jeudi 25 décembre 2008

Nuit de NOEL

Messe de la nuit de Noël / Luc 2, 1-14 (page 204)
Année 2027. Plus d’enfant, plus de futur, plus d’espoir : depuis 18 ans, aucune naissance n’a eu lieu… Tel est le sombre scénario du film « Les fils de l’homme » réalisé en 2006 par Alfonso Cuaron… En cette nuit de la Nativité, nous fêtons la naissance du plus beau des enfants de l’homme, Jésus, le Fils de l’homme. Noël nous renvoie d’abord au miracle de la vie. Noël nous tourne vers Dieu notre Père, vers Dieu créateur, source de toute vie. Notre vie est un miracle, peut-être l’oublions-nous trop facilement… En cette sainte Nuit la tradition veut que nous nous échangions des cadeaux. Le premier et le plus beau des cadeaux c’est Dieu notre Père qui nous l’offre : c’est tout simplement le fait que, comme Jésus, nous soyons venus au monde. Notre existence est en effet un merveilleux cadeau. Nous sommes créés de manière unique à l’image de Dieu. C’est dire toute la dignité et la valeur de notre vie. En notre personne, quelles que soient nos faiblesses, nos défauts, nos péchés, Dieu est présent. C’est ce qui fait de notre vie une histoire sacrée. Nous sommes les témoins vivants d’un Dieu Père et Créateur. C’est pour cette raison que toute atteinte à la vie humaine est un grave péché contre Dieu. Chris Mc Candless, le personnage principal du film Into the wild, avait écrit dans son carnet de notes: « Chaque jour sur cette terre est un bon jour ». Célébrer Noël, c’est dans un premier temps célébrer la beauté de notre vie et de notre vocation humaines. C’est faire mémoire de la bonté de la création, oui, Dieu vit que cela était très bon ! Que l’enfant de Bethléem ouvre nos yeux et notre cœur pour que nous comprenions à quel point chaque jour sur cette terre est un bon jour… Il ne s’agit pas pour nous de faire comme si les difficultés n’existaient pas, mais il s’agit de reconnaître la bonté de notre condition de créatures. Noël nous pousse fortement à dire « merci » à Dieu et à nos parents, à retrouver le chemin de la louange et de la gratitude, en une époque où tout nous pousserait à gémir et à nous plaindre !
Mais Noël ne saurait se limiter à une célébration émerveillée du don de la vie. Avec le mystère de l’incarnation, nous allons encore plus loin dans la compréhension de ce que nous sommes. L’enfant dans la mangeoire est un signe donné aux bergers comme à nous aujourd’hui. Sans parler il nous dit que Dieu notre Père épouse notre humanité. En Jésus, Dieu se lie pour toujours à chaque homme et à chaque femme. Noël c’est le commencement d’une nouvelle Alliance entre Dieu et chacun d’entre nous. Une Alliance définitive, forte, irréversible. Du côté de Dieu, il n’y a pas de marche arrière possible. Des fois il nous arrive de nous plaindre à notre prochain en lui disant : « Si tu étais à ma place, tu me comprendrais ! » Eh bien non seulement Dieu s’est mis à notre place, mais il est devenu en son Fils l’un de nous, il s’est fait notre frère en humanité en toutes choses, à l’exception du péché. Depuis cette nuit de Bethléem au cours de laquelle la Parole de Dieu a pris chair de la Vierge Marie, tout en nous prend une nouvelle valeur, une dignité nouvelle. Par le mystère de l’incarnation, Dieu sanctifie le temps et l’espace. Depuis Noël toute terre est sainte, tout moment de l’Histoire et de notre histoire est sacré. Depuis Noël nous sommes véritablement entrés dans un temps de grâce et de renouveau. Si nous avons à sanctifier le temps de notre existence, c’est pour, en des moments privilégiés, prendre conscience que notre vie est déjà sanctifiée tout entière par le mystère de l’incarnation. Par la prière et par le respect du jour du Seigneur, le dimanche, nous offrons à Dieu un espace dans lequel il vient nous redire son amour. En contemplant le nouveau-né dans la mangeoire, vrai Dieu et vrai homme, comment ne pas saisir notre immense dignité aux yeux de Dieu, la place unique que nous tenons dans son cœur, et cela de manière personnelle ? Dans la banalité de notre vie quotidienne, nous devons saisir en tant que chrétiens toute la valeur de ce que nous vivons. Et justement, malgré les apparences et la routine, nous devrions comprendre que notre quotidien est tout sauf banal. Puisqu’il est le lieu de la communion avec Dieu par le Christ dans l’Esprit. Si dans notre quotidien, nous voulons être forts, regardons l’enfant de la mangeoire ! Il est le Dieu fort ! Notre vraie force ne consiste pas dans le pouvoir, la domination ou encore l’ambition ou le carriérisme. Mais bien dans la profondeur de notre vie de communion avec Jésus, Fils de Dieu. Comment, en vivant vraiment unis à Lui, comme Lui s’est uni à nous, pourrions-nous encore avoir peur ? Notre force dépend de notre foi. Si dans notre quotidien, nous voulons être libres, regardons encore l’enfant dans la mangeoire ! C’est dans la pauvreté, la simplicité et l’humilité que Dieu nous donne son Fils. Nous trouverons davantage notre liberté dans la vérité de notre vie que dans la recherche des biens ou des objets extérieurs à notre personne. L’enfant de la crèche nous ouvre un chemin d’humilité, c’est-à-dire de vérité sur nous-mêmes. Il nous invite à nous débarrasser de nos masques et de nos apparences pour vivre jour après jour comme des créatures bien-aimées du Père. Vivre libres c’est rechercher en toutes choses la volonté de Dieu. La grâce de Noël en nous apprenant à bien vivre nous donne aussi le sens de notre mort. Lorsque nous parviendrons au terme de notre vie terrestre, puissions-nous faire nôtres les paroles de Chris Mc Candless : « J’ai eu une vie heureuse, et j’en remercie le Seigneur. Au-revoir, et que Dieu vous bénisse tous ! » Amen.

dimanche 21 décembre 2008

4ème dimanche de l'Avent

4ème dimanche de l’Avent / B
21/12/08
Luc 1, 26-38 (p.184)
Le 4ème dimanche de l’Avent, tout proche de Noël, est le dimanche de Marie et de Joseph. La première lecture de l’Ancien Testament éclaire admirablement bien le sens de l’Annonciation à Marie et vice-versa, sans oublier le psaume 88.
Prenons donc le temps de comprendre ce passage capital du second livre de Samuel, dans lequel la figure centrale est celle du roi David. Le deuxième roi d’Israël vient de s’installer dans sa nouvelle capitale Jérusalem. Et la paix règne enfin pour le peuple de Dieu. David nous est ici présenté comme un homme pieux qui a le souci de la gloire du Seigneur : « J’habite dans une maison de cèdre, et l’Arche de Dieu habite sous la tente ! » L’intention de David semble louable : il veut construire une maison pour le Seigneur… Mais voilà que par le prophète Nathan Dieu va manifester sa volonté et son projet. Notre texte liturgique saute quelques versets de la prophétie de Nathan, je les cite ici : « Depuis le jour où j’ai fait sortir les Israélites d’Egypte jusqu’à aujourd’hui, je n’ai pas eu de maison pour habiter, mais j’étais avec eux et je n’avais qu’une tente comme demeure. De tout le temps que j’ai fait route au milieu des Israélites, je n’ai jamais dit à l’un des Juges d’Israël, à ceux que j’avais faits pasteurs de mon peuple Israël : Pourquoi ne me construisez-vous pas une maison de Cèdre ? » Dieu rappelle la longue aventure de l’Exode, le temps où son peuple était nomade. David, généreusement, veut construire une maison pour l’Arche mais telle n’est pas la volonté de Dieu ! Et le Seigneur renverse la situation : C’est moi qui te construirai une maison ! Il y a bien sûr comme un jeu de mot avec le double sens de « maison » : le bâtiment de cèdre d’un côté, et la descendance royale de l’autre. David propose à Dieu un bâtiment, Dieu lui promet une descendance : « Ta maison et ta royauté subsisteront toujours devant moi, ton trône sera stable pour toujours ». La descendance promise par Dieu à David est à la fois proche et lointaine… La prophétie parle d’abord de Salomon, le fils de David. Et c’est lui qui construira au 10ème siècle avant J.C le temple de Jérusalem, temple qui sera détruit en 587. Mais une lecture chrétienne de la prophétie nous fait entrevoir son sens lointain. En effet Dieu promet au roi que sa maison demeurera pour toujours. Cette promesse s’accomplit d’une manière inattendue avec la naissance du Messie, ce qui nous ramène au récit de l’Annonciation en saint Luc.
Le nom de David y est cité deux fois, et ce n’est pas un hasard. Tout d’abord Joseph est de la maison de David, d’où la naissance de Jésus à Bethléem. Ensuite Gabriel reprend presque mot à mot une partie de la prophétie de Nathan en l’appliquant à l’enfant qui doit naître de la Vierge Marie : « Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin ». Ce que Nathan avait dit à David 10 siècles auparavant va s’accomplir en Marie de manière spirituelle. Le Messie sera bien Roi, mais un Roi divin. « Il te fera lui-même une maison… » Cette maison promise par Dieu à David pour sa descendance, c’est la Vierge Marie elle-même. Les litanies de la Vierge Marie ne lui donnent-elles pas ces titres éloquents : Tour de David, Arche de la Nouvelle Alliance ?
Il est utile pour nous de comparer l’attitude de Marie et celle de David. Le roi, bien que généreux et pieux, propose à Dieu ses plans… Dans le récit de l’Annonciation, c’est le contraire qui se vérifie. Par l’envoi de l’ange Dieu prend l’initiative et propose à Marie son plan… Marie est invitée à faire sienne la volonté de Dieu même si cette volonté la surprend et la bouleverse, même si elle ne comprend pas tout des paroles mystérieuses de Gabriel. Marie peut devenir le temple de Dieu, le sanctuaire du Fils de Dieu, parce qu’elle dit « oui » à la volonté de Dieu : « Voici la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ta parole ». Et Luc reprend une expression de l’Ancien Testament, utilisée à propos de la gloire de Dieu investissant le temple de Jérusalem, pour l’appliquer à la jeune fille de Nazareth : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ». Chrétiens, nous avons nos cathédrales et nos églises, mais n’oublions jamais la grande leçon de cette liturgie. C’est en répondant « oui » à l’appel et à la volonté de Dieu sur nous que nous lui construisons les temples qu’Il désire… Ou plutôt que nous nous laissons édifier par l’Esprit-Saint en temples spirituels. Comme Marie nous pouvons donner au monde la présence du Dieu Sauveur, l’Emmanuel. Lui qui préfère habiter les tentes nomades de nos corps de chair que les temples sédentaires faits de pierres… Ce n’est pas pour rien que saint Jean dans son prologue, en parlant du mystère que nous allons célébrer à Noël, écrit littéralement : « Et le Verbe s’est fait chair et il a planté sa tente parmi nous ». Amen.

dimanche 14 décembre 2008

3ème dimanche de l'Avent

3ème dimanche de l’Avent / B
14/12/08
Jean 1, 6-8 + 19-28 (p. 109)
En ce troisième dimanche de l’Avent nous poursuivons notre chemin vers Noël avec Jean le Baptiste comme guide. Dans l’Evangile Jean nous est présenté pas seulement comme un prophète mais aussi comme un témoin. Jean est le dernier et le plus grand de tous les prophètes. Il est le premier témoin de Jésus. Sa mission consiste à amener le peuple Juif à la foi en Jésus qui vient. Le Messie va se manifester et Jean est là pour que tous puissent croire par lui, à travers son témoignage. Dans le projet de Dieu un témoin est donc une personne par laquelle d’autres sont attirées à Jésus. Le témoin, c’est celui par qui l’incroyant ou celui qui doute met enfin sa foi en Jésus. Comment Jean témoigne-t-il de Jésus ? Par sa parole, par ses actes et enfin par son humilité. Le pape Paul VI disait que notre époque moderne a davantage besoin de témoins que de professeurs. Tout simplement parce que le témoin enseigne non seulement par ses paroles mais par toute sa vie. C’est là que se trouve la force du témoignage chrétien. Le témoin ne donne pas la foi, il n’en a pas le pouvoir. Sa force est ailleurs : il peut par sa vie et sa personne attirer au Christ ses frères les hommes. Un vrai témoin est forcément humble, c’est-à-dire fidèle à la vérité. Lorsque Jean est interrogé sur son identité, il répond en vérité. Il ne se met pas à la place de Jésus. Il dit tout simplement : « Je ne suis pas le Messie. » Combien de faux docteurs, de fondateurs de sectes se réclamant du christianisme se sont pris pour des sauveurs ? Et ont par conséquent fondé leur « église » non plus autour de la personne du Christ mais autour de leur propre personne… Jean, le premier témoin de Jésus, est profondément humble. Et cette humilité du témoin nous renvoie aussi à l’humilité même de Dieu…
Interrogé sur son identité, Jean répond en se référant au prophète Isaïe : « Je suis la voix qui crie à travers le désert : Aplanissez le chemin du Seigneur ». Saint Augustin remarquait avec justesse que si Jean est la voix, Jésus est la Parole. Et c’est ce qui est affirmé dans le magnifique prologue de l’Evangile selon saint Jean : Le Verbe (la Parole de Dieu) s’est fait chair et il a habité parmi nous. C’est ce que nous fêterons à Noël. La Parole de Dieu se fait nouveau-né dans la paille de la crèche sous le regard émerveillé de Marie et de Joseph. Désormais Dieu ne nous parle plus du haut du ciel, mais de l’intérieur, à partir de notre condition humaine. Dieu a toujours été proche de l’homme. Mais à partir du moment où sa Parole épouse notre humanité en Jésus, Dieu devient en quelque sorte intérieur à chacun d’entre nous, plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes… Tout ce mouvement de Dieu vers nous est bien résumé par le commencement de la lettre aux Hébreux : « Dieu dans le passé avait parlé à nos pères à bien des reprises et de bien des façons par les prophètes, mais en ces jours qui sont les derniers, il nous a parlé par le Fils », c’est-à-dire par Jésus, né de Marie. Lorsque Jean commence sa mission en baptisant les Juifs dans les eaux du Jourdain, Jésus est déjà là, Jésus est sur le point de se manifester au peuple, lui la Parole de Dieu ! Pourquoi donc Dieu aurait-il besoin d’un homme comme Jean pour présenter son Fils au peuple ? Telle est la question que nous pouvons nous poser. Jésus n’aurait-il pas pu se présenter lui-même, sans intermédiaire ? Pourquoi Dieu a-t-il encore besoin de la voix de Jean alors que sa Parole est présente en Jésus ? Parce que Dieu, lui aussi, est humble. Parce que volontairement, par amour, Dieu veut avoir besoin de nous, pauvres témoins humains. Parce que Dieu respecte infiniment notre liberté et qu’il ne veut pas s’imposer à nous par une manifestation directe et éclatante. Dieu notre Père nous parle par son Fils de manière définitive. Il n’y aura rien à ajouter à la révélation du Christ, et ceux qui y ajouteront quelque chose ou qui la transformeront seront des imposteurs, des menteurs. Mais comme Jésus, aujourd’hui encore, bien après Jean, demeure au milieu de notre humanité comme le grand inconnu ou méconnu, « celui que vous ne connaissez pas », Dieu a encore besoin de la voix de son Eglise, de la voix des pauvres témoins que nous sommes… Ce n’est pas pour rien que Jésus lui-même a voulu et fondé son Eglise en appelant à lui 12 hommes, les apôtres, pour qu’ils soient justement sa voix dans le monde. Le concile Vatican II a bien rappelé que l’Eglise et sa hiérarchie (le pape et les évêques) n’était en aucun cas au-dessus de la Parole de Dieu. L’Eglise est au contraire la servante de la Parole de Dieu. Faute de quoi elle ne serait plus témoin de l’unique Sauveur, Jésus-Christ. De Jean, le premier témoin du Christ, au chrétien de ce temps, c’est un même et unique témoignage rendu au Christ qu’il nous est donné de recevoir et de transmettre. Baptisés et confirmés nous sommes donc envoyés comme témoins dans un monde qui, en grande partie, ignore la présence du Sauveur. A la suite de Jean, nous sommes cette voix qui crie à travers le désert… Le fait que le désert soit le lieu de notre témoignage ne doit pas nous décourager : l’Esprit du Seigneur est à l’œuvre dans les cœurs !

mardi 9 décembre 2008

Deuxième dimanche de l'Avent

Deuxième dimanche de l’Avent / B
7/12/08
Marc 1, 1-8 (p. 60)
En ce deuxième dimanche de l’Avent l’Eglise nous donne comme guide dans notre marche à la rencontre du Seigneur Jean-Baptiste. Jean est à la fois le dernier des prophètes et l’un des plus grands témoins du Christ. Il se tient à la frontière qui marque le passage de la première Alliance à la nouvelle Alliance dans le Christ. Et le lieu qu’il choisit pour accomplir sa mission de précurseur, c’est le désert. Jésus lui-même, après son baptême par Jean, suivra le même chemin sous l’impulsion de l’Esprit : il ira au désert avant de commencer sa mission de Sauveur. Il y restera 40 jours. Ce choix de Jean d’aller prêcher dans le désert peut nous sembler bien bizarre. Bien sûr il accomplit ainsi la prophétie d’Isaïe, c’est notre première lecture. Mais si Jean veut proclamer un baptême de conversion pour le pardon des péchés, pourquoi aller dans le désert et non pas là où les hommes habitent ? Peut-être parce que Jean veut se préparer intérieurement à sa grande mission. Et que le désert dans toute la Bible est à la fois le lieu de la rencontre avec Dieu et le lieu de la mise à l’épreuve. Ce choix de Jean nous dit toute l’importance des préparations, et l’importance dans notre vie des temps de silence, de méditation et de prière. Jésus s’est préparé pendant 30 ans à Nazareth et il y a ajouté une retraite de 40 jours au désert… Dans nos vies chrétiennes, et c’est valable autant pour les laïcs que pour les prêtres, un temps de retraite spirituelle annuelle n’est pas une option ou un luxe, mais bien une nécessité vitale. Au moins 3 jours par an consacrés uniquement à nourrir et à approfondir notre relation avec le Seigneur au désert… Ce ne serait déjà pas si mal ! Or que voyons-nous dans notre Evangile ? Un phénomène bien étonnant ! Jean, dans son désert, attire à lui les foules. Le bouche à oreille devait être très efficace en ces temps où ni la radio ni les journaux ni la télé ne donnaient les nouvelles… Jean est porteur d’une Bonne Nouvelle pour les pécheurs et les attire à lui dans ce lieu reculé. Aujourd’hui, en 2008, tous les responsables de l’accueil dans les communautés religieuses disent qu’ils sont parfois débordés par les demandes de personnes voulant se retirer au désert pour faire le point ou pour un séjour spirituel… A la suite de Jean, les moines et les moniales vivent ce paradoxe : ils se sont retirés au désert, dans des lieux solitaires, et pourtant ils attirent à eux les foules…
La grandeur de Jean nous est rendue évidente si nous réfléchissons un peu à cette situation. C’est pour lui un succès énorme, toutes ces personnes qui viennent se faire baptiser en masse dans les eaux du Jourdain et qui acceptent d’entendre sa prédication. Une prédication qui était à l’image de sa nourriture : à la fois douce comme le miel et amère comme les sauterelles. Jean est un prédicateur qui peut nous paraître austère, sévère. Eh bien, ce succès ne lui monte pas à la tête ! Jean est grand parce que justement il est humble. A aucun moment il ne se détourne de la vérité de sa mission. Il n’est pas là dans le désert en train d’organiser un show pour impressionner les foules venues à lui et se faire une carrière de prédicateur célèbre. Non, il n’est là que pour préparer le chemin au Christ. Il est là pour parler au cœur de Jérusalem. Il n’a pas d’autre but que celui-ci : que ces foules puissent aller à la rencontre du Seigneur et trouver auprès de Lui la consolation qui vient de Dieu. En ce sens Jean est l’image du parfait témoin du Christ.
« Voici venir derrière moi celui qui est plus puissant que moi… Moi, je vous ai baptisé dans l’eau ; lui vous baptisera dans l’Esprit Saint. » Le dernier des prophètes ne manipule pas les foules, il n’utilise pas son succès pour les tromper. Il est vraiment cet indicateur de la vérité. Envoyé par Dieu pour préparer les chemins de son Fils, il indique celui qui vient, le plus puissant, le plus fort que lui. Totalement saisi par la grandeur du Messie et le caractère unique de sa mission, il sait qu’il doit diminuer pour que le Christ grandisse dans les cœurs de ces personnes en attente de salut et de réconciliation. Son baptême dans l’eau n’est pas un sacrement, seulement un rite par lequel les Juifs de bonne volonté signifient leur volonté de conversion. C’est le plus puissant, celui qui vient, qui seul, peut baptiser dans l’Esprit. Ce qui signifie plus clairement que ce que l’homme Jean ne peut donner, l’homme Jésus parce qu’il est Fils de Dieu le donnera. Jean ne peut qu’appeler à la conversion. Mais le Christ, par le don de l’Esprit, est capable d’opérer cette conversion dans les cœurs. Seul Dieu peut en définitive convertir notre cœur de pierre en un cœur de chair, c’est-à-dire en un cœur aimé, réconcilié et aimant. Nous le savons bien, personne dans l’Eglise, pas même le pape, n’a ce pouvoir. A la suite de Jean, prêtres et évêques doivent être les témoins de la Bonne Nouvelle et appeler à la conversion, à l’accueil du Christ qui doit régner dans tous les cœurs. Mais c’est à chaque chrétien de se donner les moyens d’accueillir intérieurement l’Esprit Saint pour que la parole entendue puisse porter tous ses fruits. Et parmi ces moyens, il y a l’expérience de la retraite spirituelle, l’expérience du désert dans le silence et la prière. Amen.

lundi 24 novembre 2008

Le Christ Roi de l'univers

Le Christ Roi de l’univers / A
23/11/08
Matthieu 25, 31-46 (p. 1029)
La fin de notre année chrétienne est une célébration de la royauté du Christ. Cette royauté commence avec le mystère même de l’incarnation. Jésus est manifesté comme Christ, c’est-à-dire Messie, à la fois roi et prêtre, au jour de son baptême. Mais c’est par le mystère de sa mort en croix et de sa résurrection qu’il fait resplendir aux yeux de tous son pouvoir royal. La deuxième lecture comme l’Evangile nous invitent à contempler l’accomplissement de cette royauté à la fin des temps, lors du retour en gloire de Notre Seigneur et au terme de notre histoire humaine telle que nous la connaissons actuellement.
Pour Paul le pouvoir royal de Jésus est lié à la victoire de sa résurrection. Et être Roi pour Jésus c’est d’abord « détruire toutes les puissances du mal », soumettre tous ses ennemis et surtout vaincre définitivement la mort. Le pouvoir royal que Jésus reçoit de son Père en tant que Fils unique, il le met au service de toute la création, en particulier au service des hommes et des femmes créés à l’image de Dieu. Le Christ Roi a un pouvoir pour nous libérer du mal. En ce sens « Christ Roi » et « Sauveur » sont des expressions très proches. « Quand tout sera sous le pouvoir du Fils, il se mettra lui-même sous le pouvoir du Père qui lui aura tout soumis, et ainsi, Dieu sera tout en tous. » Le Christ Roi est bien ce bon berger qui nous conduit auprès du Père. Il est bien l’Alpha et l’Omega, le commencement et la fin, car c’est lui qui a pour mission de mener à son accomplissement l’histoire d’amour entre le Père et notre humanité. Pourquoi l’Alliance nouvelle et éternelle scellée dans le sang du Christ ? Pour que Dieu soit tout en tous. Pour que Dieu règne enfin dans toutes ses créatures par l’amour.
L’Evangile de Matthieu, lui aussi, nous parle de l’accomplissement du royaume lorsque le Fils de l’homme viendra dans sa gloire. Le pouvoir royal du Christ lui donne la capacité de juger les vivants et les morts. Ce jugement dernier, représenté par Michel-Ange à la chapelle Sixtine, est un jugement universel, il s’agit bien de toutes les nations. En jugeant, le Christ Roi séparera les hommes les uns des autres. Comme au commencement Dieu pour créer, pour donner la vie, « sépara la lumière des ténèbres ». L’avènement du royaume du Christ est bien une nouvelle création afin que Dieu soit tout en tous. Lorsque les justes et les maudits entendent la sentence du jugement ils ont la même réaction : ils sont surpris, étonnés par les paroles du Christ Roi. « Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu ? Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ? Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim et soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ? » Il semble bien que les justes aient accompli le bien sans avoir conscience qu’ils rencontraient ainsi le Christ. Cette scène du jugement dernier nous montre que le salut n’est pas réservé aux seuls chrétiens. Cette scène nous fait comprendre qu’au Ciel, si nous avons la grâce d’y être admis, nous aurons peut-être bien des surprises, car là « les premiers seront derniers, et les derniers seront premiers. » Le critère du jugement ici n’est pas la foi mais l’amour de charité qui nous fait mettre au service de nos frères, en particulier des plus pauvres et des plus faibles. Et si certains sont maudits c’est parce qu’ils ont vécu de manière égoïste, sans faire attention à leurs frères en humanité. C’est ce que nous nommons le péché par omission. « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » Nous qui nous réclamons du Christ nous avons la grâce de connaître la véritable nature de la charité qui va au-delà de la philanthropie ou encore de la générosité. Mais attention, la grâce ne supprime pas la nature ! Nous ne pouvons pas vivre l’amour de charité si nous n’avons pas un minimum de qualités humaines comme justement la générosité, le souci des autres, le sens du partage, la solidarité etc. Contrairement à nos frères qui n’ont pas la foi, nous, nous savons qu’aller à la rencontre de nos frères, surtout les plus fragiles, c’est faire une expérience spirituelle, une expérience de rencontre avec le Christ notre Roi. Cet Evangile nous ouvre un chemin pour vivre dès maintenant dans le Royaume de Dieu, déjà inauguré sur notre terre, terre encore soumise à bien des puissances du mal. Les gestes et les actes décrits par le Seigneur ne sont pas extraordinaires, ce sont des attitudes toutes simples d’accueil, de rencontre et de compassion. Mais ces attitudes nous coûtent toujours parce que nous sommes faibles et pécheurs, centrés d’abord sur nous-mêmes, nos intérêts et nos problèmes. Nous serions véritablement des saints si pour nous il était évident que nourrir un affamé c’est rencontrer le Christ lui-même ! En tant que baptisés et confirmés nous participons au pouvoir royal de Notre Seigneur. Non pas en faisant de beaux discours ou en nous lamentant sur la décadence de notre monde, mais en agissant pour que le mal recule et que la bonté soit manifestée ! Même si ce que nous pouvons faire nous semble une goutte d’eau dans l’océan de misère de notre monde, faisons-le de tout notre cœur dans la certitude d’être victorieux avec le Christ notre Roi et par Lui ! Amen.

lundi 17 novembre 2008

33ème dimanche du temps ordinaire

33ème dimanche du temps ordinaire / A
16/11/08
Matthieu 25, 14-30 (p. 976)
Nous voici parvenus à l’avant-dernier dimanche de notre année liturgique. Et c’est pour cela que l’Eglise offre à notre méditation un Evangile nous parlant de la venue du Christ, de son retour en gloire à la fin des temps. La parabole des talents, dont nous avons un équivalent en saint Luc avec la parabole des mines, est en effet une parabole « bilan » : elle est un appel à faire le bilan de notre vie même si notre mort peut nous paraître, pour certains d’entre nous, encore assez lointaine… En nous souvenant du message de saint Paul dans la deuxième lecture : « Le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit… Alors, ne restons pas endormis comme les autres, mais soyons vigilants et restons sobres. » La parabole des talents est un appel aussi à faire le bilan de l’année qui vient de s’écouler.
Le début de la parabole plante bien le décor : « Un homme, qui partait en voyage, appela ses serviteurs et leur confia ses biens. » Cet homme, c’est le Christ lui-même. Son « voyage » correspond bien au temps de l’Eglise, celui que nous vivons. Cette période de grâce, après le Christ, entre Noël (le premier avènement du Seigneur) et la fin des temps, sa parousie, son retour dans la gloire pour juger les vivants et les morts. Jésus est bien l’image parfaite de Dieu son Père. Dieu Notre Père, en créant le monde, est aussi parti en voyage… Ce qui signifie qu’il nous laisse libres et fait de nous des responsables à part entière de sa création. Souvenons-nous du premier chapitre de la Genèse. Dieu bénit l’homme et la femme et leur dit : « Développez-vous, multipliez-vous, remplissez la terre et dominez-la. Ayez autorité sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui vont et viennent sur la terre ! » Dieu n’est pas interventionniste, il respecte le principe de subsidiarité. Lui qui est la Cause première de tout ce qui existe, Lui le Créateur, respecte les causes secondes, c’est-à-dire l’autonomie et la liberté de ses créatures. Jésus agit de la même manière quand il part, lui aussi, en voyage. Il confie à ses serviteurs, c’est-à-dire aux chrétiens, ses biens. Les biens dont il s’agit ici ne sont plus seulement ceux de la création mais aussi ceux de la grâce, les biens spirituels : l’Eglise, la Parole de Dieu, les sacrements etc. Si Dieu n’est pas interventionniste à la manière d’un dictateur suprême et d’un surveillant général, il n’est pas non plus égalitariste… Le Seigneur Jésus confie à ses serviteurs 5 ou 2 ou 1 talent, « à chacun selon ses capacités ». Oui, le Seigneur nous fait des dons humains et spirituels en fonction de nos capacités. Autant dire qu’il n’exige pas de nous l’impossible. Il est réaliste, car Lui seul nous connaît vraiment. Le Seigneur Jésus, avant de partir en voyage (c’est une image qui nous parle du mystère de l’Ascension), nous confie et nous donne ses biens de manière très généreuse. Un talent représentait alors 30 kilos de métal précieux ou 15 ans de salaires pour un ouvrier…
« Longtemps après, leur maître revient et il leur demande des comptes. » Ce moment unique de notre histoire que nul ne connaît si ce n’est Dieu correspond soit à la fin des temps soit au jour de notre mort. Ce que nous nommons le jugement dernier et le jugement particulier. Les deux premiers serviteurs se sont montrés « bons et fidèles » dans la gestion de leurs talents. Ils ont compris que Jésus leur avait vraiment fait un don en leur faisant confiance. Ces talents reçus venaient bien de Dieu, mais ils étaient aussi à eux. Ils ne les ont pas gérés comme un bien étranger mais comme leur bien propre. Et la récompense du Maître nous empêche d’avoir une lecture capitaliste ou financière de cette parabole : « Entre dans la joie de ton Maître. » Si l’image est financière, la réalité est bien spirituelle. Ceux d’entre nous qui auront vécu leur vie selon l’Evangile et en portant beaucoup de fruits dans l’Esprit connaitront la joie indicible d’une parfaite communion avec le Christ. Quant au serviteur « mauvais et paresseux », celui qui justement va être séparé à jamais du Christ, il constitue pour nous une mise en garde solennelle. Pourquoi donc a-t-il échoué dans sa vie chrétienne ? Tout d’abord parce qu’il s’était fait une fausse image de Dieu : « Je savais que tu es un homme dur. » Au lieu de voir en Jésus l’amour et la miséricorde du Père, il n’a vu en lui qu’un juge sévère et exigeant. Et la conséquence de cette fausse vision a été pour lui la peur, cette peur qui paralyse, cette peur qui rend stérile et infécond. Et voilà ce serviteur, se présentant à son Maître, en lui disant : « Tu as ce qui t’appartient. » Il n’a pas compris que ce talent, venant de Jésus, lui était confié et donné, qu’il lui appartenait. Il l’a traité comme une chose étrangère. Il l’a enterré. Quant à nous, instruits par cette parabole, rendons grâce au Seigneur Jésus pour tous les biens humains et spirituels dont il nous a comblés. Et ne gâchons pas notre vie en passant à côté de la fécondité et de la puissance de l’amour de Dieu répandu en nos cœurs par le don de l’Esprit. Soyons images vivantes de Jésus pour le pauvre et le malheureux. N’ayons pas peur de nous donner dans la joie à la suite du Christ notre Seigneur !

mardi 11 novembre 2008

Dédicace de la basilique saint Jean de Latran

Dédicace de la Basilique du Latran
9 novembre 08
Jean 2, 13-22 (p.1316)
Nous fêtons donc aujourd’hui la dédicace de la Basilique saint Jean de Latran à Rome. C’est une majestueuse façade baroque du 18ème siècle qui accueille le pèlerin et le touriste venant à saint Jean de Latran. Sur cette façade nous trouvons en latin l’inscription suivante : « Mère et tête de toutes les églises de la ville et du monde », inscription qui souligne l’importance historique et la dignité de cette basilique romaine. Si la basilique saint Pierre est bien plus connue et visitée, n’oublions pas que c’est saint Jean de Latran qui est la cathédrale de l’évêque de Rome, donc du pape, d’où son rang unique de première église parmi toutes les églises du monde catholique. D’ailleurs c’est au Latran que les papes ont habité à partir du 5ème siècle et ce jusqu’à leur départ pour Avignon. 5 conciles de l’Eglise se sont tenus au Latran contre deux seulement au Vatican… Si la basilique du Latran a une telle importance dans notre histoire chrétienne, c’est de par ses origines qui remontent au 4ème siècle. Constantin se convertit au christianisme et donne par l’édit de Milan la liberté de culte aux chrétiens. C’est donc la fin d’une longue période d’insécurité et de persécutions pour les disciples du Christ. C’est en 320 que Constantin fait construire la première église officielle des chrétiens de Rome au Latran. La dédicace du Latran marque donc le début de la liberté de culte et la possibilité pour le christianisme d’être non plus une religion cachée, religion des catacombes, mais une religion au grand jour. Fêter la dédicace du Latran, c’est donc fêter la liberté de culte accordée aux tous premiers chrétiens par Constantin.
Les textes de la Parole de Dieu sont d’une richesse extraordinaire. 250 ans après la destruction du temple unique de Jérusalem, Constantin édifie la première église chrétienne. Pour nous chrétiens le lieu de culte n’a pas la même signification que pour les Juifs qui avaient un temple unique à Jérusalem. Une comparaison éclairante traduit le sens profond de la fête de la dédicace : de même qu’une église est consacrée au culte de Dieu par un rite spécifique, de même le chrétien est consacré au culte de Dieu par le baptême et la confirmation. Fêter la dédicace d’une église nous renvoie toujours au mystère de notre propre consécration. Contrairement à la vision propre au judaïsme, pour nous chrétiens, ce qui est premier ce ne sont pas les lieux de culte mais bien les membres du Peuple de Dieu que nous sommes. C’est le magnifique enseignement de la première lettre de Pierre : le Christ, notre Seigneur, y est comparé à une pierre vivante « rejetée par les hommes mais précieuse pour Dieu qui l’a choisie ». Et les chrétiens sont dans le Christ autant de pierres vivantes : « Et donc vous aussi, devenus pierres vivantes, construisez-vous comme un édifice spirituel, une race sainte de prêtres, pour offrir à Dieu par Jésus Christ les sacrifices spirituels qui lui sont agréables . » L’apôtre Paul est bien dans la même ligne de pensée lorsqu’il reprend lui aussi l’image de la construction qui a pour uniques fondations le Christ Jésus : « Vous êtes le temple de Dieu, l’Esprit de Dieu habite en vous. » Et dans sa première lettre aux Corinthiens Paul ose affirmer : « Votre corps est un temple de l’Esprit Saint, qui est en vous, venu de Dieu . » Le sacré pour un chrétien ne se trouve pas d’abord dans un lieu de culte. Ce qui est sacré, c’est l’homme, créature de Dieu appelé à vivre dans l’Alliance comme un fils bien-aimé du Père. Bref le vrai temple de Dieu, c’est l’homme. La Sagesse personnifiée dans le livre des Proverbes annonçait déjà cette merveilleuse réalité : « Je joue sur ce monde, sur la terre que Dieu a faite, et mon grand plaisir, c’est d’être chez les humains. » Fêter la dédicace, c’est nous redire notre incomparable dignité de fils de Dieu. Nous sommes réellement le temple sacré de Dieu, la demeure de la Sainte Trinité. Et Paul n’hésite pas à dire : « Si quelqu’un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira. » Pensons dans la prière à tous nos frères chrétiens qui, de par le monde, sont persécutés. Et rougissons de notre peu de foi et de ferveur alors que nous avons la grâce de pratiquer librement notre religion. Fêter la dédicace du Latran nous invite à deux attitudes : solidarité tout d’abord avec les chrétiens persécutés, engagement à la suite du Concile Vatican II pour la liberté religieuse dans le monde. Et aussi attachement au siège de Pierre, sans lequel l’unité catholique se perdrait. « Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai. » Si nous sommes les temples sacrés de Dieu, c’est par notre communion au Corps du Christ, c’est parce que nous sommes membres de l’unique Corps du Christ, qui est l’Eglise. Notre dignité vient du mystère pascal. Notre vie a sa source et sa finalité dans le corps ressuscité du Seigneur duquel ne cesse de jaillir pour tous l’eau vive, signe de l’amour de Dieu notre Père. Amen.

lundi 27 octobre 2008

30ème dimanche du temps ordinaire

30ème dimanche du temps ordinaire / A
26 octobre 08
Matthieu 22, 34-40 (p. 832)
L’enseignement du Christ sur le double commandement de l’amour fait partie du cœur même de l’Evangile, de l’essentiel de notre foi chrétienne. Ce bref texte de Matthieu a son équivalent en Marc, plus développé, et en Luc, sous une forme assez différente avec la parabole du bon samaritain. Quant à Jean c’est l’évangéliste de l’amour, avec un sommet de la révélation chrétienne lorsqu’il affirme dans sa première lettre que « Dieu est Amour ».
Chez saint Matthieu tout part d’une question-piège de la part d’un pharisien docteur de la Loi : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » Chez saint Luc c’est aussi un docteur de la Loi qui pose au Seigneur une question pour l’embarrasser, question différente : « Maître, que dois-je faire pour recevoir la vie éternelle ? » Et dans la version de Luc c’est le docteur de la Loi lui-même qui cite le double commandement de l’amour… Jésus s’étant contenté de lui demander : « Que dit l’Ecriture, que vois-tu dans la Loi ? » Cette différence montre bien que le Juif qui connaissait les Ecritures et les étudiait était capable par lui-même d’en tirer la substantifique moelle. En enseignant le double commandement de l’amour, le Seigneur ne fait que tirer des Ecritures le meilleur. C’est dans ce sens là que Jean dit que ce commandement est ancien . Jésus n’invente rien, mais il vient accomplir la Loi de Moïse. Il cite en fait un verset du Deutéronome et un verset du Lévitique. En même temps ce commandement ancien est nouveau du fait qu’il trouve son accomplissement en la personne du Fils de Dieu et que chaque génération de chrétien doit le vivre en fonction de situations nouvelles et de défis nouveaux. Les chrétiens du premier siècle n’avaient pas à se poser les questions que nous nous posons dans le domaine de la bioéthique par exemple. Les commandements de Dieu ne sont pas des paroles théoriques, intemporelles, mais des paroles devant s’incarner dans l’histoire du peuple d’Israël puis dans l’histoire de l’Eglise. En fait le double commandement nous donne l’esprit du décalogue. L’amour envers Dieu correspond aux 4 premiers commandements et l’amour envers le prochain aux 6 autres. Si Jésus dit que l’amour envers Dieu et l’amour envers le prochain sont « semblables », donc intimement liés, il établit tout de même une hiérarchie entre les deux commandements. L’amour pour Dieu est le premier, le grand commandement, l’amour pour le prochain est le second. Ce qui revient à dire : « Dieu premier servi ». Aujourd’hui nous avons à insister sur le grand commandement. L’amour envers Dieu implique bien sûr de notre part le culte et la prière. Mais toute la révélation biblique nous enseigne que la liturgie peut devenir insignifiante, comme vidée de son sens, si nous ne nous y engageons pas de tout notre cœur, de toute notre âme et de tout notre esprit. Bref si nous ne sommes pas habités intérieurement par un véritable amour du Seigneur, notre participation à la liturgie restera extérieure et ne pourra pas porter tous ses fruits. C’est l’Esprit-Saint qui nous donne cette charité pour Dieu. Tous nos gestes extérieurs d’adoration et de respect doivent traduire l’affection filiale et reconnaissante qui nous lie à Dieu Notre Père. Dans les Dix commandements, c’est le 4ème qui fait la transition et l’unité entre notre amour pour le Seigneur et notre amour pour le prochain. Car lorsque le livre de l’Exode demande aux Juifs d’observer le repos du sabbat, ce n’est pas seulement pour faire mémoire du repos de Dieu Créateur. C’est aussi en vue de la justice sociale. En ce jour sacré, plus que jamais, l’égale dignité des créatures de Dieu doit resplendir : « Tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes bêtes, ni l’immigré qui réside dans ta ville. » Le repos du sabbat détruit toutes les barrières sociales entre hommes et femmes, parents et enfants, maîtres et serviteurs, juifs et immigrés. Même les animaux sont tenus au repos ce jour-là ! C’est cet héritage du 4ème commandement, dont nous venons de voir la portée sociale, qui est si dangereusement menacé dans notre société de consommation.
Quelques mots à propos du second commandement : Maurice Zundel disait avec lucidité qu’il est plus facile de croire en Dieu que de croire en l’homme… Tout simplement parce que Dieu est bon et que l’homme, lui, lutte sans cesse entre le bien et le mal. L’amour envers le prochain est difficile, c’est pour cela qu’il constitue le test de l’authenticité de notre amour pour Dieu. Saint Vincent de Paul disait à ses filles : « Ce n’est point quitter Dieu que quitter Dieu pour Dieu, c’est-à-dire une œuvre de Dieu pour en faire une autre, ou de plus grande obligation, ou de plus grand mérite. Vous quittez l’oraison ou la lecture, ou vous perdez le silence pour assister un pauvre, oh ! Sachez, mes filles, que faire tout cela, c’est servir Dieu. Car, voyez-vous, la charité est par-dessus toutes les règles… ». Amen

mardi 14 octobre 2008

28ème dimanche du temps ordinaire

28ème dimanche du temps ordinaire / A
12 octobre 08
Matthieu 22, 1-14 (p. 742)
La parabole des Noces du Royaume suit celle des vignerons assassins entendue dimanche dernier. Entre ces deux paraboles nous pouvons trouver bien des points communs. N’oublions pas que Jésus adresse ces paraboles aux chefs des prêtres et aux pharisiens. Matthieu situe cet enseignement du Christ à Jérusalem, juste après l’entrée triomphale de Jésus, avant les jours sombres de sa Passion. Ces deux paraboles résument toute l’histoire de notre salut, une histoire dramatique. Ici aussi Dieu envoie ses serviteurs pour inviter son peuple aux noces de son Fils. Et c’est une fois de plus le refus, l’indifférence et même la violence de la part des invités : « les autres empoignèrent les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent. » Survient alors la colère de Dieu comme dans la parabole des vignerons assassins : « il envoya ses troupes, fit périr les meurtriers et brûla leur ville. » Nous ne devons pas prendre au pied de la lettre cette colère divine mais bien comprendre qu’elle exprime « le ras le bol » de Dieu par rapport à ses enfants ingrats et indifférents, un peu à la manière du déluge dans l’Ancien Testament. La coupe est trop pleine… Ce qui provoqua le déluge autrefois c’était la grande méchanceté de l’homme : « dans son cœur il n’y avait de place que pour le mal », nous dit le texte de la Genèse.
Dans la première partie de notre parabole, illustration en fait de l’histoire du peuple Juif, les invités ne veulent pas venir aux Noces. Ces élus de Dieu sont soit violents, nous l’avons vu, soit indifférents. Leur indifférence à l’invitation de Dieu nous touche personnellement. Ici ce n’est plus seulement l’histoire du refus du peuple Juif mais bien notre histoire personnelle avec ses hauts et ses bas qui est comme représentée. Dans la version de Luc le pourquoi de cette indifférence est davantage développé : « Mais tous, comme un seul homme, commencèrent à s’excuser. Le premier lui fait dire : J’ai acheté un champ, il faut absolument que j’aille le voir. Tu voudras bien m’excuser. Un autre dit : J’ai acheté cinq paires de bœufs et je pars les essayer. Tu voudras bien m’excuser. Un autre encore dit : Je viens de me marier, c’est pourquoi je ne viens pas. » Nous avons tous fait l’expérience d’une grande déception et d’une grande amertume lorsque des amis nous posent des « lapins », des rendez-vous manqués, pour des raisons bien souvent arrangées… Que de fois nous nous donnons de bonnes excuses pour ne pas vivre au temps de Dieu ! Que de fois notre vie spirituelle ressemble à une série de rendez-vous manqués ! Cette parabole est une profonde méditation sur le rapport entre notre vie matérielle, avec toutes ses contingences, et notre vie spirituelle, avec toutes ses exigences. Le danger pour nous est de séparer ces deux sphères de notre vie : d’un côté l’humain, de l’autre le chrétien. Or si la part humaine de notre vie n’est pas assumée par la foi, l’espérance et la charité, nous risquons bien de ne jamais répondre à l’appel de Dieu. La vraie liberté chrétienne consiste justement à ne pas se laisser accaparer et dominer par les contingences matérielles, mais à subordonner tout cela à notre relation à Dieu. Et le temps reste un bon test pour notre générosité. Si nous manquons les rendez-vous de Dieu, c’est que, sous prétexte de manquer de temps, nous sommes en fait avares de notre temps. Nous ne donnons au Seigneur que quelques restes… Nous ne sommes pas choqués, par exemple, d’arriver en retard à la messe, de partir avant la fin… Alors que nous savons très bien arriver à l’heure pour prendre notre train ou notre avion ! Un père jésuite fait remarquer avec justesse que nous sommes à la fois invités et épousés : « Quand nous disons ‘épousés’, nous insistons sur le fait que Dieu, dans le Fils, vient faire sienne notre chair ; quand nous disons ‘invités’, nous soulignons que cela ne se produit pas sans l’assentiment de notre liberté. Il y faut, de notre part, un déplacement qui réponde au « déplacement » que Dieu lui-même accomplit pour venir se joindre à nous. » L’invitation de Dieu aux Noces de son Fils nous oblige donc à nous déplacer, c’est-à-dire à nous décentrer de nous-mêmes et de notre temps égoïste, pour entrer dans la réalité du Royaume. L’invitation de Dieu nous dérange forcément car nous sommes pécheurs.
La seconde partie de notre parabole illustre le passage du Peuple Juif aux Nations païennes. Face au refus des élus, Dieu invite les bons comme les mauvais à entrer dans la salle des Noces. Mais voilà qu’un homme ne portant pas le vêtement de noce est exclu du banquet de la fin des temps… Pour Saint Augustin, à la suite de Saint Paul, ce vêtement de noce représente la charité chrétienne. Car nous pouvons être baptisés, avoir la foi, et cependant être comptés parmi les mauvais… La charité, n’est-ce pas d’abord penser à Dieu et aux autres ? Donc sortir de son intérêt immédiat et personnel ? N’est-ce pas par manque de charité que les premiers invités ont préféré leur champ et leur commerce à l’appel du Seigneur ? Que l’Esprit-Saint nous donne de vivre selon le temps de Dieu ! Amen

lundi 6 octobre 2008

27ème dimanche du temps ordinaire

27ème dimanche du TO / A
5 octobre 2008
Matthieu 21, 33-43 (p. 694)
Depuis quelques semaines le Seigneur utilise chaque dimanche l’image de la vigne pour nous parler du Royaume des cieux : la parabole des ouvriers employés à la vigne, la parabole des deux fils et aujourd’hui celle des vignerons assassins. La liturgie de la Parole fait résonner à nos oreilles la merveilleuse symphonie des Ecritures. Nous contemplons ce rapport entre l’Ancien Testament (Isaïe et le psaume) et le Nouveau. Jésus reprend l’image d’Isaïe tout en la modifiant. C’est pour cette raison que nous devons d’abord bien comprendre le message du prophète.
Dans notre première lecture Dieu est l’ami. Un ami qui aime et soigne sa vigne. Et quand on aime on ne compte pas… « Pouvais-je faire pour ma vigne plus que je n’ai fait ? » Au plus nous aimons quelqu’un, au plus nous attendons de lui beaucoup… Isaïe insiste sur cette attente amoureuse de Dieu vis-à-vis du plan qu’il chérissait. Et voilà que cette attente a été terriblement déçue. La maison d’Israël, les habitants de Juda, ont donné de mauvais raisins… Nous savons humainement parlant ce que c’est que d’être déçu par un être aimé. Eh bien c’est ce sentiment qui est comme transposé au niveau du cœur de Dieu. Ce peuple qu’il aime tant ne lui rend qu’ingratitude et indifférence.
Des siècles après Isaïe, Jésus reprend donc l’image de la vigne en s’adressant aux chefs des prêtres et aux pharisiens. La parabole des vignerons assassins a cependant son originalité. Il ne nous est pas dit que les raisins soient mauvais. Ce sont les vignerons qui sont mauvais. Et cette image de la vigne et des vignerons permet au Seigneur de nous raconter toute l’histoire du salut, une histoire dramatique à bien des égards. Le propriétaire du domaine, le Créateur, donne sa vigne en fermage à des vignerons et part en voyage. Belle image pour signifier que Dieu nous confie sa création et désire que nous exercions pleinement notre responsabilité de gérants. Oui, il part en voyage, car il n’est pas là derrière nous en doublon pour surveiller tout ce que nous faisons ou encore pour nous diriger comme si nous n’étions pas libres. Quand Dieu confie à l’homme sa création, il lui fait totalement confiance. Et c’est avec sa liberté et son intelligence que l’homme doit cultiver cette vigne de telle sorte qu’elle donne beaucoup de beaux fruits. Et voilà que le moment de la vendange arrive… Le Père envoie ses serviteurs. Nous pouvons penser à tous les prophètes de l’Ancienne Alliance. Les vignerons les accueillent fort mal, vont même jusqu’à les tuer. Car ils ne veulent pas rendre le produit de la vigne au maître du domaine. Ils oublient que la vigne leur a été donnée et confiée par Dieu. Ils veulent se l’accaparer de manière ingrate et injuste. Ils ne veulent pas dire merci au Créateur pour son don merveilleux. Mais le maître du domaine ne se décourage pas et envoie d’autres serviteurs plus nombreux que les premiers… Rien n’y fait, les vignerons ont endurci leur cœur et s’enferment dans leur cupidité. « Finalement, il leur envoya son fils, en se disant : ‘ils respecteront mon fils.’ » Et les vignerons ne se laissent pas davantage fléchir : ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent. Jésus, c’est évident, parle de lui-même, et annonce sa Passion désormais toute proche. Oui, il mourra en dehors de la Ville Sainte, sur le mont Golgotha, hors de la vigne. Et les vignerons ce sont bien les chefs des prêtres et les pharisiens auxquels il adresse cet enseignement. Ce qui est dit ici de l’histoire du salut par une parabole, l’auteur de la lettre aux Hébreux le résume lui aussi de manière magnifique : « Dieu dans le passé avait parlé à nos pères à bien des reprises et de bien des façons par les prophètes, mais en ces jours qui sont les derniers, il nous a parlé par le Fils. C’est par lui que Dieu a disposé les temps de la création , et c’est lui que Dieu a fait le destinataire de toutes choses. » Mais l’amour n’est pas aimé, la Parole n’est pas accueillie, et c’est ce qui rend l’histoire de notre salut dramatique et violente. Le texte liturgique ne nous donne pas la conclusion de la parabole. La voici : « Les chefs des prêtres et les pharisiens écoutaient ces paraboles, et ils comprirent que Jésus parlait pour eux. Ils auraient voulu s’emparer de lui, mais ils craignaient la foule qui voyait en Jésus un prophète. »
Membres de l’Eglise, nous sommes ces nouveaux vignerons à qui le Père a confié son Royaume. Nous devons produire du fruit en abondance. Chrétiens, nous aussi, nous pouvons être tentés de la même manière que les élites religieuse d’Israël autrefois. Tentés de garder le trésor de la foi pour nous. Tentés de nous faire les propriétaires et les maîtres de l’Eglise-nouvelle vigne. Nous pouvons être, nous aussi, des ingrats et des injustes. Il n’y a pas pire péché que l’endurcissement du cœur. Alors de toute notre cœur accueillons Jésus Vivant et sa Parole pour changer de vie et de mentalité avant qu’il ne soit trop tard… Amen

lundi 29 septembre 2008

26ème dimanche du temps ordinaire

26ème dimanche du TO / A
28/09/08
Matthieu 21, 28-32 (p. 643)
La petite parabole des deux fils est simple à comprendre. L’homme, maître du domaine, c’est Dieu notre Père. La vigne peut représenter aussi bien toute la création que l’Eglise. Les deux fils sont l’image des membres de l’Eglise. Le travail dans la vigne c’est l’apostolat : le témoignage que les chrétiens doivent rendre au Christ Jésus dans le monde. La morale de cette parabole est très claire : nous ne serons pas jugés sur nos paroles ou sur nos intentions mais bien sur nos actes. Cet enseignement ne fait que reprendre ce que Jésus avait déjà dit quelques chapitres plus haut dans le même Evangile selon saint Matthieu : « Il ne suffira pas de me dire : ‘Seigneur ! Seigneur !’ pour entrer dans le Royaume des Cieux : entrera celui qui fait la volonté de mon Père des cieux . » La question de Jésus à la fin de la parabole montre bien que nous sommes dans la même thématique, celle d’accomplir la volonté du Père : « Lequel des deux a fait la volonté du Père ? » De manière évidente dans le contexte de notre parabole les deux fils représentent deux groupes de croyants : d’un côté l’élite religieuse du judaïsme (chefs des prêtres et anciens), de l’autre des personnes très mal vues (les publicains et les prostituées). Mais rien ne nous empêche de comprendre que ces deux fils peuvent coexister en chacun de nous tout au long de notre existence : des fois nous ressemblons au premier, d’autres fois nous agissons comme le second.
La difficulté de notre Evangile vient d’ailleurs. Car si la parabole insiste sur l’action, la suite parle de foi… C’est bien un reproche que Jésus adresse aux chefs des prêtres et aux anciens : « Vous n’avez pas cru à sa parole… ». Tandis que les publicains et les prostituées y ont cru… Notre Seigneur nous donne donc cette parabole pour dénoncer le manque de foi des élites religieuses d’Israël vis-à-vis de Jean Baptiste. Ils ne leur reproche pas de ne pas avoir agi, mais bien de ne pas avoir cru. A travers cette difficulté apparente nous pourrions retrouver le grand débat théologique à propos de la foi et des œuvres. Paul insistant davantage sur la foi, Jacques sur les œuvres, c’est-à-dire sur l’agir chrétien et la vie morale. Dans ce contexte le message de notre Evangile pourrait être le suivant : faire la volonté du Père c’est à la fois croire et agir. Ces deux réalités de notre vie chrétienne ne devraient pas être opposées ni même séparées. Une belle formule de Paul les unit dans sa lettre aux Galates : « Seule vaut la foi qui agit grâce à l’amour. »
Enfin la fine pointe de notre parabole est probablement ailleurs que dans ce débat théologique sur la foi et les œuvres. Jésus ne reproche pas seulement aux élites religieuses leur manque de foi. Ce qu’il dénonce c’est surtout leur immobilisme, leur incapacité de se remettre en question au contact de la prédication de Jean le Baptiste : « Mais vous, même après avoir vu cela, vous ne vous êtes pas repentis pour croire à sa parole. » Les publicains et les prostituées ont été capables de changement, de conversion. Comme le premier fils de notre parabole qui, après avoir dit « non », va tout de même travailler dans la vigne de son Père. Pourquoi ? Parce qu’il s’est repenti. Il a réfléchi sur son « non » et l’a regretté.
Alors notre parabole nous rappelle la primauté de nos actes sur nos paroles. Mais surtout que, comme les deux fils, nous pouvons changer pour le meilleur ou pour le pire. Nous avons le choix entre l’endurcissement de notre cœur ou bien, au contraire, l’ouverture de notre cœur à la présence et à l’action de Dieu dans nos vies.
Amen

lundi 22 septembre 2008

25ème dimanche du temps ordinaire

25ème dimanche du temps ordinaire / A
21/09/08
Matthieu 20, 1-16 (p.598)
L’évangéliste Matthieu a comme encadré la parabole des ouvriers employés à la vigne par un refrain. Nous avons le refrain final dans le texte liturgique : « Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. » Mais il nous manque celui qui précède la parabole : « Beaucoup qui sont parmi les premiers seront derniers, et d’autres qui sont derniers seront premiers » (19, 30). Cette insistance n’est pas le fait du hasard et elle nous aide vraiment à entrer dans le sens profond de la parabole. Cette parabole fait partie de celles qui choquent notre bon sens humain, d’où la première lecture dans laquelle il nous est rappelé que les pensées de Dieu sont différentes des nôtres…
Spontanément nous nous retrouvons dans le groupe des « premiers » et nous faisons nôtres leurs récriminations contre le maître de la vigne : « Ces derniers venus n’ont fait qu’une heure, et tu les traites comme nous, qui avons enduré le poids du jour et de la chaleur ! » Nous avons notre sens de la justice et de l’injustice. Et nous avons raison, en tant que chrétiens, de nous révolter face à l’injustice. Dans notre parabole non seulement un même salaire est attribué à ceux qui n’ont presque rien fait et à ceux qui ont travaillé toute la journée, mais en plus le paiement du salaire commence par les derniers venus ! La réponse du maître, c’est-à-dire de Dieu, ne se situe pas sur ce registre de la simple justice humaine mais le dépasse. Tout d’abord Dieu remet les pendules à l’heure : « N’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon bien ? » Dieu est souverainement libre. Et tout ce que nous sommes, tout ce que nous avons, vient de Lui d’une manière directe ou indirecte. Nous sommes ses créatures. Nous lui devons notre vie et notre existence. C’est là le don fondamental qui nous est fait gratuitement. Qu’avons-nous fait pour naître ? Quel travail avons-nous fourni pour mériter de venir au monde ? Nous arrivons dans ce monde les mains vides et sans mérites. Cette logique de la création nous la retrouvons dans l’ordre du salut, celui du Royaume des cieux. Ce Royaume n’est pas celui du mérite mais bien celui de la grâce. Nous n’avons pas à tirer de cette vérité de foi de fausses conclusions encourageant la paresse et le laisser-aller. Car si nous lisons attentivement la parabole, nous constatons que le maître adresse un reproche aux hommes qu’il rencontre à cinq heures : « Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ? » Il n’est pas question pour le maître d’encourager l’oisiveté.
« Vas-tu regarder avec un œil mauvais parce que moi, je suis bon ? » Au-dessus de la simple justice humaine Dieu place sa bonté de Père. Cette bonté qui est toujours générosité, abondance de biens dans la création comme dans le salut en Jésus. La jalousie des premiers ouvriers refuse cette bonté de Dieu au nom d’une conception humaine de la justice. C’est une histoire bien connue dans les familles : mon frère a eu ça, je ne l’ai pas eu… donc c’est la preuve que papa et maman m’aiment moins que lui ! Dieu aime autant les premiers ouvriers que les derniers. Simplement l’erreur des premiers ouvriers est de situer la récompense uniquement au niveau d’un bien, du salaire. Alors que la vraie récompense pour les premiers comme pour les derniers c’est d’avoir été embauché dans la vigne. La vraie récompense pour le chrétien, ce ne sont pas d’abord les biens donnés par Dieu, mais Dieu lui-même. La vraie récompense c’est la joie d’appartenir au Royaume des cieux et d’y apporter notre grande ou petite contribution. Si Dieu donne gratuitement, nous sommes appelés, nous aussi, à travailler gratuitement dans sa vigne et pour son Royaume… « Sans attendre d’autre récompense que celle de savoir que nous faisons votre sainte volonté », comme le chantent les scouts.
Nous aurions tout intérêt à méditer cette parabole en lien avec la parabole du fils prodigue chez saint Luc. Souvenez-vous de la récrimination du fils aîné qui ressemble étrangement à celle des premiers ouvriers : « Voilà tant d’années que je te sers sans avoir jamais désobéi à un seul de tes ordres, et à moi tu ne m’as jamais donné un chevreau pour faire la fête avec mes amis. Mais lorsque revient ton fils que voilà, celui qui a mangé toute ta fortune avec des prostituées, tu fais tuer pour lui le veau gras ! » La réponse du père est magnifique : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi et tout ce qui est à moi est à toi. » En nous donnant la parabole des ouvriers employés à la vigne, Notre Seigneur n’a pas l’intention de définir les règles de l’entreprise ou du marché du travail ! Il veut nous parler du type de relation que nous devons entretenir avec Dieu notre Père. Il s’agit bien d’une parabole du Royaume des cieux qui emprunte au monde du travail une image. Notre religion est tout sauf une religion du troc avec Dieu. Nous ne devrions pas aimer Dieu par intérêt, pour avoir un bien. Nous l’aimons par reconnaissance parce qu’il nous donne la vie et nous embauche dans sa vigne sans aucun mérite préalable de notre part. Nous l’aimons parce qu’en lui tout est aimable, parce qu’il est un Père plein de bonté pour tous ses enfants, les derniers comme les premiers ! Amen.

mercredi 17 septembre 2008

LA CROIX GLORIEUSE

LA CROIX GLORIEUSE
14 septembre 2008
Jean 3, 13-17 (p. 1217)
En 326 Sainte Hélène, la mère de l’empereur Constantin, fit un pèlerinage à Jérusalem pour y retrouver les reliques de la croix du Christ. Suite à ce pèlerinage et à la découverte des reliques, Constantin fait édifier sur le Golgotha une basilique consacrée sous le nom de l’Anastasie, qui signifie en grec résurrection. Voilà l’origine historique de la fête liturgique que nous célébrons en ce dimanche : la Croix glorieuse.
L’expression « Croix glorieuse » est paradoxale, j’y reviendrai. Pour mieux nous approcher de ce mystère, nous devons dans un premier temps le contempler dans le mystère même du Christ et de son incarnation. Et c’est la liturgie qui nous indique cette voie en proposant à notre méditation le magnifique passage de l’apôtre Paul aux Philippiens. Le Verbe éternel de Dieu, la Parole du Père, à un moment donné de notre histoire, s’incarne. C’est le mystère vertigineux de Noël : Dieu en son Fils unique se fait l’un de nous. Et Paul traduit cette incarnation par des images : dépouillement, abaissement. Dans l’imaginaire biblique Dieu est situé au Ciel, en haut. Il est logique alors de comprendre l’incarnation comme une descente, un abaissement. Mais l’apôtre est un grand théologien. Il nous montre que cet abaissement n’est pas d’ordre physique, dans l’espace, mais qu’il touche à l’être même du Fils de Dieu. Jésus, tout en étant le Fils de Dieu, renonce en quelque sorte à son rang divin pour adopter la condition de serviteur. En épousant notre condition humaine, Jésus l’épouse jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à l’expérience de la mort, et de la mort sur une croix. C’est ainsi que Jésus a accompli la volonté de son Père : sauver l’humanité abimée par le péché et par le mal, réconcilier les hommes avec Dieu et entre eux. Et à ce mouvement descendant Paul fait correspondre un mouvement ascendant : en passant par le supplice de la Croix et par la mort, le Fils bien aimé est exalté, élevé au plus haut des cieux. C’est ce que nous fêtons à Pâques et à l’Ascension. Et c’est le début de notre Evangile : « Nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme. » Mais pourquoi tout cela ? Pourquoi la Croix glorieuse ? « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle. »
Je voudrais revenir un instant sur le paradoxe de l’expression « Croix glorieuse ». Paul, encore lui, l’a bien mis en lumière en annonçant aux Corinthiens « un Messie crucifié », scandale pour les Juifs et folie pour les païens. La manière par laquelle Dieu a voulu se révéler pleinement à nous et nous ouvrir les portes de la vie éternelle n’est pas rationnelle, donc totalement imprévisible. Dans le mystère de son amour, Dieu notre Père dépasse les limites de notre raison et surtout remet en cause l’image de Dieu et des divinités forgée dans l’esprit des hommes pendant des siècles. Oui, « les folies de Dieu ont plus de sagesse que les hommes, et la faiblesse de Dieu est plus forte que les humains. » Croix glorieuse… Paradoxe d’un Dieu tout puissant qui consent à l’extrême faiblesse et qui prend la place du juste condamné ! Un père jésuite affirme à propos du mystère de la Croix glorieuse : « C’est comme si nous disions ‘joyeux échafaud’ ou ‘heureuse guillotine’. La croix, c’est hideux, sale, répugnant. Et pourtant celle du Christ est glorieuse par l’amour qui l’a conduit à vouloir partager notre plus grande détresse, à prendre place parmi ceux que nous punissons, persécutons, éliminons de la communauté des hommes. Beaucoup d’entre nous réclament la vengeance, or toutes nos vengeances s’exercent finalement contre Dieu ; elles sont crucifixion de l’amour. Mais l’amour, Dieu, resurgit là où on l’attendait le moins et le fait que Jésus accepte la croix que nous lui dressons est l’acte d’amour indépassable, plus fort que la mort qu’il accueille. »
Contempler la Croix glorieuse c’est à la fois reconnaître notre misère, tout le mal dont nous sommes capables, et confesser la toute puissance de l’amour divin, sa bonté et sa miséricorde à notre égard. Deux millénaires après cet événement central de notre histoire, nous pourrions être sceptiques et nous demander : à quoi bon ? Notre humanité connaît toujours des atrocités et des injustices à grande échelle comme des coups tordus dans les relations familiales et interpersonnelles. Une chose est certaine : la victoire sur le mal nous est acquise par le Christ, le remède nous est offert. Le problème n’est pas du côté de Dieu, mais du notre : librement nous avons à choisir avec courage le chemin de la vie avec un grand « V », la vie qui peut triompher de la mort, la vie éternelle. Pour cela nous devons nous convertir, changer notre manière de penser et d’agir. Oui, confessons avec saint Paul que le Christ est notre paix. Par notre vie montrons au monde le mystère de la Croix glorieuse agissant aujourd’hui ! Oui, « par la croix le Christ a tué la haine ! » (Ephésiens 2, 16).

23ème dimanche du temps ordinaire

23ème dimanche du TO/A
7/09/08
Matthieu 18, 15-20 (p. 501)
La rentrée scolaire est faite… après la coupure estivale nous reprenons chacun chacune nos activités ordinaires… Notre paroisse qui vit au rythme de l’année scolaire propose à nouveau aux enfants et aux jeunes les activités du catéchisme et de l’aumônerie…
Et voilà que l’Evangile de cette messe nous parle de « correction fraternelle » pour reprendre l’expression traditionnelle. Avant d’entrer dans le vif du sujet, un sujet difficile, regardons la différence qui existe entre Matthieu et Luc sur ce point. St. Matthieu développe ce thème et en fait un pilier de la vie communautaire, de la vie en Eglise. St. Luc, lui, est beaucoup plus bref et donne à la correction fraternelle un aspect personnel : « Si ton frère pèche contre toi, reprends-le, et s’il regrette, pardonne-lui. S’il pèche contre toi sept fois le jour et que sept fois il revienne vers toi en disant : ‘je regrette’, tu lui pardonneras. » Luc, évangéliste de la miséricorde, situe la correction fraternelle dans le contexte du pardon mutuel. Matthieu ne mentionne pas le pardon. Enfin Luc ne parle pas du péché en général (« Si ton frère a commis un péché… ») mais bien du péché dont je suis la victime (« Si ton frère pèche contre toi… »).
« Si ton frère a commis un péché, va lui parler seul à seul et montre-lui sa faute… ». Baptisés, nous sommes chacun pour notre part les membres du Corps du Christ, les membres de l’Eglise. Jésus demande à ses disciples de vivre la dimension communautaire, donc fraternelle, de leur foi. Ce qui ne revient pas, bien sûr, à oublier la dimension personnelle de toute vie chrétienne. Dans la communauté chrétienne nous sommes responsables les uns des autres, nous sommes solidaires. Ce qui fait dire à l’apôtre Paul : « Tous les membres doivent pareillement se préoccuper les uns des autres. Si l’un des membres souffre, tous souffrent avec lui. Si l’un des membres est mis à l’honneur, tous se réjouissent avec lui. » Dans le contexte contemporain de notre société, cette idée de correction fraternelle est d’emblée mal reçue, perçue comme une violation de la sphère privée et individuelle. Nous sommes attachés, et avec raison, à l’exercice de la conscience personnelle. L’Evangile de ce dimanche nous rappelle cependant que nous ne pouvons pas être chrétiens de manière individualiste. C’est en effet par l’Eglise que je connais le Christ et que je reçois ses dons. Et c’est aussi dans l’Eglise que je suis appelé à vivre selon l’enseignement de l’Evangile.
Alors comment pouvons-nous pratiquer cette correction fraternelle les uns envers les autres ? La réponse à cette question très concrète n’est pas évidente. Je vous propose simplement quelques repères capables de nous aider à y voir plus clair. Le plus fondamental me semble être le suivant : qu’est-ce qui me motive profondément lorsque je vais voir mon frère pour lui dire qu’il s’engage sur un mauvais chemin ? Le bien de mon frère, son salut ou autre chose ? Si ma démarche n’est pas inspirée par l’amour de mon prochain, c’est le signe qu’elle n’est pas selon l’esprit de l’Evangile : « Ne gardez aucune dette envers personne, sauf la dette de l’amour mutuel ». Si c’est vraiment l’amour qui m’anime, alors je dois en quelque sorte peser le pour et le contre. Dans ces circonstances concrètes (et surtout pas de manière générale), que vaut-il mieux faire pour le bien de mon frère ? Parler ou me taire. Un autre repère pourrait être le suivant : suis-je capable d’accepter la correction fraternelle de la part des autres ? Si ce n’est pas le cas, c’est que je manque d’humilité, et alors il vaudrait peut-être mieux m’abstenir… Enfin nous pouvons trouver un autre repère dans le même Evangile, quelques chapitres plus haut, avec l’histoire bien connue de la paille et de la poutre : « Quoi ! Tu vois la paille dans l’œil de ton frère et tu ne remarques pas la poutre qui est dans le tien ? Et tu vas dire à ton frère : ‘Laisse-moi t’enlever de l’œil cette paille’, alors que la poutre reste là dans ton œil ! Mais tu joues la comédie ! Enlève d’abord de ton œil la poutre, et ensuite tu verras comment enlever la paille de l’œil de ton frère. » C’est bien sûr une question de cohérence. Je ne vais pas par exemple reprocher à mon frère son avarice à la quête si moi-même je me débarrasse chaque dimanche de mes pièces en centimes d’euro ! Bref la correction fraternelle doit toujours être un bien pour la personne concernée, une démarche qui va lui permettre de progresser et d’avancer selon la volonté de Dieu. En sachant que nous obtenons beaucoup plus par la douceur et la patience que par la dureté et la sévérité… Dans certains cas nous devons montrer la faute mais toujours dans une atmosphère d’amour : « L’amour ne fait rien de mal au prochain. Donc, l’accomplissement parfait de la Loi, c’est l’amour. » Amen.

22ème dimanche du temps ordinaire

22ème dimanche du TO / A
31 août 2008
Matthieu 16, 21-27 (p.455)
La liturgie nous fait méditer sur deux dimanches cette page d’Evangile si riche et si profonde de la profession de foi de Pierre. D’où l’introduction donnée par l’Eglise à l’Evangile de ce dimanche : Pierre avait dit à Jésus : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. » La première partie de cette page évangélique, entendue dimanche dernier, respirait l’espérance et la gloire. Avec l’annonce de la Passion nous sommes confrontés à la face rugueuse et difficile de cette même page.
Et Pierre qui vient de professer sa foi sous l’inspiration de l’Esprit Saint va se heurter à l’annonce de la Passion : « Dieu t’en garde, Seigneur ! Cela ne t’arrivera pas ». La sévérité avec laquelle Jésus lui répond nous montre que Pierre ne se laisse pas encore guider entièrement par l’Esprit Saint. Il y a encore en lui des pensées trop humaines, des pensées qui l’empêchent de pénétrer plus avant dans le mystère du Messie tel que son Maître veut le lui révéler. Comment le Fils du Dieu vivant peut-il annoncer sa mort et une mort ignominieuse ? Cela semble contradictoire, c’est un scandale… Pierre s’est heurté violemment à cette annonce de la mort en croix. Il a oublié une autre annonce, celle de la résurrection le troisième jour… Peut-être était-il alors incapable de comprendre ce que pouvait bien être la résurrection ? Ne lui jetons surtout pas la pierre à ce pauvre Pierre ! Nous avons beau être chrétiens, nous n’acceptons pas facilement les épreuves et les souffrances de notre vie humaine… Nous avons beau être chrétiens, nous sommes lents à croire que la résurrection et la vie éternelle sont des réalités essentielles… Nous sommes comme Pierre et les premiers apôtres : très terre à terre.
Et voilà que Jésus va profiter de cette incompréhension de Pierre pour enseigner tous les disciples : « Celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera. » Et par deux questions le Seigneur nous montre l’enjeu de toute notre vie : « Quel avantage en effet un homme aura-t-il à gagner le monde entier, s’il le paye de sa vie ? Et quelle somme pourra-t-il verser en échange de sa vie ? »
Avant de méditer ces formules qui nous semblent au premier abord rebutantes, contemplons une fois encore le Messie, le Fils du Dieu vivant. Il s’est présenté à nous comme le chemin, la vérité et la vie. Au matin de Pâques les deux hommes en habits éblouissants, des anges probablement, donnent aux saintes femmes la clef de lecture de tout ce qui vient de se passer : « Pourquoi chercher le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité. »
« Qui perd sa vie à cause de moi la gardera. » Dans cet enseignement du Seigneur, il est impossible de voir le mépris de notre vie humaine. Jésus est la Vie, et c’est par Lui que nous avons l’existence. Nous sommes créés par le Père dans le Fils. Alors que signifie donc perdre sa vie à cause de Jésus ? Un premier sens est clair : il s’agit des persécutions que les premiers chrétiens, et bien d’autres à leur suite, auront à endurer pour demeurer fidèles à leur foi. En apparence ils perdaient leur vie… Mais il la gardait en fait pour la vie éternelle. Jésus veut pour nous la Vie avec un grand V : la vie humaine transfigurée par l’amour de Dieu en vie divine, et c’est ce qui commence avec le baptême et l’acte de foi en Jésus Sauveur. La parole du psaume 62 nous éclaire : « Ton amour vaut mieux que la vie. » Le vrai chrétien est en effet prêt à renoncer à sa vie physique pour demeurer en communion avec son Dieu. Ce n’est pas du suicide. Simplement il comprend que ce qui donne valeur à sa vie humaine c’est justement l’amour du Seigneur. Et que par conséquent renier cet amour, c’est renier ce qui est au fondement même non seulement de la vie éternelle mais aussi de la vie que nous menons sur cette terre. « Perdre sa vie à cause de Jésus » peut aussi avoir un autre sens dans notre spiritualité chrétienne. Cela peut signifier donner à Dieu, à son amour, à notre foi la première place dans notre vie humaine. C’est une question de priorité, de hiérarchie. « Quel avantage un homme aura-t-il à gagner le monde entier, s’il le paye de sa vie ? » « Perdre sa vie à cause de Jésus », c’est comprendre que si nous cherchons d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, tout le reste nous sera donné par surcroit. Dans ce sens perdre sa vie, c’est vraiment la garder, la faire fructifier. L’apôtre Paul a parfaitement compris ce sens spirituel lorsqu’il écrit aux chrétiens de Rome : « Je vous exhorte, mes frères, par la tendresse de Dieu, à lui offrir votre personne et votre vie en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu : c’est là pour vous l’adoration véritable. »
Amen

dimanche 24 août 2008

21ème dimanche du temps ordinaire

21ème dimanche du TO / A
24 août 2008
Matthieu 16, 13-20 (p. 408)
Nous connaissons bien cette magnifique page d’Evangile qui nous rapporte en saint Matthieu la profession de foi de l’apôtre Pierre. Nous pourrions méditer tel ou tel aspect de cet événement fondateur dans le ministère public de Notre Seigneur et dans ce que l’on peut appeler l’Eglise en germe. Je me limiterai à un seul verset de cet Evangile si riche de significations. Et c’est Jésus qui parle, répondant à la profession de foi de son apôtre : « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. »
Dans cette déclaration solennelle du Christ nous trouvons deux caractéristiques de notre foi chrétienne : notre foi est source de joie, notre foi est un cadeau.
Mettre sa foi et sa confiance dans le Christ Seigneur rend heureux. Ce n’est pas seulement à Pierre que Jésus révèle cette vérité fondamentale. Souvenons-nous des paroles du ressuscité à l’apôtre Thomas : « Tu m’as vu et tu crois. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui croient. » Oui, heureux sommes-nous, car nous avons cette immense grâce de pouvoir dire que nous croyons en Dieu Trinité : Père, Fils et Esprit-Saint ! Et notre foi est assez puissante pour transformer notre vie et notre cœur. Notre foi nous ouvre un merveilleux chemin d’espérance avec le Christ et à sa suite. Notre foi fait de notre vie autre chose qu’une simple répétition mécanique d’actes simplement humains : travailler, manger, boire, procréer, se divertir, consommer etc. Dans la foi, nous savons que notre quotidien prend un sens tout à fait nouveau, que nos actes les plus banals peuvent revêtir une dimension d’éternité ! Par la foi nous sommes mis en contact réel avec Dieu, source de toute vie et de tout bien : comment ne ressentirions-nous pas un bonheur profond en vivant ce contact, particulièrement dans la prière, les sacrements et la charité en actes ? Oui, heureux sommes-nous de mettre notre confiance dans le Seigneur, car nous sommes ainsi dans la vérité de notre condition de créatures. Et la vérité nous libère à la fois de l’orgueil et de la désespérance. Oui, heureux sommes-nous de croire à la Parole du Christ, car nous savons que, malgré les apparences, c’est l’amour qui aura le dernier mot, c’est l’amour qui déjà est vainqueur de tout ce qui rabaisse l’homme au rang d’animal.
Notre foi est aussi un cadeau, le plus grand de tous avec le simple fait d’exister ! C’est ce que le catéchisme nomme une grâce de Dieu, car nous ne méritons pas d’avoir la foi, pas plus que Pierre… « Ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. » Ce n’est pas par son intelligence humaine ou par son intuition personnelle que Pierre a pu reconnaître en Jésus le Messie, le Fils du Dieu vivant. Sa foi ne vient pas de lui, même si elle passe par sa liberté humaine. Sa foi comme la notre est révélation de Dieu, irruption de la présence aimante du Père dans sa vie. Jean, dans le sublime prologue de son Evangile, utilise les mêmes termes que Matthieu pour parler de ceux qui sont enfants de Dieu : « A tous ceux qui l’ont accueilli, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Oui, quand ils ont cru en son Nom ils sont nés, mais non pas du sang ni d’un appel de la chair ni de la volonté d’un homme : ils sont nés de Dieu. » Le baptême comme la foi sont donc des dons de Dieu. Et cela devrait nous faire réfléchir à une expression ambigüe que nous employons couramment : transmettre la foi. Or il est évident que la foi, don de Dieu, ne saurait se transmettre d’homme à homme, comme un père transmettrait son code génétique à son enfant… Notre expérience confirme cette vérité. Combien de parents chrétiens sont désolés de voir leurs enfants abandonner toute pratique religieuse, voire la foi elle-même, alors qu’ils pensaient avoir transmis la foi à leur progéniture ? Combien de prêtres et de catéchistes sont déçus en constatant que si peu d’enfants et de jeunes persévèrent dans la vie chrétienne alors qu’ils ont « tout fait » comme on dit ? Première communion, profession de foi et confirmation… Combien aussi de jeunes et d’adultes demandent le baptême alors qu’ils ont eu des parents athées ou indifférents ? C’est que la foi est d’ordre surnaturel. C’est que la foi est bien plus qu’un simple enseignement parmi d’autres. C’est que surtout la foi demande une pleine adhésion de notre liberté. Alors ne vivons-pas dans l’illusion de transmettre la foi ! Comme on transmettrait un héritage familial… Soyons simplement ce que nous pouvons être : des témoins en paroles et en actes de notre attachement au Christ. Le reste, le plus important, dépend de l’action de l’Esprit Saint dans les cœurs et de la Providence divine.
Je conclurai en citant un document des Evêques de France, publié en 1996, document intitulé : « Proposer la foi dans la société actuelle » :
« Au temps où l’Eglise faisait pratiquement corps avec la société globale, malgré bien des contradictions et des affrontements, la transmission de la foi s’opérait d’une façon quasi automatique… Il était devenu difficile de vérifier l’adage selon lequel on ne naît pas chrétien, mais on le devient. Avec le recul du temps, nous devons reconnaître les inconvénients de cette situation ancienne : quand l’annonce de la foi se trouve plus ou moins réduite à la mise en œuvre de procédures quasi automatiques de transmission, des infléchissements imperceptibles peuvent se produire… La situation présente comprend des difficultés nouvelles… Paradoxalement, cette situation nous oblige à prendre la mesure de la nouveauté de la foi et de l’expérience chrétienne. Nous ne pouvons plus seulement nous contenter d’un héritage, si riche qu’il soit. Nous avons à accueillir le don de Dieu dans des conditions nouvelles et à retrouver en même temps le geste initial de l’évangélisation : celui de la proposition simple et résolue de l’Evangile du Christ. En même temps, du côté des auditeurs de la Parole, se vérifie un aspect corrélatif de la foi : ils sont amenés à accueillir cette Parole par un acte personnel d’adhésion. » (Pages 36 et 37).

dimanche 3 août 2008

18ème dimanche du temps ordinaire

18ème dimanche du TO / A
3 août 2008
Matthieu 14, 13-21 (p. 257)
Eau, vin, lait, viandes savoureuses, pains, poissons, soif et faim… Les lectures bibliques de ce dimanche ont de quoi nous mettre l’eau à la bouche ! C’est en quelque sorte le menu que le Bon Dieu nous présente !
La réalité essentielle de la nourriture et de la boisson est en effet souvent utilisée par les auteurs sacrés pour nous parler de notre relation avec Dieu. Une fois n’est pas coutume, je ne commenterai pas l’Evangile de la multiplication des pains, même si j’y ferai allusion. Je voudrais méditer avec vous et pour vous la magnifique première lecture, extraite du livre d’Isaïe.
Nous sommes à la fin de ce que les biblistes appellent le livre de la Consolation, ou le deuxième Isaïe. Le peuple Juif est alors en exil. Donc dans une situation pénible et difficile. Le refrain que Dieu adresse à son peuple par la bouche de son prophète se résume en une invitation pressante : « Venez ! » Invitation qui culmine avec « Venez à moi ! » Au sein même de la détresse de son Peuple le Seigneur veut susciter une espérance folle du point de vue strictement humain : « Je ferai avec vous une alliance éternelle, qui confirmera ma bienveillance envers David. » Les railleurs auraient pu se moquer d’une telle promesse, car la grandeur du Royaume d’Israël semblait bien définitivement appartenir au passé… Nous chrétiens, nous savons bien que c’est Jésus, le Fils de David, qui a réalisé, des siècles après, cette promesse d’une alliance indestructible. Mais il fallait alors beaucoup de confiance pour accepter un tel message !
A qui s’adresse cet appel pressant à entrer dans l’alliance ? A venir vers le Seigneur ? A tous ceux qui ont soif ! Les Juifs exilés entre le Tigre et l’Euphrate ne devaient pas manquer d’eau, ils n’étaient pas dans un désert. C’est bien sûr de leur soif de Dieu dont il s’agit ici. Eux, ils étaient nostalgiques de la Cité Sainte, du Temple et de ses cérémonies… Et voilà que tout cela a été ravagé, profané par Nabuchodonosor. De cette épreuve doit surgir une nouvelle soif de Dieu, plus profonde, plus intérieure. La soif de Dieu est en effet le ressort de toute vie spirituelle. Si notre désir de Dieu est faible ou endormi, alors notre vie spirituelle sera médiocre ou bien se limitera à aller à la messe le dimanche… A ceux qui ont soif, le Seigneur offre quelque chose. En même temps il les interpelle.
Commençons par l’interpellation de Dieu qui est là justement pour faire jaillir en nous le désir de son Règne et de sa présence : « Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ? » Nous avons beau connaître la vérité, nous sommes facilement entraînés sur la pente des réalités éphémères et uniquement matérielles. Notre Dieu nous remet en question comme autrefois son Peuple en exil. Il nous demande de faire le point sur nos priorités et nos choix. Finalement quel est le véritable moteur de notre vie, ce qui nous fait travailler, ce qui nous motive ? A Babylone les idoles ne manquaient pas. Nous aussi nous pouvons travailler et vivre pour des idoles actuelles et pourtant bien anciennes : l’argent, l’ambition, le pouvoir, le paraître etc. Mais le Seigneur nous met en garde : nous ne serons jamais rassasiés, jamais satisfaits sur ce chemin-là, car il nous en faudra toujours plus. Combien de couples se séparent et se déchirent, parce que, par exemple l’un des conjoints fait passer sa carrière professionnelle avant toutes choses ? Il est vrai que les structures de l’entreprise peuvent pousser bien des personnes dans cette impasse avec la pression toujours plus grande et la menace du chômage… L’air du temps ne nous aide vraiment pas à chercher les nourritures essentielles, celles qui demeurent. Et nous avons sans cesse un effort à faire pour maintenir notre tête hors de l’eau, souvent polluée par les exigences sociales et économiques… Et pour recevoir la parole du Seigneur : « Travaillez non pas pour la nourriture qui disparaît, mais pour la nourriture qui demeure et qui devient vie éternelle. C’est le Fils de l’Homme qui vous la donnera ; c’est lui que Dieu le Père a marqué de son sceau. »
Ce que nous offre le Seigneur est inimaginable : « Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait sans argent et sans rien payer. » Ce passage de notre première lecture est en fait une magnifique image de ce que la théologie nomme la grâce divine ! Le vin et le lait représentent ici les réalités qui rassasient l’âme, celles qui demeurent pour la vie éternelle, celles par lesquelles nous vivons de l’Alliance. Eh bien, le Seigneur a décidé de nous offrir tout cela gratuitement. La formule d’Isaïe est d’ailleurs paradoxale : achète-t-on quelque chose sans argent, sans payer ? Il ne s’agit pas tellement d’acheter que de recevoir. Dans le récit de la multiplication des pains, les disciples ne sont pas sur la même longueur d’onde que leur Maître. Pour eux la solution est évidente : il faut renvoyer ces foules : « qu’ils aillent dans les villages s’acheter à manger. » Eux parlent d’acheter, Jésus leur répond en leur demandant de donner : « Donnez-leur vous-même à manger. » Sommes-nous prêts à nous recevoir de Dieu et à recevoir de Lui tout son Amour ? Vivre dans l’Alliance, c’est devenir les disciples d’un Dieu qui est Don d’Amour en lui-même, Trinité bienheureuse, et qui se donne sans compter à ses créatures pour qu’elles puissent partager son Bonheur. Vivre dans l’Alliance, c’est être convaincu que « rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est en Jésus-Christ notre Seigneur ».
Amen

dimanche 27 juillet 2008

17ème dimanche du temps ordinaire

17ème dimanche du temps ordinaire / A
27/07/08
Matthieu 13, 44-52 / page 206
Nous poursuivons en ce dimanche notre lecture du chapitre 13 de l’Evangile selon saint Matthieu, le chapitre des paraboles du Royaume des Cieux. L’Evangile de cette liturgie offre à notre méditation les trois dernières paraboles, à la fin du chapitre 13.
Celles du trésor et de la perle vont ensemble, alors que celle du filet est à part. Les deux petites paraboles du trésor et de la perle s’appliquent au Royaume de Dieu déjà présent aujourd’hui, alors que la parabole du filet concerne la fin du monde, c’est-à-dire l’accomplissement du Royaume lorsque le Christ reviendra dans sa gloire pour juger les vivants et les morts.
Je me limiterai en ce dimanche aux deux petites paraboles du trésor et de la perle qui, malgré leur similitude, présentent aussi des nuances intéressantes pour nous.
Chez Matthieu le Royaume des Cieux signifie tout simplement le Royaume de Dieu, c’est-à-dire sa présence et son action au milieu de nous par et dans le Christ. Le Royaume des Cieux signifie que Dieu vient nous sauver et nous réconcilier avec Lui. Ce Royaume est donc l’expression très concrète de son amour miséricordieux à notre égard. Le Royaume est l’accomplissement parfait des prophéties qui annonçaient une création nouvelle : l’homme peut désormais recevoir un cœur nouveau, un cœur de chair grâce au don de l’Esprit.
Voyons maintenant quel enseignement nous pouvons retirer de ces deux paraboles jumelles.
La présence de Dieu est d’abord comparée à « un trésor caché dans un champ. » Rien d’étonnant à cela puisque Dieu est le Bien suprême. Mais ce Bien n’est pas évident puisqu’il est d’ordre spirituel et non matériel, il est donc en quelque sorte caché. Déjà Isaïe avait annoncé le Dieu caché : « Vraiment tu es un Dieu qui se cache, Dieu d’Israël, Sauveur ! » Et comment ne pas penser ici à saint Paul qui reprend à plusieurs reprises dans ses lettres ce thème ? Par exemple dans la lettre aux Ephésiens lorsqu’il affirme que le plan mystérieux du salut est « caché depuis toujours en Dieu, créateur de l’univers. » L’homme de notre parabole découvre le trésor caché comme par hasard, sans le chercher, et c’est là une différence avec le négociant qui recherche des perles. Nous savons bien que du point de vue de Dieu le hasard n’existe pas. Seuls existent sa Providence et sa grâce : « quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien. » Tous les récits de conversion anciens et nouveaux témoignent de ce que le Royaume de Dieu peut surgir dans une vie de manière imprévue et subite. Oui, c’est vraiment Dieu qui, le premier, nous a aimés ! Dans notre parabole le signe du Royaume c’est la joie ! Voilà le grand trésor qui manque tant à beaucoup de nos contemporains saturés de bien matériels mais toujours insatisfaits et au fond tristes. La joie ne peut venir de notre portefeuille. Elle est un don de l’Esprit, une disposition qui nous fait reconnaître avec gratitude tout ce que nous recevons de Dieu et des autres et surtout ce que nous sommes. Il ne suffit pas d’être riche et d’être propriétaire pour être heureux… Il faut encore savoir apprécier autant les biens matériels que les biens spirituels à leur juste valeur. C’est cela qui donne la joie. La surabondance nous prive bien souvent de cette joie par laquelle nous savons apprécier tout ce dont nous sommes comblés… Le scandale du gaspillage en est une preuve évidente. Si notre homme découvre le trésor sans l’avoir cherché, il agit tout de même pour jouir de ce trésor : il vend tout ce qu’il possède ! Cela signifie que nous ne pouvons pas connaître la joie de Dieu sans renoncements et sans sacrifice. Cela nous ramène au mystère de la Croix. Si le Royaume de Dieu est réellement le Bien suprême pour nous, alors nous devons être prêts à faire les bons choix dans notre vie et à écarter tout ce qui nous sépare de ce Royaume.
Quelques mots pour terminer à propos de la parabole de la perle. Il y a un point commun avec la parabole précédente. La perle de grande valeur est un trésor et l’homme vend tout ce qu’il possède pour en jouir. Il y aussi une différence. L’homme découvrait le trésor caché dans le champ. Ici nous avons affaire à « un négociant qui recherche des perles fines. » Cette parabole met davantage l’accent sur la part de l’homme, sur la liberté humaine, dans la découverte du Royaume de Dieu présent au milieu de nous. Elle est une invitation à faire de notre vie tout entière, et ce jusqu’à notre mort, une recherche de Dieu. Même si nous sommes déjà chrétiens, n’imaginons pas pour autant être parvenus au but !

dimanche 6 juillet 2008

14ème dimanche du temps ordinaire

14ème dimanche du TO / A
6 juillet 08
Matthieu 11, 25-30 (p.56)
La première partie de ce magnifique passage évangélique, la prière de louange que Jésus adresse à son Père, se retrouve aussi chez saint Luc. Mais seul saint Matthieu nous rapporte cet appel si touchant de Notre Seigneur : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. »
La prière de louange de Jésus, le début de l’Evangile de ce dimanche, nous révèle l’union étroite qui existe entre le Fils dans sa condition humaine et le Père. C’est donc une prière trinitaire même si l’Esprit Saint n’est pas mentionné. Dieu notre Père en envoyant son Fils bien aimé parmi nous lui confie tout : Il lui donne tout ce qui est nécessaire pour l’accomplissement de sa mission de salut. Jésus ressuscité le rappellera à ses apôtres avant leur ultime envoi en mission et avant la séparation physique de l’Ascension : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. » Dans sa prière Jésus souligne que la connaissance parfaite entre le Père et le Fils est le privilège de la vie trinitaire. Nous ne pouvons connaître le Fils que par révélation. Souvenez-vous du commentaire que Jésus donne à la profession de foi de Pierre : « Ce n’est pas la chair et le sang qui te l’ont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux. » Et de la même manière nous ne pouvons pas connaître Dieu notre Père sans passer par son Fils. C’est dire à quel point notre foi chrétienne qui a pour objet principal la connaissance du mystère de Dieu Trinité est un don, une grâce, une révélation de l’Esprit Saint… Et c’est alors que la parole de Jésus prend encore plus de relief. Car elle nous dit ce qui attire la grâce de Dieu et au contraire ce qui peut l’éloigner de nous : « Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout petits. » Nous pourrions avoir une mauvaise interprétation de ces propos merveilleux : Jésus nous encouragerait à avoir la foi du charbonnier, à être des chrétiens fidéistes, excluant leur intelligence et leur raison de l’acte de croire… Par « sages et savants » nous devons comprendre ceux qui à cause de leur grande science sont tombés dans la tentation de l’orgueil et de la superbe. Oui, Dieu demeure un Dieu caché pour les orgueilleux et les suffisants. Si nous voulons vraiment accueillir en nous la révélation du mystère trinitaire, nous devons faire partie de ces tout petits, c’est-à-dire cultiver sans cesse la vertu d’humilité et la considérer comme la vertu reine dans notre chemin de foi et dans notre union à Dieu. C’est l’occasion de rappeler ici que le vrai savant, le vrai intellectuel est humble, car il a fait l’expérience décrite par Pascal dans ses Pensées :
« Les sciences ont deux extrémités qui se touchent, la première est la pure ignorance naturelle où se trouvent tous les hommes en naissant, l’autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu’ils ne savent rien et se rencontrent en cette même ignorance d’où ils étaient partis, mais c’est une ignorance savante qui se connaît. » (81 / 299)
Nous pourrions méditer longuement la seconde partie de notre Evangile, propre à Matthieu. Jésus s’identifie pleinement aux tout petits dont nous venons de parler car il vit lui-même son humanité dans la douceur et l’humilité. Jésus a un cœur compatissant, et à ce titre il donne en priorité son amour à ceux qui peinent sous le poids du fardeau. Son attitude est opposée à celle des spécialistes de la religion juive, les sages et les savants. Notre Seigneur en parlera avec clairvoyance dans le même Evangile : Les maîtres de la Loi et les Pharisiens « préparent de lourdes charges, et ils vous les mettent sur les épaules ; mais eux-mêmes ne bougeraient pas un doigt pour les remuer. » Jésus, lui, a pris librement sur ses épaules le fardeau de la Croix, et ce jusqu’à la mort. Il l’a pris non pas pour nous accabler, pour nous rendre la vie plus dure ou difficile. Non, son joug est facile à porter et son fardeau léger. Que signifie tout cela pour nous ? Jésus ne vient pas supprimer notre fardeau. Nous savons bien qu’ici-bas nous ne vivons pas au Paradis, et même si notre terre n’est pas toujours une vallée de larmes, elle est pour nous le lieu de bien des combats, de bien des difficultés… Bref les fardeaux ne manquent pas au cours d’une existence terrestre. Jésus vient les porter avec nous. Il est avec nous jusqu’à la fin des temps. Ce sont sa présence et son amour qui peuvent rendre nos fardeaux plus légers, plus supportables. Le Seigneur seul peut nous donner la force surnaturelle de son Esprit dans les épreuves. Les martyres en sont l’illustration la plus évidente. Alors comment pouvons-nous répondre à l’appel si doux de notre Maître ? « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau… » Comment pouvons-nous recevoir ce repos promis par le Seigneur au milieu même de nos épreuves ? Je vois deux moyens essentiels. Le premier est la prière. Quelle chance avons-nous de pouvoir parler à Dieu « comme un ami parle à un ami ou un serviteur à son seigneur » ! (saint Ignace de Loyola). Il y a des réalités de notre vie que nous ne pouvons parfois confier qu’au Seigneur dans la prière. Le deuxième moyen est le sacrement du pardon. Le poids de la culpabilité peut être énorme. Quelle merveille que ce sacrement par lequel le Christ Vivant vient alléger notre fardeau en nous réconciliant avec le Père ! Ce sacrement est vraiment avec la prière l’un des grands privilèges des enfants de Dieu, une consolation certaine pour tout ceux qui peinent sous le poids du fardeau.
Amen

lundi 30 juin 2008

SAINT PIERRE ET SAINT PAUL

Solennité des saints Pierre et Paul
29 juin 08
Matthieu 16, 13-19 (p.1361)
Année Saint Paul
Depuis hier nous sommes entrés avec toute l’Eglise dans une année jubilaire consacrée à l’apôtre saint Paul. Cette année « Saint Paul » s’achèvera le 29 juin 2009. Il est providentiel que la solennité des apôtres Pierre et Paul tombe cette année un dimanche. Aussi permettez-moi de délaisser Pierre au profit de Paul. Les historiens situent la date de sa naissance entre l’an 7 et 10 de notre ère, d’où l’année jubilaire en son honneur. Pour vous parler du grand apôtre des Nations, je m’inspirerai largement d’un illustre prédicateur du 17ème siècle, Bossuet, et du panégyrique qu’il donna en l’honneur de l’Apôtre en 1657 à l’Hôpital général de Paris.
Les panégyriques comme les sermons de Bossuet suivent souvent un déroulement identique : une introduction, trois parties, et une exhortation finale. Bossuet est bien conscient de la difficulté de sa tâche : Paul est véritablement un monument de l’histoire du christianisme et « un ange même ne suffirait pas pour louer cet homme du troisième ciel. » Bossuet ne choisit pas de mettre en avant ce qui est extraordinaire dans la vie et les œuvres de saint Paul. Mais il s’attache à montrer au contraire la faiblesse de l’Apôtre, le citant dans sa deuxième lettre aux Corinthiens : « Je ne me plais que dans mes faiblesses : car lorsque je me sens faible, c’est alors que je suis puissant. » La grandeur du converti du chemin de Damas provient précisément de son identification profonde et permanente avec un Messie humilié, « scandale pour les Juifs, folie pour les païens. » Et Paul ne manque pas d’humilité lorsqu’il ose affirmer : « J’ai été crucifié avec le Christ, et si maintenant je vis, ce n’est plus moi qui vis : le Christ vit en moi. » Voilà le secret de la vie et de l’apostolat de Paul, pur miroir de l’Evangile qu’il n’a cessé de proclamer depuis sa rencontre avec le Ressuscité jusqu’au don suprême de sa vie à Rome. Si, dans ses lettres, l’Apôtre cultive les paradoxes au risque de choquer et de déranger, c’est parce qu’il est lui-même un vivant paradoxe : persécuteur transformé en prédicateur, pharisien vivant pour la justice de la Loi devenu témoin de la grâce et de la miséricorde du Père en Jésus. Paul est un être paradoxal tout simplement parce qu’il est chrétien : « Je suis puissant parce que je suis faible. » C’est cette faiblesse de l’Apôtre que Bossuet se propose de montrer dans trois domaines de son apostolat : la prédication, les combats et le gouvernement ecclésiastique. Ecoutons-le : « Tant il est vrai que dans toutes choses Saint Paul est puissant en ce qu’il est faible, puisqu’il met la force de persuader dans la simplicité du discours, puisqu’il n’espère vaincre qu’en souffrant, puisqu’il fonde sur sa servitude toute l’autorité de son ministère ! »
Paul est faible dans sa prédication parce qu’il refuse de couvrir la vérité de l’Evangile par de belles formules. Ou alors quand son style est recherché (n’oublions pas que c’est un homme formé et cultivé) c’est toujours secondaire, de l’ordre du moyen. Ce qui est premier c’est bien la vérité de l’Evangile annoncée par l’Apôtre dans toute sa crudité déroutante : « Nous prêchons une sagesse cachée ; nous prêchons un Dieu crucifié. » La prédication de Paul s’inscrit bien dans la logique du mystère de l’incarnation, mystère de l’abaissement et de la faiblesse de Dieu. Et simultanément révélation de l’Amour trinitaire.
Mais la prédication de Paul ne serait rien sans ses combats. Son Maître, le Christ, n’avait-il pas annoncé : « Dès que j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi. » Bossuet dans le second point de son panégyrique aborde d’une manière remarquable le paradoxe chrétien : « Les paroles toutes divines de Jésus, qui devaient lui attirer les respects des hommes, le font attacher à un bois infâme ; et l’ignominie de ce bois, qui devait couvrir ses disciples d’une confusion éternelle, fait adorer par tout l’univers les vérités de son Evangile. N’est-ce pas pour nous faire entendre que sa croix, et non ses paroles, devait émouvoir les cœurs endurcis, et que sa force de persuader était en son sang répandu et dans ses cruelles blessures ? » Paul a résumé ses souffrances et ses combats pour la croissance du corps du Christ en une formule lapidaire : « Je meurs un peu chaque jour. » Sans oublier ce passage de la lettre aux Colossiens : « Je complète dans ma chair ce qui manque encore aux épreuves du Christ pour son corps qui est l’Eglise. » Bref c’est la faiblesse de l’Apôtre dans ses combats qui a rendu efficace sa prédication, attirant sur les auditeurs la grâce de l’Esprit Saint, seul capable de toucher les cœurs et de les remuer.
Enfin c’est dans le gouvernement des Eglises que Paul a le plus souffert. Bossuet s’adresse à l’Apôtre dans son troisième point : « Dans vos persécutions, vous souffriez par vos ennemis, ici vous souffrez par vos frères, dont tous les besoins et tous les périls ne vous laissent pas respirer. » Nous pourrions nous étonner de voir Bossuet associer le gouvernement des communautés à la faiblesse de Paul. N’oublions pas que le gouvernement dans l’Eglise ne se calque pas sur le gouvernement des chefs d’Etat… Ecoutons pour finir les paroles toutes imprégnées de l’Evangile que Bossuet utilise pour dépeindre le gouvernement des Eglises par Saint Paul :
« L’Apôtre se souvient qu’il est le disciple de Celui qui a dit dans son Evangile qu’il n’est pas venu pour être servi, mais afin de servir lui-même ; c’est pourquoi il ne gouverne pas les fidèles en leur faisant supporter le joug d’une autorité superbe et impérieuse, mais il les gouverne par la charité, en se faisant infirme avec eux, ‘et pour gagner ceux dont la conscience n’est pas assurée, je me fais faible parmi les faibles’, et se rendant serviteur de tous :’je me suis fait l’esclave de tous pour gagner cette multitude’. »
Amen