dimanche 29 septembre 2019

26ème dimanche du temps ordinaire / C



Luc 16, 19-31

29/09/19

En ce dimanche nous terminons notre méditation du chapitre 16 de l’Evangile selon saint Luc, chapitre consacré à la question de l’argent et des richesses. Le dernier verset de l’Evangile de dimanche dernier est une bonne introduction à la parabole du riche et de Lazare : vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent.

Dans la première lecture, le prophète Amos ne reproche pas seulement aux riches de son temps de vivre dans le luxe. Il leur reproche aussi de se désintéresser du bien commun, de se désolidariser du reste d’Israël : ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël ! Tout peut bien s’effondrer autour d’eux, ils continuent à festoyer comme si de rien n’était… Où l’on constate le lien fréquent entre richesse et égoïsme. Ce qui vaut à ces riches notables du peuple d’Israël la sentence suivante : la bande des vautrés n’existera plus, ou selon la traduction de la Bible des peuples : l’orgie des paresseux est maintenant terminée. Ce qui correspond à ce que certains sociologues appellent de nos jours la sécession des élites.

La parabole de ce dimanche est riche de nombreux enseignements. Elle opère tout d’abord un renversement évangélique de la réalité de notre monde. Ici c’est le riche qui est anonyme et le pauvre qui a un nom. La gare saint Lazare à Paris ou encore la congrégation des Lazaristes (congrégation de la Mission) fondée par saint Vincent de Paul nous ont rendu ce nom biblique familier… tout simplement parce que la gare fut construite à côté de la rue saint Lazare, cette rue tenant son nom de l’enclos saint Lazare qui était une ancienne léproserie…[1] dans laquelle s’installèrent les premiers fils de saint Vincent de Paul. Comme dans la première lecture, ce qui est reproché au riche c’est son enfermement sur lui-même et ses plaisirs, son indifférence au monde extérieur… si bien que les chiens sont plus humains que lui, car eux, au moins, éprouvent de la pitié pour Lazare et viennent lécher ses plaies. Pourquoi tant de pauvres vivants dans la rue sont-ils accompagnés de chiens ? Le renversement évangélique signalé à propos du nom se poursuit après la mort du pauvre et du riche. La mort nous rappelle brutalement que nous sommes égaux et tous membres de la même famille humaine : Or le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi, et on l’enterra. La formule est saisissante de par le contraste du vocabulaire. Alors que le riche est enterré, la mort de Lazare est décrite comme une élévation à la gloire du Ciel. Dans l’au-delà la situation respective des deux hommes est à nouveau renversée : l’un souffre dans ce qui semble être l’enfer tandis que l’autre jouit de la vision de Dieu auprès d’Abraham, le père des croyants. Cette fois la barrière qui les sépare n’est plus la richesse ou la classe sociale, mais bien un grand abîme infranchissable. Le riche, dans sa souffrance, pense alors à ses frères. La seule solidarité qu’il semble avoir conservé se limite à sa famille. Et il supplie Abraham de les mettre en garde contre ce qui les attend s’ils ne changent pas de vie. Peine inutile, répond Abraham, car s’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus. La leçon finale de la parabole est limpide : nous avons la chance d’avoir la Parole de Dieu, la Loi, les prophètes et l’Evangile. Cette parole nous ouvre le chemin de la vie car elle nous indique comment vivre avec justice en ce monde. A nous de la mettre en pratique dès aujourd’hui, sans remettre à demain ce que nous devons changer dans notre manière de vivre, car demain il sera trop tard. Les richesses comme l’attrait désordonné pour les plaisirs constituent un obstacle sur ce chemin qui conduit à la vie parce qu’elles nous rendent égoïstes et indifférents au sort de notre prochain. D’où l’enseignement que saint Paul donne aux riches par son disciple Timothée :

Quant aux riches de ce monde, ordonne-leur de ne pas céder à l’orgueil. Qu’ils mettent leur espérance non pas dans des richesses incertaines, mais en Dieu qui nous procure tout en abondance pour que nous en profitions. Qu’ils fassent du bien et deviennent riches du bien qu’ils font ; qu’ils donnent de bon cœur et sachent partager. De cette manière, ils amasseront un trésor pour bien construire leur avenir et obtenir la vraie vie.


[1] Au Moyen Âge, on fit de Lazare de Béthanie le patron des lépreux (à l'origine du lazaret), en l’identifiant avec  le personnage de la parabole rapportée par Luc. Son nom correspond à l'hébreu אלעזר, ʾelʿazar (« Dieu a secouru »).

dimanche 15 septembre 2019

24ème dimanche du temps ordinaire / année C



15/09/19

Luc 15, 1-10

En ce dimanche la liturgie de la Parole nous fait entendre les trois paraboles de la miséricorde divine qui correspondent au chapitre 15 de l’Evangile selon saint Luc. J’ai choisi la lecture brève qui n’inclue pas la troisième parabole, celle du fils prodigue. Tout simplement parce que c’est cette parabole qui est la plus connue et qui retient généralement notre attention au détriment des deux autres. Cela me permettra donc de me concentrer sur les deux petites paraboles de la brebis perdue et de la pièce perdue.

Jésus ne nous a pas donné ces paraboles comme un enseignement autonome sans rapport immédiat avec la situation concrète dans laquelle il se trouvait. Contrairement aux Béatitudes, ces paraboles ne se comprennent que dans leur contexte vivant. Elles constituent une réponse à une critique qui lui est adressé. D’où l’introduction donnée par l’évangéliste : Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! » Les hommes religieux se voulant fidèles à la loi de Moïse ne supportent pas l’attitude d’accueil et de bienveillance de Jésus à l’égard des publicains et des pécheurs. Peut-être sont-ils animés par une forme de jalousie religieuse selon laquelle ils devraient être prioritaires en tant que bons Juifs par rapport aux autres… Comme aujourd’hui certains catholiques aigris reprochent au pape François  de se préoccuper davantage des périphéries que des bons catholiques fidèles… Derrière cette situation de conflit entre Jésus et les pharisiens, c’est la question du caractère missionnaire de l’Eglise qui se pose. Ou pour le dire autrement c’est la question du pourquoi du mystère de l’incarnation. Dans quel but Dieu, en son Fils bien-aimé, se fait homme et devient notre frère ? Les paraboles répondent clairement à cette question : pour appeler les pécheurs à la conversion et leur offrir le don de la réconciliation. Dans sa première lettre à Timothée, l’apôtre Paul, lui-même un pécheur converti, traduit de manière concise le pourquoi de la présence de Jésus au milieu de nous : Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité. Ces paraboles ne nous parlent pas seulement de l’amour miséricordieux du Père, donc de Jésus, pour les pécheurs. Elles nous rappellent sa volonté de salut universel : ce sont tous les hommes qu’il veut rassembler dans sa communion trinitaire. Nous pourrions penser qu’il n’est pas si grave que cela de perdre une brebis ou une pièce quand il nous en reste encore 99 ou neuf… Mais Dieu ne raisonne pas ainsi. Chacun d’entre nous a une grande valeur à ses yeux, chacun est unique. Peu lui importe que 99 brebis soient en sécurité, si une seule s’est égarée alors son cœur s’émeut et il ne peut se résoudre à cette perte. A l’image du berger et de la femme, c’est lui-même qui se met à notre recherche si nous sommes perdus. Et rien ne procure davantage de joie à Dieu notre Père que de pouvoir nous retrouver et de nous réintroduire dans sa communion et dans sa vie divine. Remarquez comment dans les deux paraboles cette joie ne peut être gardée pour soi-même ! Le berger comme la femme se réjouissent avec leurs amis et leurs voisins. Il en va de même dans la communion de l’Eglise et dans la communion des saints au ciel : C’est ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion. Saint Matthieu nous présente une variante de la parabole de la brebis perdue qui a le mérite de nous en donner la signification précise : votre Père qui est aux cieux ne veut pas qu’un seul de ces petits soit perdu.
Ces deux paraboles nous interpellent en tant que catholiques pratiquants. Premièrement, si nous sommes présents en cette église pour célébrer le sacrement de l’eucharistie, c’est probablement parce que nous faisons partie des 99 brebis qui ne se sont pas égarées, ce qui ne fait pas de nous automatiquement des saints ! Cela signifie-t-il que nous ne pouvons pas réjouir le cœur de Dieu notre Père ? Pas du tout, puisque notre objectif et notre vocation, c’est bien la sainteté et que sur ce chemin nous pouvons toujours progresser et nous rapprocher du Père dans la foi, l’espérance et la charité. Ensuite, au lieu de récriminer contre Jésus comme les pharisiens, nous sommes invités à nous réjouir de ce que Dieu et son Eglise accueillent et recherchent les brebis égarées. Nous-mêmes sommes invités à faire nôtre l’attitude de Jésus : accueil, bienveillance, ouverture et charité pour les brebis égarées. Sans mépris ni aucun complexe de supériorité, il s’agit pour nous d’être tout simplement apôtres et missionnaires à la suite de Jésus et surtout à sa manière. Faire partie des 99 brebis qui sont dans la bergerie de l’Eglise devrait nous empêcher d’être indifférents à la perte d’un seul de nos frères. Il s’agit donc de partager la préoccupation du Seigneur pour ceux qui se sont éloignés et pour leur salut… ainsi que sa joie quand ils se convertissent.


dimanche 8 septembre 2019

23ème dimanche du temps ordinaire / année C



8/09/19

Luc 14, 25-33

Alors que nous avons commencé une nouvelle année scolaire et, qu’en ce dimanche, nous faisons notre rentrée paroissiale en tant que communauté francophone de Copenhague, la parole de Jésus ne nous ménage pas ! Peut-être avons-nous pensé intérieurement que nous n’étions ni des moines ni des religieuses et que les exigences du Seigneur sont tout simplement irréalisables dans une vie au cœur du monde tel qu’il est… Et pourtant c’est à tous ses disciples que Jésus adresse ces paroles. En fait deux paroles d’exigence illustrées par deux petites histoires (bâtir une tour et partir en guerre). Réécoutons ces paroles :

Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple.

Ainsi donc, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple.

Une troisième parole résume l’esprit de ces propos exigeants en utilisant l’image de la croix : Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple.

Dans la première parole il s’agit de préférer Jésus à tout, dans la seconde il s’agit de renoncer à toutes ses possessions. Ces deux attitudes font partie de ce que le Seigneur appelle porter sa croix en le suivant. C’est dire que dans la vie chrétienne, il y a un aspect de sacrifice, un aspect pénible et laborieux qui va contre nos penchants naturels. La vie de disciple exige de nous des efforts, une lutte spirituelle comme le montre l’image du roi qui se prépare à partir en guerre. Les deux paroles d’exigence ne font que traduire le premier commandement, celui de l’amour dû à Dieu et à lui seul. En exigeant cela pour lui, Jésus nous fait comprendre de manière implicite qu’il est bien plus qu’un prophète, bien plus que le Messie d’Israël : il est le Fils unique de Dieu, égal au Père dans la communion de l’Esprit. S’il n’était qu’un homme, ce serait orgueil et folie de sa part de nous demander un amour aussi exigeant. En même temps il est notre frère en humanité, notre chemin, ce qui fait que nous pouvons le suivre car il nous ouvre le chemin de la vie. Son exigence à notre égard vise ce que nous avons de plus précieux : les liens de la famille, notre propre vie, et nos biens matériels. Toutes ces réalités précieuses pour nous dans notre vie humaine sur cette terre doivent donc être ordonnées à l’amour de Dieu, à l’amour de Jésus. Derrière ces paroles, il y a en fait une mise en garde, un enseignement de sagesse, car là où est notre trésor, là aussi sera notre cœur. Si mes parents, ma femme, mon attachement excessif (désordonné) à ma propre vie et à ce que je possède sont des obstacles dans l’accomplissement de ma vocation chrétienne, s’ils m’empêchent d’accomplir la volonté du Seigneur, alors je peux être amené, par fidélité à Jésus, à faire un choix radical qui est souvent un choix crucifiant, c’est-à-dire un choix qui me coûte et qui me demande un effort sur moi-même.

L’exemple de celui qui veut bâtir une tour nous fait penser à un autre passage de l’Evangile selon saint Luc :

Et pourquoi m’appelez-vous en disant : “Seigneur ! Seigneur !” et ne faites-vous pas ce que je dis ? Quiconque vient à moi, écoute mes paroles et les met en pratique, je vais vous montrer à qui il ressemble. Il ressemble à celui qui construit une maison. Il a creusé très profond et il a posé les fondations sur le roc. Quand est venue l’inondation, le torrent s’est précipité sur cette maison, mais il n’a pas pu l’ébranler parce qu’elle était bien construite.

En ce temps de rentrée, le Seigneur nous invite à bâtir le chef d’œuvre de notre vie sur lui, le roc, et sur sa parole. Ces paroles qui nous semblent dures et nous effraient n’ont pas d’autre but que de nous pousser à mettre de l’ordre dans notre vie, à faire le ménage dans notre cœur, et à redonner à notre relation avec le Seigneur la priorité sur tout le reste. Si nous sommes honnêtes, nous constatons que le peu que nous donnons à Dieu, le peu de temps que nous consentons à lui consacrer dans la prière, passe en général après tout le reste… Probablement parce que nous manquons de foi, d’espérance et de charité, et que nous n’avons pas réalisé à quel point Jésus nous aime. L’électrochoc des paroles de ce dimanche a pour but de nous faire inverser cette tendance et de faire passer Jésus des marges de notre vie au cœur de notre existence quotidienne.