lundi 26 mai 2008

SAINT SACREMENT

Le Saint Sacrement /A
25 mai 2008
Jean 6, 51-58 (page 1175)
Dimanche dernier la liturgie nous invitait à aller au cœur de notre foi chrétienne et à contempler le mystère de Dieu Trinité. Mystère dont saint Jean nous a ouvert l’accès en nous révélant que Dieu est Amour. C’est cet amour trinitaire qui est à l’œuvre dans tous les sacrements mais au plus haut point dans le Saint Sacrement de l’eucharistie que nous fêtons en ce dimanche. Dans notre année liturgique nous célébrons de manière particulière ce sacrement à deux moments : aujourd’hui mais aussi chaque Jeudi Saint avec la messe commémorant l’institution de l’eucharistie par Jésus lors de la dernière Cène.
Que retenir de la belle liturgie de la Parole qui nous est offerte en cette fête ? Je partirai volontiers d’un verset de la première lecture que nous connaissons bien parce que Notre Seigneur l’a utilisé pour repousser le tentateur au désert : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. » Voilà la grande vérité que nous avons à redécouvrir aujourd’hui avec urgence. L’homme peut devenir triste et sans espérance, notre humanité maussade, notre cœur desséché… lorsque nous limitons notre faim, donc notre désir, aux seuls biens matériels représentés ici par le pain. Car alors, d’une manière ou d’une autre, nous servons le dieu argent au lieu de servir le Dieu vivant. Sans ce qui sort de la bouche de Dieu, nous devenons vite esclaves de nos besoins et de nos passions. Et ce qui sort de la bouche du Seigneur, c’est d’abord sa Parole ! « Il envoie sa Parole sur la terre », chante l’auteur du psaume 147. Cette Parole présente d’abord par les prophètes, puis faite chair à Noël dans le sein de Marie, l’humble Vierge de Nazareth ! C’est bien parce que le Verbe s’est fait chair dans le grand mystère de l’incarnation qu’il peut ensuite nous donner sa chair de ressuscité à manger à travers le signe du pain. Oui, dans l’eucharistie, nous avons véritablement tout ce qui sort de la bouche du Seigneur, ce qui nous fait vivre véritablement : la Parole de Dieu que nous venons d’écouter et que nous méditons, et le Pain de Vie que nous sommes appelés à recevoir en communion. Les lectures nous rappellent que ce pain vient du Ciel. Il est un don issu de l’amour de Dieu pour nous, d’un amour fou manifesté dans le Christ. Ce pain surnaturel n’est pas le produit de l’homme : il est sacrement. En même temps souvenons-nous de la prière dite par le prêtre au moment de la préparation des dons : ce pain est certes un don de Dieu mais il est en même temps « le fruit de la terre et du travail des hommes. » C’est l’Esprit de Dieu qui seul peut nous donner le pain surnaturel, le pain du Ciel : d’où la prière eucharistique précédée par une invocation à l’Esprit. Mais l’Esprit ne peut faire le sacrement de l’eucharistie sans la matière du pain : fruit de la terre et du travail des hommes. Dans l’eucharistie est donc anticipée la réconciliation parfaite, dans l’amour et la sainteté, entre la création, l’humanité et Dieu. L’eucharistie unit ce qui était opposé : la terre et le ciel. C’est bien normal puisque celui qui a voulu pour nous ce très saint sacrement est véritablement homme et véritablement Dieu. Comme l’affirme avec bonheur un père jésuite : « Le pain et le vin que nous recevons nous permettent de devenir le pain que nous pouvons, à notre tour, donner. Ainsi le pain du ciel peut devenir pain de la terre. » En nous le pain du ciel doit devenir, dans l’élan de chaque eucharistie, un pain pour notre terre, c’est-à-dire un engagement de notre part à rayonner et à partager l’amour du Seigneur en paroles et en actes.
Dans l’Eucharistie nous sont offertes la vraie nourriture et la vraie boisson. Ce qui signifie une nourriture qui se garde pour la vie éternelle. Nous avons sans cesse à nous questionner de manière honnête sur notre désir de cette vraie nourriture qu’est le corps du Christ… Cette fête vient nous redire toute la grandeur du don pour nous empêcher de tomber dans la routine ou la banalisation… Quoi de plus beau et de plus sublime pour faire grandir en nous le désir de l’Eucharistie que ces paroles de Notre Seigneur ? « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi je demeure en lui. » C’est une promesse divine, nous n’avons pas à douter un seul instant ! Dans cette promesse nous avons la plus exacte et la plus parfaite définition de ce qu’est la communion eucharistique. Soyons concrets : lorsque nous venons recevoir avec foi, amour et respect ce qui semble être un petit morceau de pain, nous sommes alors immergés, introduits par Jésus le Vivant dans la vie même de la Sainte Trinité ! Nous demeurons en Lui, et par Lui dans la communion trinitaire. Vous voyez le lien étroit que Notre Seigneur établit entre notre communion eucharistique et notre «habitation » pourrait-on dire dans la communion source, celle de la Trinité ! Mais il y aussi le mouvement inverse, comme si cela ne suffisait pas ! « Je demeure en lui… » C’est l’amour fou de Dieu qui vient détruire toutes les barrières entre Lui et nous ! Alors si toute l’eucharistie est vraiment une action de grâce à Dieu notre Père, comment ne serions-nous pas dans une intense et profonde action de grâce au moment de la communion et après la communion ?

samedi 17 mai 2008

SAINTE TRINITE

La Sainte Trinité / A
18 mai 2008
Jean 3, 16-18 (page 1156)
La fête de la Sainte Trinité nous plonge au cœur même de notre foi chrétienne. Toute notre année liturgique est une célébration du mystère trinitaire. Mais l’Eglise a voulu instituer une fête spéciale en l’honneur de la Sainte Trinité pour bien nous faire prendre conscience de l’importance de ce dogme pour notre foi et notre vie chrétiennes.
Parmi ceux qui se disent chrétiens combien croient-ils réellement au Dieu Trinité ? Il me semble que dans les faits bien des chrétiens sont simplement déistes. Ils croient en Dieu bien sûr, mais d’une manière peut-être trop vague et trop générale. Il est en effet bien plus simple pour notre raison humaine d’admettre l’existence d’un dieu philosophique, c’est le déisme, que d’accueillir pleinement la révélation du mystère trinitaire. En se convertissant, c’est-à-dire en retrouvant la grâce de son baptême, Pascal saisit parfaitement toute la différence qu’il y a entre foi chrétienne et déisme. En témoigne le magnifique début de son Mémorial : « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants. Certitude. Certitude. Sentiment, Joie, Paix. Dieu de Jésus-Christ… ».
Les plus grands théologiens, je pense en particulier à saint Augustin et à saint Thomas d’Aquin, ont utilisé toutes les ressources de leur raison humaine pour mettre en lumière la révélation chrétienne concernant Dieu Trinité. Sans nier l’importance et la valeur de leur travail, il faut pourtant dire que c’est davantage par le cœur que par la raison que nous avons accès au plus grand mystère de notre foi. Bref c’est d’abord en aimant que nous pouvons être introduits dans une certaine intelligence du Dieu trois fois Saint. Et c’est pour cette raison qu’un chrétien qui ne prie pas et ne vit pas de la liturgie de l’Eglise risque bien de tomber dans une foi simplement philosophique, dans le déisme. Le mystère trinitaire s’expérimente davantage dans la prière personnelle et la liturgie que dans la lecture des plus grands traités théologiques. Et il est heureux qu’il en soit ainsi. Car autrement cela ferait de la révélation chrétienne une révélation élitiste, réservée aux intellectuels… Comment ne pas penser ici à la belle prière de louange que Jésus adresse à son Père dans l’Evangile de Matthieu ? « Je proclamerai tes grandeurs, Père, Seigneur du ciel et de la terre, car tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents et tu les as révélées à des tout-petits. Oui, Père, c’est cela qui t’a paru bon ! » Et le Seigneur poursuit ainsi : « Tout m’a été remis par mon Père et personne ne connaît vraiment le Fils, si ce n’est le Père ; et personne ne connaît vraiment le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. » Si notre vie de prière est essentielle dans la découverte de Dieu Trinité, alors cela vaut la peine de s’y arrêter un instant. Avant de parler de la prière personnelle, je dirai un mot de la liturgie, en particulier la liturgie de la messe. La grande majorité des prières de la messe s’adressent au Père, « source et origine de toute la divinité » pour reprendre une expression de saint Thomas. La messe est bien cette grande prière d’adoration et d’action de grâce que nous faisons au Père par le Fils dans l’Esprit. La prière solennelle d’offrande qui conclut la prière eucharistique est trinitaire : « Par lui, avec lui et en lui, à toi, Dieu le Père tout-puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles. » Dans notre prière personnelle nous avons, je dirais, la liberté de notre dévotion. Mais il est essentiel que notre prière personnelle soit trinitaire elle aussi, en s’inspirant de la prière liturgique. Si nous nous limitons à prier Dieu d’une manière générale sans jamais prier les Personnes divines, notre prière risque bien de devenir déiste. Un exemple de cheminement dans notre prière personnelle pourrait être le suivant : j’invoque d’abord l’Esprit Saint pour qu’il me mette en présence de Jésus, le Fils, Vivant à jamais, et que par la contemplation du Fils je sois conduit auprès du Père. Il est bon aussi de prier la Sainte Trinité à l’exemple de la bienheureuse Elisabeth de la Trinité : Ô Sainte et bienheureuse Trinité, communion d’amour et de vie entre le Père, le Fils et l’Esprit Saint, je vous aime et je vous adore !
Je terminerai en disant que la Bonne Nouvelle du christianisme, c’est la révélation de Dieu Trinité, avant même le fait que nous soyons sauvés. Car si le salut nous est offert dans le Christ, c’est bien parce que l’être même de Dieu est Amour. « Il n’est pas bon que l’homme soit seul ! » : cette réflexion que Dieu se fait à lui-même après la création d’Adam est de grande portée. En effet si nous sommes créés à l’image de Dieu Trinité, alors nous ne sommes pas faits pour la solitude mais bien pour la communion dans la relation interpersonnelle (amitié, amour etc.). Notre existence est un don du Dieu communion. Nous ne nous comprenons vraiment qu’à la lumière de la Sainte Trinité… En même temps la nature de l’homme est un chemin pour approcher le mystère de Dieu Trinité. C’est pourquoi le Verbe s’est fait chair et Il a habité parmi nous.
Amen

mardi 13 mai 2008

PENTECOTE

Pentecôte / A
11 mai 2008
Jean 20, 19-23 (page 779)
Au terme du temps pascal nous célébrons chaque année la manifestation de l’Esprit à l’Eglise naissante. Cette manifestation est un accomplissement : Jésus nous a révélé que Dieu est Amour, que l’être même de Dieu est trinitaire. Avec la Pentecôte, c’est le mystère de Dieu Trinité qui est enfin pleinement révélé. Et ce n’est pas un hasard si le dimanche qui suit la Pentecôte est une célébration de la Sainte Trinité…
L’Evangile de Jean situe le don de l’Esprit le soir même de Pâques alors que les Actes des Apôtres parlent de ce même don le 50ème jour après Pâques. Cette variété de point de vue dans le Nouveau Testament peut nous renvoyer au lien entre le baptême et la confirmation. Oui, l’Esprit est déjà donné au baptême. En même temps nous avons besoin de la confirmation pour accueillir ce don en plénitude et l’approfondir… Ce qui signifie au fond que l’Esprit de Dieu n’est jamais donné une fois pour toutes en un instant précis. Souvenons-nous des paroles de Jésus à Nicodème : « Le vent souffle où il veut ; et sa voix, tu l’entends, mais tu ne sais d’où il vient, ni où il va : ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit . » Le don de l’Esprit se situe donc dans notre histoire personnelle. Et si le baptême et la confirmation en constituent des étapes essentielles, c’est chaque jour que nous avons à accueillir la manifestation de l’Esprit dans nos vies, sa présence humble et discrète. Par les sacrements nous recevons vraiment ce don de l’Esprit. Mais les sacrements ne font pas de nous des propriétaires de l’Esprit de Dieu ! Nul ne peut dire : je possède l’Esprit Saint, pas même le pape ! C’est le contraire qui devrait se vérifier dans une vie chrétienne authentique : je suis « possédé » par le Saint Esprit, c’est-à-dire : je me dispose à l’accueillir, je désire sa venue en moi et j’essaie de me laisser guider par Lui. Même l’Eglise ne possède pas le Saint Esprit. Elle a simplement l’assurance d’être toujours assistée par Lui dans son pèlerinage sur terre.
Le psaume 103 comme l’Evangile utilise la belle image du souffle pour nous parler de l’Esprit de Dieu. Cela rejoint d’ailleurs le violent coup de vent de la première lecture. Dans ce contexte il est intéressant de partir du psaume de cette messe : « Tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle : ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre. » L’Esprit participe déjà à la création. Notre vie humaine naturelle ne peut être sans l’activité de l’Esprit. Le retour à la poussière mentionné par le psaume est une conséquence du péché originel. Notre mort est bien ce moment où le souffle nous est enlevé. Et le livre de l’Ecclésiaste décrit d’une manière poétique les difficultés de la vieillesse lorsque le souffle vient à nous manquer : « Quand on redoute la montée et qu’on a des transes en chemin… tandis que l’homme s’en va vers sa maison d’éternité. » L’Esprit Créateur est donc le souffle de vie. Avec le mystère pascal Dieu vient faire une création nouvelle, il vient nous libérer de la malédiction issue du péché originel. C’est par sa Parole et par son Souffle que le Père a créé toutes choses, c’est aussi par son Verbe et par son Esprit qu’il recrée toutes choses. Et cela d’une manière paradoxale pour notre raison humaine. Car c’est par la mort du Verbe fait chair sur la Croix que l’Esprit va être donné en vue de la création nouvelle. La mort de Jésus n’est pas un point final, elle est au contraire un accomplissement : « Tout est achevé ! » Et cet accomplissement se manifeste par la transmission de l’Esprit : « Inclinant la tête, il remit l’esprit. » Ce verset de Jean signifie d’abord la mort de Jésus, mais aussi le don de l’Esprit. La Bible latine de la néo-vulgate dit : « Tradidit Spiritum ». Et du calvaire au soir de Pâques, c’est un même mystère qui s’accomplit : « Il répandit sur eux son souffle et il leur dit : ‘Recevez l’Esprit Saint’ ». Si l’Esprit de vie peut recréer la création déchue, c’est bien parce que le pardon des péchés est offert : une vie nouvelle, la vie surnaturelle des enfants de Dieu, peut désormais commencer au sein de l’Eglise.
Ceux qui font du sport, du footing par exemple, savent l’importance du souffle, de la respiration en vue d’une bonne performance. Ils savent aussi qu’une surcharge pondérale est mauvaise pour leur activité… de même qu’une alimentation déséquilibrée… L’Esprit de vie est notre souffle intérieur. C’est lui le guide et le maître de toute notre activité spirituelle et chrétienne. Par notre liberté nous devons donner au Souffle de Dieu la possibilité d’agir en nous sans entraves. Si nous sommes alourdis par le poids de nos péchés et de nos préoccupations terrestres et matérielles, nous aurons bien du mal à courir dans les voies du Seigneur, nous nous essoufflerons… Si nous ne recevons pas régulièrement avec amour le Pain de Vie dans l’Eucharistie, nos muscles spirituels perdront leur force et leur vigueur. Bref pour bien courir avec le souffle de l’Esprit jusqu’à la vie bienheureuse avec Dieu, ayons la volonté de nous laisser réconcilier régulièrement avec le Seigneur et de nous nourrir du Pain de Vie chaque dimanche.
Amen

PENTECOTE

Jean 3, 8
Ecclésiaste 12, 5
Jean 19, 30

dimanche 4 mai 2008

7ème dimanche de Pâques

7ème dimanche de Pâques / A
4 mai 2008
Jean 17, 1-11 (page 728)
Le 7ème dimanche de Pâques nous prépare plus directement à la fête de Pentecôte. Chaque année l’Eglise offre à notre méditation un passage du chapitre 17 de saint Jean. Aujourd’hui nous avons entendu le commencement de cette longue prière que Jésus adresse à son Père avant d’entrer dans sa Passion. Cet Evangile n’est pas facile à comprendre car son vocabulaire est particulier, propre au quatrième évangéliste.
Un verbe qui revient très souvent tout au long de cette prière c’est le verbe « donner ». Le Père donne au Fils et le Fils donne aux disciples. Dieu est donc celui qui donne, celui qui se donne. Et même si l’Esprit Saint n’est pas mentionné dans ce chapitre, comment ne pas penser à la promesse de Jésus dans les chapitres précédents ? « Moi, de mon côté, je demanderai au Père de vous donner un autre Protecteur qui sera pour toujours avec vous. C’est l’Esprit de vérité que le monde ne peut recevoir, car il ne le voit pas et ne le connaît pas. Mais vous, vous le connaissez, puisqu’il est avec vous et demeure en vous. » Nous pouvons retrouver dans la prière de Jésus une allusion à ce don de l’Esprit de vérité : « Je me consacre pour eux, de façon qu’eux aussi soient consacrés dans la vérité. » C’est par sa Passion que Jésus va se consacrer pour ses disciples, et c’est du crucifié que va jaillir sur l’Eglise naissante le Don par excellence, le Don de l’Esprit : « Tout est accompli » ; « Il inclina la tête et il remit l’esprit. »
Dans l’Evangile de cette liturgie, une expression revient souvent dans la bouche du Seigneur : « ceux que tu m’as donnés. » Qui sont-ils donc ces hommes que le Père a donnés à son Fils ? Ces hommes qui ont été pris dans le monde pour être donnés à Jésus ? La prière du Seigneur nous donne la réponse : ces hommes, ce sont d’abord les apôtres en présence desquels le Seigneur prie la veille de sa mort. Les Douze, pierres de fondation de l’Eglise, sont donc un don du Père à son Fils. Ces hommes sont des hommes de foi : ils ont reçu les paroles du Père par le Fils. « Ils ont vraiment reconnu que je suis venu d’auprès de toi, et ils ont cru que c’était toi qui m’avais envoyé. » Jésus prie donc pour ceux qui lui ont été donnés par le Père, et ce sont d’abord les apôtres. Mais dans la suite de sa prière il dit à son Père : « Je ne prie pas seulement pour eux mais pour ceux qui croiront en moi grâce à leur parole. » Bref la prière du Seigneur s’élargit de manière universelle dans le temps comme dans l’espace : il prie pour tous les chrétiens, donc aussi pour nous ; nous qui faisons partie de ces hommes qui ont été donnés à Jésus par son Père. « Ceux que tu m’as donnés » : cette expression pourrait nous faire penser à une prédestination, comme si Dieu en choisissait certains pour être sauvés, et en laissaient d’autres… En fait il s’agit plutôt d’une élection. De la même manière qu’autrefois Dieu avait choisi parmi les peuples le peuple d’Israël ; de la même manière, en ces temps qui sont les derniers, il donne à son Fils des hommes pour constituer le nouveau peuple de l’Alliance, l’Eglise, dont les pierres de fondation sont les apôtres. Il faudrait mettre en parallèle ce chapitre de saint Jean avec le commencement de la lettre de Paul aux Ephésiens : En Jésus, Dieu « nous a choisis avant la création du monde pour être devant lui saints et sans tache. […] C’est ainsi qu’en lui nous avons été choisis ; Celui qui agit en tout selon sa libre volonté, avait en effet décidé de nous mettre à part. […] C’est là le premier acompte de notre héritage (le don de l’Esprit), dans l’attente d’une délivrance pour le peuple que Dieu s’est donné pour sa louange et pour sa gloire. » Nous percevons bien un même vocabulaire théologique chez Paul et chez Jean. Cette élection du peuple nouveau serait-elle en contradiction avec la volonté de Dieu de sauver tous les hommes dans le Christ ? Non, car cette élection, ce choix divin, est en vue de la mission universelle de l’Eglise : « Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les envoie dans le monde. » Face au Christ Sauveur, c’est la foi qui va partager l’humanité en deux. Ce qui ne signifie pas pour autant que tous les incroyants seront privés du salut apporté par le Christ…
D’ailleurs une autre expression de cette prière évoque la mission universelle du Seigneur, bien au-delà de ceux qui lui ont été donnés par le Père : « Tu lui a donné autorité sur tout être vivant. » Ici, c’est à la Genèse, le premier livre biblique, que nous devons nous référer : « Ayez autorité sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui vont et viennent sur la terre ! » Adam reçoit du Créateur l’autorité sur le monde animal. Jésus, nouvel Adam, reçoit de son Père l’autorité sur notre humanité défigurée par le péché et par le mal, pour l’introduire dans le Royaume de Dieu, inauguré par l’Eglise catholique.

jeudi 1 mai 2008

Ascension du Seigneur

Ascension du Seigneur / A
1er mai 2008
Matthieu 28, 16-20 (page 704)
Pour dire l’unique mystère de l’Ascension les lectures bibliques de cette messe utilisent des expressions variées et différentes : enlevé au ciel, s’élever, disparaître aux yeux des disciples dans une nuée, assis à la droite du Père dans les cieux etc. Nos professions de foi n’ont retenu que deux de ces formulations bibliques : monter au ciel et s’asseoir à la droite du Père.
Nous pourrions penser que l’Ascension ferme d’une certaine manière la belle parenthèse de l’incarnation. Ou pour le dire autrement : dans l’histoire de l’Alliance entre Dieu et les hommes l’incarnation, la vie de la Parole de Dieu sur notre terre, se limiterait à une belle parenthèse. L’expression « monter au ciel » est en effet trompeuse et pourrait nous laisser penser qu’après l’Ascension les relations entre Dieu et ses créatures retourneraient à la situation d’avant Noël… Nous savons bien que cette conception est fausse. Cela valait cependant la peine de la signaler pour bien mettre en relief ce qu’est le mystère de l’Ascension. Comme je le dirai dans la préface de cette messe, le Christ ressuscité « ne s’évade pas de notre condition humaine mais en entrant le premier dans le Royaume, il donne aux membres de son corps l’espérance de le rejoindre un jour. » Le Christ ressuscité monte donc au ciel avec son humanité, notre humanité. L’Ascension n’est pas la fin de l’incarnation, elle en est plutôt l’accomplissement. Ce mystère nous montre justement le but de notre vie de disciples, le pourquoi de l’Eglise : que toutes les créatures humaines, et à travers elles tout le cosmos, puissent vivre la plénitude de la communion avec Dieu Trinité.
Le père Domergue utilise une très belle expression pour dire ce qui se passe au moment de l’Ascension : « Nous ne voyons plus le Christ parce qu’il a cessé de nous être extérieur. » L’Ascension est donc un approfondissement extraordinaire de ce qui est advenu à Noël, pas une négation de l’incarnation. En ce sens la formulation de saint Luc dans la première lecture est sans doute la moins piégée de toutes : ils le virent « disparaître à leurs yeux dans une nuée. » Oui, l’Ascension marque ce moment particulier dans la vie de l’Eglise naissante où le Christ Ressuscité devient invisible aux yeux de chair des disciples. Et de ce point de vue l’expérience de saint Paul est très intéressante. Contrairement aux autres apôtres il n’a pas fréquenté le Seigneur Jésus durant le temps de son ministère sur notre terre. C’est le Seigneur qui s’est manifesté à lui dans une vision en lui donnant le don de la conversion et de la vocation d’apôtre des païens. Lorsqu’il s’adresse aux Corinthiens, Paul se met dans le groupe de ceux qui ont connu Jésus avant l’Ascension : « Aussi nous ne considérons plus les gens selon les critères humains ; même le Christ, si nous l’avons connu dans son existence humaine, nous ne devons plus le connaître ainsi. » Ce « nous » est bien sur une figure littéraire pour capter l’attention de ses lecteurs. Relevons l’intérêt de cette citation pour nous : d’après Paul désirer connaître le Christ à la manière des apôtres ce serait non pas un progrès mais une régression. « Nous ne devons plus le connaître ainsi. » En effet par son Ascension le Christ a cessé de nous être extérieur. Ce n’est pas parce que nous le voyons plus avec nos yeux de chair qu’il ne nous est plus présent. C’est tout le contraire qui est vrai : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Avant son Ascension, le Seigneur était présent à un seul peuple, sur une seule terre : Israël, et ce pendant les trois années de son ministère public. A partir de l’Ascension la présence du Ressuscité est universelle : pour tous les peuples et dans toutes les nations. Il faut donc dire qu’avec l’Ascension et la Pentecôte la présence du Seigneur à son Eglise et au monde est encore plus forte. La question des disciples sur la Royauté en Israël montre la pesanteur spirituelle de ces hommes… Le Seigneur leur annonce alors le don de l’Esprit, force pour témoigner jusqu’aux extrémités de la terre ! C’est par le don de l’Esprit que la présence de Jésus ressuscité se fera intérieure à chacun des membres du corps ecclésial. Quant à la finale de l’Evangile de Matthieu, elle reprend, elle aussi, le thème de la mission universelle des disciples : « De toutes les nations faites des disciples. » Et c’est d’une logique imparable ! Si vraiment le Christ ressuscité, assis à la droite du Père, est universellement présent à notre monde, et non plus seulement à Israël, il faut que la mission de l’Eglise soit, elle aussi, universelle.
Fêter l’Ascension, c’est donc célébrer la présence du Ressuscité dans son Eglise et dans nos cœurs de baptisés ; c’est aussi quitter notre esprit de clocher, j’allais dire notre nationalisme religieux, pour, au souffle de l’Esprit, nous ouvrir à la mission universelle de l’Eglise. Tous selon notre charisme et notre vocation nous sommes responsables de cette mission, porteurs d’une Bonne Nouvelle vraiment catholique !
Amen.