lundi 25 décembre 2023

NOEL 2023


Noël 2023

En cette sainte fête de Noël je vous propose deux points de méditation pour nous aider à contempler le grand et beau mystère de l’Incarnation du Seigneur.

Le premier point de méditation part de la comparaison que l’apôtre Paul établit entre Adam et le Christ dans sa lettre aux Romains, comparaison que nous retrouvons dans sa première lettre aux Corinthiens, d’où le nom de nouvel Adam donné au Christ dans la tradition chrétienne. Cette comparaison nous invite à comprendre le mystère de l’incarnation en lien avec celui de la création. En effet à Noël commence une nouvelle création. Dans la première création telle qu’elle est rapportée par les deux récits de la Genèse l’homme et la femme sont créés directement adultes par le Créateur. Ils ne passent pas par l’étape de l’enfance. Il en va tout autrement du Fils de Dieu qui, en s’incarnant dans le sein de Marie, vit la totalité de notre vie humaine de la naissance à la mort, en passant par l’enfance et l’adolescence. Jésus a connu tous les âges de notre vie humaine, excepté la vieillesse en raison de sa mort violente sur la croix. A Noël Dieu choisit de se faire enfant, nouveau-né. Le mot d’enfant en latin signifie celui qui est incapable de parler. Jean nous présente dans le prologue de son Evangile le mystère de l’incarnation en utilisant la notion de Verbe de Dieu, c’est-à-dire de Parole de Dieu. Jésus est la Parole du Père. Dans la crèche la Parole de Dieu est d’abord silencieuse. Elle ne nous parle pas par des mots et des discours. Elle nous parle à travers la présence d’un nouveau-né donné par Dieu pour être une grande joie pour tout le peuple. Ce silence, Jésus-Parole le prolongera en quelque sorte jusqu’au moment de son baptême, c’est-à-dire dans la plus grande partie de sa courte vie humaine qui est essentiellement une vie cachée, une vie ordinaire. Si Dieu se manifeste dans un nouveau-né incapable de parler, cela nous indique un chemin pour aller vers la crèche : celui du silence rempli de la présence de Dieu. Silence qui se prolongera à Nazareth jusqu’au moment du baptême par Jean. Le pape Paul VI disait à propos de cette leçon de silence :  Que renaisse en nous l’estime du silence, cette admirable et indispensable condition de l’esprit… O silence de Nazareth, enseigne-nous le recueillement, l’intériorité, la disposition à écouter les bonnes inspirations et les paroles des vrais maîtres ; enseigne-nous le besoin et la valeur de préparations, de l’étude, de la méditation, de la vie personnelle et intérieure, de la prière que Dieu seul voit dans le secret.

Le second point de méditation part de l’étonnement qui devrait nous saisir face à la concision de saint Luc dans son Evangile de la Nativité. Le grand mystère de l’Incarnation tient en un seul verset d’une simplicité absolue : Et Marie mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. Il n’y avait pas de place pour eux parmi les humains, c’est la raison pour laquelle Jésus enfant est né parmi les animaux, dans une mangeoire. Cette remarque de l’évangéliste Luc nous fait penser à un verset du prologue de l’Evangile selon saint Jean : Le Verbe est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. Cette célébration de la naissance du Sauveur nous invite donc à nous poser personnellement la question suivante : y a-t-il en moi, dans ma vie, de la place pour Dieu ? Souvent nous avons l’impression de manquer de place dans nos maisons ou nos appartements. Cela est parfois vrai quand nous vivons dans un petit appartement. Mais en fait nous manquons de place parce que nous sommes encombrés par l’accumulation d’objets inutiles et que nous sommes incapables de ranger et de faire de l’ordre, encore plus de donner ou de jeter ce dont nous n’avons pas ou plus besoin. Il en va de même pour notre vie spirituelle. Si Dieu n’a pas de place ou si peu en nous, c’est bien parce que notre cœur est encombré de pensées, de soucis, de préoccupations, d’activités, de projets etc. Nous avons aussi besoin de faire le ménage en nous, de mettre de l’ordre dans nos pensées et dans notre cœur. Si nous ne connaissons jamais le repos, le silence dans notre vie intérieure, comment pourrions-nous faire de la place pour le Sauveur ? Le plus difficile pour un homme de notre temps, c’est de mettre un frein à l’activisme qui le dévore, c’est de dire stop et de faire une pause bienfaisante, celle de la méditation, de la réflexion, de la lecture, de la prière, au cœur de nos multiples activités. Pour conclure cette méditation de Noël, je laisse la parole au moine bénédictin John Main qui a enseigné la méditation chrétienne :

Il doit y avoir de la place pour Jésus dans l’auberge de notre cœur. Toute notre méditation a ce but : préparer et ouvrir notre cœur à la naissance du Christ. C’est parce qu’Il est le Dieu infini que nous devons lâcher tout le reste afin qu’il y ait place pour Lui dans notre cœur. Le mystère, c’est que lorsqu’il naît dans notre cœur, tout prend naissance avec Lui.


 

dimanche 17 décembre 2023

Troisième dimanche de l'Avent / année B

 

17/12/2023

Jean 1, 6-8.19-28

Le troisième dimanche de l’Avent a une tonalité joyeuse comme nous le montrent la première et la deuxième lecture de cette liturgie. L’Evangile de Jean nous rapporte le témoignage de Jean le baptiste, témoignage entendu dimanche dernier dans la version de saint Marc. Jean est clair et affirme « Je ne suis pas le Messie ». Je ne suis que sa voix, celui qui l’annonce et lui prépare un peuple capable de l’accueillir. Aux prêtres et aux Lévites le baptiste affirme la présence mystérieuse du Messie : Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas. Ce témoignage se situe juste avant le baptême du Christ par Jean, baptême qui est à la fois la manifestation et la première révélation du Messie au peuple rassemblé sur les bords du Jourdain. Cette fois le témoignage ne vient pas seulement d’un homme envoyé par Dieu mais de Dieu lui-même : J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et il demeura sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : “Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, celui-là baptise dans l’Esprit Saint.” Moi, j’ai vu, et je rends témoignage : c’est lui le Fils de Dieu. »

Jean passe ainsi de l’ignorance à la connaissance du Messie. C’est le chemin que tous nous avons fait par la foi. Nous sommes parvenus à une certaine connaissance de Jésus Messie et Fils de Dieu. Il n’en reste pas moins vrai que ce que Jean affirme aux Juifs s’applique aussi à nous : Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas.

La connaissance de Jésus que nous pouvons avoir par la foi et la vie de prière inclue toujours une part d’ignorance, celle du mystère divin, celle concernant la seconde personne de la Sainte Trinité. Il est bon pour nous de réentendre cette parole de Jean pour nous permettre de redécouvrir la nouveauté de la révélation chrétienne. A cette parole du Baptiste correspond ce que Jésus dit de lui-même dans l’Evangile selon saint Matthieu : Personne ne connaît le Fils, sinon le Père.

Seul le Père connaît véritablement le Fils. Les théologiens peuvent avoir tendance à oublier cette vérité et être dans l’illusion d’évacuer le mystère par leurs enseignements sur le Christ. Quant à nous, cela doit nous inviter à l’humilité dans la foi. Jésus nous échappera toujours jusqu’au jour où nous le verrons face à face sans avoir besoin du voile de la foi pour le connaître. La profession de foi chrétienne et le catéchisme de l’Eglise n’épuisent jamais la connaissance que nous pouvons avoir du Christ. Il doit toujours rester dans notre relation avec Jésus une part d’étonnement et de questionnement. Ce qui est vrai pour nos relations humaines l’est encore davantage quand il s’agit de Dieu. Seule la charité parfaite peut nous donner la vraie connaissance du Christ, car celui qui fait la vérité vient à la lumière. Paul dans sa lettre aux Ephésiens nous montre comment cette connaissance parfaite du Christ n’adviendra qu’au terme d’un parcours de foi en Eglise :

De cette manière, les fidèles sont organisés pour que les tâches du ministère soient accomplies et que se construise le corps du Christ, jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble à l’unité dans la foi et la pleine connaissance du Fils de Dieu, à l’état de l’Homme parfait, à la stature du Christ dans sa plénitude.

Jean exprime la même réalité avec un langage différent :

Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est.

 

dimanche 10 décembre 2023

Deuxième dimanche de l'Avent / année B

 

10/12/2023

Marc 1, 1-8

Au commencement de l’Avent nous avons entendu l’appel insistant de Jésus : Veillez ! Aujourd’hui Jean le baptiste proclame un baptême de conversion pour le pardon des péchés. Ce baptême de pénitence n’est pas le baptême chrétien. Il le prépare et l’annonce. De même que le Christ est infiniment plus grand que Jean, de même la grâce du sacrement de baptême dépasse infiniment le seul pardon des péchés. La finale de l’Evangile de ce dimanche nous fait entrevoir par avance tout le mystère pascal, de la croix à la Pentecôte, mystère qui rend efficace le sacrement du baptême : Moi, je vous ai baptisés avec de l’eau ; lui vous baptisera dans l’Esprit Saint. Gardons en mémoire l’appel de Jésus à la vigilance spirituelle, au cœur éveillé dans l’attente et le désir de sa venue. Être baptisé dans l’Esprit Saint nous rend capable de cette vigilance et nous fortifie dans l’attente du Seigneur qui viendra au temps fixé mais qui, ne l’oublions pas, vient à notre rencontre chaque jour et cela de bien des manières. L’attente du second avènement du Christ ne nous dispense pas, bien au contraire, de vivre l’aujourd’hui de Dieu, le présent de nos vies. C’est en vivant pleinement le temps présent que nous sommes réellement veilleurs et éveillés. L’attente du Christ ne nous fait pas vivre dans l’avenir. Elle nous enracine dans le présent et dans la mise en œuvre de notre vocation chrétienne ici et maintenant. Pour nous aider à approfondir le baptême dans l’Esprit Saint annoncé par Jean, méditons les paroles du Seigneur à Nicodème au chapitre 3 de l’Evangile selon saint Jean : Amen, amen, je te le dis : personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair ; ce qui est né de l’Esprit est esprit. Ne sois pas étonné si je t’ai dit : il vous faut naître d’en haut.

Par notre baptême et notre confirmation nous sommes tous « renés », nés d’en haut. C’est notre origine divine, cette filiation adoptive qui nous rend frères et sœurs du Christ, qui nous permet de veiller en ce monde dans l’attente du ciel nouveau et de la terre nouvelle où résidera la justice. C’est pourquoi, bien-aimés, en attendant cela, faites tout pour qu’on vous trouve sans tache ni défaut, dans la paix, tel est l’exhortation de Pierre dans la deuxième lecture. Notre baptême dans le Saint Esprit produit en nous la paix du cœur. L’oraison de ce deuxième dimanche de l’Avent mentionne ce qui s’oppose à la vigilance du cœur et à la paix spirituelle que Jésus vient nous donner par sa présence : Seigneur tout-puissant et miséricordieux, ne laisse pas le souci de nos tâches présentes entraver notre marche à la rencontre de ton Fils ; mais éveille en nous cette intelligence du cœur qui nous prépare à l’accueillir et nous fait entrer dans sa propre vie. Le souci de nos tâches présentes… Voilà une réalité qui nous parle ! L’Avent est comme une invitation à un temps de retraite pour nous recentrer sur l’essentiel, pour laisser au silence une place dans nos vies si bruyantes, si agitées, si dispersées. Le silence extérieur est un moyen pour favoriser le silence intérieur, condition essentielle pour accueillir la paix du Seigneur. Dans ce silence du cœur qui veille nous reprenons vie, nous renaissons d’en haut, en nous adonnant à une lecture nourrissante pour l’âme et l’esprit, à la prière, à la méditation. Il y a 76 ans Bernanos faisait déjà ce constat dans La France contre les robots :

On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. Que dirait-il aujourd’hui ?

Que ce temps de l’Avent nous permette de vivre les paroles du psalmiste en présence du Christ, à notre manière et selon notre vocation :

Je tiens mon âme égale et silencieuse ; mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère. Attends le Seigneur, Israël, maintenant et à jamais.

vendredi 17 novembre 2023

32ème dimanche du temps ordinaire / année A

 

12/11/2023

Matthieu 25, 1-13

La parabole des dix jeunes filles invitées à des noces nous parle de la vigilance spirituelle, un thème important dans la prédication de Jésus, thème que nous trouvons à la fin de notre année liturgique et à son commencement avec le temps de l’Avent : Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. La parabole qui précède dans l’Evangile selon saint Matthieu délivrait déjà le même message : Tenez-vous donc prêts, vous aussi : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. Dans les deux paraboles celui que l’on attend tarde à venir que ce soit le maître ou l’époux. La venue du Royaume des Cieux, la manifestation du Christ tarde en effet pour nous humains qui mesurons le temps à l’échelle de notre brève vie sur cette terre. Le temps de Dieu n’est pas le nôtre. La parabole de ce dimanche met en avant les dispositions intérieures des jeunes filles : certaines sont insouciantes, d’autres prévoyantes. D’autres traductions les qualifient de folles et sages, d’idiotes et d’intelligentes. Pour accueillir l’époux dans la nuit elles ont besoin de lumière, donc de leurs lampes, donc d’huile pour les alimenter. Les unes manquent de cette huile, les autres en ont fait provision. Ce que représente cette huile, la parabole ne nous le dit pas. Simplement nous constatons que cette huile ne peut ni se partager ni s’acheter au dernier moment. Arrive en effet un moment dans notre vie où il est trop tard pour devenir sage, trop tard pour avoir le temps de se procurer l’huile que l’on a négligé d’acquérir tout au long de notre vie. Cette huile désigne quelque chose de personnel, une réalité qui est le fruit d’une certaine manière de vivre en ce monde. On l’a ou on ne l’a pas. Les jeunes filles prévoyantes ont la vertu cardinale de prudence qui leur a fait prévoir de l’huile dans l’attente de la venue de l’époux. A juste titre on peut les qualifier de sages. La vertu de prudence est l’un des aspects de la sagesse. Cette parabole de Jésus peut par certains aspects nous faire penser à la célèbre fable de La Fontaine La cigale et la fourmi, inspirée d’une fable d’Esope. Le dialogue conclusif entre les vierges insouciantes et l’Epoux peut nous aider à imaginer ce que signifie l’huile : Plus tard, les autres jeunes filles arrivèrent à leur tour et dirent : “Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !” Il leur répondit : “Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas.” En effet ce dialogue nous rappelle un passage du chapitre 7 du même Evangile :

Ce n’est pas en me disant : “Seigneur, Seigneur !” qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux. Ce jour-là, beaucoup me diront : “Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé, en ton nom que nous avons expulsé les démons, en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ?” Alors je leur déclarerai : “Je ne vous ai jamais connus. Écartez-vous de moi, vous qui commettez le mal !”

L’huile qui permet aux jeunes filles prévoyantes d’accueillir Jésus au milieu de la nuit, c’est tout simplement la mise en pratique de la volonté de Dieu, la fidélité à sa Parole et à ses commandements. C’est l’huile qui nous permet d’éviter le mal et de choisir le bien. Avec cette huile de notre vie chrétienne notre lampe brille de la lumière de la foi, de l’espérance et de la charité. L’huile des bonnes œuvres ne peut exister sans un cœur rempli d’amour pour Dieu et pour le prochain. Ce que les vierges sages disent aux vierges folles, “Jamais cela ne suffira pour nous et pour vous, allez plutôt chez les marchands vous en acheter”, peut nous faire penser à l’affirmation du Cantique des cantiques : Un homme donnerait-il toutes les richesses de sa maison pour acheter l’amour, il ne recueillerait que mépris.

La parabole de ce dimanche nous invite à déplacer notre attention : au lieu de nous demander pourquoi l’époux tarde-t-il ou encore quand viendra-t-il, c’est nous-mêmes que nous devons considérer. Que faisons-nous du don de notre vie ? Que faisons-nous du temps que Dieu nous donne ? Vivons-nous dans la sagesse, donc dans la prudence ? Il s’agit bien pour chacun d’entre nous de préparer la rencontre avec le Christ. Chaque jour, car il n’est pas absent. De par sa résurrection et le don de l’Esprit, il est présent et agissant en nous, dans nos vies, dans l’Eglise. Se préparer aujourd’hui et en vue du moment ultime, celui de notre mort et celui de la révélation du Christ. Cette préparation ne doit pas être fébrile ou angoissante. Il s’agit de rendre jour après jour notre cœur capable d’accueillir le Christ et par lui le mystère de Dieu. Pour cela nous avons besoin de la sagesse de Dieu qui nous fait voir toutes choses à leur juste valeur. C’est cette sagesse qui nous délivre de la vanité des fausses valeurs. C’est cette sagesse qui chasse de notre cœur la peur pour nous installer dans la confiance, dans la paix du Seigneur. Pas plus que l’amour la sagesse ne s’achète. Elle est l’objet du désir de notre cœur. La meilleure préparation à la rencontre d’aujourd’hui et de demain, c’est de nourrir en nous ce désir de Dieu en l’accompagnant des bonnes œuvres. Celui que nous aurons désiré, nous le verrons. L’histoire des vierges folles est celle d’un rendez-vous manqué. Ce n’est pas tant l’Epoux qui tardait à venir, c’est elles qui sont arrivées en retard !

Pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux arriva.

dimanche 5 novembre 2023

31ème dimanche du temps ordinaire / année A

 

05/11/2023

Matthieu 23, 1-12

Au chapitre 23 de son Evangile Matthieu nous rapporte un enseignement de Jésus sur le comportement des responsables religieux de son peuple, en particulier de ceux qui enseignent la Torah, la loi de Moïse. Cet enseignement met en lumière l’hypocrisie de ceux qui enseignent car ils ne s’appliquent pas à eux-mêmes ce qu’ils exigent des autres. Enseigner la loi de Dieu ou encore l’Evangile n’est pas un enseignement comparable à celui délivré par les professeurs de nos écoles. Enseigner le catéchisme nous engage personnellement contrairement à l’enseignement des mathématiques ou de l’histoire. Cet enseignement religieux ne délivre pas seulement une connaissance pour l’esprit mais il indique une façon de vivre selon la volonté de Dieu et s’adresse donc au cœur de l’homme pour le transformer. La fraternité de notre devise républicaine est une invention de Jésus qui a voulu une Eglise qui soit une communauté de frères. Dans cette communauté, les responsables et les enseignants, les apôtres et leurs successeurs doivent se considérer comme des frères et des serviteurs, serviteurs du Christ et serviteurs de leurs frères. Leur charge d’enseignement ne doit pas les remplir d’orgueil. Elle exige d’eux au contraire une plus grande humilité et une réponse quotidienne à l’appel universel à la sainteté. Les reproches concrets que le Seigneur adresse aux scribes et aux pharisiens de son temps s’adressent aussi à la hiérarchie sacerdotale de notre Eglise, du pape aux prêtres en passant par les évêques qui, tous, en vertu de leur ordination, ont reçu une mission d’enseignement.

Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. C’est un risque bien réel dans notre Eglise. Le Magistère de l’Eglise doit être très attentif à ne pas « compliquer » la pratique de la religion, à ne pas la rendre finalement inaccessible ou incompréhensible. Jésus est venu pour nous libérer des complications de certains aspects de la loi de Moïse, pour simplifier ainsi la vie religieuse et alléger notre fardeau : Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger. En particulier les pasteurs de l’Eglise qui sont consacrés dans le célibat doivent bien se garder de faire porter aux couples et aux familles des fardeaux qu’ils ne voudraient pas remuer eux-mêmes du doigt…

Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens : ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges… Les responsables de notre Eglise doivent agir par amour pour Dieu et par amour de leurs frères et se méfier de la tentation qui consiste à parader dans des tenues d’apparat évoquant davantage la cour des rois que la compagnie du Christ. Tentation bien présente dans certains milieux dits traditionnalistes qui attachent une importance démesurée aux vêtements comme tel cardinal portant la cappa magna… oubliant que l’habit ne fait pas le moine, oubliant surtout la simplicité évangélique et la belle sobriété de la liturgie. La vanité humaine peut malheureusement s’insérer au sein même de la célébration des mystères de notre foi…

Ils aiment les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues et les salutations sur les places publiques ; ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi. C’est le drame des responsables religieux qui ne travaillent pas pour la gloire de Dieu mais pour obtenir une place privilégiée dans la société et l’honneur qui vient des hommes, là encore nous sommes dans la vanité si opposée à l’esprit de foi des apôtres du Christ. Saint Luc ajoute dans sa version un élément significatif du comportement des scribes et des pharisiens, l’appât du gain et l’amour de l’argent au détriment des frères les plus pauvres : Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés (20, 47).

Nous comprenons à travers cet enseignement du Seigneur tout ce que les responsables de l’Eglise doivent bien se garder de faire, toutes les tentations du pouvoir, de l’honneur, de l’argent qui peuvent s’emparer de leur cœur et en chasser l’Esprit Saint pour en faire un cœur vaniteux, c’est-à-dire vide. Dans une Eglise de frères, c’est tous ensemble que nous sommes responsables du témoignage que nous portons, solidaires les uns des autres, fidèles et pasteurs, fidèles et enseignants, dans notre volonté de fidélité au seul et unique Maître le Seigneur Jésus-Christ. Si les saints pasteurs font de saints fidèles, il n’en est pas moins vrai que la sainteté des fidèles sanctifie aussi les pasteurs. La fraternité de l’Eglise est une fraternité de la sainteté dans laquelle nous nous édifions mutuellement.

mercredi 1 novembre 2023

TOUSSAINT 2023

 

Psaume 33

Saints du Seigneur, adorez-le : rien ne manque à ceux qui le craignent.

En cette solennité de la Toussaint je vous propose une méditation sur la sainteté chrétienne à partir du psaume 33 qui invite les saints du Seigneur à l’adorer : Saints du Seigneur, adorez-le : rien ne manque à ceux qui le craignent.

La sainteté consiste tout d’abord à chercher le Seigneur : Je cherche le Seigneur, il me répond : de toutes mes frayeurs, il me délivre. Qui cherche le Seigneur ne manquera d'aucun bien. Cette recherche de Dieu implique de notre part un désir de vivre dans la communion avec lui, de vivre en sa présence chaque jour de notre vie et jusque dans la vie éternelle. Il s’agit d’une attitude active de notre part impliquant notre volonté et notre amour. Ce désir de Dieu aboutit toujours au désir de la prière et de la contemplation de son mystère révélé en Jésus-Christ. Le saint ne peut pas vivre sans la prière, sans cette relation privilégiée avec Dieu qui lui permet de mettre en pratique le premier commandement rappelé par Jésus dimanche dernier : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Dans le temps offert à la prière le saint fait l’expérience privilégiée de la bonté du Dieu qui est Amour, même quand la prière devient difficile parce que Dieu semble absent et que son silence nous pèse. Dans l’acte de l’offrande de notre temps et de notre personne à Dieu dans la prière nous lui exprimons notre désir d’être avec lui, de nous tenir tout simplement en sa présence. Le Dieu trois fois saint nous permet alors de goûter sa présence, en anticipation de la communion parfaite et éternelle dans le Royaume : Goûtez et voyez : le Seigneur est bon ! Heureux qui trouve en lui son refuge !

La sainteté, c’est aussi apprendre la crainte du Seigneur : Venez, mes fils, écoutez-moi, que je vous enseigne la crainte du Seigneur. Le sens biblique de la crainte n’a rien à voir avec la peur. Il s’agit du respect de Dieu et du désir de vivre conformément à ses commandements en suivant la voie de la sagesse. La crainte en tant qu’attitude de sagesse est la condition du bonheur authentique : Qui donc aime la vie et désire les jours où il verra le bonheur ? La sainteté n’est pas un mépris de notre vie terrestre ni un refus du bonheur. Elle est au contraire un désir de vie et de bonheur en plénitude. Le psalmiste nous indique le chemin concret que prend la sainteté dans la crainte du Seigneur : Garde ta langue du mal et tes lèvres des paroles perfides. Évite le mal, fais ce qui est bien, poursuis la paix, recherche-la. L’enseignement du psaume est pour nous une invitation à relire ce que saint Jacques nous dit au chapitre 3 de sa lettre sur la bonne ou la mauvaise utilisation de notre langue et du don merveilleux du langage. Les préceptes qui conduisent à la sainteté sont simples mais difficiles à mettre en œuvre en raison de notre nature pécheresse. Saint Jacques fait le lien avec la langue qui prie et la langue qui peut causer du tort au prochain : Elle nous sert à bénir le Seigneur notre Père, elle nous sert aussi à maudire les hommes, qui sont créés à l’image de Dieu. De la même bouche sortent bénédiction et malédiction. Mes frères, il ne faut pas qu’il en soit ainsi. C’est un exemple de la séparation entre l’amour pour Dieu et l’amour pour notre prochain. Eviter le mal, faire le bien, rechercher la paix, quoi de plus simple en effet ? L’actualité de notre monde avec ses guerres et ses conflits sans fin nous montre cependant à quel point le cœur de l’homme est malade et a besoin de salut et de libération. Ils sont rares les artisans de paix loués par Jésus dans l’Evangile des Béatitudes : Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. La sainteté consiste à choisir ce chemin malgré tous les obstacles. Il y faut beaucoup de courage, de persévérance et surtout de confiance et d’abandon à Dieu :

Le Seigneur entend ceux qui l'appellent : de toutes leurs angoisses, il les délivre. Il est proche du cœur brisé, il sauve l'esprit abattu… Le Seigneur rachètera ses serviteurs : pas de châtiment pour qui trouve en lui son refuge.

dimanche 22 octobre 2023

"Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu". 29ème dimanche du temps ordinaire / année A.

 


22/10/2023

Matthieu 22, 15-21

Les pharisiens allèrent tenir conseil pour prendre Jésus au piège en le faisant parler. L’introduction que l’évangéliste donne à l’Evangile de ce dimanche révèle les tensions de plus en plus fortes entre les pharisiens et Jésus. Dans le but de lui tendre un piège ils s’associent aux partisans d’Hérode, collaborateurs des Romains. Ils viennent vers Jésus avec des paroles de flatterie : Tu es toujours vrai et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité ; tu ne te laisses influencer par personne, car ce n’est pas selon l’apparence que tu considères les gens. Ce qu’ils disent de Jésus est vrai mais ils ne le pensent pas. Il s’agit bien ici de leur hypocrisie servant à masquer leur intention mauvaise… comme s’il était aussi simple que cela de tromper Jésus ! La question qu’ils lui posent est purement formelle : Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur ? Ils ne recherchent pas la vérité sur cette question qui divisait les Juifs. La réponse que donnera Jésus ne les intéresse pas. Ce qui les intéresse, c’est de le faire parler pour ensuite pouvoir se retourner contre lui. Nous en sommes toujours là dans les pseudo-débats télévisés, surtout quand il s’agit de politique. Le vrai débat, le dialogue authentique est un art qui suppose une recherche commune de la vérité. Cet Evangile nous rappelle l’usage travesti que nous pouvons faire du don de la parole et du langage. Les pharisiens utilisent leur question comme une arme destinée à faire tomber Jésus dans le piège d’une réponse embarrassante. Un petit rappel historique s’impose : depuis 63 avant J.C le territoire d’Israël est sous le contrôle de la puissance romaine. C’est le pouvoir qui domine les Juifs même s’il consent à leur laisser des roitelets pour la forme comme Hérode. Evidemment certains Juifs ne voulaient pas payer l’impôt à un occupant et à un païen, l’empereur Tibère qui portait comme Auguste avant lui le titre de César. La première partie de la réponse de Jésus est une dénonciation claire et nette de l’hypocrisie des pharisiens : Connaissant leur perversité, Jésus dit : « Hypocrites ! pourquoi voulez-vous me mettre à l’épreuve ? Il montre qu’il n’est pas dupe de leur jeu. Et comme souvent Jésus va répondre à leur question en leur posant une autre question : Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles ? Qui donc émet la monnaie en circulation dans le pays ? César, donc l’empereur de Rome. L’autorité monétaire est celle de Rome ce qui rappelle aux Juifs qu’ils ont perdu leur liberté politique et de gouvernement. La réponse de Jésus est connue de tous, même de ceux qui ignorent les Evangiles, elle est devenue proverbiale : Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Cette sentence distingue clairement l’appartenance religieuse de l’appartenance politique. Jésus leur dit : vous pouvez être religieusement de bons Juifs tout en étant de bons citoyens en payant l’impôt à César. Le fait de payer cet impôt ne concerne pas votre relation avec Dieu car elle est d’un autre ordre, celui de l’Esprit, distinct et tellement différent de l’ordre temporel des souverains de cette terre. Les Césars passent et changent avec leur gloire humaine éphémère mais Dieu demeure toujours le même. Honorez donc Dieu par votre vie de foi, de prière et de charité et obéissez à l’autorité politique. Jésus est tout le contraire d’un révolutionnaire, d’un zélote ayant pour but la libération politique d’Israël. Cela ne l’intéresse pas. Il montre aux pharisiens et à tous les Juifs qui ne supportaient pas la présence et le pouvoir des Romains que la liberté spirituelle est infiniment plus importante que la liberté politique. Il vient libérer les cœurs du mal et du péché, de l’hypocrisie, du mensonge et de la perversité. Reconnaître la perte d’indépendance politique d’Israël n’empêche absolument pas de s’engager dans le chemin de la sainteté qui est celui du peuple de Dieu. Chemin de sainteté par lequel on comprend que l’unique souverain et roi, c’est Dieu seul. Même après Pâques ce message de Jésus n’est toujours pas accueilli dans le cœur de ses apôtres comme en témoigne leur question : Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? Depuis la mort de Salomon, en 931 av.JC, ce royaume unifié auquel ils rêvent encore avait disparu ! C’est en devenant ce qu’ils sont, c’est-à-dire missionnaires, qu’ils comprendront peu à peu que le Royaume de Jésus n’est pas de ce monde. En ce dimanche qui conclut la semaine missionnaire mondiale accueillons avec les apôtres la finale de l’Evangile selon saint Matthieu :

Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde.


dimanche 8 octobre 2023

27ème dimanche du temps ordinaire / année A

 

8/10/2023

Matthieu 21, 33-43

La parabole des vignerons assassins est le développement du texte d’Isaïe que nous avons entendu en première lecture. Il y est question du domaine de Dieu dans lequel il plante une vigne. Ce domaine c’est la création tout entière et la vigne peut être comprise comme l’image de l’humanité, du peuple d’Israël ou encore de l’Eglise. Dans cette parabole Jésus résume le drame des relations entre Dieu et l’humanité, de l’alliance de la création en passant par celle avec Noé puis Moïse jusqu’à l’alliance définitive offerte dans le mystère de l’incarnation. Les vignerons qui nous représentent refusent de vivre dans l’Alliance et persécutent les envoyés de Dieu, les prophètes. Ils vont même jusqu’à tuer le fils du maître du domaine. Jésus annonce ainsi sa propre mort sur la croix et l’interprète par avance à la lumière du psaume 118 (117) :

Jésus leur dit : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux !

Les vignerons deviennent dans le psaume des maçons bâtissant une maison. Image parlante elle aussi car elle nous montre le projet d’une humanité voulant se construire et se développer en rejetant la pierre d’angle, c’est-à-dire Jésus. Il y a eu à un moment précis de l’histoire de l’humanité le meurtre de l’innocent et du saint, le Fils de Dieu. Il y a aussi à tout moment de l’histoire, celle des peuples comme celle des personnes, cette tentation de rejeter Jésus hors de nos vies, de refuser d’écouter sa Parole et d’accueillir son Evangile. En lien avec l’image des maçons dans le psaume 118 nous pouvons penser à un autre psaume, le psaume 126 :

Si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain.

Les psaumes 118 et 126 nous mettent en garde contre notre orgueil qui nous pousse à vouloir être totalement autonomes, détachés de Dieu Père et Créateur. Contrairement à Jésus, nous refusons parfois d’être fils, c’est-à-dire de reconnaître que nous dépendons de Dieu qui nous donne de vivre dans son domaine et nous confie sa vigne. Le texte d’Isaïe précise les mauvais fruits issus de cette séparation volontaire d’avec le maître du domaine :

Il en attendait le droit, et voici le crime ; il en attendait la justice, et voici les cris.

C’est bien en raison de la méchanceté des vignerons que Dieu les abandonne à leur autonomie revendiquée par et dans le crime :

Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits.

Il est facile de voir dans cette sentence le transfert du Royaume de Dieu vers les peuples païens. Cela ne doit pas nous empêcher, bien au contraire, de nous l’appliquer à nous-mêmes dans la situation qui est la nôtre aujourd’hui. Même si l’Eglise ne se confond pas avec le Royaume de Dieu, elle en est en quelque sorte le signe sur cette terre. Dieu a promis à l’Eglise par la bouche de son Fils que jamais elle ne serait détruite par les forces du mal à l’extérieur comme à l’intérieur :

Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle.

Cela n’empêche pas Dieu d’opérer la purification de son Eglise par l’épreuve. Le passage rapide en Occident, mais remontant dans ses racines au 18ème siècle, d’une Eglise majoritaire à une Eglise minoritaire, mise en « concurrence » par de nombreuses églises chrétiennes évangéliques, ne peut que nous pousser à la réflexion et à un examen de conscience. Ce passage n’est pas forcément totalement négatif car il purifie l’Eglise institution d’une volonté de puissance et de domination sur la société civile qui n’avait rien d’évangélique.  Maintenant que nous, les catholiques français, nous sommes devenus semblables au petit reste d’Israël, le petit troupeau, il est salutaire de nous laisser interpeller par la parabole de ce dimanche en nous posant les questions suivantes en tant que personnes et membres de la communauté croyante :

Dans quelle mesure vivons-nous quotidiennement en fils et filles de Dieu, donc dans la reconnaissance que nous dépendons de lui ? Ou bien sommes-nous, nous aussi, dans la logique de bâtir notre vie, notre maison commune, notre société, en excluant la Parole du Christ ?

Quel type de foi entretenons-nous dans notre relation avec Dieu ? Une foi d’habitude sociale, de tradition, ou bien une foi fervente animée de l’intérieur par un amour authentique de Dieu et un désir de vivre en communion avec lui dans la nouvelle et éternelle Alliance scellée par la Pâque de son Fils ? Nous ne pouvons pas être de bons vignerons par habitude, aujourd’hui il s’agit bien pour chaque membre de l’Eglise de choisir Dieu dans la conscience qu’Il nous a choisis pour travailler dans sa vigne et lui faire donner de bons et beaux fruits.

 

dimanche 1 octobre 2023

26ème dimanche du temps ordinaire, année A / Journée mondiale de prière pour la création

 


1er/10/2023

Message du Pape François pour la célébration de la Journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la Création du 1er septembre au 4 octobre 2023.

 

“Que la justice et la paix jaillissent” est cette année le thème du Temps œcuménique de de la Création, inspiré des paroles du prophète Amos : « Que le droit jaillisse comme une source ; la justice, comme un torrent qui ne tarit jamais » (5, 24).

Dans son message pour la Journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la Création, le pape François écrit : Rendons-nous compte qu’une approche d’ensemble exige que nous pratiquions le respect écologique selon quatre directions : envers Dieu, envers nos semblables d’aujourd’hui et de demain, envers l’ensemble de la nature et envers nous-mêmes. A la suite de Benoît XVI il nous invite à prendre au sérieux notre profession de foi en Dieu Créateur : En ce qui concerne la première de ces dimensions (le respect écologique envers Dieu), Benoît XVI a identifié un besoin urgent de comprendre que la Création et la Rédemption sont inséparables : « Le Rédempteur est le Créateur et si nous n’annonçons pas Dieu dans cette grandeur totale qui est la sienne – de Créateur et de Rédempteur – nous dévalorisons également la Rédemption ». La création fait référence au mystérieux et magnifique acte de Dieu qui consiste à créer cette majestueuse et belle planète et cet univers à partir de rien, ainsi qu’au résultat de cet acte, toujours en cours, que nous expérimentons comme un don inépuisable. Au cours de la liturgie et de la prière personnelle dans la « grande cathédrale de la création », nous nous souvenons du Grand Artiste qui crée tant de beauté et nous réfléchissons au mystère du choix amoureux de créer le cosmos.

Parmi les quatre prières eucharistiques du Missel Romain la quatrième donne une place significative à la Création issue du choix amoureux de Dieu. Je vous propose donc une méditation à partir de cette prière eucharistique d’inspiration fortement biblique. Dès la préface de cette prière l’Eglise s’adresse au Père en tant que Créateur, source de la vie :

Toi, le Dieu de bonté, la source de la vie, tu as fait le monde pour que toute créature soit comblée de tes bénédictions, et que beaucoup se réjouissent de l’éclat de ta lumière.

Ce passage de la préface nous dit le pourquoi de la grande cathédrale de la création : pour que toute créature, et pas seulement les créatures humaines, soit comblée des bénédictions divines et que beaucoup puissent connaître la joie de se savoir voulus et aimés par Dieu. La conclusion de la préface nous présente l’homme comme le prêtre de toute la création :

Unis à leur hymne d´allégresse, avec la création tout entière qui t´acclame par nos voix, Dieu, nous te chantons…

Chaque fois que nous prions ou chantons Dieu, nous devons prendre conscience que nous sommes en quelque sorte les porte-paroles de la création tout entière. Par nos voix, à travers le langage humain de la prière, les arbres, les rivières, les montagnes, les oiseaux, les poissons, tous les animaux, toutes les créatures adressent à Dieu leur chant de louange. Les créatures privées de langage ou dont le langage, différent du nôtre, nous est inaccessible, sont comme portées par le langage humain et ainsi présentées en offrande au Père dont elles viennent et vers qui elles retournent, par nous et avec nous, humanité sauvée et sanctifiée dans l’offrande du Christ.

Le début de la prière eucharistique reprend les deux récits de la Création en Genèse 1 et 2 nous rappelant notre place et notre mission au sein de la Création :

Père très saint, nous proclamons que tu es grand et que tu as fait toutes choses avec sagesse et par amour : tu as créé l´homme à ton image, et tu lui as confié l´univers afin qu´en te servant, toi seul, son Créateur, il règne sur la création. Nous ne pouvons régner sur la Création que dans la mesure où nous reconnaissons le Créateur en le servant. C’est dire que ce règne est incompatible avec l’orgueil humain ou encore avec un comportement tyrannique de la part de l’homme à l’égard des autres créatures. Les saints par leur douceur envers toutes les créatures et leur amour pour le Père Créateur ont été capables de vivre les relations harmonieuses du Paradis terrestre entre l’homme et les animaux avant le péché des origines : Saint François d’Assise, saint Antoine de Padoue, saint Gens et bien d’autres encore.

La prière eucharistique IV s’achève avec une perspective eschatologique qui associe dans un même élan vers le Royaume les hommes et toutes les créatures :

Nous pourrons alors, avec la création tout entière enfin libérée de la corruption du péché et de la mort, te glorifier par le Christ, notre Seigneur, par qui tu donnes au monde toute grâce et tout bien.

Le Royaume de Dieu ou le Paradis qui est notre vocation à tous, après le passage de la mort à cette vie terrestre, ne concerne donc pas seulement les hommes mais la création tout entière. La prière cite ici Saint Paul dans sa lettre aux Romains au chapitre 8 :

En effet, la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu. Car la création a été soumise au pouvoir du néant, non pas de son plein gré, mais à cause de celui qui l’a livrée à ce pouvoir. Pourtant, elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu.

Enfin, en lien avec le thème de cette journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la création, Que la justice et la paix jaillissent, nous pouvons penser à un passage particulièrement significatif de la deuxième lettre de Pierre :

Ce que nous attendons, selon la promesse du Seigneur, c’est un ciel nouveau et une terre nouvelle où résidera la justice. C’est pourquoi, bien-aimés, en attendant cela, faites tout pour qu’on vous trouve sans tache ni défaut, dans la paix.


lundi 25 septembre 2023

25ème dimanche du temps ordinaire / année A

 

24/09/2023

Matthieu 20, 1-16

Le royaume des Cieux est comparable au maître d’un domaine qui sortit dès le matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne.

La parabole de ce dimanche nous montre bien que le Royaume des Cieux n’est pas seulement le Paradis après notre vie terrestre mais qu’il commence déjà au cœur même de notre vie terrestre. Il y est en effet question de travail dans la vigne du Maître. L’enseignement de Jésus est simple à comprendre : le moment où nous commençons à travailler dans la vigne du Seigneur en répondant à son appel n’a aucune importance pour lui, l’essentiel étant de répondre « oui » à l’appel de Dieu. Les anciens ou les premiers venus n’ont aucun privilège ni aucun droit par rapport aux derniers venus. La première Eglise chrétienne se séparant peu à peu de son berceau, le Judaïsme, a connu de très vifs débats sur l’intégration des païens ou des Gentils dans la petite communauté des disciples de Jésus. Cette parabole affirme que les derniers venus, les chrétiens issus du paganisme, seront tout aussi bien accueillis par Dieu que les membres du peuple d’Israël. Dieu, Père universel de tous les hommes, ne fera aucune différence entre les anciens et les nouveaux. Dans la logique du Royaume de Dieu ce n’est pas l’ordre d’arrivée qui importe mais bien notre réponse à l’appel universel que Dieu fait à tous les hommes de tous les temps et de tous les continents. Les communautés chrétiennes, les paroisses, sont toutes confrontées à cette question : l’intégration et l’accueil des nouveaux, des derniers venus, des plus jeunes dans la vie de la communauté. A l’époque de Jésus être un ancien était un honneur considérable que ce soit dans la culture biblique ou dans la société romaine. L’ancien de par son âge et de par son expérience était souvent assimilé à un sage qu’il fallait écouter et respecter. Il est vrai, aussi, que l’espérance de vie était beaucoup plus réduite qu’aujourd’hui. Jésus, mort jeune, nous dit au contraire : aucun privilège lié à l’ancienneté. Ce faisant il renverse les traditions les mieux établies et surtout la logique humaine. Notons que cette parabole est encadrée par deux sentences semblables et significatives de cette révolution opérée par le Christ : Beaucoup de premiers seront derniers, beaucoup de derniers seront premiers. Ceux que Jésus met en avant et propose en modèles dans sa prédication sur le Royaume des Cieux, ce ne sont pas les anciens mais bien les enfants !

À ce moment-là, les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : « Qui donc est le plus grand dans le royaume des Cieux ? » Alors Jésus appela un petit enfant ; il le plaça au milieu d’eux, et il déclara : « Amen, je vous le dis : si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux. Mais celui qui se fera petit comme cet enfant, celui-là est le plus grand dans le royaume des Cieux.

L’enseignement de cette parabole est illustré d’une manière magnifique par une scène de la crucifixion de Jésus avec l’épisode du bon larron. Ce malfaiteur condamné au supplice de la croix, quelques instants avant sa mort, prie Jésus subissant le même sort à ses côtés : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. » Jésus lui déclara : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » L’unique travail de cet homme dans la vigne du Seigneur aura été une simple prière faite avec confiance et espérance. Cette prière suffit à lui ouvrir immédiatement l’accès au Paradis. Le royaume des Cieux est un don qu’il s’agit d’accueillir dans notre être, une présence à vivre, pas une récompense que nous gagnerions par le mérite de notre travail. Il est d’abord une présence aimante, celle du Christ ressuscité, celle de l’Esprit Saint consolateur. C’est toute la théologie de la grâce développée par saint Paul. Nous ne pouvons pas comprendre la justice de Dieu tellement différente de la justice humaine. C’est la raison pour laquelle cette parabole nous choque dans un premier temps : payer de la même manière ceux qui ont beaucoup travaillé et ceux qui ont peu travaillé. L’entrée dans le royaume n’a rien à voir avec la réussite à un examen ou l’obtention d’un diplôme. Jésus nous dit que la justice de Dieu est subordonnée à sa bonté, et sa bonté est infinie, infiniment libre.

 

dimanche 10 septembre 2023

23ème dimanche du temps ordinaire / année A

 

10/09/2023

Matthieu 18, 15-20

Dans le chapitre 18 de son Evangile Matthieu a rassemblé des enseignements du Seigneur sur la vie des disciples en communauté. Le passage de ce dimanche est encadré par deux autres enseignements : le premier sur ceux qui sont cause de scandale pour leurs frères, le second sur la nécessité de pardonner les offenses. Le thème de l’Evangile est celui de la correction fraternelle : Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère.

Le pardon des offenses n’est donc pas incompatible avec la pratique de la correction fraternelle. On peut pardonner tout en signalant à l’autre qu’il s’est mal comporté. La gradation que Jésus indique dans cette pratique montre l’importance de la communauté Eglise à ses yeux. La foi chrétienne a toujours une dimension à la fois personnelle et communautaire. Jésus ne nous fait pas dire Mon Père mais bien Notre Père. La première étape de cette démarche délicate n’en demeure pas moins celle de la relation interpersonnelle : va lui faire des reproches seul à seul. Ce n’est qu’ensuite qu’il est fait appel à la communauté des croyants, communauté à laquelle Jésus donne le même pouvoir que celui donné à Pierre au chapitre 16 : Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel.

Jésus est présent dans la communauté Eglise, En effet, quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux, et il donne à cette communauté de participer à sa propre autorité divine. Cela nous montre qu’il ne faut jamais séparer le Christ de l’Eglise, la Tête du Corps.

La démarche de la correction fraternelle est toujours difficile et délicate à pratiquer. D’autant plus qu’elle semble en contradiction avec d’autres enseignements du même Evangile selon saint Matthieu :

Ne jugez pas, pour ne pas être jugés ; de la manière dont vous jugez, vous serez jugés ; de la mesure dont vous mesurez, on vous mesurera. Quoi ! tu regardes la paille dans l’œil de ton frère ; et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? Ou encore : Comment vas-tu dire à ton frère : “Laisse-moi enlever la paille de ton œil”, alors qu’il y a une poutre dans ton œil à toi ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère.

Si on prend ensemble ces deux enseignements il semblerait que la parabole de la paille et de la poutre limite considérablement la possibilité de la correction fraternelle… Comme si seuls les chrétiens vivant dans la sainteté étaient autorisés à faire des reproches aux autres. Jésus est clair : il faut d’abord enlever la poutre de notre œil avant de prétendre enlever la paille qui est dans l’œil de mon frère. Pour le dire autrement mon premier réflexe ne doit pas être d’accuser les autres mais de faire mon examen de conscience. Dans la pratique toujours possible de la correction fraternelle je dois me poser les questions suivantes avant d’aller voir mon frère qui a péché contre moi : quelle est mon intention profonde ? Rétablir la justice et la vérité ? Ou bien passer ma colère sur mon frère ? Est-ce que je pense que ma démarche portera un fruit positif pour lui ? Dans la démarche elle-même, une fois qu’elle a été décidée, avec quelle délicatesse et quelle charité je dois l’accomplir ! Dans les cas où je suis la victime d’une grave offense comme par exemple la calomnie, la diffamation, l’insulte, je m’en remets à la communauté Eglise non seulement pour obtenir justice mais en vue de la conversion de celui qui a commis cette faute grave à mon égard. Encore une fois cela ne me dispense jamais du devoir chrétien de pardonner les offenses, rappelé chaque fois que nous prions le Notre Père. C’est ainsi que Matthieu conclut le chapitre 18 consacré à la vie en communauté avec ses conflits et ses difficultés inévitables, communauté de disciples pécheurs en marche vers la sainteté :

C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur.

dimanche 3 septembre 2023

22ème dimanche du temps ordinaire / année A

 

3/09/2023

Matthieu 16, 21-27

Dimanche dernier nous avons entendu Pierre proclamer sa foi en Jésus le messie. Etape importante et décisive dans la vie de l’apôtre. A cette profession de foi de Pierre correspond la première annonce par Jésus de sa Passion, de sa mort et de sa résurrection. C’est dire toute l’importance de ce chapitre 16 dans l’Evangile selon saint Matthieu. Bien avant le « oui » qu’il prononcera dans le jardin de l’agonie le soir du jeudi saint, Jésus sait ce qui l’attend à Jérusalem. Non seulement il le sait, mais il l’accepte et le choisit en quelque sorte comme une nécessité intérieure qui s’impose à lui : À partir de ce moment, Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem… Pierre est incapable d’accepter cette vision du Messie crucifié comme s’il n’entendait que la première partie de l’annonce faite par son Maître en oubliant la résurrection. L’intervention de Pierre, Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas, opère un renversement des rôles. En effet nous dit l’évangéliste, Pierre, prenant à part Jésus, se mit à lui faire de vifs reproches… A ce moment Pierre oublie que c’est lui le disciple et que Jésus est le Maître. Professer sa foi en Jésus est une chose, vivre cette foi concrètement en est une autre, bien différente. C’est tout le chemin qui attend encore Pierre et qu’il devra vivre jusqu’à l’heure de son martyre. Jésus profite de l’intervention de son apôtre pour délivrer un enseignement à tous ses disciples :

Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la trouvera.

Paroles difficiles qui heurtent notre sensibilité humaine. D’autant plus que l’expression perdre sa vie est traduite de bien des manières : perdre son âme, perdre son être etc. Renoncer à soi-même… C’est renoncer à ses idées sur Dieu et à sa volonté. Ce que n’a pas pu faire Pierre : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. Dans la deuxième lecture Paul illustre ce renoncement de la manière suivante : Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait. Renoncer à soi-même c’est faire siennes les pensées de Dieu, faire siennes les attitudes de Jésus. Marcher à la suite de Jésus, c’est imiter Dieu comme Paul l’indique aux Ephésiens : Oui, cherchez à imiter Dieu, puisque vous êtes ses enfants bien-aimés. Vivez dans l’amour, comme le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous, s’offrant en sacrifice à Dieu, comme un parfum d’agréable odeur. Renoncer à soi-même, c’est surtout faire sienne la volonté de Dieu, c’est vivre ce que nous demandons dans le Notre Père : Que ta volonté soit faite ! C’est cela prendre sa croix. Prendre sa croix implique pour nous de grandir dans la confiance en Dieu, dans l’abandon à sa volonté qui nous apparaît parfois comme incompréhensible de la même manière que la décision de Jésus de monter à Jérusalem pour y souffrir sa Passion a révolté le cœur de son apôtre. Prendre sa croix ce n’est pas aimer la souffrance, c’est aimer la volonté de Dieu qui, parfois, passe pour nous par la souffrance physique ou spirituelle. Qui perd sa vie à cause de moi la trouvera… Ne pensons pas que ce que dit Jésus se réfère uniquement au don suprême du martyre. Perdre sa vie ou son âme, c’est renoncer à l’égoïsme profond qui nous habite tous, c’est s’ouvrir à la possibilité du don et de la relation. Cela s’apprend aussi et peut-être d’abord dans la prière. Le moine bénédictin John Main qui a fait connaître la pratique de la méditation chrétienne écrivait à ce propos :

Dans la vision chrétienne de la méditation, une perspective qui découle des paroles de Jésus, nous découvrons la réalité du grand paradoxe qu’il enseigne : si nous voulons trouver la vie, nous devons être prêts à la perdre. En méditant, c’est exactement ce que nous faisons. Nous nous trouvons parce que nous sommes prêts à nous quitter, à plonger dans les profondeurs, qui se révèlent bientôt être les profondeurs de Dieu. Le message central du christianisme est que Dieu est présent dans les profondeurs de chaque être humain. C’est pourquoi nous devons apprendre l’humilité. C’est pourquoi nous devons apprendre le silence, car nous devons pénétrer ces profondeurs de notre moi pour rencontrer l’altérité de Dieu et, par cette rencontre, découvrir notre être essentiel dans l’union avec Dieu.

vendredi 1 septembre 2023

Ma réponse au père Jean-Baptiste Bienvenu sur le végétarisme

 


Lettre au père Jean-Baptiste Bienvenu sur le végétarisme

Cher confrère, cher Jean-Baptiste,

Ayant visionné la vidéo de « Pourquoi Padre ? » sur KTO[1] dans laquelle vous répondez à la question de Bertille, je me permets de vous adresser cette longue lettre par laquelle je voudrais commenter votre réponse à la question qui vous a été posée :

« Le chrétien doit-il ou peut-il être végétarien ? De manière militante, pas par dégoût pour la viande ou incapacité d'en consommer » écrit Bertille, 23 ans. « Si j'écoute ma conscience, je ne veux pas qu'on élève et qu'on tue des animaux, ou même qu'on les chasse, je ressens vraiment de la peine. Est-ce juste pour autant ? Que dit la Bible ? Cela a l'air de créer des désaccords parmi les chrétiens ... »

Tout d’abord la question de Bertille est formulée en termes de possibilité ou de devoir. Elle aurait pu tout aussi bien formuler sa question de la manière suivante : Est-il meilleur ou préférable d’être végétarien pour un chrétien ?

Tuer les animaux n’est pas un mal en soi.

Votre affirmation mériterait une argumentation au regard de ce qui est affirmé dans YOUCAT[2] : Les animaux aussi sont des créatures qui ont une sensibilité. C’est un péché de les torturer, de les faire souffrir, de les tuer sans raison. L’élevage et l’abattage industriels impliquent obligatoirement de grandes souffrances pour les animaux, tout cela est parfaitement documenté par les vidéos de l’association L214. Sans parler des souffrances physiques et psychiques des hommes qui travaillent dans les abattoirs[3]… Cette masse de souffrances quotidiennes et perpétuelles se justifie-t-elle ? Tuons-nous (ou plutôt faisons-nous tuer) les animaux avec une raison valable ? La réponse est non en France, car nous pouvons nous nourrir de manière parfaitement saine et équilibrée sans manger ni chair animale ni poissons. Dans notre pays nous ne tuons pas les animaux pour survivre mais bien par tradition culinaire et en raison de notre goût pour la viande ou le poisson, bref parce que nous trouvons que c’est bon à manger.

Ce que je trouve mal, ce sont les dérives de l’élevage industriel, l’animal envisagé comme un bien de consommation, pas respecté en tant qu’être sensible dans la durée de sa vie et dans la manière dont il a été tué.

Ce que vous appelez « dérives » est en fait la norme dans notre pays. La majorité de la viande vendue dans le commerce provient d’élevages industriels[4]. Il est absolument impossible de nourrir l’appétit de viande de millions de français uniquement avec un élevage « bio » et des animaux élevés dans des conditions qui respectent leur nature et leurs besoins, en plein air etc. L’élevage industriel que vous considérez avec raison comme un mal est de fait une nécessité tant que chaque français continuera à manger de la viande régulièrement, plusieurs fois par semaine. L’unique moyen de réduire cet élevage serait de réduire considérablement notre consommation de viande… Nous en sommes très loin en France. Je vous donne des chiffres qui parlent d’eux-mêmes : dans notre pays ce sont 3,5 millions d’animaux qui sont tués chaque jour dans les abattoirs, soit, chaque minute, 2400 animaux ! Un français mange environ 80 kg de viande par an, soit deux fois plus qu’en 1900 et quatre fois plus qu’en 1800.


J’imagine que vous mangez de la viande. Vous êtes-vous posé la question, en cohérence avec ce que vous qualifiez de « mal » (l’élevage industriel), de la provenance de la viande que vous consommez ? Vous parlez de la durée de vie des animaux. Aucun animal d’élevage n’a une durée de vie normale correspondant à son espèce. Tous sont tués très jeunes et prématurément, y compris les vaches laitières, pour une raison de rentabilité économique, donc pas seulement les agneaux « de Pâques »… Vous parlez de respecter l’animal, être sensible, dans la manière dont il est tué… Il est impossible de tuer un être sensible sans lui infliger de souffrances. D’autant plus que les rares réglementations visant à diminuer la souffrance des animaux au moment de l’abattage ne sont, la plupart du temps, pas respectées et les infractions très rarement sanctionnées par les services de l’Etat qui ferment les yeux… Qui dit rentabilité dit cadence infernale, donc pas le temps de « bien faire ».

Le végétarisme militant serait pour un chrétien problématique, une naïveté périlleuse.

Ce qui nous met en péril ce serait plutôt la surconsommation de produits animaux issus d’élevages industriels, surconsommation dangereuse pour la santé humaine et pour la préservation écologique de notre planète. Je vous renvoie au visionnage de deux brèves vidéos résumant parfaitement la catastrophe écologique et sanitaire que constitue l’industrie de la viande, largement subventionnée par la PAC et par nos impôts :

L’impact de la viande sur l’environnement :

https://www.youtube.com/watch?v=nVydgG2DFU0&ab_channel=LeMonde

Quand la boucherie, le monde pleure :

https://www.youtube.com/watch?v=KriTQ0aTrtw&list=PLwo5e0jWFBltwotyybT5ViCgSEaCW7k6M&ab_channel=DataGueule

Ce qui me semble plutôt hautement problématique, c’est d’ignorer l’impact écologique très négatif de l’industrie de la viande. Peut-être ne le savez-vous pas mais adopter un régime végétarien constitue l’acte le plus puissant au niveau individuel que nous puissions faire si nous voulons nous engager dans la conversion écologique à laquelle nous invite Laudato si’… C’est beaucoup plus efficace que de rouler en Tesla ! Et bien plus accessible à tous !

Vous ne faites que mentionner en passant la volonté du Créateur donnant à l’homme et à la femme un régime végétalien (Genèse 1, 29). Ce n’est pas ainsi que procède Basile de Césarée qui rappelle dans son Homélie II, Sur l’origine de l’homme :

Que l’Eglise ne néglige rien : tout est loi. Dieu n’a pas dit : « Je vous ai donné les poissons pour nourriture, je vous ai donné le bétail, les reptiles, les quadrupèdes. » Ce n’est pas pour cela qu’il a créé, dit l’Ecriture. En fait, la première législation a concédé l’usage des fruits, car nous étions encore jugés dignes du paradis.

Basile ne fait que reprendre à son compte le modèle d’exégèse des Ecritures mis en œuvre par Jésus lui-même dans la discussion qu’il a sur le mariage et le divorce avec les Pharisiens en Matthieu 19, 1-9. Il ressort de ce passage que le Christ met la loi du Créateur à l’origine au-dessus de la loi de Moïse qui lui est postérieure :

C’est en raison de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de renvoyer vos femmes. Mais au commencement, il n’en était pas ainsi.

Pourquoi ce raisonnement du Christ ne s’appliquerait-il qu’à la question de l’indissolubilité du mariage et pas au régime végétalien ? Vous mentionnez avec raison le changement de régime alimentaire concédé à Noé après le déluge en Genèse 9, 3 mais en omettant de signaler une limitation imposée par Dieu dans le cadre de la consommation de la chair animale :

Mais, avec la chair, vous ne mangerez pas le principe de vie, c’est-à-dire le sang (Gn 9,4).

En s’inspirant du raisonnement du Christ, il ne me semble pas farfelu d’en faire l’application suivante à Genèse 1,29/9,3 :

C’est en raison de la dureté de votre cœur que Dieu vous a permis de manger la chair des animaux. Mais au commencement, il n’en était pas ainsi.

Jésus assume cette histoire d’un peuple qui mange de la viande et qui honore Dieu en accomplissant des sacrifices d’animaux.

Les Evangiles n’ont pas pour but de nous parler du régime alimentaire de Jésus, mais c’est un fait que nulle part il nous est montré en train de manger de la viande. Donc il est difficile d’affirmer qu’il assume l’histoire d’un peuple qui mange de la viande… D’autant plus que votre saint patron, Jean le baptiste, se contentait de sauterelles et de miel… Quant aux sacrifices d’animaux vous connaissez tout autant que moi les vigoureuses et nombreuses critiques que l’on trouve dans la tradition prophétique à propos de cette pratique cultuelle que les Juifs avaient en commun avec toutes les religions païennes de l’antiquité… En particulier Isaïe 1, 11-16.

Je citerai ici une référence prise dans le psautier :

08 « Je ne t'accuse pas pour tes sacrifices ; tes holocaustes sont toujours devant moi.

09 Je ne prendrai pas un seul taureau de ton domaine, pas un bélier de tes enclos.

10 « Tout le gibier des forêts m'appartient et le bétail des hauts pâturages.

11 Je connais tous les oiseaux des montagnes ; les bêtes des champs sont à moi.

12 « Si j'ai faim, irai-je te le dire ? Le monde et sa richesse m'appartiennent.

13 Vais-je manger la chair des taureaux et boire le sang des béliers ?

14 « Offre à Dieu le sacrifice d'action de grâce, accomplis tes vœux envers le Très-Haut ».

(Psaume 49)

La dépendance culturelle aux animaux constitue une dimension importante dans la foi.

La consommation de viande, présentée comme une attitude culturelle, aurait un lien fort avec notre profession de foi chrétienne… Désolé, mais dans ce cas vous excluez pas mal de personnes dont les moines et moniales qui suivent un régime végétarien et les nombreux chrétiens qui ont fait ce choix pour diverses raisons… Cela n’a tout simplement rien à voir avec notre foi, et ce n’est pas moi qui le dis mais bien saint Paul :

Le royaume de Dieu ne consiste pas en des questions de nourriture ou de boisson ; il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint. (Romains 14, 17)

Le fait de devoir tuer pour manger, même s’il faudrait évidemment que cela soit dans de proportions moindres et dans des conditions meilleures qu’aujourd’hui, constitue un rappel concret de notre condition mortelle et du drame de cette condition prise tout entière par le péché. Cela met en scène quelque chose de la violence et du chaos qui continuent d’habiter le cœur de tout homme.

Cette partie de votre raisonnement est particulièrement problématique. Premièrement il est faux d’affirmer que nous devons tuer des animaux pour manger. Les végétariens prouvent que le contraire est tout à fait possible. Nous le faisons par gourmandise et par goût, par tradition culturelle, par habitude, ce qui est différent d’une nécessité réelle. Ensuite vous énoncez des vœux pieux… même s’il faudrait… Dans ce cas vous êtes-vous engagé dans une réduction significative de votre consommation personnelle de viande ? L’industrie de la viande continuera à traiter les animaux comme des objets de profits tant que nous achèterons ses produits. Les conditions meilleures que vous évoquez à propos de l’élevage des animaux révèlent une naïveté de votre part (ce n’est pas Bertille qui est naïve !)… Tant que la démographie mondiale sera ce qu’elle est, tant que la demande en viande ne baissera pas drastiquement, tant que le consommateur voudra de la viande bon marché, il n’y aura pas de conditions meilleures dans l’élevage des animaux de boucherie. Bien avant Jésus et l’enfer de l’élevage industriel, l’animal de boucherie était déjà présenté comme un sujet de grandes souffrances d’où la métaphore du psaume 43 :

12 Tu nous traites en bétail de boucherie, tu nous disperses parmi les nations.

23 C'est pour toi qu'on nous massacre sans arrêt, qu'on nous traite en bétail d'abattoir.

Le fait de tuer des animaux serait d’après vous une nécessité pour nous rappeler notre condition mortelle ! Je n’ai pas besoin de tuer quiconque pour être certain de ma condition mortelle… Les maladies et le vieillissement, l’expérience du deuil, me rappellent très souvent que je ne suis qu’un mortel et pas un dieu. Pas besoin de manger du steak ou du saucisson pour arriver à cette perception de la finitude de la condition humaine. Vous parlez de notre condition humaine prise tout entière par le péché, c’est un choix théologique pessimiste qui ne correspond pas à toute la tradition chrétienne. Et même si cela était vrai, en quoi les animaux, créatures innocentes, devraient-ils en payer les conséquences ? La fin de votre raisonnement me paraît totalement incompréhensible d’un point de vue chrétien qui est celui du salut et de la rédemption dans le Christ :

Cela met en scène quelque chose de la violence et du chaos qui continuent d’habiter le cœur de tout homme.

Si je vous comprends bien les abattoirs et la consommation de viande mettent en scène la violence et le chaos qui continuent d’habiter le cœur de tout homme ? En résumé puisque nous sommes mauvais, enfonçons-nous encore davantage dans le mal en le mettant en scène au lieu de nous en libérer comme le Christ nous y invite expressément… Je ne comprends pas cette complaisance dans l’état du vieil homme alors que le Christ est venu pour permettre la naissance de l’homme nouveau, pour libérer justement le vieil homme de tous les conditionnements qui l’enferment dans la spirale mortifère de la violence et du chaos. A vous lire j’ai l’impression que le Christ est venu pour rien et qu’il n’y a pas eu de rédemption. A propos d’abattoir, vous devriez y passer une seule journée pour contempler cette mise en scène de la violence et du chaos. Vous en sortiriez probablement dégoûté et végétarien.

Si les abattoirs avaient des vitres, on serait tous végétariens. (Paul McCartney, végétarien et soutien actif de l’association PETA).

On ne deviendra pas meilleurs en mangeant des lardons végétaux.

Qu’en savez-vous donc, Padre ? Isaïe 11, 1-10 devrait tous nous inspirer et je remarque que l’homme d’avant le péché était végétarien. Je me permets de vous citer ici plus longuement l’homélie de Basile de Césarée dans laquelle il commente Genèse 1, 29 :

Telle était la première création, telle sera après cela la restauration[5]. L’homme revient à son ancienne constitution en rejetant la malice, la vie encombrée de soucis, l’esclavage de l’âme vis-à-vis des tracas journaliers ; quand il a renoncé à tout cela, il retourne à cette vie paradisiaque qui n’est pas asservie aux passions de la chair, qui est libre, vie d’intimité avec Dieu, partage du régime des anges. Or, si nous avons dit cela, ce n’est pas que nous voulions écarter les aliments dont Dieu nous a concédé l’usage[6], mais c’est afin de souligner la félicité de cette époque révolue, de montrer la qualité de cette vie, exempte, s’il est possible, de besoins, de reconnaître combien il fallait peu de choses aux hommes pour vivre et comment la variété du régime est due au péché qui l’a introduite chez nous. Car une fois déchus des véritables délices du paradis, nous nous sommes inventés des délices abâtardies. Puisque nous ne regardons plus l’arbre de vie et que nous ne mettons plus notre fierté dans cette beauté-là, nous avons été dotés désormais, pour notre plaisir, de cuisiniers et de boulangers, de toutes sortes de pâtisseries, d’arômes et d’autres choses de ce genre, qui nous consolent de notre bannissement de là-bas. Ainsi, quand une grave maladie les a affaiblis et qu’ils ne peuvent pas prendre part aux jouissances ordinaires, les malades sont réconfortés par les médecins au moyen de parfums et de produits analogues. Comme ils se sont perdus dans la jouissance des nourritures plus fortes, ceux qui flattent les sens de ces malades imaginent des moyens adaptés à leur faiblesse. Seulement, puisque nous voulons maintenant nous conduire en imitant la vie du paradis, évitons cette jouissance surabondante des nourritures et conduisons-nous, autant qu’il est possible, d’après cette vie-là : utilisons pour notre entretien produits de la terre, graines et fruits durs, et le superflu, rejetons-le comme inutile ; car ce qui n’est pas abominable au Créateur n’en est pas pour autant rendu souhaitable par le plaisir qu’y prend le corps.

Si on n’a plus aucun rapport à l’animal en tant que mise à mort on ne pourra plus rien comprendre au mystère de l’eucharistie qui est la mise à mort d’un innocent.

C’est à ce point précis que votre argumentation est la plus discutable. Elle est même proprement choquante. Tout d’abord j’espère que notre relation aux animaux peut exister sans les tuer pour les manger. Vous avez lu comme moi la lettre aux Hébreux qui affirme la fin du culte ancien, centré sur la mise à mort des animaux, à partir du moment où le Christ, agneau véritable, s’offre lui-même en sacrifice sur le bois de la croix. Vous savez comme moi que lors de la dernière Cène Jésus n’a pas pris un morceau d’agneau dans ses mains en disant Ceci est mon corps… Il a, au contraire, choisi des éléments végétaux, le pain et le vin, comme supports et espèces du nouveau culte réalisé par l’institution du sacrement de l’eucharistie. Si l’on accepte votre raisonnement, cela revient à dire que tous les moines et les moniales s’abstenant de consommation de viande selon la règle de saint Benoît sont incapables de comprendre le mystère de l’eucharistie ! Idem pour les fidèles catholiques végétariens. Je suis un prêtre végétarien et j’espère comprendre un peu le mystère de l’eucharistie… et je ne vois pas en quoi manger du poulet ou du canard m’aiderait à approfondir ma perception de ce grand mystère ! Oui, la croix est bien la mise à mort d’un innocent, ce n’est pas une raison pour condamner à une vie de souffrances et à une mort cruelle des milliards d’animaux innocents uniquement pour notre plaisir gustatif.

« Il est vrai aussi que l’indifférence ou la cruauté envers les autres créatures de ce monde finissent toujours par s’étendre, d’une manière ou d’une autre, au traitement que nous réservons aux autres êtres humains. Le cœur est unique, et la même misère qui nous porte à maltraiter un animal ne tarde pas à se manifester dans la relation avec les autres personnes. Toute cruauté sur une quelconque créature est contraire à la dignité humaine » (n°92).

La question de Bertille ne relève pas pour moi d’une naïveté périlleuse (pour qui ?) et encore moins des fausses bonnes solutions. Cette jeune fille illustre bien la citation du pape François dans Laudato si’ :

Si j'écoute ma conscience, je ne veux pas qu'on élève et qu'on tue des animaux, ou même qu'on les chasse, je ressens vraiment de la peine.

Puissent tous les chrétiens entendre la voix de leur conscience qui leur indique un chemin de compassion et de douceur. Au regard des enjeux écologiques actuels Bertille fait preuve au contraire d’une grande maturité comme tant d’autres jeunes de sa génération qu’il faudrait plutôt encourager que d’inviter à mettre en scène quelque chose de la violence et du chaos qui continuent d’habiter le cœur de tout homme. Les jeunes générations espèrent autre chose que l’enfoncement dans la violence et le chaos présentés comme une fatalité de la condition humaine. Je suis peut-être naïf, mais je suis convaincu que le monde infernal de la rentabilité des élevages industriels d’animaux et de la cadence tout aussi infernale des abattoirs n’est pas notre horizon ultime… Déjà le grand Plutarque avait écrit trois traités pour les animaux. Il serait grand temps que l’éthique chrétienne s’élève dans ce domaine au niveau auquel étaient parvenus les grands penseurs païens de l’antiquité[7].

Le pape François termine sa lettre encyclique Laudato si’ par deux prières. Voici tout d’abord un passage de la prière pour notre terre :

Dieu Tout-Puissant qui es présent dans tout l’univers et dans la plus petite de tes créatures, Toi qui entoures de ta tendresse tout ce qui existe, répands sur nous la force de ton amour pour que nous protégions la vie et la beauté.

Et un passage de la prière chrétienne avec la création :

Dieu d’amour, montre-nous notre place dans ce monde comme instruments de ton affection pour tous les êtres de cette terre, parce qu’aucun n’est oublié de toi.

Enfin en annexe ce très beau texte de Léon Bloy dans La femme pauvre :

Le végétarien apostolique de la Salette

Je vous épargne les gargouillades facétieuses de chemisier pour ecclésiastiques, dont l’individu placé devant moi ne négligea pas de nous saturer, à l’extrême satisfaction des mandibules sacerdotales ou laïques. Voici la cause de cette allégresse. Le pauvre être qui servait de plastron à ces brutes était une espèce de végétarien apostolique, perpétuellement travaillé du besoin d’expliquer son abstinence. Sous quelque prétexte que ce fût, Mademoiselle, il n’admettait pas qu’on tuât les bêtes et, par conséquent, il s’interdisait de manger leur chair, ne voulant pas se rendre complice de leur massacre. Il le disait à qui voulait l’entendre, sans que nulle moquerie fût capable de le retenir, et on sentait qu’il aurait donné sa propre vie pour cette idée. À la fin, l’un des prêtres, un long soutanier qui paraissait avoir enseigné très spécialement la raison dans quelque prytanée de haute sagesse, prit la parole en ces termes : – Je vous demande comme une faveur de répondre à une simple question que je vais vous poser. Vous portez des souliers de cuir, un chapeau de feutre, des bretelles peut-être, vous vous servez en ce moment d’un couteau dont le manche est en os. Comment pouvez-vous concilier de tels abus avec les sentiments fraternels que vous venez d’exprimer ? Songez-vous qu’il a fallu égorger d’innocents quadrupèdes pour que ce faste criminel vous fût accordé ? Je n’essaierai pas de vous dépeindre l’enthousiasme de l’auditoire. Ce fut une clameur générale, un délire. On applaudissait, on trépignait, on aboyait, on imitait des cris d’animaux. Juste le succès d’un cabotin de café-concert. Lorsqu’un peu de calme se fut rétabli dans la fourrière, la première parole articulée qui se fit entendre sortait du groin désopilant et fariboleur de mon vis-à-vis. Il gueulait ceci : – Ah ! Pour le coup, mon bonhomme, tu as ton compte. (Il en était au tutoiement.) Il n’y a pas à dire : mon bel ami ! Cette fois, c’est un théolozien qui t’interroze, un ministre des autels, milledioux ! Qu’est-ce que tu vas lui répondre, viédase ? La réponse fut telle qu’un silence général succéda. À l’exception du dernier chenapan qui avait parlé, tous les fronts se penchèrent sur les assiettes, visiblement inquiets d’une plaisanterie qui allait si loin. J’avançai la tête pour voir le souffre-douleur. Il pleurait, le visage dans ses deux mains. Vous savez, Gacougnol, si c’est dans ma nature de supporter que les faibles soient opprimés devant moi. Je me levai donc, au milieu de la stupeur, et faisant le tour de la table, je vins frapper du plat de la main l’épaule du mastodonte. La claque, je crois, fut assez retentissante et faillit lui faire perdre l’équilibre. – Debout ! Dis-je. Il se retourna d’un bloc, en grognant comme un sanglier, mais s’il eut quelque velléité d’indignation, je vous jure qu’aussitôt après m’avoir regardé il perdit tout besoin d’évacuer ce sentiment généreux. Je le contraignis à se lever et l’amenant jusqu’à sa victime qui pleurait toujours et qui n’avait pas relevé la tête, je lui dis encore : – Vous avez insulté bassement et ignoblement un chrétien qui ne vous faisait aucun mal. Vous allez, n’est-ce pas ? lui demander pardon. Ce sera, peut-être, une leçon profitable pour quelques-uns des lâches qui nous écoutent. Comme il faisait mine de protester, je lui replantai la main dans la nuque avec une telle furie d’autorité qu’il tomba sur ses genoux aux pieds du bonhomme glacé de stupéfaction. – Maintenant, ajoutai-je, vous allez, à haute et distincte voix, vous humilier devant celui dont vous êtes l’offenseur, sinon je jure Dieu que je vous arracherai la peau avant que nous sortions de cette écurie… Quant à vous, Monsieur, laissez-moi faire, j’accomplis un acte de justice, non pour vous, mais pour l’honneur de Marie qu’on outrage un peu trop ici. J’expérimentai une fois de plus, en cette occasion, l’étonnant pouvoir d’un seul homme qui déploie son âme et l’incomparable couardise des blagueurs. Celui-là demanda pardon à genoux comme je l’avais exigé, ajoutant, pour sauver au moins une plume de sa dignité de plaisant cafard, qu’il n’était pas un « Cosaque » et qu’il n’avait pas eu l’intention de faire souffrir. L’autre le releva, en le serrant dans ses bras, et j’allai me coucher. Telle est la première partie de mon aventure qui sera, si vous le permettez, un diptyque.

Léon Bloy, La femme pauvre, XIV

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] https://www.youtube.com/watch?v=t66po-X3u8s&ab_channel=KTOTV

[2] Question 437.

[3] https://www.viande.info/conditions-travail-ouvrier-abattoirs

·         [4] 83 % des 826 millions de poulets de chair sont élevés sans accès à l’extérieur (ITAVI, 2016)

·         97 % des 52 millions de dindes sont élevées enfermées sans accès à l’extérieur (Agreste, 2008 et 2010)

·         36 % des 42 millions de poules pondeuses sont élevées en batterie de cages (CNPO, 2021)

·         99 % des 27,5 millions de lapins sont élevés en batterie de cages (Plan de filière lapin EGAlim, 2017)

·         95 % des 25 millions de cochons sont élevés sur caillebotis en bâtiments

·         60 % des 1,1 million de caprins sont en élevage intensif sans accès aux pâturages (Agreste, 2010)

 

[5] Comme nous le verrons dans la deuxième partie de cette étude, Tertullien avait déjà développé une pensée théologique similaire.

[6] Basile pense peut-être à ce que saint Paul écrit dans sa première lettre à Timothée (4, 3).

[7] Dont Pythagore.