : « Nous attendons ta venue dans la gloire ». Releve-toi et va ! En celebrant l’eucharistie chaque dimanche et en communiant au Christ Vivant, si nous le pouvons, nous vivons notre foi comme une force capable de nous relever et de nous faire aller de l’avant. La foi est tout sauf une nostalgie du passe. Elle est, je le repete, un dynamisme qui fait que l’on peut avoir un coeur jeune et un grand âge ou un âge avance ! Notre foi est dans ce sens inseparable de l’esperance chretienne, esperance fondee sur la fidelite de Dieu a ses promesses et a sa parole.
La fine pointe de cet Evangile est cependant ailleurs et elle est evidente. Sur 10 lepreux purifies un seul, un samaritain, donc un etranger pour le Juif de Judee, revient sur ses pas pour glorifier Dieu et remercier Jesus. Cette page de saint Luc nous parle donc d’une attitude extremement importante pour tout chretien. Une attitude que l’on peut nommer reconnaissance, gratitude, action de grâce, merci etc. C’est l’occasion de rappeler que le mot eucharistie signifie tout simplement action de grâce, donc attitude profonde de reconnaissance et de gratitude pour Dieu notre Pere, par Jesus le Fils dans l’Esprit. Pour savoir dire merci a Dieu dans la priere et pas seulement lors de la messe du dimanche il faut deja être capable de cette attitude au niveau simplement humain. Or de plus en plus de personnes dans nos societes occidentales vivent comme si tout leur etait dû. Dire merci va bien au-dela de la simple politesse. C’est la traduction concrete d’une philosophie de vie selon laquelle je ne suis pas le centre du monde, une philosophie de la vie comme dependance des autres, relation avec les autres. Dans l’education des enfants et des jeunes, il est essentiel de leur apprendre cette tres belle attitude de la gratitude, expression privilegiee de la charite. S’il n’y a pas ce fondement humain tout simple comment vivre notre relation avec Dieu ? Ne croyons pas pouvoir transmettre aux enfants et aux jeunes l’Evangile du Christ sans en même temps leur apprendre les valeurs fondamentales de la vie humaine en communaute. Paul VI disait avec raison qu’un homme incapable d’apprecier a leur juste valeur les joies que la vie humaine lui donne sera a fortiori incapable de vivre de la joie chretienne et spirituelle. L’attitude du samaritain gueri est certes une attitude de croyant qui se sent pousse a dire de tout son coeur « merci » a Jesus. Mais elle est aussi une qualite humaine du coeur. Les 9 autres lepreux etaient certainement croyants eux-aussi, mais ils ne sont pas revenus pour dire leur joie d’être gueris. Eux ont ete simplement gueris alors que le samaritain a aussi ete sauve. Tres belle lecon de vie pour chacun d’entre nous, invitation a ouvrir les yeux et surtout le coeur pour percevoir dans la foi tout ce que nous recevons de Dieu et des autres depuis notre venue en ce monde. Reconnaitre notre dependance envers Dieu et envers nos freres ne nous rend pas moins humains, bien au contraire cette humilite nous humanise, en nous faisant grandir dans l’amour elle nous sauve. Alors reapprenons cette belle qualite du coeur, la gratitude, et la joie de Dieu nous comblera de plus en plus.

27ème dimanche du temps ordinaire

27eme dimanche du TO/C
3/10/2010
Luc 17, 5-10 (p. 707)

L’Evangile de ce dimanche aborde deux realites essentielles de notre vie chretienne : la foi et les oeuvres, deux realites qui vont de pair et sont donc inseparables.
La demande des apotres au Seigneur, « Augmente en nous la foi », est riche d’enseignements sur cette realite. Tout d’abord remarquons cette vive conscience qu’ont les apotres de leur manque de foi. Oui, leur foi est faible et ils le reconnaissent avec humilite. Ils se tournent vers Celui qui est a l’origine de la foi : Jesus en tant que Fils de Dieu. Car la foi est d’abord un don de Dieu. Elle ne resulte pas seulement de notre desir de croire en Lui. Le plus important dans la demande des apotres se trouve precisement dans le verbe « augmenter ». Cela nous rappelle que notre foi n’est pas une realite figee mais au contraire une realite dynamique. En effet du jour de notre bapteme a celui de notre mort la foi vit en nous, elle nous fait vivre dans l’union avec Dieu. Si la foi est vivante, alors comment s’etonner qu’elle connaisse des hauts et des bas, des moments d’obscurite et de lumieres ? Nous devons tout faire pour accueillir en nous une foi toujours plus grande et intense, mais souvenons-nous que Dieu peut permettre pour notre progres spirituel des nuits de la foi, des moments ou croire en Dieu n’est plus evident ni aise. Le doute dans ce sens n’est pas le contraire de la foi, il ne la supprime pas. Il la met a l’epreuve et nous pouvons ressortir de cette epreuve avec une foi plus adulte et plus mature. La reponse du Seigneur aux apotres nous donne une autre caracteristique de la foi chretienne : sa puissance. Nous sommes habitues a l’image de la foi qui deplace les montagnes, dans cet Evangile elle deplace les arbres ! Qu’est-que cela peut bien signifier ? La foi en nous unissant a Dieu nous fait participer a sa puissance. Dans la Genese lorsque Dieu cree il lui suffit d’une parole pour que la vie surgisse. Par la foi nous participons a la puissance meme de la Parole de Dieu capable de creer. Mettre notre foi en Dieu ne fait pas de nous des personnes amoindries, faibles et passives. Le dynamisme de la foi est au contraire cette force que Dieu nous donne pour etre vainqueurs de toutes les forces de mort presentes en nous-memes et dans notre monde. Et comment parler de la puissance de la foi sans evoquer au passage la puissance de la priere ? Puissance qui dans les deux cas ne signifie pas efficacite dans le sens commun du terme. L’efficacite exige un resultat ou un rendement immediat et visible. La puissance de la foi est reelle. Pour la percevoir nous devons etre capable de lire les signes de Dieu dans notre vie et dans le monde. Et lorsque nous avons une vue d’ensemble nous pouvons dire : oui, ma foi en Dieu a ete puissante, oui, ma priere a porte son fruit.
Si notre foi est vivante elle porte forcement des fruits, elle se manifeste dans notre agir, dans nos oeuvres. Et c’est l’objet de la deuxieme partie de notre Evangile avec la parabole du serviteur et du maitre. Comme toujours lisons cette parabole en lien avec les Evangiles dans leur ensemble. La fine pointe de cet enseignement n’est pas dans une description du type de rapport que nous devons avoir avec Dieu (le maitre de la parabole). Car si le chretien est serviteur de son Dieu c’est dans un sens totalement nouveau. L’esprit que nous avons recu n’est pas un esprit de peur mais bien un esprit de force, d’amour et de raison. Jesus nous l’a dit : nous ne sommes plus pour lui des serviteurs mais des amis. Notre relation chretienne avec Dieu n’est pas celle de l’esclave avec son maitre. Et dans la revelation du Nouveau testament c’est Dieu lui-meme qui se fait le serviteur de ses creatures comme le montre entre autre la scene du lavement des pieds. L’enseignement de cette parabole concerne donc le rapport que nous avons non pas avec Dieu mais avec nos oeuvres et nos actions. En nous demandant de nous considerer comme des serviteurs quelconques lorsque nous avons accompli notre devoir d’etat et notre devoir de chretiens, Jesus nous invite a l’humilite c’est-a-dire a la verite. Le danger pour nous serait de tirer orgueil de nos bonnes actions, de nous glorifier de notre fidelite aux commandements du Seigneur en oubliant que tout est grace et que notre puissance vient precisement de notre foi en lui.
Alors en ce dimanche qui est un peu l’equivalent d’une rentree tardive pour notre communaute francophone de Copenhague soyons heureux d’etre des hommes et des femmes de foi. Soyons dans la reconnaissance pour la puissance de notre foi manifestee a travers toute notre vie et toutes nos actions. Soyons certains que si nous sommes dociles au souffle de l’Esprit tout au long de cette annee scolaire, Dieu fera par nous des merveilles d’amour dans notre coeur, dans nos familles, nos lieux de vie et notre communaute de Sakramentskirke.

mardi 7 septembre 2010

24ème dimanche du temps ordinaire

24ème dimanche du TO/C - 12/09/2010
Luc 15, 1-32 (p. 560)
Ce 24ème dimanche du temps ordinaire est vraiment le dimanche de la miséricorde divine même si nous fêtons cette miséricorde plus particulièrement le dimanche dans l’octave de Pâques. Toutes les lectures abordent cette réalité si importante dans la révélation que Dieu fait de lui-même tout au long de l’histoire du salut. Plutôt que de commenter la célèbre parabole de l’enfant prodigue, je voudrais méditer avec vous et pour vous l’ensemble des lectures. Non pas dans le détail mais en montrant la merveilleuse harmonie qui existe entre ces textes en même temps que l’évolution de la révélation biblique.
Les deux textes de l’Ancien Testament, notre première lecture et le psaume 50, nous montrent un Dieu prêt à pardonner. Même si, face au péché d’idolâtrie du peuple, le veau d’or, Dieu se met en colère et décide dans un premier temps d’exterminer le peuple. Ce peuple qu’il n’appelle plus son peuple mais le peuple de Moïse… Et c’est grâce à la prière de Moïse que « le Seigneur renonça au mal qu’il avait voulu faire à son peuple ». Notez comment au passage l’auteur biblique rappelle que ce peuple n’est pas seulement celui de Moïse mais bien le peuple de Dieu, et cela malgré son infidélité. Cette colère divine nous pose bien sûr question. Et c’est légitime puisque nous apprenons au catéchisme que la colère fait partie des sept péchés capitaux. C’est une étape dans la révélation, étape où l’on transpose facilement les catégories humaines sur Dieu. Ce qui existait aussi dans la mythologie grecque par exemple. Cette colère signifie tout simplement à quel point notre infidélité ne laisse pas Dieu indifférent. Et c’est un grand mystère pour nous que de le constater. Ce Dieu parfaitement heureux en lui-même est en quelque sorte touché par notre péché, blessé par notre ingratitude. Le psaume 50 confesse quant à lui l’amour et la grande miséricorde du Seigneur. Ce cœur de Dieu qui se met en colère, qui est blessé, c’est d’abord un cœur qui aime. C’est d’une manière incompréhensible pour la seule raison humaine que Dieu créateur aime chacune de ses créatures humaines d’une manière unique.
Les deux textes du Nouveau Testament (saint Paul et saint Luc) accomplissent véritablement ce qui a déjà été révélé au peuple d’Israël à propos de ce Dieu qui aime et qui pardonne. Cet accomplissement ne pouvait avoir lieu qu’avec le mystère de l’incarnation, qu’avec la présence visible parmi nous de la parole et de la sagesse de Dieu dans cet homme nommé Jésus de Nazareth. L’apôtre Paul a une vive conscience d’être l’un des premiers bénéficiaires de la miséricorde manifestée en Jésus à l’égard des pécheurs, révélation du cœur aimant de Dieu. En saint Paul, le persécuteur devenu apôtre par la seule grâce du Christ, nous retrouvons, me semble-t-il, les deux fils de la parabole. Avant d’être saisi par le Christ Ressuscité sur le chemin de Damas, Saul ressemble étrangement au fils aîné de la parabole. Il est pharisien, strict observateur de la Loi, zélé voire fanatique, et il peut faire siennes les paroles du fils aîné : 'Il y a tant d'années que je suis à ton service sans avoir jamais désobéi à tes ordres, et jamais tu ne m'as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais, quand ton fils que voilà est arrivé après avoir dépensé ton bien avec des filles, tu as fait tuer pour lui le veau gras !' Le pharisien Saul qui mettait toute sa fierté dans sa fidélité à la Loi de Dieu devait voir d’un très mauvais œil ces chrétiens, membres d’une petite secte juive, qui prétendaient que Dieu donne son salut gratuitement à tous. Il devait être jaloux et en colère, et son fanatisme religieux le poussa donc à les pourchasser et à les persécuter avec haine. Saul connaissait par cœur la loi de Dieu, il l’appliquait scrupuleusement. Mais connaissait-il le Dieu qu’il prétendait si bien servir ? Ne s’était-il pas au contraire renfermé sur lui-même à cause de ce sentiment d’orgueil religieux, de supériorité sur les autres, tous ceux qui ne savent pas ? En fait ce n’étaient pas les chrétiens qui étaient ignorants mais bien lui ! Le Christ m'a pardonné : ce que je faisais, c'était par ignorance, car je n'avais pas la foi ; la grâce de notre Seigneur a été encore plus forte, avec la foi et l'amour dans le Christ Jésus. Lorsque Paul a fait l’expérience de la puissance de la grâce divine, de la force de la miséricorde du cœur de Dieu, en rencontrant le Christ Vivant, il est devenu l’autre fils de la parabole. Pour la première fois de sa vie il s’est senti faible, pécheur, coupable, ayant absolument besoin de retourner vers Dieu son Père par Jésus le Sauveur. En lui la colère et la jalousie de ce fils du peuple élu se sont transformées en une immense gratitude envers le Dieu qui justifie les pécheurs. Désormais une certitude absolue s’imposait à son esprit : Le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs ; et moi le premier, je suis pécheur, mais si le Christ Jésus m'a pardonné, c'est pour que je sois le premier en qui toute sa générosité se manifesterait ; je devais être le premier exemple de ceux qui croiraient en lui pour la vie éternelle. Les 3 paraboles de la miséricorde divine nous enseignent cette réalité bouleversante : chaque fois que nous faisons un pas vers Dieu, que nous lui offrons un cœur brisé et broyé, chaque fois que nous acceptons de reconnaître en nous le fils prodigue, nous faisons la joie de Dieu et des anges ! Parce que nous lui permettons d’être à notre égard ce qu’il est au plus profond de lui-même : Un Dieu Amour, saisi de pitié à notre vue, un Dieu miséricordieux, un Dieu qui part à notre recherche pour nous sauver !

lundi 6 septembre 2010

23ème dimanche du temps ordinaire

23ème dimanche du TO/C
5/09/2010
Luc 14, 25-33 (p.513)
En cette période de rentrée scolaire et de reprise des activités habituelles pour beaucoup, la liturgie nous propose un Evangile particulièrement apte à nous réveiller du train-train quotidien… Un Evangile radical adressé aux grandes foules qui faisaient route avec Jésus, traduisons : adressé à tous les chrétiens. La question centrale de cet enseignement dérangeant est la suivante : être disciple du Seigneur ou ne pas l’être ! A deux reprises le Seigneur nous parle ainsi : vous ne pouvez pas être mes disciples si vous ne faites pas telle chose, si vous n’adoptez pas telle attitude… Réécoutons l’une après l’autre ces sentences « choc » : Si quelqu'un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple.
De même, celui d'entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple.
Il y a un lien entre ces deux exigences. La première nous demande de mettre l’amour du Christ au-dessus de l’amour pour notre famille et pour notre propre vie. La seconde nous demande de renoncer aux biens matériels. Les liens familiaux, notre vie, nos propriétés ou possessions ont en commun cette qualité d’être des « biens », donc des réalités positives dans notre existence humaine. Pour l’homme qui n’est pas spirituel ces biens sont les biens suprêmes. L’exigence de Jésus dans cet Evangile correspond au fait que seul Dieu est bon, que seul Dieu est le Bien suprême. Et si Jésus peut avoir de telles exigences à notre égard, c’est justement parce qu’il est la deuxième personne de la Sainte Trinité, il est Dieu lui-même.
Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi ne peut pas être mon disciple.
Ce qu’il nous demande est véritablement crucifiant, au-delà de nos perspectives humaines raisonnables, au-delà de nos forces et de notre bonne volonté. Pourquoi tant de radicalité dans son enseignement ? Pourquoi mettre la barre si haut pour ceux qui veulent devenir ses disciples ? N’est-ce pas décourageant ? Nous devons comprendre que le Seigneur désigne ainsi les obstacles qui se dressent sur notre chemin de sainteté. Les biens humains peuvent devenir des obstacles si nous les absolutisons, si nous oublions qu’ils sont éphémères, fragiles et relatifs, si nous prenons les moyens pour la fin. Cela n’est probablement pas par hasard que notre Evangile suit la parabole des invités au banquet dans le Royaume de Dieu : Un homme donnait un grand dîner, et il avait invité beaucoup de monde. A l'heure du dîner, il envoya son serviteur dire aux invités : 'Venez, maintenant le repas est prêt.' Mais tous se mirent à s'excuser de la même façon. Le premier lui dit : 'J'ai acheté un champ, et je suis obligé d'aller le voir ; je t'en prie, excuse-moi.' Un autre dit : 'J'ai acheté cinq paires de bœufs, et je pars les essayer ; je t'en prie, excuse-moi.' Un troisième dit : 'Je viens de me marier, et, pour cette raison, je ne peux pas venir.'
Le lien semble en effet évident avec notre Evangile car dans cette parabole l’attachement à des biens matériels (un champ, des bœufs) ou à des biens familiaux (le mariage) constitue un obstacle dans la réponse positive que les invités doivent donner à Dieu.
Comme tout enseignement biblique nous devons le recevoir avec sérieux et dans son contexte, car Dieu ne peut pas se contredire. Préférer l’amour de Jésus à l’amour de sa famille ne signifie certainement pas abandonner ou mépriser ses proches. A la suite du commandement de Dieu qui nous demande d’honorer nos parents, saint Paul n’hésite pas à dire : Si quelqu'un ne s'occupe pas des siens, surtout des plus proches, il a déjà renié sa foi, il est pire qu'un incroyant.
Cela n’enlève rien au fait que dans certaines circonstances crucifiantes des enfants devront déplaire ou même faire de la peine à leurs parents pour être fidèles à la volonté de Dieu sur eux. Si Jésus m’appelle à lui consacrer ma vie en tant que prêtre ou religieux, et si mes parents s’opposent à cet appel, je dois préférer l’appel du Christ à l’avis de mes parents. C’est cela préférer Jésus à ses parents. Comme préférer Jésus à sa propre vie, c’est être prêt à aller jusqu’au martyre pour lui rester fidèle avec la grâce de Dieu. Dans ces choix extrêmes, héroïques, nous portons véritablement notre croix à la suite de Jésus.
La petite histoire de la tour à bâtir reprend quant à elle une sentence de l’Ecclésiaste : « Mener à bien une entreprise vaut mieux que la commencer : c’est la persévérance qui compte, et non la prétention ». Porter notre croix à la suite de Jésus ce n’est donc pas seulement poser des choix héroïques, c’est aussi et surtout persévérer dans notre amour de Dieu et du prochain à travers l’accomplissement fidèle et généreux de notre devoir d’état. Voilà un beau programme de rentrée pour tous ! Programme irréalisable si nous ne mettons pas la prière personnelle au cœur de nos journées, idéal utopique si nous ne faisons pas l’expérience personnelle de la présence aimante de Dieu dans nos vies.

lundi 30 août 2010

22ème dimanche du temps ordinaire

22ème dimanche du TO/C
29/08/2010
Luc 14, 7-14 (p. 468)
L’Evangile de ce dimanche nous montre Jésus participant à un repas. Il serait intéressant de relever dans les Evangiles tous les repas auxquels le Seigneur a participé jusqu’à l’ultime repas, celui de la dernière Cène, par lequel il institue le sacrement de l’Eucharistie. Nous pourrions aussi relever toutes les paraboles qui mettent en scène un festin. Le repas de notre Evangile n’est pas ordinaire : c’est celui du Sabbat, un repas de fête, un repas sacré, et il ne se déroule pas chez un homme « quelconque » mais bien chez un personnage important, un chef des pharisiens, un « grand » de la société religieuse de l’époque. A l’occasion de ces repas, le Seigneur avait l’habitude d’enseigner. Il ne le faisait pas à la manière d’un cours théorique mais en partant de situations concrètes. Ici il observe les invités et remarque qu’ils choisissent les meilleures places, les premières. C’est bien à partir de cette simple observation que le Seigneur va nous enseigner à travers une parabole. Si nous ne tenons pas compte de sa conclusion (« Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé »), cette parabole n’est en fait qu’un enseignement de sagesse humaine, de bon sens et même quelque part de calcul humain. D’ailleurs Jésus n’invente rien. La tradition de sagesse de l’Ancien Testament donnait déjà des conseils similaires dans le livre des Proverbes : « Ne fais pas l’important devant le roi, ne te mets pas au milieu des grands ; mieux vaut qu’on te dise : ‘Monte ici !’ que de te voir rabaissé en présence du prince ». Nous constatons que cette sagesse humaine n’a rien à voir avec l’humilité, mais qu’au contraire par un habile calcul on agit de telle sorte à ce que notre orgueil ne soit pas blessé. Dans cette sagesse ce qui motive notre choix c’est bien d’abord notre intérêt. Dans cette perspective « la condition de l’orgueilleux est sans remède ». Cette sagesse tactique ne nous guérit pas de notre orgueil, bien au contraire elle le conforte sous l’apparence d’une fausse humilité. Jésus donne un sens résolument nouveau à cet enseignement traditionnel par la conclusion de la parabole : « Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé ». Cela nous rappelle d’ailleurs ce que nous avons entendu dimanche dernier : « Il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers ». Alors oui cette parabole peut devenir une exhortation à cultiver en nous la vertu d’humilité. Vertu absolument nécessaire pour celui ou celle qui veut devenir disciple de Jésus-Christ. Car l’orgueil, nous le savons, est bien le péché capital, et probablement le péché originel : « La condition de l’orgueilleux est sans remède, car la racine du mal est en lui ». Avec Jésus nous avons enfin un remède pour notre orgueil, nous avons les moyens de déraciner en nous cette racine, cette origine du mal. Comment ? Par un amour de plus en plus intense et vrai pour le Christ, doux et humble de cœur, et pour Marie, sa mère et notre mère, l’humble servante du Seigneur. C’est dans la mesure où nous aimons vraiment Jésus et Marie que nous aurons le désir de les imiter. Et que par conséquent nous laisserons grandir en nous la vertu d’humilité. Alors toutes ces affaires de première ou de dernière place nous paraîtront bien ridicules par rapport au trésor que nous aurons acquis, celui d’une âme humble et unifiée. L’humilité est en effet un trésor précieux car elle correspond à la vérité. L’humilité n’est pas l’humiliation même si parfois il nous faut passer par la croix de l’humiliation pour être libérés de notre orgueil. L’humilité c’est tout simplement la vérité, la vérité sur nous-mêmes et sur notre relation avec Dieu. C’est se souvenir que nous sommes des créatures dépendantes du Seigneur, des créatures mortelles. L’orgueil est un filet par lequel le tentateur nous attrape en nous mentant, en nous faisant croire que nous sommes des êtres absolument autonomes, des êtres immortels. Le chrétien qui progresse dans la véritable Sagesse, celle de Jésus-Christ, ne se laisse plus attraper par ces mensonges et ces illusions. Il n’est plus l’esclave de la convoitise si bien décrite par saint Jean : Tout ce qu'il y a dans le monde- les désirs égoïstes de la nature humaine, les désirs du regard, l'orgueil de la richesse -tout cela ne vient pas du Père, mais du monde. Or, le monde avec ses désirs est en train de disparaître. Mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure pour toujours.
La dernière partie de notre Evangile sur l’invitation aux repas a un lien avec ce que nous venons de méditer. Jésus nous demande d’agir gratuitement et non pas par intérêt, pour obtenir en retour quelque chose. Comme nous l’avons remarqué, si nous nous contentons de prendre la dernière place dans un repas uniquement pour éviter que notre orgueil ne soit blessé, nous ne sommes pas dans l’humilité mais nous agissons bel et bien en vue de notre intérêt. En fait il y a une grande différence entre la sagesse humaine et celle de Jésus-Christ. La sagesse humaine nous recommande l’habileté, l’action calculatrice en vue de notre intérêt personnel. La sagesse divine nous demande d’être en vérité ce que nous sommes : des créatures aimées et rachetées par Jésus. Imiter Jésus c’est renoncer au calcul pour aimer gratuitement et joyeusement. C’est vouloir donner et se donner en acceptant l’abaissement que cela peut impliquer. Celui qui est humble est toujours heureux de sa place qu’elle soit la dernière ou la première. Il est parfaitement libre parce que purifié de la jalousie et de l’orgueil.

mardi 24 août 2010

21ème dimanche du temps ordinaire

21ème dimanche du TO/C
22/08/2010
Luc 13, 22-30 (p. 421)
« Seigneur, n’y aura-t-il que peu de gens à être sauvés ? » La question que cet inconnu pose à Jésus est celle du salut de l’humanité. C’est donc une question essentielle et sérieuse. Si pour nous le péché originel ainsi que nos propres péchés sont des réalités, des réalités qui nous séparent de Dieu ou nous éloignent de lui, nous savons par expérience à quel point nous avons besoin d’être sauvés. Cette question porte sur le nombre des créatures sauvées : seront-elles nombreuses ou pas ? Même si Jésus ne répond pas directement à cette question, cela demeure une question inévitable pour le chrétien. Jésus fait route vers Jérusalem, il va vers son sacrifice en vue justement du pardon des péchés et du salut. Lors de l’institution de l’eucharistie il prononcera ces paroles significatives : « Ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui est versé pour une multitude, pour le pardon des péchés ». Ce sang du Fils de Dieu, répandu pour beaucoup selon une autre traduction, obtiendra-t-il le salut de l’humanité ou seulement celui d’un petit nombre d’élus ? Tout au long de l’histoire du christianisme les optimistes et les pessimistes ont donné leur interprétation. Ici Jésus affirme que l’accès au salut est difficile : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite ». Il ne répond pas à la question du nombre des élus. Mais le passage parallèle en saint Matthieu semble abonder dans le sens des « pessimistes » :
Entrez par la porte étroite. Elle est grande, la porte, il est large, le chemin qui conduit à la perdition ; et ils sont nombreux, ceux qui s'y engagent. Mais elle est étroite, la porte, il est resserré, le chemin qui conduit à la vie ; et ils sont peu nombreux, ceux qui le trouvent.

En saint Matthieu lorsque le Seigneur affirme la difficulté pour un riche d’entrer dans le Royaume des Cieux, les disciples posent eux aussi la question du salut : « Mais alors, qui peut être sauvé ? » Et leur Maître de répondre : « Pour les hommes, c’est une chose impossible, mais pour Dieu tout est possible ». Nous constatons ainsi en parcourant les Evangiles que la question du salut est abordé de manière différente selon le contexte. L’Evangile de ce jour nous rappelle que nous n’irons pas tous automatiquement au Paradis. Que nous devons utiliser notre liberté selon la volonté de Dieu, c’est-à-dire entrer par la porte étroite, pour y parvenir. En même temps le Royaume de Dieu ne fait pas partie des droits de l’homme, c’est un don de Dieu, et seul Dieu est capable de nous y conduire par son Fils Jésus notre unique Sauveur.
La deuxième partie de notre Evangile ne se comprend qu’à la lumière de sa conclusion : « Il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers ». Dans son enseignement Jésus nous redonne le critère décisif de la valeur de notre vie humaine aux yeux de Dieu. Certains se rassurent à bon compte : « Nous avons mangé et bu en ta présence, et tu as enseigné sur nos places ». Ici encore la version de saint Matthieu complète bien le propos de Jésus :
Ce jour-là, beaucoup me diront : 'Seigneur, Seigneur, n'est-ce pas en ton nom que nous avons été prophètes, en ton nom que nous avons chassé les démons, en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ?' Alors je leur déclarerai : 'Je ne vous ai jamais connus. Écartez-vous de moi, vous qui faites le mal !'
Qui sont donc ces premiers qui risquent de devenir derniers ? Certains Juifs tout d’abord qui, par orgueil (nous sommes le peuple élu, nous avons le temple), pouvaient oublier l’essentiel : la pratique du bien et de la justice. Mais aussi certains d’entre nous qui sommes catholiques pratiquants… Si nous oublions que notre fidélité à la messe du dimanche et à la vie de prière doit aller de pair avec notre désir de mettre en accord notre vie avec la volonté du Seigneur. Nous ne serons pas jugés sur une heure dans notre semaine, mais bien sur tous nos actes et choix quotidiens. « Eloignez-vous de moi, vous tous qui faites le mal », ou selon une autre traduction « vous les ouvriers d’injustice ». La leçon de cet Evangile pourrait être la suivante : au lieu de vous poser des questions théologiques sur le nombre des élus, agissez selon le bien et la justice. Il ne vous appartient pas de connaître le jour et l’heure du jugement ainsi que le nombre des sauvés. Mais je vous ai fait le don de la liberté pour que vous puissiez coopérer à votre salut par vos actes. Entrer par la porte étroite, c’est par conséquent se remettre en question, ne pas se reposer sur ses lauriers, et saisir que nous ne faisons pas naturellement et instinctivement le bien. Nous avons bien souvent à nous faire violence pour ne pas tomber dans l’égoïsme, l’hypocrisie ou encore l’orgueil religieux des premiers qui sont en fait les derniers. Il y aura des pleurs et des grincements de dents quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob et tous les prophètes dans le royaume de Dieu, et que vous serez jetés dehors. Alors on viendra de l'orient et de l'occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu. Même si le Seigneur ne répond pas directement à la question du nombre, il nous donne l’espérance du salut pour beaucoup. Certains Juifs seront sauvés et avec eux des hommes de toute race, langue et nation. Cette mention de l’extension géographique, reprise dans l’Apocalypse, nous montre que ce n’est pas en vain que le Christ a offert sa vie. Oui, le salut qu’il nous donne est vraiment universel !

mardi 17 août 2010

ASSOMPTION DE LA VIERGE MARIE

Assomption de la Vierge Marie
15/08/2010
Luc 1, 39-56 (p. 1173)
C’est dans son document consacré au mystère de l’Eglise que le Concile Vatican II parle de la place de la Vierge Marie dans la vie des chrétiens. A la fin de cette longue réflexion sur la nature de l’Eglise, le chapitre VIII de Lumen Gentium traite de « la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, dans le mystère du Christ et de l’Eglise ». Si nous voulons vraiment connaître Marie, sa vocation, sa mission et sa place dans notre vie chrétienne, nous devons toujours la contempler « dans le mystère du Christ et de l’Eglise ». C’est bien parce qu’elle est la mère du Christ qu’elle est aussi la mère de l’Eglise et de chaque baptisé en elle. Mère de l’Eglise, elle est aussi, d’après le Concile, « un membre suréminent et absolument unique de l’Eglise ». « Elle est devenue pour nous, dans l’ordre de la grâce, notre Mère ». Le Concile nous parle de la Vierge Marie dans le mystère de son Assomption, et je me permets de le citer ici pour nous introduire au véritable sens de cette fête : « Après son Assomption au ciel, le rôle de Marie dans le salut ne s’interrompt pas : par son intercession répétée elle continue à nous obtenir les dons qui assurent notre salut éternel. Son amour maternel la rend attentive aux frères de son Fils dont le pèlerinage n’est pas achevé, ou qui se trouvent engagés dans les périls et les épreuves, jusqu’à ce qu’ils parviennent à la patrie bienheureuse ».
Je reviendrai plus tard au texte du Concile. Je voudrais maintenant à partir de la parole de Dieu contempler Marie dans sa personne et dans sa mission. Le livre de l’Apocalypse nous fait voir cette fresque saisissante, située à la fin des temps, dans laquelle deux signes s’affrontent et se combattent : La Femme et le dragon. La Tradition catholique a vu dans cette Femme l’image de Marie. Curieusement, alors que la scène se situe à la fin des temps, cette femme nous est montrée sur le point d’accoucher. Et c’est contre l’enfant de cette femme que le dragon se déchaîne. Un peu comme si le mystère de Noël devait se répéter à la fin des temps, lors du combat final entre Dieu et les puissances du mal. Après la Nativité ce dragon a eu pour nom le roi Hérode. Souvenez-vous du massacre des Saints Innocents destiné à tuer le fils de Marie, Jésus nouveau-né. Dans l’eschatologie ce dragon est probablement une image de Satan. L’esprit mauvais a horreur de l’incarnation. Le fait que Dieu se fasse homme en Jésus, né de la Vierge Marie, cet abaissement divin en notre faveur, cette union du divin avec la chair et le sensible, mettent Satan dans une grande fureur. Car l’incarnation témoigne non seulement de l’immense bonté de Dieu, de sa miséricorde, mais aussi de son humilité et de sa volonté de s’unir aux pauvres créatures imparfaites et mortelles que nous sommes. Et si la Vierge Marie a été choisie depuis toute éternité par le Père pour être la Mère du Sauveur, c’est en grande partie en raison de son humilité. Elle est en quelque sorte l’anti-Satan. Et si nous mettons la première lecture en lien avec la deuxième, nous le comprenons encore mieux. Par son Assomption Marie participe déjà pleinement à la résurrection de son Fils. Elle lui est parfaitement unie dans sa victoire sur les puissances du mal et la mort. Aux côtés du Christ elle ne cesse de lutter contre les manœuvres du démon qui voudrait faire échouer le plan de salut divin pour notre humanité. Marie est la première créature à être totalement sauvée. Elle est le signe vivant de ce que l’union entre Dieu et ses créatures humaines est à nouveau possible par et dans le Christ. Le récit évangélique de la Visitation met en avant les vertus de Marie, « bénie entre toutes les femmes ». Si Marie est bienheureuse ce n’est pas d’abord parce qu’elle est la Mère du sauveur. C’est parce qu’elle a répondu « oui » de manière parfaite à l’appel de Dieu. Ce sont ses vertus qui lui ont permis de dire ce « oui » total et définitif au Seigneur. Dans l’Evangile de cette fête deux vertus de Marie sont mises en avant. Sa grande foi tout d’abord : « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur ». Et son humilité ensuite : « Il s’est penché sur son humble servante… Il élève les humbles ». Oui, dans son Assomption, Marie est élevée corps et âme à la gloire du ciel parce que toute sa vie elle n’a cessé de vivre humblement sous le regard de Dieu, et que son corps a été le tabernacle du Verbe de Dieu. C’est dans ce contexte des vertus mariales que le Concile Vatican II peut nous aider à comprendre ce qu’est la vraie dévotion du chrétien envers Marie : « Que les fidèles se souviennent qu’une véritable dévotion ne consiste nullement dans un mouvement stérile et éphémère de la sensibilité, pas plus que dans une vaine crédulité ; la vraie dévotion procède de la vraie foi, qui nous conduit à reconnaître la dignité éminente de la Mère de Dieu, et nous pousse à aimer cette Mère d’un amour filial, et à poursuivre l’imitation de ses vertus ». En ce jour de fête demandons à Marie, pleinement unie au Dieu Trinité, de nous faire grandir dans les vertus de foi et d’humilité. Puissions-nous l’aimer vraiment en l’imitant et en donnant jour après jour la joie du Christ Ressuscité à notre monde.

lundi 9 août 2010

19ème dimanche du temps ordinaire

19ème dimanche du TO/C
8/08/2010
Luc 12, 32-48 (p. 318)
Au cœur de l’été nous poursuivons notre lecture continue de l’Evangile selon saint Luc au chapitre 12. Le lien avec l’Evangile de dimanche dernier est évident même si nous sautons quelques versets pour parvenir au passage évangélique que nous venons d’entendre à l’instant. Souvenez-vous de la parabole de l’homme riche et de l’avertissement du Seigneur : « Gardez-vous de toute cupidité ». Et son invitation à s’enrichir en vue de Dieu. Dans les versets omis par la lecture continue nous trouvons l’un des enseignements majeurs de l’Evangile : « Cherchez le Royaume de Dieu, et cela vous sera donné en plus ». Quoi donc ? Le nécessaire pour notre vie humaine. De fait l’Evangile de ce dimanche ne cesse pas de nous parler de cette mystérieuse réalité du Royaume de Dieu. Et Jésus nous demande d’avoir et d’entretenir en nous deux attitudes fondamentales pour pouvoir accueillir ce Royaume : le détachement et la vigilance. Le détachement parce que le Royaume est déjà présent au milieu de nous avec Jésus, avec le mystère de l’incarnation. La vigilance parce que le Royaume doit encore s’accomplir avec le retour du Seigneur dans la gloire, retour dont nous ne pouvons pas connaître le moment. Dans le passage omis Jésus déplore notre peu de foi. C’est en effet parce que notre foi est bien faible que nous avons tant de mal à être détachés des biens matériels et à être vigilants pour le Royaume.
Regardons tout d’abord l’appel au détachement, dans la suite logique de la parabole de l’homme riche. Cet appel est précédé d’un enseignement essentiel : « Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume ». La présence de Dieu, son action nous sont données ! Jésus affirme que la grâce du Père est première dans notre condition de chrétiens. Hier comme aujourd’hui les chrétiens sont un « petit troupeau ». Notre dignité ne vient pas de notre nombre ou de notre puissance mais de ce que le Royaume nous est donné. Et si telle est bien la vérité de notre foi, alors nous n’avons rien à craindre, même si nous étions en situation minoritaire. Le signe que ce Royaume nous est donné réellement, c’est notre capacité à donner. De notre personne bien sûr, mais aussi de nos biens. Jésus souligne l’importance de l’aumône comme acte de foi dans le Royaume. Si notre trésor correspond à notre compte bancaire, alors nous ne pouvons pas aimer Dieu ni notre prochain comme Jésus nous le demande.
Regardons maintenant l’exigence de la vigilance en vue de l’accomplissement du Royaume, et cela à travers une parabole bien connue de tous et qui fait partie du lectionnaire pour les funérailles chrétiennes. Oui, notre vie chrétienne est en même temps un don, une grâce et une exigence. La fidélité répétitive des moines et des moniales est un magnifique exemple de vigilance. Pour nous qui vivons dans le monde avec un rythme de vie très différent des consacrés le travail de la vigilance correspond à notre devoir d’état. Notre vie dans le monde est elle aussi bien souvent répétitive. Elle peut même nous paraître fade et monotone tellement nous sommes attirés par la nouveauté et le changement. C’est là que la foi, l’amour et l’espérance chrétiennes peuvent transfigurer le quotidien en nous remettant dans l’axe du Royaume. Le devoir d’état ce n’est rien d’autre que notre vocation. Nous attendrons comme il faut le Seigneur si nous sommes de plus en plus fidèles à notre vocation que nous soyons mariés, prêtres, consacrés ou célibataires. Le fait d’être croyants n’enlèvera pas l’aspect répétitif de certaines tâches, le côté rébarbatif du devoir d’état. Mais nous aurons au cœur même de la monotonie la possibilité de puiser la joie aux sources du salut. C’est là que la prière a toute sa place comme boussole qui nous réoriente régulièrement vers l’essentiel, vers le Royaume. Et tout le reste nous sera donné par surcroît.
La conclusion de cette page évangélique nous remet devant une réalité que nous avons tendance à oublier. Au jour du jugement dernier ce ne sont pas les ignorants, athées ou non-chrétiens, bref les autres, qui auront le plus de soucis à se faire, mais bien nous. Non pas que Jésus nous pousse à la peur, il nous a dit « Sois sans crainte, petit troupeau », mais il veut nous faire comprendre la réalité suivante : au plus nous avons reçu, au plus il nous sera demandé. Si être chrétien c’est d’abord une grâce incomparable, c’est aussi une immense responsabilité : « A qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage ». Et c’est encore plus vrai du ministère des prêtres, des évêques et du pape. Saint Augustin l’avait bien compris lui qui faisait la différence entre la douce grâce d’être chrétien et le fardeau de la vocation d’évêque : « Pour vous, je suis évêque ; avec vous, je suis chrétien. Le premier nom est celui d’un office reçu ; le second, de la grâce ; le premier nom est celui d’un danger ; le second, du salut ”. Demandons vraiment la force de Dieu pour être fidèles chaque jour, si possible davantage, à la présence de son Royaume et à notre vocation particulière.