dimanche 30 avril 2023

Quatrième dimanche de Pâques / Année A

 

Journée mondiale de vocations

30/04/2023

En ce 4ème dimanche de Pâques, l’Eglise nous invite à prier pour les vocations. Dans l’Evangile Jésus nous présente sa vocation en utilisant l’image du bon pasteur. Il nous dit le pourquoi du mystère de son incarnation : Je suis venu pour que les hommes aient la vie, pour qu’ils l’aient en abondance. Toutes les vocations dans l’Eglise sont d’une manière ou d’une autre au service de ce grand dessein de Dieu. En effet Dieu appelle des hommes et des femmes pour faire d’eux des serviteurs et des messagers de l’Evangile de la vie. Il s’agit de rappeler à  tout homme sa dignité et la valeur de sa vie humaine. Nous naissons biologiquement humains mais il est tout aussi vrai que nous sommes appelés à le devenir vraiment en mettant nos pas dans ceux du Christ. Il s’agit bien de faire de notre vie humaine un chef d’œuvre qui puisse devenir un sacrifice agréable au Père. Il s’agit pour chacun de nous de remplir notre vie humaine de la présence de Dieu et de son amour, donc de nous laisser transformer à l’image du Christ. Notre vie humaine ne s’achève pas avec notre mort. Célébrer la résurrection du Christ nous rappelle notre vocation à entrer dans la vie éternelle. Cette vie du Royaume de Dieu ne constitue pas l’acte II de notre vie humaine. Elle en est comme le prolongement et l’épanouissement total dans la lumière de Dieu car la vie éternelle est déjà commencée ici-bas à travers les vicissitudes de ce monde et les joies et les peines qui font notre vie humaine.

Toute la Bible est la longue histoire d’un Dieu qui appelle des hommes et des femmes à écouter sa Parole et à la transmettre : d’Abraham aux apôtres en passant par Moïse, David, les prophètes, Marie etc. Le mot vocation vient du verbe latin vocare qui signifie appeler. Regardons la vocation du prophète Isaïe. Elle nous révèle les chemins de la vocation. Il voit dans un premier temps la gloire de Dieu. Il fait une expérience forte de la présence de Dieu. Sa réaction humaine est celle de l’effroi provoqué par la conscience de sa faiblesse et de son indignité : Je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures. Isaïe se sent solidaire d’un peuple pécheur. Son humilité lui permet de recevoir le pardon : maintenant ta faute est enlevée, ton péché est pardonné. Après la vision vient l’écoute de la voix divine : Qui enverrai-je ? Qui sera notre messager ?  En posant cette question, Dieu laisse le temps et la liberté pour la réponse humaine. Isaïe répond : Me voici : envoie-moi ! Le prophète est présenté à la foi comme messager de Dieu et apôtre de Dieu, c’est-à-dire envoyé par lui en mission auprès des hommes. L’apôtre Paul utilisera la belle image d’ambassadeur pour qualifier sa vocation : Nous sommes donc les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui-même qui lance un appel : nous le demandons au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu (2 Co 5,20). Il serait passionnant de regarder une à une toutes les vocations de prophètes. Concluons avec quelques mots à propos de celle de Jérémie et celle d’Ezéchiel. Avant même de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu viennes au jour, je t’ai consacré ; je fais de toi un prophète pour les nations. Avant même notre naissance Dieu pensait à nous et au don qu’il nous ferait de notre vocation. La réaction de Jérémie est significative de notre difficulté à répondre immédiatement « oui » lorsque nous percevons clairement l’appel de Dieu : Ah ! Seigneur mon Dieu ! Vois donc : je ne sais pas parler, je suis un enfant ! Jérémie se sent incapable d’assumer cette mission mais Dieu le confirme dans sa vocation : Ne dis pas : “Je suis un enfant !” Tu iras vers tous ceux à qui je t’enverrai ; tout ce que je t’ordonnerai, tu le diras. Ne les crains pas, car je suis avec toi pour te délivrer – oracle du Seigneur. Puis le Seigneur étendit la main et me toucha la bouche. Il me dit : « Voici, je mets dans ta bouche mes paroles ! Répondre à sa vocation suppose toujours d’éliminer la peur qui paralyse notre cœur. Combien de fois tout au long de la Bible Dieu a-t-il dit à ceux qu’il choisit : Sois sans crainte, N’aie pas peur ! Cela est particulièrement vrai dans le récit de la vocation d’Ezéchiel : à cinq reprises Dieu lui dit Ne crains pas. Car la mission du prophète sera difficile, il est envoyé vers un peuple de rebelles, un peuple qui ne voudra pas écouter sa parole : La maison d’Israël tout entière a le front endurci et le cœur obstiné. Et voici que je rends ton visage aussi dur que leur visage, ton front aussi dur que leur front. Comme un diamant plus dur que le roc, ainsi je rends ton front. Ne les crains pas, devant eux ne t’effraie pas – c’est une engeance de rebelles ! La vocation du prophète, homme de la Parole de Dieu, est mise en valeur par une symbolique très forte. Dieu lui demande d’avaler et de manger le rouleau d’un livre, celui de ses paroles pour le peuple : « Fils d’homme, remplis ton ventre, rassasie tes entrailles avec ce rouleau que je te donne. » Je le mangeai, et dans ma bouche il fut doux comme du miel. Le verset 10 du chapitre 3 décrit bien l’attitude de docilité qui est requise de notre part pour accueillir notre vocation et la vivre : Fils d’homme, toutes les paroles que je te dirai, reçois-les dans ton cœur, écoute de toutes tes oreilles.

En priant en ce dimanche pour le don des vocations et surtout pour qu’elles soient reçues positivement, nous pensons bien sûr aux plus jeunes, à ceux qui commencent leur pèlerinage terrestre. Cela ne doit pas nous faire oublier que Dieu nous appelle à tout âge et que c’est aujourd’hui que nous avons à vivre fidèlement la vocation reçue dans notre enfance ou dans notre jeunesse. Epicure disait qu’il n’est jamais ni trop tôt ni trop tard pour prendre soin de son âme. En le paraphrasant, je dirais qu’il n’est jamais ni trop tôt ni trop tard pour écouter l’appel de Dieu et y répondre. Notre vocation se conjugue en effet au présent !

 

dimanche 23 avril 2023

Troisième dimanche de Pâques / Année A

 


23/04/2023

Luc 24, 13-35

La découverte du tombeau vide et les manifestations du Ressuscité n’ont pas suffi, dans un premier temps, à susciter la foi des disciples et des apôtres. Ces derniers n’ont pas cru au témoignage des femmes. C’est le paradoxe de Pâques. La difficulté à reconnaître Jésus ressuscité a perduré. Le récit des disciples d’Emmaüs nous parle précisément de cette difficulté à reconnaître le Ressuscité et à croire que Jésus est vivant. Cette difficulté s’exprime dans le récit de Luc avec les images des yeux et du cœur. Image des yeux car il s’agit bien des yeux de la foi et image du cœur car, comme le dit Blaise Pascal, nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur… C’est pourquoi ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment du cœur sont bien heureux et légitimement persuadés… C’est le cœur qui sent Dieu, et non la raison : voilà ce que c’est que la foi. Dieu sensible au cœur, non à la raison.

Leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Tel est le point de départ pour les deux disciples. Pascal note dans ses Pensées : Il y a assez de lumière pour ceux qui ne désirent que de voir, et assez d’obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire. La disposition des disciples est celle de la tristesse car ils ont été déçus dans leur espérance vis-à-vis du Messie : Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. Ce qui va ouvrir leurs yeux ce ne sont pas les paroles de Jésus qui, partant de Moïse et de tous les Prophètes, leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait. C’est le simple geste de la fraction du pain, le geste central de l’eucharistie, qui permet la reconnaissance et donc l’accès à la foi : Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards. Ainsi quand ils voient Jésus marchant avec eux sur la route, ils sont incapables de le reconnaître, mais quand ils voient le pain partagé ils le reconnaissent et c’est alors que sa présence physique disparaît. Cela nous rappelle les paroles du Christ à Thomas : Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. Le récit de Luc semble nous dire que le sacrement est plus efficace que la manifestation du Ressuscité elle-même dans le long processus de reconnaissance : À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain. Le signe sacramentel de la présence du Ressuscité ne laisse plus aucune place au doute. C’est aussi, bien sûr, une manière de nous dire à quel point la célébration de l’eucharistie vécue dans la foi et l’amour est pour nous une expérience particulièrement forte de la présence du Ressuscité à son Eglise et au cœur de ce monde. Comme les yeux, le cœur des disciples, lui aussi, est transformé et passe de l’incrédulité à la foi : Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Puis : Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ?

Le parcours des disciples d’Emmaüs est riche d’enseignements quant à notre manière d’être chrétiens dans le monde. Si Jésus a ouvert les yeux de ses disciples bien davantage par le simple geste de la fraction du pain que par un magnifique cours biblique, cela nous dit quelque chose de ce qu’est l’évangélisation ou le témoignage chrétien. Lui aussi est en quelque sorte sacramentel, il passe par des gestes et des actes qui sont signes de l’amour de Dieu et de la présence du Ressuscité. Nos humbles gestes, nos actes, nos choix de vie, lorsqu’ils sont accomplis dans l’esprit du Christ et dans l’amour du prochain ont cette puissance d’ouvrir peu à peu les yeux de ceux qui ont du mal à croire. Ils peuvent toucher les cœurs alors que bien souvent nos paroles ne touchent que la raison.


dimanche 16 avril 2023

Deuxième dimanche de Pâques / Année A

 

16/04/2023

Jean 20, 19-31

Le dimanche dans l’octave de Pâques nous fait revivre les manifestations du Ressuscité au groupe des disciples le soir de Pâques et huit jours plus tard en faveur de Thomas. N’oublions pas le verset qui précède le commencement de l’Evangile de ce dimanche : Marie Madeleine s’en va donc annoncer aux disciples : « J’ai vu le Seigneur ! », et elle raconta ce qu’il lui avait dit. Les disciples ont donc reçu le témoignage de celle que la Tradition a surnommée l’apôtre des apôtres. Mais ce témoignage ne leur permet pas encore l’audace de la foi. Au lieu de l’assurance que donne la foi dans le Ressuscité ils sont encore captifs de la crainte et demeurent enfermés chez eux. C’est Jésus qui va les faire passer de la crainte à la joie et à la foi, à la joie de croire. Dans sa manifestation du soir de Pâques le Ressuscité leur fait don de sa paix et les confirme dans leur mission avec le don de l’Esprit Saint. Le premier don, celui de la paix du Christ, doit toucher le cœur, l’intériorité des disciples, afin de chasser en eux toute crainte. Le second don, celui de l’Esprit Saint, touche lui aussi le cœur, l’intériorité, mais cette fois en vue de l’accomplissement de leur mission : De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. Une mission dans laquelle le pardon des péchés a une place particulière et éminente. Les disciples deviennent les serviteurs et les continuateurs de la miséricorde du Seigneur Jésus en faveur de tous les hommes. Jésus remet entre leurs mains un pouvoir spirituel qu’ils exerceront dans l’Eglise au nom de Dieu. Plus largement il s’agit du pouvoir de sanctification manifesté dans la célébration des sacrements. Le soir de Pâques le Ressuscité ouvre à ses disciples le chemin de la vie : la vie intérieure, la vie spirituelle qui implique d’être fermement établis dans la paix du Christ et la vie apostolique, missionnaire, qui implique de sortir de chez soi pour aller à la rencontre des autres, frères et sœurs en humanité, et ainsi leur partager la joie de croire et la paix de la réconciliation.

Dans sa lettre aux Colossiens l’apôtre Paul nous redit notre vocation de chrétiens et l’importance pour nous d’être fermement établis dans la paix du Christ et dans son amour miséricordieux :

Puisque vous avez été choisis par Dieu, que vous êtes sanctifiés, aimés par lui, revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience. Supportez-vous les uns les autres, et pardonnez-vous mutuellement si vous avez des reproches à vous faire. Le Seigneur vous a pardonnés : faites de même. Par-dessus tout cela, ayez l’amour, qui est le lien le plus parfait. Et que, dans vos cœurs, règne la paix du Christ à laquelle vous avez été appelés, vous qui formez un seul corps. Vivez dans l’action de grâce.

samedi 8 avril 2023

Méditation pour Pâque: une civilisation de la vie

 


Méditation pour la solennité de Pâques

9/04/2023

Au terme de ce Carême nous célébrons à nouveau l’événement de la Pâque, la résurrection de Jésus. Cette victoire de l’amour sur la haine, de la vie sur la mort est l’œuvre de Dieu en Jésus-Christ. Toute la vie du Christ pendant le temps de son incarnation nous enseigne la valeur et la dignité de notre vie humaine, la valeur de toute vie au sein de la création. Les miracles de guérison, les enseignements, la miséricorde qui pardonne les péchés, enfin la Passion, la mort et la résurrection du Seigneur peuvent se comprendre à la lumière de ce que Jésus affirme dans l’Evangile selon saint Jean : Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance. Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis. (Jean 10, 10.11)

A Pâques nous célébrons cette surabondance de vie. Il s’agit de notre vie humaine, terrestre, qui est appelée à entrer tout entière dans la joie de Dieu en se laissant transformer par la vie du Christ ressuscité. Pierre résume ainsi pour ses auditeurs le mystère de la Pâque : Vous avez tué le Prince de la vie, lui que Dieu a ressuscité d’entre les morts, nous en sommes témoins. (Actes 3, 15).

La formule est saisissante et résume bien en effet le drame de l’histoire de notre humanité. L’homme pécheur, l’homme mauvais est homicide. Il donne la mort et la propage. Dieu de son côté répare ce mal que nous commettons en nous proposant toujours de choisir le chemin de la vie et surtout en ressuscitant son Fils Jésus. Célébrer Pâque ne signifie pas se voiler la face et ne pas voir tout le mal dont souffre l’humanité actuellement. Un mal qui n’est jamais une fatalité mais dont nous sommes à divers niveaux partie prenante. Devant le tombeau vide et ouvert une espérance nouvelle se lève, celle de la civilisation de la vie qui est toujours la civilisation de l’amour. Le drame de l’humanité se joue en chacun de nous au niveau de notre conscience et de notre cœur. C’est celui de notre coopération ou pas à l’œuvre de Dieu. Remplis de l’amour du Christ et de la grâce de l’Esprit Saint, nous avons tous la possibilité de répondre oui à l’appel du Christ en vue d’une civilisation de la vie.

En 2020 Thomas Guénolé a écrit un livre choc intitulé Le livre noir de la mondialisation. A partir d’un sérieux travail de recherche s’appuyant sur les statistiques disponibles il a calculé le coût humain de notre organisation économique entre 1992 et 2017, soit en 25 ans : 400 millions de morts parmi lesquels pour ne prendre que quelques exemples : 11 millions de morts de faim malgré l’abondance de nourriture ; 56 millions de morts causées par les conditions de travail dont l’esclavagisme moderne ; 69 millions de morts de la catastrophe écologique ; 256 millions de morts de maladies pourtant soignables etc. Je ne vous donne pas ces chiffres pour vous plonger dans le désespoir. Je vous les donne, car, affirme l’auteur, rien de tout cela n’était une fatalité. Cette civilisation de la mort est le résultat de choix de société, de choix politiques et économiques mauvais et immoraux. Par exemple quand des Etats préfèrent investir des sommes d’argent colossales dans la course à l’armement et la préparation des guerres plutôt que dans la lutte contre la faim ou l’accès pour tous à l’éducation, aux soins et aux médicaments. Mais au cœur de cet énorme massacre silencieux il y a une constante : faire passer systématiquement le profit maximum au-dessus de toute considération morale et cela pour l’enrichissement d’une infime minorité. C’est bien la cupidité qui gouverne cette civilisation de mort. L’amour immodéré de l’argent est non seulement une folie, il est criminel et tue chaque jour. Saint Paul l’avait déjà clairement compris en son temps, mais que dirait-il aujourd’hui face à la multiplication des milliardaires et des profits colossaux ? La racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent (1 Timothée 6, 10).

L’Eglise dans sa sagesse nous offre sa doctrine sociale pour incarner dans notre vie, là où nous vivons, la bonne nouvelle de la résurrection du Seigneur. Aujourd’hui un chrétien, ou même un homme de bonne volonté comme il en existe tant, qui prend au sérieux l’enseignement du Christ a toutes les chances d’avoir des problèmes ou d’être persécuté. Cela ne doit pas nous empêcher de faire vivre le message des Béatitudes qui est un antidote aux fausses valeurs véhiculées par ce que l’on pourrait qualifier avec raison de domination universelle du dieu Argent et de la technique. Chacun de nous a la possibilité de s’engager avec humilité et résolution pour la dignité du travail humain, pour le respect de la création, donc pour l’écologie, pour la promotion de la paix et de la justice entre les nations et dans notre pays, pour l’accès de tous aux biens de la terre, nourriture et eau par le partage et la solidarité… Le trésor de notre foi est le meilleur rempart contre la dictature de l’argent qui tue et détruit lorsqu’il est érigé en idole et critère du succès. Notre foi est l’espérance d’un monde meilleur, d’un monde profondément converti à la vie, sur cette terre et pour la vie éternelle. Amen.

 


jeudi 6 avril 2023

Méditation pour le Vendredi saint

 


7/04/2023

Passion de Jésus-Christ selon saint Jean

Hier nous avons contemplé Jésus lavant les pieds de ses disciples, faisant sien le geste des esclaves. Dans la nuit nous l’avons vu à genoux, face contre terre, dans le jardin de Gethsémani, priant le Père d’éloigner la coupe de la Passion, souffrant dans son âme avant de souffrir dans son corps. Aujourd’hui nous venons de suivre Jésus pas à pas en compagnie de saint Jean jusqu’au Golgotha, là où l’instrument de son supplice a été préparé. Supplice infamant réservé aux esclaves dans l’Empire romain. Ce qui fait s’écrier à Paul : scandale pour les Juifs, folie pour les païens ! Entre le geste du lavement des pieds et le supplice de la croix, signes de l’abaissement ultime du Fils de Dieu au rang d’esclave, Jean nous montre pendant le procès romain un homme qui est roi, mais qui ne l’est pas à la manière de ce monde. Voici l’homme ! Voici votre roi ! Comment Jésus caractérise-t-il le pouvoir des rois de ce monde ? Il nous le dit lui-même dans l’Evangile :

Vous le savez : les chefs des nations les commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi : celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ; et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre esclave. Ainsi, le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude.

Cet enseignement que nous trouvons en saint Matthieu (20, 25-28) a le mérite de la clarté. Il nous permet d’entrer dans le scandale de la Passion et de comprendre du point de vue de Jésus lui-même la signification de ce drame. Oui, il faut affirmer ce paradoxe absolu : dans sa Passion Jésus est au plus haut point ce roi-esclave qui, à aucun moment, ne se départit de sa dignité face aux coups, aux injures et aux puissants de ce monde. Dans sa Passion l’Homme par excellence, le Fils de l’homme, nous donne à voir le vrai visage de son Père. Non pas un dieu despote assis sur un trône qui s’imposerait à nous par la force, la terreur et la crainte (autant dire un dieu fabriqué par les hommes à l’image des gouvernants de ce monde), mais un Dieu qui se fait serviteur de sa créature par pur amour. Dieu règne en renonçant, en s’effaçant… Le Nouveau Testament utilise le verbe « renoncer » ou un équivalent pour qualifier l’abaissement volontaire et sauveur du Fils de Dieu pour chacun d’entre nous. Tout d’abord dans la lettre de Paul aux Philippiens : Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur… Puis dans la lettre aux Hébreux : Renonçant à la joie qui lui était proposée, il a enduré la croix en méprisant la honte de ce supplice…

Dans le mystère de cet amour incompréhensible parce qu’il est celui de Dieu, l’humanité est libérée de tout pouvoir qui opprime et écrase. Notre dignité de fils de Dieu nous est rendue et avec elle notre liberté. Depuis l’événement unique du Golgotha, Jésus élevé en croix attire à lui tous les hommes, de toutes races, de toutes nations, de toutes conditions. Il nous attire auprès de son cœur par ce pouvoir divin qui n’a aucune autre puissance que celle de l’amour, aucune arme si ce n’est celle de l’abaissement et de l’humilité de Dieu, se faisant notre serviteur en son Fils bien-aimé. Oui, en vérité Tout est accompli lorsque Jésus meurt sur le bois de la croix. Mais assimiler cette révolution de l’amour divin, ce renversement des images païennes de la divinité, prend assurément beaucoup de temps. Que ce soit au niveau de l’humanité dans son ensemble, de l’Eglise ou de chacun d’entre nous. Ce soir rendons grâce au Dieu trois Saint de nous ouvrir ce chemin de libération, de vérité et de vie !


mercredi 5 avril 2023

Méditation pour le Jeudi saint

 


6/04/2023

Jean 13, 1-15

Le geste du lavement des pieds a de quoi surprendre et étonner. Alors que c’était un geste d’accueil et d’hospitalité réalisé dans le vestibule de la maison, Jésus le réalise au cours du repas. Alors que c’était un geste fait par les esclaves, Jésus en prend l’initiative et le fait sien. Alors que les disciples acceptent cette initiative étonnante, seul Pierre, le chef des Douze, refuse. Par ce geste le Seigneur rompt avec les bonnes convenances en usage dans sa culture. Ce n’est pas nouveau. Rappelons-nous de la critique qui lui avait été adressée parce que ses disciples ne se lavaient pas les mains avant de prendre leur repas ![1] L’évangéliste insiste sur la conscience de Jésus à ce moment décisif de sa vie : sachant que… Connaissance profonde de Jésus mise en contraste avec l’ignorance de Pierre : Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant. Si le Seigneur décide de laver les pieds de ses disciples au cours du repas (et non pas avant), c’est en toute connaissance de cause. Il ne s’agit plus du geste d’hygiène et d’accueil pratiqué par les esclaves mais bien d’un exemple : C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. Cette attitude physique traduit en effet une disposition spirituelle intérieure. Le Maître et Seigneur s’abaisse en présence de ses disciples, prélude à l’abaissement extrême, celui de la crucifixion, supplice réservé aux esclaves. C’est d’ailleurs une tradition qui existait entre maîtres et esclaves dans la Rome antique, une fois par an, à l’occasion de la fête des Saturnales : on inversait les rôles en mémoire de l’âge d’or au cours duquel l’égalité parfaite régnait entre tous les hommes. Le soir du Jeudi Saint, Jésus nous donne à voir l’abaissement volontaire, par amour, de la divinité. Dieu utilise le langage du corps pour nous signifier son projet de communion avec nous, ses créatures. Ce n’est pas l’abaissement de l’esclave contraint et forcé. C’est un abaissement plein de grandeur et de dignité. Le corps se met en tenue de service, s’abaisse au ras du sol, c’est-à-dire au plus bas. Pour laver les pieds de ses disciples Jésus utilise ses mains… dont Jean nous dit : sachant que le Père a tout remis entre ses mains… Les mains de Jésus contiennent en quelque sorte tout le poids de l’autorité divine que son Père partage avec lui. Ce sont les mêmes mains qui lavent les pieds des disciples et qui prennent le pain et le vin pour en faire le sacrement de l’eucharistie. Par ce geste du lavement des pieds, à la fois tellement divin et humain, Jésus renverse la hiérarchie habituelle. Il renverse les puissants de leurs trônes. Il nous fait comprendre à nouveau, après l’avoir enseigné tant de fois, que la véritable grandeur, la dignité authentique, consiste non pas à dominer ou asservir son prochain mais bien à le servir. Et pour servir il faut savoir se faire tout petit, s’abaisser. Ce geste d’amour a une portée purificatrice, il sanctifie comme la communion eucharistique nous sanctifie, d’où la remarque du Seigneur à Pierre : Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. Jésus nous ouvre donc ainsi la voie divine du service fraternel dans l’humilité et l’abaissement. Nous, ses disciples, quand nous imitons son exemple, nous nous sanctifions et nous avons le pouvoir de sanctifier notre prochain dans la mesure où nous lui partageons quelque chose de l’amour de Jésus. En suivant la voie de la divine charité nous comprenons la vraie grandeur selon l’Evangile, à l’opposé de celle de ce monde. Nous entrons dans l’admirable échange par lequel Jésus s’abaisse pour nous soulever auprès de Dieu et nous rendre de plus en plus semblable à lui par la divinisation commencée avec le bain du baptême. Quelques années après la mort de Jésus, un auteur latin, Pline l’ancien, aura cette réflexion qui pourrait être celle d’un Père de l’Eglise : l’homme devient dieu pour l’homme en le secourant ; ce chemin est celui de la gloire éternelle.[2]

Enfin par ce geste Jésus anticipe une réalité qui sera celle du Royaume des cieux. Qu’il nous suffise de penser à ce passage de l’Evangile selon saint Luc (12, 37) :

Heureux ces serviteurs-là que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Amen, je vous le dis : c’est lui qui, la ceinture autour des reins, les fera prendre place à table et passera pour les servir.

 

 

 

 



[1] Marc 7, 5

[2] Histoire naturelle II.V.4