dimanche 27 août 2023

21ème dimanche du temps ordinaire / année A

 

27/08/2023

Matthieu 16, 13-20

L’épisode de la profession de foi de Pierre à Césarée est particulièrement important dans l’itinéraire que Jésus fait faire à ses disciples. Ce n’est qu’au chapitre 16 de l’Evangile selon saint Matthieu que Pierre affirme « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! ». La foi de Pierre est donc le résultat d’un compagnonnage avec le Christ, mais pas seulement. Car la lumière de la foi est toujours pour le disciple un don de Dieu : Ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. Expérience du chemin parcouru avec le Christ et grâce donnée par le Père. Le prêtre suisse Maurice Zundel faisait remarquer avec raison que la révélation de Dieu ne peut se faire que par la transformation de l’homme… Entre le moment du premier appel au bord du lac et celui de la profession de foi Pierre a été transformé au contact de Jésus. Et cette transformation intérieure ne se termine pas avec cette page évangélique… elle continuera jour après jour en passant par le reniement jusqu’au martyre de l’apôtre. La foi est essentiellement une expérience vivante de Dieu. La vérité de notre foi, sa justesse, proviennent directement de l’expérience que nous faisons de Dieu, expérience qui implique la transformation de notre être le plus intérieur. D’où cette remarque de Maurice Zundel : La hauteur à laquelle l’homme situe Dieu correspond exactement à la hauteur à laquelle il atteint lui-même. L’itinéraire de Pierre comme celui de chaque disciple illustre bien ce que Louis Massignon affirmait : Dieu n’est pas une invention, c’est une découverte.

Jésus leur demanda : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Cette interrogation du Christ à ses disciples nous révèle l’essence de la foi : elle est profondément personnelle avant d’être communautaire. Dans sa première encyclique La lumière de la foi le pape François souligne cet aspect personnel de l’acte de foi en se référant au père des croyants : La foi est liée à l’écoute. Abraham ne voit pas Dieu, mais il entend sa voix. De cette façon la foi prend un caractère personnel. Dieu se trouve être ainsi non le Dieu d’un lieu, et pas même le Dieu lié à un temps sacré spécifique, mais le Dieu d’une personne, précisément le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, capable d’entrer en contact avec l’homme et d’établir une alliance avec lui. La foi est la réponse à une Parole qui interpelle personnellement, à un Toi qui nous appelle par notre nom.

C’est bien parce que la foi est toujours une expérience personnelle que l’expression transmission de la foi utilisée dans le contexte de la famille et de la catéchèse pose problème. Il est en effet impossible de transmettre la foi à des enfants comme on peut transmettre une connaissance quelconque dans le cadre scolaire. L’Eglise peut initier à la foi les enfants ou les adultes en leur faisant découvrir l’Evangile, mais cette initiation ne portera aucun fruit si la personne qui en bénéficie ne fait pas par elle-même une expérience personnelle de Dieu dans la foi et la prière. Maurice Zundel disait : Ceux qui ont une foi profonde, ceux qui ont l’expérience de la foi, savent que Dieu est une rencontre au plus intime de soi. Le défi éternel de l’Eglise aujourd’hui comme hier est d’être une réalité vivante qui puisse permettre et favoriser l’expérience spirituelle personnelle de chacun alors qu’elle apparaît trop souvent comme une institution du passé édictant des interdits moraux. Bref le christianisme est davantage perçu comme une morale que comme une spiritualité. Zundel remarque que l’opposition au christianisme ne vient pas de ce que les gens sont confrontés avec un Christ qu’ils refuseraient, mais cette opposition vient de ce qu’une multitude d’êtres sont confrontés avec un christianisme qui n’est pas vécu, qui est une étiquette. En tant que croyants nous sommes invités à comprendre qu’il ne s’agit pas tant pour nous de parler de Dieu que de le vivre. C’est l’un des enseignements majeurs du grand maître spirituel que fut Zundel.

Je lui laisserai donc le mot de la fin :

Il faut, avec le Christ et à travers lui, dans un silencieux agenouillement de l’esprit, conduire chacun à son sanctuaire intérieur sans parler de Dieu, mais en le donnant, comme une respiration de lumière et d’amour. Car de Dieu on ne peut rien dire sans risquer de le limiter, mais Dieu, on peut le vivre admirablement.

 

dimanche 20 août 2023

20ème dimanche du temps ordinaire / année A

 

20/08/2023

Matthieu 15, 21-28

L’Evangile de la cananéenne fait partie de ces pages évangéliques qui peuvent heurter notre sensibilité chrétienne. Comme souvent plusieurs lectures sont possibles. La première, la plus évidente, concerne la question de l’universalité du salut. La seconde nous permet de réfléchir au cheminement de la prière chrétienne.

Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. C’est ainsi que Jésus motive face à ses disciples son refus de répondre à la demande de cette femme païenne : « Prends pitié de moi, Seigneur, fils de David ! Ma fille est tourmentée par un démon. » Notre foi chrétienne nous a habitué à voir en Jésus le Sauveur de tous les hommes. En raison du mystère de l’incarnation (Jésus est Juif, fils de David, né à Bethléem) la mission du Seigneur s’adresse dans un premier temps exclusivement au peuple d’Israël. Ce n’est qu’après Pâques que la mission s’élargira à tous les peuples. C’est avec cette perspective universaliste que s’achève d’ailleurs l’Evangile selon saint Matthieu : Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. Déjà avant Pâques Jésus avait commis quelques entorses à sa propre règle missionnaire. Que l’on pense, par exemple, à la guérison à distance de l’esclave du centurion romain ainsi qu’aux paroles du chapitre 10 de saint Jean : J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix : il y aura un seul troupeau et un seul pasteur. Dans la deuxième lecture Paul, l’apôtre des païens, médite sur le temps du salut différent pour les Juifs et les païens : Jadis, en effet, vous (les païens) avez refusé de croire en Dieu, et maintenant, par suite de leur refus de croire (les Juifs), vous avez obtenu miséricorde ; de même, maintenant, ce sont eux qui ont refusé de croire, par suite de la miséricorde que vous avez obtenue, mais c’est pour qu’ils obtiennent miséricorde, eux aussi. Paul conclue sa méditation par une sentence qui peut nous choquer mais qui affirme clairement l’universalité du salut : Dieu, en effet, a enfermé tous les hommes dans le refus de croire pour faire à tous miséricorde.

La prière insistante de la Cananéenne est aussi un enseignement précieux pour notre prière chrétienne. Par son refus de répondre, par son silence, Jésus met en effet la foi de cette femme à l’épreuve. Bien plus que le silence du Seigneur la première parole qu’il adresse à la femme venue le supplier pour sa fille est une épreuve de plus pour elle : Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. En effet cette parole peut avoir une connotation humiliante : les enfants, ce sont les Juifs, et les petits chiens les païens. Et c’est justement par l’humilité que la femme répond à ce qui semble être une parole blessante : Oui, Seigneur ; mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. Nous avons dans son attitude deux qualités essentielles de la prière, et en particulier de la prière de demande : la persévérance ou la patience, et surtout l’humilité. L’image des miettes de pain qui peuvent rassasier tous les hommes annonce l’épisode qui suit, celui de la seconde multiplication des pains. Comme l’écrit Monique Piettre dans son commentaire de ce passage, des miettes de la Cananéenne au pain multiplié pour une foule étrangère, l’annonce est discrètement signifiée du salut offert aux païens. Notre Evangile s’achève avec la louange que Jésus adresse à la Cananéenne :

Femme, grande est ta foi, que tout se passe pour toi comme tu le veux ! Louange qui fait écho à celle adressée plus haut dans le même Evangile au centurion romain : À ces mots, Jésus fut dans l’admiration et dit à ceux qui le suivaient : « Amen, je vous le déclare, chez personne en Israël, je n’ai trouvé une telle foi ». L’acte de foi n’est donc pas la propriété exclusive du peuple d’Israël, pas plus qu’il n’est aujourd’hui la propriété exclusive des membres de l’Eglise catholique car à tous Dieu fait miséricorde.

 

 

mercredi 16 août 2023

Fête de saint Roch au Beaucet - bénédiction des chiens

 


Fête de saint Roch – bénédiction des chiens

16/08/2023

La fête de saint Roch et la bénédiction des chiens à l’issue de cette messe est pour nous l’occasion de réfléchir à la place des animaux au sein de la création. Il ne s’agit pas de tout dire sur ce thème. Je voudrais simplement partir d’un passage de la prière eucharistique n°3 en le mettant en lien avec certains passages de l’Ancien Testament.

Il est juste que toute la création proclame ta louange. Dans la prière eucharistique III c’est toute la création (donc toutes les créatures) qui est le sujet de la louange divine, de la prière adressée au Père et Créateur de toutes choses. Nous retrouvons la même affirmation dans la prière eucharistique IV mais cette fois dans le contexte de l’accomplissement du Royaume de Dieu : Nous pourrons alors, avec la création tout entière, enfin libérée du péché et de la mort, te glorifier par le Christ notre Seigneur. L’espèce humaine n’est pas la seule à glorifier Dieu. Ce passage de la prière eucharistique s’inspire directement de la belle méditation de saint Paul sur les gémissements de la création au chapitre 8 de la lettre aux Romains. La fin de la préface de la prière eucharistique IV élargit elle aussi la prière à toute la création : Unis à leur hymne d’allégresse, avec la création tout entière qui t’acclame par nos voix, Dieu nous te chantons. Ici l’homme et la femme sont comme les porte-paroles des autres créatures, c’est par leur voix et leur cœur que passe la prière de toute la création. L’homme et la femme sont donc les prêtres de la création.

Lorsque nous pensons à la place et à l’importance des animaux pour Dieu et dans notre foi chrétienne, spontanément nous vient à l’esprit la figure de saint François d’Assise et son cantique des créatures qui commence ainsi : Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures. Le texte de saint François s’inspire peut-être du poème au Créateur que l’on trouve dans le livre de l’Ecclésiastique (Ben Sirac) aux chapitres 42 et 43. Saint François est davantage sensible au soleil, à la lune et aux étoiles qu’aux espèces animales.

Deux textes de l’Ancien Testament nous montrent clairement que les animaux sont capables de prier. A leur manière ils louent aussi le Créateur. Dans le cantique des trois enfants au chapitre 3 du livre de Daniel les créatures animales sont invitées à se joindre à la symphonie universelle de la création bénissant Dieu : Baleines et bêtes de la mer, bénissez le Seigneur, vous tous, les oiseaux dans le ciel, bénissez le Seigneur, vous tous, fauves et troupeaux, bénissez le Seigneur : À lui, haute gloire, louange éternelle ! Le psaume 148 fait, lui aussi, des animaux les sujets de la louange divine : Louez le Seigneur depuis la terre, monstres marins, tous les abîmes… les bêtes sauvages et tous les troupeaux, le reptile et l'oiseau qui vole. La sagesse biblique n’isole pas l’homme au sein de la création mais le situe au contraire comme une créature vivant en interdépendance et en relation avec les autres créatures. Dans l’histoire de l’humanité nous avons eu tendance à considérer les animaux comme des objets soumis à l’arbitraire de notre pouvoir et de notre domination. Cette attitude est encore actuelle. Nous oublions qu’ils sont eux aussi des créatures de Dieu. Nous oublions qu’ils sont les sujets de la louange divine et que leur existence contribue elle aussi à la gloire de Dieu. Ce serait bien sûr un anachronisme de parler de droits des animaux dans le Bible… Il n’empêche que la réalité est bien présente puisque le repos du sabbat ne concerne pas seulement l’espèce humaine. Ecoutons ce passage du Deutéronome qui associe humains et bêtes domestiques dans la célébration du sabbat en mémoire de l’achèvement de la création par Dieu :

Observe le jour du sabbat, en le sanctifiant, selon l’ordre du Seigneur ton Dieu. Pendant six jours tu travailleras et tu feras tout ton ouvrage, mais le septième jour est le jour du repos, sabbat en l’honneur du Seigneur ton Dieu. Tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bœuf, ni ton âne, ni aucune de tes bêtes, ni l’immigré qui réside dans ta ville. Ainsi, comme toi-même, ton serviteur et ta servante se reposeront.

Je laisserai au pape François le soin de conclure cette méditation avec deux citations de Laudato si’ :

« En même temps que nous pouvons faire un usage responsable des choses, nous sommes appelés à reconnaître que les autres êtres vivants ont une valeur propre devant Dieu et ‘par leur simple existence ils le bénissent et lui rendent gloire’, puisque ‘le Seigneur se réjouit en ses œuvres’ (Ps 104, 31) » (n°69).

« Cette conversion (écologique) implique aussi la conscience amoureuse de ne pas être déconnecté des autres créatures, de former avec les autres êtres de l’univers une belle communion universelle. […] Le croyant ne comprend pas sa supériorité comme motif de gloire personnelle ou de domination irresponsable, mais comme une capacité différente, lui imposant à son tour une grave responsabilité qui naît de sa foi » (n°220).

 


mardi 15 août 2023

ASSOMPTION DE MARIE

 

Assomption de Marie 2023

La Bible ne nous dit rien de la fin de la vie de Marie. Le dernier moment où elle est mentionnée dans le livre des Actes des Apôtres c’est lorsqu’elle se trouve en prière avec les disciples dans l’attente de l’Esprit Saint au jour de la Pentecôte. En méditant les textes du Nouveau Testament qui nous parlent de Marie nous constatons qu’elle entretient une relation privilégiée avec le Saint Esprit, une relation d’amitié, de confiance et d’abandon. De l’annonciation à la Pentecôte en passant par la Visitation, Marie est vraiment la femme comblée de grâce, remplie de l’Esprit Saint. C’est par la puissance du Saint Esprit qu’elle devient la mère virginale de Jésus le Sauveur. C’est par le même Esprit qu’elle accomplit ainsi la vocation que le Père lui donne : celle d’être mère de Dieu et mère de l’Eglise. L’Evangile de cette solennité nous montre que là où est Marie, là est le Saint Esprit :

Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint.

A la Visitation, Jésus, encore dans le sein de sa mère, réjouit Jean dans le sein d’Elisabeth, et par sa mère comble Elisabeth du don de l’Esprit. Là où est l’Esprit de Dieu, là est aussi la joie. Marie nous enseigne que la joie authentique ne peut se trouver que dans la communion avec Dieu. Au plus nous accueillons en nous le Saint Esprit, au plus nous avons accès à la joie même de Dieu. Marie qui a toujours vécu dans une communion parfaite avec Dieu est pour cette raison comblée de joie :

Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur !

Marie nous enseigne aussi que la vie de prière est indispensable pour vivre dans la communion avec Dieu. Elle qui a été préservée du péché a prié tout au long de sa vie terrestre. Et la dernière fois où elle apparaît c’est précisément dans une attitude de prière. Marie nous enseigne la grande valeur de la prière pour vivre de la joie de Dieu. Elle nous aide à percevoir que la prière n’est pas d’abord pour un chrétien un devoir, une case à cocher dans notre vie parfois débordante d’activités et de choses à faire, mais que la prière est d’abord un don, un cadeau que Dieu nous fait. Ce n’est pas Dieu en effet qui a besoin de notre prière, c’est bien nous qui avons besoin de le prier pour vivre notre foi et nous laisser envahir par son amour. Dans ce contexte nous comprenons pourquoi la méditation du chapelet est une prière très puissante pour notre sanctification, pour notre union avec la Sainte Trinité. Car nous passons par Marie, élevée dans la gloire du Ciel, pour prier Dieu.

L’oraison de cette solennité nous redit en peu de mots le contenu du mystère de l’Assomption :

Dieu éternel et tout-puissant, toi qui as fait monter jusqu’à la gloire du ciel, avec son âme et son corps, Marie, la Vierge immaculée, mère de ton Fils: Fais que nous demeurions attentifs aux choses d’en haut pour obtenir de partager sa gloire.

Marie est la première parmi les enfants des hommes à être parfaitement sanctifiée, sauvée et glorifiée avec son âme et son corps qui a été préservé de la dégradation du tombeau. Marie est la seule créature humaine qui échappe ainsi à l’une des conséquences du péché des origines : tu es poussière, et à la poussière tu retourneras. En contemplant Marie, la plus grande dans la communion des saints, la liturgie veut nous rappeler les choses d’en haut. Pour le dire plus simplement cette solennité nous invite à laisser de la place dans notre vie terrestre à la perspective de la vie du Ciel, de la vie éternelle. Non pas pour mépriser ou dédaigner notre vie terrestre, mais au contraire pour lui donner sa pleine signification. Comme le disait Mgr. Bouchex, « loin d’être étrangère à notre vie, Marie glorifiée est la bonne nouvelle de la dignité de notre personne et de notre avenir. Elle est un appel à donner à notre vie temporelle et corporelle une qualité nouvelle, la qualité de personne humaine qu’il n’est jamais permis de mépriser et qui est orientée vers la vie éternelle et la résurrection. Marie emportée au ciel est avec nous ».

dimanche 13 août 2023

19ème dimanche du temps ordinaire / année A

 


19ème dimanche du TO/A

13/08/2023

1 Rois 19, 9-13

Dans l’Evangile de ce dimanche saint Matthieu nous montre Jésus en prière dans la solitude et le silence de la nuit : Quand il les eut renvoyées, il gravit la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. Dans la première lecture Elie se trouve lui aussi sur une montagne, dans la solitude, pour y passer la nuit. Le premier livre des Rois nous présente la confrontation entre le prophète Elie et le roi Akab et sa femme Jézabel. Elie ne supporte pas qu’Israël soit tombé dans l’idolâtrie. Il provoque un défi religieux entre lui et les 450 prophètes de Baal sur le mont Carmel. Il en sort victorieux et égorge les 450 prophètes ! Autant dire que dans son zèle religieux pour le Dieu unique il a oublié le commandement du même Dieu qui interdit de tuer son prochain ! A l’issue de ce défi la foi d’Elie nous apparaît comme celle d’un fanatique religieux prêt à tuer tous ceux qui ne pensent pas comme lui. C’est alors qu’il est contraint de s’enfuir au désert pour échapper à la colère de Jézabel. Là il tombe dans une profonde dépression : Quant à lui, il marcha toute une journée dans le désert. Il vint s’asseoir à l’ombre d’un buisson, et demanda la mort en disant : « Maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères. » Mais Dieu envoie son ange pour le réconforter et au terme d’une marche de 40 jours et 40 nuits il parvient à la montagne de Dieu, l’Horeb. Là il entend l’appel de Dieu : Que fais-tu ici, Elie ? Appel qui se répètera après l’expérience spirituelle que le prophète va faire sur la montagne. A cette question de Dieu il répond ainsi : J’éprouve une ardeur jalouse pour toi, Seigneur, Dieu de l’univers. Les fils d’Israël ont abandonné ton Alliance, renversé tes autels, et tué tes prophètes par l’épée ; moi, je suis le seul à être resté et ils cherchent à prendre ma vie. Ardeur jalouse, indignation, passion furieuse, zèle jaloux selon les différentes traductions. Sur la montagne Dieu va transformer la foi fanatique de son prophète en lui faisant faire l’expérience spirituelle de sa présence. Le Dieu qu’Elie prétend défendre (comme si le Dieu tout puissant avait besoin qu’on le défende !), y compris par la violence, ne se trouve pas dans la violence des éléments naturels (ouragan, tremblement de terre, feu) mais bien dans le murmure d’une brise légère. La traduction de la bible Bayard donne un bruit de fin silence. La transformation d’Elie s’opère dans et par le silence. Dans toutes les règles monastiques le silence tient une place importante car il favorise la rencontre avec Dieu dans la prière. Cette expérience spirituelle n’est pas réservée aux moines et aux moniales. Tout chrétien à la suite d’Elie et de Jésus est appelé à faire l’expérience de la présence de Dieu dans le murmure d’une brise légère.

Au festival d’Avignon j’ai vu un très beau spectacle du russe Ivan Viripaev, OVNI. Dans cette pièce de théâtre des personnes racontent comment une expérience spirituelle a pu bouleverser leur vie. L’une d’elle, Artiom Goussev, partage son expérience, tellement proche de celle d’Elie. Voici des extraits de son témoignage :

Et tout d’un coup un tel silence inexplicablement infini s’est installé à l’intérieur de moi. Je n’ai jamais, jamais ni avant, ni après, plus jamais entendu, si on peut s’exprimer ainsi, ni vu et ni entendu un tel silence… C’était un tel silence qu’en dehors de lui il n’y avait rien… J’ai commencé à être tellement bien. Je ne peux même pas vous expliquer à quel point j’ai commencé à être bien… Un silence dans lequel j’étais très très bien. Parce que moi-même j’étais ce silence. Tout s’est comme qui dirait tu en moi… Et j’ai alors compris que tout notre problème réside dans le fait que nous faisons en permanence du bruit… Nous parlons, nous débattons, nous réfléchissons, nous avons un tas de pensées dans la tête, et il y a du bruit tout le temps, et nous sommes tout le temps dans ce bruit. Et jamais, nous ne restons dans le silence… Nous ne l’avons jamais entendu, ce silence… Ce silence est dans tout, il existe dans tout, et en nous il existe aussi, seulement nous ne pouvons pas y accéder à cause de ce bruit permanent… J’ai passé une dizaine de minutes dans ce silence. Et pour la seule fois dans ma vie je me suis vraiment reposé… Et là maintenant je pense que si chaque jour nous nous trouvions dans ce silence ne serait-ce qu’une minute, le monde serait complètement différent. Tout pourrait réellement changer. A propos, désormais, je médite tous les matins, je reste assis comme ça une vingtaine de minutes et j’écoute le silence.[1]



[1] Ivan Viripaev, Théâtre 2013-2020, pages 22.23


dimanche 6 août 2023

Transfiguration du Seigneur / année A

06/08/2023

Matthieu 17, 1-9

Aujourd’hui Jésus choisit trois témoins de sa transfiguration sur la montagne : Pierre, Jacques et Jean. Il choisira les mêmes hommes pour être les témoins de son agonie dans le jardin de Gethsémani. Les trois apôtres sont donc les témoins privilégiés de la gloire et de l’abaissement du Fils de Dieu. Nous ne pouvons pas comprendre la transfiguration sans nous référer à la personne de Moïse, témoin céleste avec Elie de l’événement. Ecoutons un passage du chapitre 34 du livre de l’Exode :

Lorsque Moïse descendit de la montagne du Sinaï, ayant en mains les deux tables du Témoignage, il ne savait pas que son visage rayonnait de lumière depuis qu’il avait parlé avec le Seigneur. Aaron et tous les fils d’Israël virent arriver Moïse : son visage rayonnait. Comme ils n’osaient pas s’approcher, Moïse les appela… Ensuite, tous les fils d’Israël s’approchèrent, et il leur transmit tous les ordres que le Seigneur lui avait donnés sur la montagne du Sinaï. Quand il eut fini de leur parler, il mit un voile sur son visage. Et, lorsqu’il se présentait devant le Seigneur pour parler avec lui, il enlevait son voile jusqu’à ce qu’il soit sorti. Alors, il transmettait aux fils d’Israël les ordres qu’il avait reçus, et les fils d’Israël voyaient rayonner son visage. Puis il remettait le voile sur son visage jusqu’à ce qu’il rentre pour parler avec le Seigneur.  

Dans le cas de Moïse son visage rayonne en raison de sa proximité avec Dieu. La transfiguration de Moïse l’oblige à mettre un voile sur son visage lorsqu’il revient de ses entretiens avec Dieu pour s’adresser au peuple. Dans le cas de Jésus nous avons à la fois une ressemblance et une différence.

Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière.

Lorsqu’ils contemplent la divine gloire de Jésus les disciples n’ont pas peur. Contrairement aux Israélites confrontés au visage rayonnant de Moïse, ils se sentent en parfaite sécurité, si bien que Pierre peut s’exclamer : Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Dans sa deuxième lettre aux Corinthiens l’apôtre Paul compare l’ancienne Alliance, celle de la lettre qui tue, avec la nouvelle Alliance, celle de l’Esprit qui donne la vie. Et il mentionne le visage rayonnant de Moïse :

Le ministère de la mort, celui de la Loi gravée en lettres sur des pierres, avait déjà une telle gloire que les fils d’Israël ne pouvaient pas fixer le visage de Moïse à cause de la gloire, pourtant passagère, qui rayonnait de son visage…Et puisque nous avons une telle espérance, c’est avec grande assurance que nous nous comportons ; nous ne sommes pas comme Moïse qui mettait un voile sur son visage pour empêcher les fils d’Israël de voir la fin de ce rayonnement passager.

Dans le mystère de l’incarnation, dans la manifestation de Jésus Fils bien-aimé du Père, la gloire de Dieu n’est plus une cause de frayeur. Ce qui remplit de crainte les disciples, c’est d’entendre la voix du Père, c’est la manifestation du Dieu invisible. La présence de Jésus chasse avec elle toute crainte : Relevez-vous et soyez sans crainte ! Dans le mystère de l’incarnation la gloire de Dieu ne nous écrase pas. Rendue visible sur le visage de Jésus elle comble au contraire nos cœurs de joie et nous attire vers le Père. La transfiguration témoigne de la douceur du mystère de l’incarnation. Cette gloire que les apôtres ont contemplée brièvement sur le visage du Christ, nous pouvons la contempler dans l’humble mystère de l’eucharistie. Sous l’humble apparence du pain consacré, Jésus nous donne à voir sa gloire par les yeux de la foi et de l’amour. Revenons à la méditation de saint Paul, méditation qui nous permet de nous considérer comme participants du mystère de la transfiguration du Seigneur :

Or, le Seigneur, c’est l’Esprit, et là où l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté. Et nous tous qui n’avons pas de voile sur le visage, nous reflétons la gloire du Seigneur, et nous sommes transformés en son image avec une gloire de plus en plus grande, par l’action du Seigneur qui est Esprit.

Saint Paul nous parle de la grande assurance, de la liberté qui nous est donnée dans la nouvelle Alliance. La transfiguration du Seigneur nous concerne car elle est aussi notre vocation. Le chrétien est transfiguré par son appartenance au Christ. Non seulement il reflète la gloire du Seigneur, mais il est transformé intérieurement, spirituellement, en l’image de Jésus. Tout cela est le signe de l’œuvre de l’Esprit Saint en sa personne. Si Jésus se présente à nous comme la lumière du monde, nous comprenons, en méditant le mystère de la transfiguration, pourquoi et comment il fait aussi de nous, ses disciples, la lumière du monde.

Vous êtes la lumière du monde… Que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux.