vendredi 22 décembre 2006

La Nativité du Seigneur

Nativité du Seigneur
25/XII/06
Jean 1, 1-18 (page 216)

Si l’on organisait un sondage pendant le temps de Noël, j’aimerais poser aux chrétiens de notre pays la question suivante : Quelle image vous vient spontanément à l’esprit quand on vous parle de Noël ? Probablement la majorité des réponses donnerait : la crèche. D’autres pourraient répondre, bien que chrétiens, la fête familiale, les cadeaux ou le père Noël… Oui, spontanément nous associons la fête de Noël au récit de la Nativité tel que nous l’avons entendu en saint Luc lors de la messe de la nuit. Car pour une majorité de chrétiens, et c’est encore plus vrai en Provence, la messe de Noël, la « vraie », c’est celle de la nuit, et si elle est à minuit c’est encore mieux !
Nous célébrons la messe du saint jour de Noël, et l’évangéliste Luc passe le relais à son confrère théologien Jean. Nous passons de la crèche de Luc au prologue de Jean, de l’enfant Jésus emmailloté et couché dans une mangeoire au Verbe éternel de Dieu qui se fait chair. C’est bien sûr la même réalité, le même mystère que nous contemplons. Mais la tonalité de la messe du jour est bien différente de celle de la nuit. Avec Jean nous ne sommes plus dans un récit de la naissance du Sauveur mais dans une contemplation théologique du mystère de l’incarnation. Le prologue de Jean est l’un des plus beaux textes de toute la Bible, un texte d’une extraordinaire richesse théologique et spirituelle. Loin de moi l’idée de me lancer en ce saint jour dans un commentaire du prologue. Il me semble cependant que le prologue de Jean nous pose une question essentielle : Pourquoi Noël ? Pourquoi cet extraordinaire et imprévisible mystère de l’incarnation ? La liturgie de la Parole nous offre quelques éléments de réponse. Je vais tenter de les mettre en lumière pour vous aujourd’hui.

Pourquoi Noël ? Tout d’abord parce qu’en cette sainte nuit la plénitude des temps est advenue : « dans les derniers temps, dans ces jours où nous sommes. » Le mystère de Noël trace une frontière dans l’histoire de notre humanité. Désormais il y aura un avant le Christ et un après le Christ. Une naissance, c’est toujours un signe de nouveauté, d’espérance. Mais lorsque c’est le Verbe de Dieu qui se fait chair, il n’y a plus de doute à avoir sur la portée de sa naissance : avec Noël nous entrons dans une ère nouvelle de l’Alliance entre Dieu et les hommes.

Pourquoi Noël ? Pour que Dieu puisse se révéler en plénitude à notre humanité : « Il nous a parlé par ce Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes. » Le prologue de Jean affirme la même vérité : « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique qui est dans le sein du Père, c’est lui qui a conduit à le connaître. » Comme toutes les œuvres de Dieu, Noël n’a pas d’autre explication que l’amour. Le Père, dans son amour, s’abaisse en son Fils, pour se mettre en quelque sorte à notre niveau. Ceux qui voyaient en Dieu un monarque absolu regardant de haut ses créatures devront réviser leur théologie. En son Verbe fait chair Dieu nous regarde face-à-face et se rend visible à nos yeux de chair, si nous acceptons de croire en lui et de lui faire confiance.

Pourquoi Noël ? Pour que nous devenions des fils et des filles de Dieu, pour que nous puissions adorer le Père en esprit et en vérité, pour que nous puissions nous adresser à Lui en disant : « Notre Père ». Si le Fils de Dieu s’est fait homme, c’est bien pour que nous, les hommes, nous puissions devenir fils de Dieu. C’est l’admirable échange du mystère de l’incarnation. Le prologue de Jean nous fait comprendre que la naissance de Jésus en appelle une autre, tout simplement parce qu’il est le Premier-né :
« Tous ceux qui l’ont reçu, ceux qui croient en son Nom, il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu. Ils ne sont pas nés de la chair et du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu. »
Fêter la naissance de Jésus Sauveur, c’est donc fêter dans le même mouvement notre naissance à la vie de fils de Dieu. Oui, nous sommes véritablement nés de Dieu par le sacrement de baptême et par notre foi en Jésus. Notre baptême est une seconde naissance, une nouvelle naissance : une renaissance. Par notre baptême nous entrons dans cette nouvelle ère de l’histoire de notre humanité : une ère de grâce et de vérité. Nous associons habituellement le baptême au mystère de Pâques et nous avons raison. Mais dans le Christ tous les mystères sont unifiés et se renvoient les uns aux autres : Pâques est la plénitude du mystère de l’incarnation. Notre baptême, sacrement pascal comme tous les autres sacrements, prend davantage de sens si nous le considérons aussi dans la perspective du mystère de Noël. Car dans la nuit de la Nativité, Dieu ne nous donne pas seulement un Sauveur, Il nous donne son Fils unique et nous révèle par là le mystère de sa vie trinitaire. Et c’est bien par notre baptême que nous entrons à notre tour dans la vie trinitaire et que nous recevons notre filiation adoptive.
Que la contemplation du Verbe fait chair soit pour nous l’occasion de renouveler profondément notre action de grâces ! Oui, merci, ô Père, de nous faire tes fils et tes filles en Jésus ton Fils unique. Merci pour le don du baptême et de la foi catholique. Donne-nous de comprendre que notre plus grande dignité se trouve dans notre condition de chrétiens ! Que peut-il y avoir en effet de plus grand que d’être fils de Dieu ? Que peut-il y avoir de plus beau que de pouvoir t’appeler : Notre Père ? O Père, nous n’aurons pas assez de toute notre vie pour découvrir ton amour et te rendre grâce… C’est pour cela qu’en Jésus tu nous veux auprès de toi pour toujours ! Le mystère de Noël appelle en effet le mystère de Pâques.
Amen

Quatrième dimanche de l'Avent

4ème dimanche de l’Avent / C
24 XII 06
Luc 1, 39-45 (page 190)

Le troisième dimanche de l’Avent était le dimanche de la joie. Avec le quatrième dimanche de l’Avent nous demeurons dans cette tonalité joyeuse. L’Evangile de cette messe nous rapporte le récit de la Visitation, un mystère qui fait partie des mystères joyeux du rosaire. La liturgie nous fait entendre la première partie de ce récit. Il nous manque ici la prière de Marie : le Magnificat, splendide conclusion à l’événement de la Visitation. Le dernier dimanche avant Noël, celui qui nous prépare directement à la célébration de cette solennité, est donc à la fois joyeux et marial.
Avant d’entrer plus avant dans ce texte évangélique, nous pouvons contempler le mystère de la Visitation dans son aspect fortement symbolique. Car dans cette rencontre entre Marie et Elisabeth il y a bien un mystère divin qui dépasse l’événement pris en lui-même. Une rencontre suppose toujours, au minimum, deux personnes.
D’un côté nous avons celle qui prend l’initiative, celle qui « se mit en route rapidement vers une ville de la montagne de Judée » : Marie. Marie est une jeune fiancée, une vierge. De l’autre côté nous avons Elisabeth, une personne avancée en âge, mariée et sans descendance parce que stérile. Comment ne pas deviner dans cette rencontre entre les deux femmes la rencontre entre la première Alliance et la nouvelle Alliance ? En visitant Elisabeth, Marie vient en quelque sorte accomplir la première Alliance à la fin des temps. La rencontre de la Visitation se déroule en fait entre quatre personnes. Car s’il y a les deux mères, il y a aussi les deux enfants : Jésus et Jean. Et si Jésus et Jean sont là dans le sein de leurs mères respectives, c’est bien parce que Dieu l’a voulu ainsi. Dieu est intervenu pour que la vierge puisse concevoir et pour que la stérile puisse enfanter. A la fin des temps Dieu intervient pour porter à son accomplissement l’ancienne Alliance dans la nouvelle. C’est ici qu’il faudrait nous souvenir des merveilleuses paroles du prologue de Jean que nous entendrons demain :
« Ils ne sont pas nés de la chair et du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu. »
Ce que Jean affirme ici des baptisés et des croyants s’applique d’abord et d’une manière unique à Jésus et à Jean le baptiste. Si leurs naissances sont miraculeuses, ce n’est pas par goût du merveilleux et de l’extraordinaire, mais bien pour nous faire comprendre qu’avec ces enfants une nouvelle ère commence : l’ère chrétienne. Nous sommes bien à la fin des temps, à l’accomplissement de toutes les promesses de Dieu.
Ceci étant dit, nous pouvons maintenant mieux goûter certains détails du récit de saint Luc. Comme souvent dans la Bible, l’événement de la Visitation est à la fois caché et décisif pour notre salut. Puisque mystérieusement nous basculons en quelque sorte du régime de la Loi au temps de la grâce. Nous avons parlé des quatre personnes qui donnent sens à cette belle rencontre dans la maison de Zacharie. N’oublions pas la personne principale, celle sans laquelle ce passage de l’ancien au nouveau, du provisoire au définitif, n’aurait pu se faire. Cette personne est la troisième personne de la Trinité : le Saint-Esprit.
« Alors Elisabeth fut remplie de l’Esprit Saint. »
C’est bien le Saint Esprit qui est l’auteur de toute cette joie humble et cachée : la joie de Jean, la joie de sa mère Elisabeth. Et Marie est pour ainsi dire le canal de cette joie divine. En tant que mère de Jésus et servante du Seigneur, elle est personnellement comblée de joie : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur. » En même temps elle ne peut que rayonner, transmettre cette joie du salut autour d’elle.
A la veille de Noël, nous avons à faire notre l’attitude de l’apôtre Jean au pied de la croix : prendre Marie chez nous en demandant la grâce de croire comme elle-même a cru. Car là où est la Vierge Marie, là est aussi l’Esprit Saint. Et là où est l’Esprit de Dieu là est la joie que nul ne peut nous ravir.
Amen

samedi 16 décembre 2006

Troisième dimanche de l'Avent

Troisième dimanche de l’Avent (Gaudete) / C
17 décembre 06
Luc 3, 10-18 (page 115)

« Tu le vois, Seigneur, ton peuple se prépare à célébrer la naissance de ton Fils ; dirige notre joie vers la joie d’un si grand mystère pour que nous fêtions notre salut avec un cœur vraiment nouveau. »
La prière ou collecte de cette messe nous donne bien la tonalité propre au troisième dimanche de l’Avent : ce dimanche est celui de la joie chrétienne, le dimanche de Gaudete, d’après le premier mot latin de l’antienne d’ouverture qui est en fait une citation de la deuxième lecture : « Soyez dans la joie du Seigneur. »
La liturgie de la Parole nous parle d’une double joie : celle qui doit être la notre en tant que chrétiens, et cela tout particulièrement à l’approche de Noël, et la joie même de Dieu.
C’est la première lecture qui nous révèle cette joie de Dieu, et cela d’une manière très surprenante : Le Seigneur ton Dieu « aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ; il dansera pour toi avec des cris de joie, comme aux jours de fête. » L’Ancien Testament, particulièrement dans le livre des Psaumes, nous avait habitué à la situation inverse : c’est le peuple d’Israël qui danse de joie pour son Dieu. Souvenez-vous de la danse du roi David pour célébrer l’entrée de l’Arche d’Alliance dans Jérusalem[1]. Chez le prophète Sophonie, c’est le Seigneur qui danse pour son peuple personnifié par la fille de Sion, c’est-à-dire Jérusalem. Le catéchisme nous apprend que Dieu est bienheureux et qu’il n’a pas besoin des créatures pour connaître la joie. Dieu jouit en lui-même d’une joie parfaite dans les relations trinitaires : entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Dans le mystère de la Trinité, la joie est associée à la personne du Saint-Esprit, lumière bienheureuse qui donne la joie éternelle.[2] La joie que Dieu veut mettre dans son peuple n’est donc pas de l’ordre de la nécessité mais de la gratuité. Dieu n’a pas besoin de nous pour être parfaitement dans la joie, mais il veut se réjouir en nous et à cause de nous, parce qu’il nous aime ! Quand Sophonie nous montre Dieu qui « dansera » pour son peuple « avec des cris de joie », nous pouvons bien sûr penser à un anthropomorphisme, à une manière humaine de parler de Dieu. Mais en ce temps de l’Avent, nous pouvons déceler dans cette prophétie une annonce de l’Incarnation. Les Evangiles, certes, ne nous montrent pas Jésus en train de danser… Il n’en reste pas moins vrai que Jésus a vécu profondément la joie en accomplissant sa mission de Sauveur pour le peuple : « pour que ma joie soit tout entière en eux.[3] » Dieu veut donc trouver sa joie dans son peuple et dans chacun d’entre nous, et cela, une fois encore, par pur amour.
Si nous comprenons cela, alors nous comprenons notre vocation de chrétiens : nous devons vivre de telle sorte que nous puissions réjouir le cœur de Dieu. Etre pour Dieu des sujets de joie et d’allégresse, telle est la grandeur de notre vocation. Comment pouvons-nous avoir ce pouvoir exorbitant, celui de réjouir le cœur de Dieu ?
Tout d’abord en vivant nous-mêmes, à la suite du Seigneur Jésus, la joie spirituelle. C’est tout le sens de la deuxième lecture. Nous n’avons pas de plus belle manière de dire à Dieu et à Jésus notre reconnaissance, notre action de grâce que de lui offrir joyeusement toute notre personne et notre vie. Le témoignage de la joie chrétienne est le plus efficace de tous les témoignages. Si nous mettons vraiment notre joie en Dieu, alors nous rayonnons la présence du Seigneur autour de nous, nous sommes des foyers de joie divine. Ce qui nous empêche de rayonner la joie chrétienne, c’est essentiellement la faiblesse de notre vie spirituelle et notre péché. Une vie sans prière ne peut être joyeuse de la joie même de Dieu. Quant au péché, s’il peut être source de plaisir et de satisfaction égoïste, il nous conduit toujours à la tristesse. Et c’est là que les paroles de Jean prennent tout leur sens.
Il s’en suit que pour réjouir le coeur de Dieu, nous avons à nous convertir. Non pas à faire des choses extraordinaires ! Ecoutons à nouveau les exhortations de Jean :
« Celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas etc. »
« N’exigez rien de plus que ce qui vous est fixé. »
« Ne faites ni violence ni tort à personne ; et contentez-vous de votre solde. »
Voilà comment nous pouvons être dans la joie et réjouir notre Dieu ! C’est si simple : partager avec les pauvres, se contenter de ce que l’on a, être doux et juste. Il n’y a rien d’extraordinaire dans tout cela. La joie jaillit toujours des réalités les plus simples et les plus essentielles. Le plus difficile est probablement de commencer ce travail de conversion de manière concrète, de ne pas toujours le remettre à demain. Car demain sera le jour du jugement, celui du tri entre le grain et la paille. Les experts qui étudient l’environnement nous préviennent : n’attendons pas qu’il soit trop tard pour changer nos mauvaises habitudes. L’écologie ne peut pas être une option en politique. Eh bien, l’écologie spirituelle dont nous parle Jean n’est pas non plus une option dans la vie chrétienne, c’est bien une question de mort ou de vie. Sous des apparences austères et ascétiques Jean est bien le prophète de la joie.
Il nous propose un test tout simple. Par exemple : lorsque nous aurons plus de joie à partager avec les autres qu’à accumuler des richesses pour nous, alors ce sera le signe que nous sommes sur le bon chemin. De la même manière lorsque nous trouverons notre joie davantage dans ce que nous avons et ce que nous sommes, que dans ce que nous désirons ou rêvons d’être. C’est alors que la paix de Dieu gardera notre coeur et notre intelligence dans le Christ Jésus. Amen

[1] 2 Samuel 6, 14s
[2] Cf. la séquence de Pentecôte
[3] Jean 17, 13

samedi 9 décembre 2006

Deuxième dimanche de l'Avent

Deuxième dimanche de l’Avent / C
10 décembre 2006
Luc 3, 1-6 (page 67)

Comme porte d’entrée dans la liturgie de la Parole de ce dimanche, je vous propose de mettre en lumière un point commun entre la première lecture et l’Evangile.
Nous lisons dans le prophète Baruch :
« Dieu a décidé que les hautes montagnes et les collines éternelles seraient abaissées, et que les vallées seraient comblées : ainsi la terre sera aplanie, afin qu’Israël chemine en sécurité dans la gloire de Dieu. »
Ecoutons maintenant le contenu de la prédication de Jean dans l’Evangile :
« Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route. Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux deviendront droits, les routes déformées seront aplanies ; et tout homme verra le salut de Dieu. »
La source commune à ces deux textes est un passage du chapitre 40 d’Isaïe. Ce chapitre correspond au début du livre de la consolation. C’est la deuxième partie du livre d’Isaïe qui commence avec ces mots :
« Consolez, consolez mon peuple, dit le Seigneur votre Dieu. »
La prophétie d’Isaïe reprise par Baruch puis saint Luc présente à la fois des aspects communs et des différences.
Commençons par ce qui est commun aux deux textes : l’image des montagnes, des collines et des ravins ainsi que la route, le chemin. Il est évident que ces images ont une signification spirituelle. Il suffit pour nous en convaincre de nous reporter à un autre passage du prophète Isaïe :
« Oui, le Seigneur Sabaot aura son jour contre tout orgueil et toute insolence, contre tous ceux qui se croient quelque chose : ils seront abaissés ! Il aura son jour contre les cèdres du Liban, élevés et hautains, contre tous les chênes du Bashan, contre les montagnes hautaines et toutes les collines élevées, contre les hautes tours et les remparts fortifiés, contre les vaisseaux de Tarsis et tous les navires princiers. L’orgueil de l’homme sera abaissé, l’insolence du mortel, humiliée : le Seigneur, lui seul, sera élevé ce jour-là.[1] »
Les collines et les montagnes représentent donc le péché capital d’orgueil. Le jour du Seigneur que nous attendons d’une manière plus intense en ce temps de l’Avent correspondra au jugement de « tous ceux qui se croient quelque chose. » Luc aime les détails historiques pour insister sur le réalisme de l’incarnation. Spirituellement, son introduction à la prédication de Jean va cependant plus loin que la seule histoire. Il cite tous les titres de ces grands personnages : Empereur, Gouverneur, Princes, Grands prêtres. Ce sont les puissants de l’époque. Puis en une phrase laconique Luc nous présente le Précurseur :
« La parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, fils de Zacharie. »
Jean, lui, n’a aucun titre ni aucun pouvoir. Il est simplement le fils de Zacharie. Mais c’est bien à lui que Dieu adresse sa Parole ! Voilà comment le Seigneur abaisse nos montagnes et nos collines d’orgueil.
Vient ensuite l’image de la route, du chemin qui doit être aplani. Le chemin aplani représente la vertu d’humilité par laquelle nous pouvons aller à la rencontre du Seigneur qui vient. Chez Baruch comme chez saint Luc on a l’impression d’avoir affaire à une voie rapide, à une « autoroute du salut ». N’oublions pas que Satan a, lui aussi, son autoroute, celle de la perdition : « Oui, grande ouverte est la porte, large est le chemin qui mène à la perdition, et c’est une foule qui s’y engage.[2] » Comment pouvons-nous savoir si nous sommes sur la bonne autoroute, celle qui nous conduit à la rencontre du Christ ? Sur le chemin de la perdition, il n’y a pas d’humilité. Il y a bien souvent l’orgueil humain. Ce chemin est facile à prendre. Le chemin du Seigneur est celui de la sécurité, pas celui de la facilité. Oui, sur ce chemin nous sommes en sécurité si nous mettons véritablement toute notre confiance et notre espérance dans le Seigneur. Cela ne supprime pas pour autant les obstacles, d’où l’espérance de Paul dans la deuxième lecture :
« Puisque Dieu a si bien commencé chez vous son travail, je suis persuadé qu’il le continuera jusqu’à son achèvement au jour où viendra le Christ Jésus. » Dieu nous donne toujours fidèlement sa grâce. Nous pouvons prendre l’autoroute du Seigneur à un moment donné de notre vie. Le défi consiste à rester sur cette autoroute jusqu’au retour du Christ, jusqu’au jour de notre mort. Jésus nous a prévenus : c’est par notre persévérance que nous serons sauvés.[3]
Nous avons deux signes qui nous permettent de dire : j’ai pris le bon chemin. L’humilité et la persévérance, c’est-à-dire aller jusqu’au bout, ne pas nous décourager en chemin.
Regardons maintenant les différences entre Baruch et saint Luc dans leur citation d’Isaïe.
Baruch parle du chemin d’Israël, Luc du chemin du Seigneur. C’est Dieu qui est premier, c’est Dieu qui est le maître d’œuvre de cette route aplanie sur laquelle il vient à notre rencontre en Jésus.
Baruch parle du salut d’Israël, Luc annonce le salut de Dieu pour tout homme ! Par sa venue en notre chair, le Seigneur Jésus universalise la promesse de salut faite autrefois à Israël. Il montre par là le sens de l’élection d’Israël. Si Israël est choisi parmi tous les peuples, ce n’est pas pour devenir le propriétaire du salut, mais au contraire le témoin de Dieu pour tous. Il en va de même pour nous : l’appel que nous avons reçu du Seigneur nous oblige envers tous nos frères. Préparons pour eux le chemin du Seigneur, dans la confiance et dans l’humilité.
Amen

[1] Isaïe 2, 12-17
[2] Matthieu 7, 13
[3] Luc 21, 19

samedi 2 décembre 2006

Premier dimanche de l'Avent

Premier dimanche de l’Avent / année C
3 décembre 2006
Luc 21, 25-36 ; page 20

Avec le premier dimanche de l’Avent commence une nouvelle année liturgique : c’est le début de notre année chrétienne. Comme nous le savons, le temps de l’Avent a deux objectifs : nous préparer au retour du Christ dans la gloire et nous préparer à la célébration de Noël. Le Christ est venu dans l’humilité et la pauvreté à Noël, il reviendra dans la gloire à la fin des temps. Le temps de l’Avent est probablement trop court pour nous permettre d’assimiler ce double objectif spirituel. En tout cas le premier dimanche de l’Avent est clairement eschatologique : il nous parle de la venue du Seigneur dans la gloire à la fin des temps. Et cette année c’est saint Luc qui nous servira de guide.
L’Evangile de ce dimanche est un passage du chapitre 21 de saint Luc. Malheureusement la liturgie nous fait sauter cinq versets dans ce texte… La première partie de cet Evangile a un aspect terrifiant. Le vocabulaire ne correspond pas trop à une « Bonne nouvelle » : les nations affolées, la peur, la crainte etc. Bref rien de très rassurant ou attirant ! Jésus annonce un ébranlement cosmique qui correspondra avec son retour dans la gloire. La bonne nouvelle est présente puisque notre rédemption approche. Parmi les versets exclus du texte liturgique, il y en a un qui éclaire de manière merveilleuse cet ébranlement cosmique :
« Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas[1]. »
L’ébranlement cosmique de la fin des temps nous rappelle le caractère provisoire de la création telle que nous la connaissons actuellement. Le ciel et la terre ne sont pas des réalités éternelles, ce sont des créations de Dieu. Seule la parole du Christ est éternelle, c’est-à-dire toujours vivante, actuelle, efficace et puissante. C’est toute la différence entre la sphère du divin et la sphère des créatures. Dans le chapitre 8 de sa lettre aux Romains, l’apôtre Paul a de très belles paroles sur la création : elle « aspire de toutes ses forces à voir cette révélation des fils de Dieu. […] Elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage, de la dégradation inévitable, pour connaître la liberté, la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons bien, la création tout entière crie sa souffrance, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore.[2] » A la lumière de ce texte de Paul, l’ébranlement cosmique de l’Evangile ne peut plus être perçu comme un anéantissement de la création. Cet ébranlement est en fait une transfiguration. A la rédemption de l’homme qui approche correspond une nouvelle naissance pour tout l’univers créé.
La seconde partie de l’Evangile est parénétique : il s’agit d’une vigoureuse exhortation à se préparer au retour du Christ dans la gloire. Le grand danger pour les chrétiens que nous sommes est l’alourdissement de notre cœur. L’image est parlante : notre coeur, s’il s’alourdit, tend aux choses d’en bas et oublie les réalités spirituelles. La débauche, l’ivrognerie et les soucis de la vie ne sont que des exemples parmi tant d’autres de ce qui peut contribuer à alourdir notre cœur. Alors comment faire pour que notre cœur soit plus léger ? C’est-à-dire toujours prêt à aller à la rencontre de son Seigneur qui vient. Jésus nous le dit :
« Restez éveillés et priez en tout temps. »
C’est bien par notre vie de prière, personnelle, familiale, communautaire, que nous pouvons toujours nous orienter vers le Seigneur et accueillir sa Parole qui ne passera pas. La prière est l’oxygène du chrétien. Sans prière, le chrétien s’asphyxie et s’endort. Comme le Carême, le temps de l’Avent nous redit l’importance de la vie spirituelle, la place que doit avoir la prière dans notre vie quotidienne. Notre expérience nous enseigne que la fidélité à la prière est une lutte, un combat. Nous savons aussi par expérience que si nous respirons régulièrement le bon air de la prière, notre vie en est peu à peu transformée, transfigurée.
Amen
[1] Luc 21, 33
[2] Romains 8, 19-22