dimanche 28 décembre 2014

LA SAINTE FAMILLE

28/12/14

Luc 2, 22-40

La famille que Dieu donne à son Fils et dans laquelle il s’est préparé à sa mission de Sauveur pendant 30 ans est une famille unique dans l’histoire de notre humanité : la mère de Jésus, Marie, est une jeune fille vierge et Joseph n’est pas son père biologique. L’enfant Jésus lui-même est unique : il est la Parole de Dieu venue habiter au milieu de nous, il est Dieu venu vivre notre vie sur cette terre. Et pourtant l’Eglise nous propose la sainte famille en exemple. Cela signifie qu’au-delà de la singularité de cette famille, nous pouvons trouver une source d’inspiration pour nos familles humaines dans les relations qui unissent Joseph, Marie et Jésus.
Cette année, c’est l’évangile de la présentation au temple qui nous est proposé. Dans la première partie de son récit, saint Luc insiste sur la fidélité des parents de Jésus à la Loi de Moïse, appelée aussi Loi du Seigneur. Quarante jours après la naissance de l’enfant, ils se rendent au temple de Jérusalem pour y accomplir deux rites : la purification de la mère après l’accouchement et le rachat du fils premier-né. Notons que l’acte lui-même de présenter l’enfant au Seigneur n’est pas exigé par la Loi et que le rachat du fils premier-né pouvait s’effectuer en dehors du temple. Saint Luc ne nous décrit même pas l’accomplissement des deux rites, il ne nous montre pas le prêtre. Ce qui l’intéresse dans cet épisode est ailleurs. S’il veut nous présenter Marie et Joseph comme des juifs fidèles à la Loi, il nous fait aussi comprendre qu’ils vont au-delà de ce que demande la Loi en présentant leur enfant dans le temple, comme Anne l’avait fait autrefois pour le petit Samuel. Joseph et Marie, plus que tous les autres parents, savent très bien que leur fils est un don de Dieu. C’est la raison pour laquelle ils veulent le consacrer à Dieu par cette démarche religieuse dans le temple.
Dans la deuxième partie de notre Evangile, beaucoup plus développée que la première, saint Luc nous décrit deux personnes âgées, des justes, Syméon et Anne, qui viennent à la rencontre de l’enfant dans le temple. Syméon est un homme qui se laisse conduire par l’Esprit Saint, l’évangéliste insiste beaucoup sur cet aspect de sa personnalité religieuse. Et c’est parce qu’il est docile au souffle de l’Esprit qu’il saisit le caractère unique de l’enfant en le prenant dans ses bras. Ce vieil homme est enfin comblé, il sait que Dieu vient d’accomplir sa promesse par le don de cet enfant, « signe de contradiction », Sauveur offert à tous, « lumière pour éclairer les nations païennes, et gloire d’Israël ». Dans ce récit nous trouvons donc la fidélité à la Loi, l’esprit d’initiative dans l’acte de la présentation, et la nouveauté de l’Esprit qui ouvre à Syméon des perspectives d’avenir. Un enfant est toujours un mystère, et pas seulement Jésus. Le mystère d’une vie qui vient de commencer et qui reçoit de Dieu une direction singulière. Cette direction que nous nommons vocation. Bien sûr la vocation de Jésus est unique, c’est celle de Messie et de Sauveur. Les parents chrétiens ont à cœur de respecter le mystère d’une vie humaine qui leur est confiée. Ils transmettent à leur enfant la tradition de la foi et de la vie chrétienne, non pas à la manière d’un carcan étouffant toute liberté et toute initiative, mais au contraire en demeurant ouverts à la nouveauté de l’Esprit Saint. Dans notre récit la Loi et l’Esprit se complètent pour orienter l’enfant Jésus vers sa vocation. Un enfant, comme la vie elle-même qu’il incarne d’une manière particulière, est toujours une surprise. Les parents chrétiens, à la suite de Marie et de Joseph, connaissent eux aussi bien des étonnements par rapport à ce qui est dit de leur enfant, et par rapport au caractère et au comportement de celui-ci. Etre parents, et cela dans l’esprit chrétien, est une tâche délicate et difficile qui demande beaucoup de patience et de capacité d’adaptation jour après jour, année après année. Car cette tâche exige chaque jour des parents un équilibre fragile entre, d’une part, le don d’une éducation, donc d’une direction, et d’autre part, le respect de la liberté et de la vocation de leur enfant. Les parents chrétiens ne sont ni des dictateurs ni des indifférents qui laisseraient à leurs enfants une autonomie totale et absolue.
La conclusion de cet Evangile nous montre le but de toute éducation véritable : la croissance physique, intellectuelle et spirituelle d’un enfant. Jésus, vraiment homme, a connu, lui aussi, cette belle maturation de sa personnalité humaine en vue de la mission qui était la sienne :

« L’enfant grandissait et se fortifiait, tout rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui ».

jeudi 25 décembre 2014

NOEL 2014 / MESSE DU JOUR


Noël 2014

Messe du jour

Dans la nuit de Noël, l’Eglise nous fait entendre le récit de la naissance de Jésus à Bethléem. La liturgie du jour de Noël nous fait contempler le mystère de l’Incarnation à travers deux textes particulièrement riches quant à leur contenu théologique : le commencement de la lettre aux Hébreux et le commencement de l’évangile selon saint Jean. Ces textes ne nous parlent pas des circonstances concrètes de la naissance de l’enfant, comme le fait saint Luc, mais de son identité profonde et de la mission que Dieu lui confie dans l’histoire de notre salut. A travers ces textes, le mystère de Noël est compris dans toute son ampleur, non pas comme un évènement isolé, mais comme un moment essentiel et décisif du projet de Dieu pour toute sa création. Ce qui se passe dans la nuit de Bethléem avec le nouveau-né, Marie, Joseph, les anges et les bergers, ne prend tout son sens que si nous le contemplons avec le commencement et la fin. Car l’enfant qui vient de naître est l’Alpha et l’Oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin de toutes choses. Ce qui se passe dans la nuit de Noël est au centre d’une grande fresque historique qui commence avec la première page de la Bible dans le livre de la Genèse et qui s’achève avec la dernière page de la révélation dans le livre de l’Apocalypse. C’est la raison pour laquelle le mystère de l’Incarnation a une ampleur et une portée beaucoup plus grande que nous ne pouvons l’imaginer. Quand Dieu se manifeste en nous donnant son Fils unique, il le fait d’une manière cachée, humble et discrète. L’évènement est certes unique, bouleversant, grandiose, mais il est resté caché aux yeux de la plupart des contemporains de Jésus, particulièrement aux yeux des grands et des puissants. Très peu de témoins ont eu le privilège d’être présents dans la grotte de la Nativité : seulement Marie, Joseph et quelques bergers. De la même manière, il demeure encore caché au cœur de beaucoup de nos contemporains deux mille ans plus tard. Ce que Dieu nous révèle en nous donnant son Fils, nous ne pouvons l’accueillir que par la foi, nous ne pouvons le contempler que dans l’amour. C’est pourquoi il est nécessaire de nous convertir, de changer notre cœur pour pouvoir reconnaître dans l’enfant de la crèche le Verbe qui s’est fait chair. Avec nos critères de jugement purement humains, comment pourrions-nous donc reconnaître dans cet enfant, venu au monde dans la mangeoire des animaux, le Verbe de Dieu, Celui par qui Dieu a tout créé ? Si nous suivons les raisonnements de ce monde sur ce qui est grand et important, sur ce qui a de la valeur et mérite l’estime et la reconnaissance, il n’est pas possible de reconnaître dans ce bébé le « reflet resplendissant de la gloire du Père », l’ « expression parfaite de son être », le « Fils unique, plein de grâce et de vérité ». Le bébé couché dans la mangeoire est l’opposé d’un héros humain ou d’une star faisant la une des journaux. Il représente la pauvreté et la faiblesse, il incarne l’humilité de Dieu, de ce Dieu qui ne se fait pas reconnaître dans le vacarme médiatique et dans la superficialité des modes. Ce Dieu que nous ne pouvons accueillir que dans le silence du recueillement, en descendant au plus intime de nous-même, au plus profond de notre cœur pour y chercher l’essentiel, ce qui demeure à jamais. Le Fils de Marie et le Fils de Dieu est plein de grâce et de vérité. C’est dans la lumière de sa grâce et en cherchant à faire la vérité avec nous-mêmes et en nous-mêmes que nous serons comblés de joie en le contemplant dans la mangeoire. L’homme contemporain a de plus en plus de mal à accepter sa condition de créature, à reconnaître que sa vie et son existence sont un don de Dieu. Les progrès scientifiques et techniques lui donnent l’illusion d’être un dieu. Avec orgueil, il se considère comme le centre de l’univers, oubliant sa fragilité et sa condition de mortel. En se coupant de la source de la vie, Dieu Père et Créateur, l’homme est devenu incapable d’utiliser avec sagesse les progrès de la science et de la technique. Si bien que ces progrès se retournent finalement contre lui en détruisant la terre et en mettant en danger l’équilibre écologique. Cet homme qui se croit infiniment supérieur à toutes les autres créatures a été capable de créer des horreurs comme la bombe atomique et à commettre des crimes contre l’humanité tout au long de son histoire. Plus que jamais il est nécessaire et urgent de redécouvrir la sagesse et l’humilité qui nous viennent de l’Enfant-Dieu, couché dans la mangeoire. Saint Paul nous dit que c’est Lui, et Lui seul, le centre de l’univers : « Tout est créé par lui et pour lui ». Cet Enfant, encore incapable de parler, nous regarde tous et chacun avec une tendresse et une miséricorde infinies. Et son regard nous supplie d’abandonner notre folie, notre péché, pour renaître à la vie nouvelle des enfants de Dieu. Dans le silence, il nous offre à nouveau sa joie et sa paix. Voulons-nous en vivre et participer ainsi à l’avènement de la création nouvelle, création commencée dans la nuit de Bethléem ?

dimanche 21 décembre 2014

Quatrième dimanche de l'Avent

21/12/14

Luc 1, 26-38

En ces derniers jours du temps de l’Avent, la liturgie de ce dimanche nous fait entendre le récit de l’Annonciation à Marie. Marie de Nazareth est liée d’une manière très étroite et singulière au grand mystère de l’Incarnation. Cette jeune fille vierge a été choisie par Dieu entre toutes les femmes pour être la mère du Messie, la mère du Fils de Dieu. L’ange Gabriel a pour mission d’obtenir son « oui ». Dieu respecte la liberté de celle qu’il a choisie pour donner au monde son Fils unique, pour le manifester de manière visible parmi nous. Dieu a besoin du consentement de Marie pour réaliser son projet de salut. Seule Marie a pu témoigner auprès de saint Luc de cet échange mystérieux entre elle et l’ange, entre sa liberté et la volonté du Seigneur. Dans la première lecture nous voyons comment le roi David cherche à honorer le Seigneur : en lui construisant un temple à Jérusalem. Par le prophète Nathan Dieu lui fait entrevoir un autre projet, beaucoup plus grandiose et surprenant : « Le Seigneur te fait savoir qu’il te fera lui-même une maison ». Et voilà que le temple de pierre devient un temple de chair : c’est la personne de Marie qui est appelée par l’ange à devenir la nouvelle arche d’Alliance, celle qui contient et qui porte la présence de Dieu au milieu de son peuple. Mais le temple véritable c’est bien celui qui va naître de son sein : à la fois fils de David et Fils de Dieu, vrai homme et vrai Dieu, Jésus, celui qui sauve. Avec le mystère de l’Incarnation le temple de pierre est remplacé par le Corps du Christ, son corps de chair et son corps mystique, c’est-à-dire l’Eglise ; les sacrifices d’animaux laissent la place à l’unique offrande du Fils sur le bois de la croix. Lorsque Jésus chasse les marchands du temple de pierre, celui de Jérusalem, les Juifs lui demandent d’expliquer son geste : « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? » « Jésus leur répondit : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. » Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèverais ! » Mais lui parlait du sanctuaire de son corps. »
Marie de Nazareth a donc une place centrale dans la mise en place de l’Alliance nouvelle et éternelle. Par son oui à la volonté du Père, par sa foi et son obéissance, elle marque le commencement d’une création nouvelle, d’une recréation. C’est la raison pour laquelle les pères de l’Eglise ont donné à Marie le nom d’Eve nouvelle. Saint Luc nous donne des indices pour nous faire comprendre qu’avec Marie commence une époque nouvelle de la relation entre Dieu et ses créatures. Il nous dit que Joseph est de la maison de David, mais nous ne savons pas qui sont les parents de Marie et à quelle tribu elle appartient. La scène se situe à Nazareth, une ville de Galilée totalement inconnue de l’Ancien Testament contrairement à Bethléem, la cité de David. Lorsque Philippe parle de Jésus à Nathanaël, voici la réaction spontanée de Nathanaël : « De Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon ? » Enfin Marie est une jeune fille vierge. Avec elle nous ne sommes pas tournés vers le passé mais vers l’avenir, vers la terre nouvelle et les cieux nouveaux. « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ». C’est par la puissance de l’Esprit de Dieu que commence une création nouvelle car l’enfant qui va naître de Marie sera le nouvel Adam. La scène, très intime, de l’Annonciation se situe donc au centre d’un triptyque dans lequel l’Esprit Saint manifeste sa puissance : au commencement lorsque Dieu crée l’univers par sa Parole ; au commencement de l’ère chrétienne lorsque Dieu donne un corps à sa Parole dans le sein de la Vierge Marie ; au commencement de l’Eglise lorsque Dieu envoie le feu de l’Esprit sur les apôtres réunis en prière autour de la mère du Seigneur.

« Car rien n’est impossible à Dieu » ! 

dimanche 30 novembre 2014

Premier dimanche de l'Avent / Année liturgique B

Marc 13, 33-37

30/11/14

Au commencement du temps de l’Avent et de la nouvelle année liturgique les textes bibliques nous redisent des vérités fondamentales. C’est en s’appuyant sur ces vérités que notre vie chrétienne peut grandir et se fortifier tout au long de ce temps de l’Avent.
La première de ces vérités, c’est que Dieu est notre Père et notre créateur. Isaïe utilise une belle image : « Nous sommes l’argile, et tu es le potier : nous sommes tous l’ouvrage de tes mains ». Notre vie est donc un don de Dieu. Ce miracle de la vie nous pouvons le contempler en chacun de nous mais aussi dans toutes les autres créatures qui, avec nous, peuplent notre planète terre, « la sœur mère terre », comme l’appelait saint François d’Assise, cité par le pape François.
Ensuite les lectures de ce dimanche affirment que Dieu est aussi notre Rédempteur, notre Sauveur. Et c’est l’importance de la vie de la grâce divine en nous qu’il faut alors souligner. Dieu ne nous donne pas seulement la vie humaine mais aussi la vie surnaturelle : c’est-à-dire son amour agissant en nous pour nous sanctifier et faire de nous ses fils bien-aimés. Isaïe nous parle de l’absence de la grâce divine : « Tu nous avais caché ton visage, tu nous avais laissés au pouvoir de nos péchés ». Et Paul se réjouit de la grâce de Dieu accordée aux chrétiens dans le Christ Jésus : « en lui vous avez reçu toutes les richesses, toutes celles de la Parole et toutes celles de la connaissance de Dieu… Aucun don spirituel ne vous manque ». Pensons à ce que l’Esprit Saint réalise en nous par le baptême et la confirmation, par notre participation active à l’eucharistie, par le temps que nous donnons à Dieu dans la prière personnelle et la méditation des Ecritures.
Nous parvenons ainsi à la troisième grande vérité qui concerne notre manière de répondre aux dons que Dieu nous fait. Isaïe nous indique comment nous pouvons demeurer en communion avec Dieu notre Père, auteur de la vie et origine de la grâce : « Tu viens à la rencontre de celui qui pratique la justice avec joie, et qui se souvient de toi en suivant ton chemin ». Quant à Jésus il nous demande à trois reprises de veiller dans l’attente de son retour. Notre vigilance est le signe que notre foi est bien vivante. Etre vigilant c’est toujours rechercher la présence du Seigneur dans nos vies. C’est écouter sa Parole dans l’Evangile et nous engager avec toutes nos forces à la mettre en pratique. C’est par notre vigilance que nous pouvons vaincre le découragement et le désespoir, c’est par elle que nous pouvons aussi surmonter la fatigue du poids des jours et des années, surtout quand nous parvenons aux dernières années de notre vie terrestre. Notre réponse libre aux dons du Seigneur, notre attitude de veilleurs, nous la devons à Jésus. Car, comme le dit saint Paul, « c’est lui qui vous fera tenir solidement jusqu’au bout, et vous serez sans reproche au jour de notre Seigneur Jésus Christ ».

Ce temps de l’Avent exige donc de chacun de nous un renouvellement de notre acte de foi : foi en Dieu créateur et sauveur, foi en sa fidélité à notre égard. Si nous faisons vraiment cet acte de foi de manière personnelle, en particulier dans la prière quotidienne, alors la grâce divine nous transformera et nous fera progresser dans la vie de communion avec la Sainte Trinité. Ayons recours à la prière de la Vierge Marie, et demandons-lui de pouvoir renouveler notre acte de foi tout au long de cet Avent. Elle est « pleine de grâce » et Jésus nous l’a donnée comme Mère.

dimanche 23 novembre 2014

LE CHRIST ROI DE L'UNIVERS / A

23/11/14

Matthieu 25, 31-46

Nous voici parvenus au terme de l’année liturgique avec la solennité du Christ, roi de l’univers.
Nous connaissons bien l’évangile de ce dimanche, cette scène du jugement dernier que Michel-Ange a voulu représenter dans la chapelle Sixtine. Jésus nous parle ici de sa venue à la fin des temps. De ce moment où, pour reprendre les mots de saint Paul, « tout sera sous le pouvoir du Fils », après avoir détruit la mort. Ce sera le temps de l’accomplissement du Royaume de Dieu. Le Christ roi se présente à nous dans cette scène sous la figure du juge et celle du pasteur. Il est le Vivant depuis la victoire de Pâques, il est le Roi de la vie. Et c’est pour cela qu’il a épousé notre condition humaine à Noël, pour que nous ayons la vie, et que nous l’ayons en abondance. Le but ultime de sa mission c’est que Dieu son Père soit « tout en tous ». Il est roi pour se mettre au service de ce grand projet de Dieu : la communion parfaite entre la création, les créatures et leur créateur et Père ou, pour le dire autrement, la réconciliation universelle en Dieu et par Dieu.
Le jugement dernier correspond à une séparation entre les brebis et les chèvres, entre les justes et les maudits. Ce qui signifie que nous avons le pouvoir de nous exclure nous-mêmes de ce grand projet de réconciliation voulu par Dieu et offert à tous dans le Christ. Dans cette mise en scène du jugement dernier quel est le critère de séparation entre les justes et les maudits, les élus et les damnés ? Jésus ne parle ici ni de foi ni de baptême. Alors que beaucoup d’autres textes du Nouveau Testament insistent sur l’importance du baptême et de la foi pour pouvoir être sauvé… Le juge parle des « petits » qui sont ses frères. C’est notre attitude concrète par rapport à ces petits qui nous jugera. Une autre traduction propose à la place de « petits » les « derniers », ce qui nous aide à mieux comprendre qui sont ces petits. Ce ne sont pas les enfants bien sûr, même si les enfants peuvent faire partie de cette catégorie de personnes. Quand nous regardons les exemples donnés (avoir faim et soif, être un étranger, être nu, être malade ou en prison) nous saisissons que le point commun entre toutes ces situations c’est une certaine faiblesse, une vulnérabilité. Les petits qui sont les derniers se distinguent donc des riches et des puissants, qui, eux, n’ont besoin de l’aide de personne. Les petits, eux, ne peuvent pas compter sur un réseau de relations ou sur l’argent pour survivre. Ils sont littéralement dépendants des autres, de leur bonté, de leur générosité et de leur compassion. Finalement le message de cet évangile est très simple. Le roi nous enseigne que si nous désirons entrer dans la vraie vie il nous faut lutter jour après jour contre notre égoïsme et notre indifférence. C’est l’exercice de la vertu de charité vécue de manière personnelle et dans le cadre d’associations qui est la marque de reconnaissance du chrétien. Notre monde dans ses structures mêmes et dans son organisation politique et économique demeure sourd à l’appel du Christ roi. Ce sont les structures de péché, c’est-à-dire une organisation de la société qui favorise l’expansion du mal. Ce qui est mis en avant c’est l’avidité et la concurrence, il faut être le plus fort, le plus gros (pensons aux multinationales), le plus malhonnête, et bien souvent le plus cynique, afin de mieux écraser l’autre et de pouvoir ainsi régner seul sur un champ de ruines. Les rapports qui régissent notre monde ne sont pas des rapports de coopération et de solidarité en vue de ce qui est juste et bon, en vue du bien du plus grand nombre, mais ce sont des rapports de domination, de violence et d’oppression visant à assurer à une infime minorité une richesse indécente au détriment des « petits » en qui Jésus se reconnaît. Tout cela ne doit pas nous décourager d’être sel de la terre et lumière du monde en essayant de mettre en œuvre dans notre vie une autre logique, celle de l’évangile. Que la parole du prophète Michée nous accompagne dans notre désir de nous convertir à cette justice du Royaume des cieux :


« Homme, on t’a fait connaître ce qui est bien, ce que le Seigneur réclame de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité, et t’appliquer à marcher avec ton Dieu. »

mardi 11 novembre 2014

11 novembre 2014 / Centenaire de la première guerre mondiale

Liturgie de la parole à saint Ansgar

11/11/2014

Cette année nous commémorons le centenaire de la première guerre mondiale. A l’occasion de ce temps de prière et de recueillement en mémoire de toutes les victimes des guerres, je voudrais donner la parole à un écrivain français, Romain Rolland (1866-1944), prix Nobel de littérature en 1915. Au moment où le conflit éclata il se trouvait à Genève et c’est dans le Journal de Genève qu’il publia une série d’articles tout au long des années 1914-1915, articles plus tard rassemblés dans un recueil intitulé Au-dessus de la mêlée et qui demeure encore aujourd’hui le plus célèbre manifeste pacifiste de la première guerre mondiale. L’homme de lettres français s’est dévoué corps et âme pendant toute la durée du conflit en faveur des prisonniers de guerre et de leurs familles, en particulier dans le cadre de son engagement au sein de la Croix rouge. Alors que beaucoup d’intellectuels en France comme en Allemagne avaient mis leur talent littéraire au service d’un patriotisme aveugle et avaient glorifié la guerre comme sacrée et nécessaire, Romain Rolland a toujours fait appel à la raison. Du côté allemand le grand écrivain Hermann Hesse, résidant lui aussi en Suisse, s’engagea dans un combat semblable à celui de Romain Rolland. Pour ce dernier il s’agissait avant tout de se défendre de « la haine, qui est plus meurtrière encore que la guerre ». Il avait l’art des formules concises et puissantes :

« Dans la lutte éternelle entre le mal et le bien, la partie n’est pas égale : il faut un siècle pour construire ce qu’un jour suffit à détruire ».

« Je trouve la guerre haïssable, mais haïssables plus ceux qui la chantent sans la faire ».

Et le français Romain Rolland n’hésite pas un instant à citer la lettre d’un soldat allemand :

« Le désir de la paix est intense chez tous, chez tous ceux du moins qui se trouvent sur le front, qui sont obligés d’assassiner et de laisser assassiner… Ils parlent d’une guerre sacrée… Moi, je ne connais pas de guerre sacrée… Mais les enthousiastes de la guerre, qu’ils viennent ! Peut-être qu’ils apprendront à se taire… ».

Si beaucoup d’intellectuels ont failli dans leur mission d’humanistes, emportés qu’ils furent par le flot de la haine, les hommes politiques, ceux qui déclarent les guerres au nom des peuples, portent une responsabilité morale encore plus lourde :

« Ces guerres, je le sais, les chefs d’Etat qui en sont les auteurs criminels n’osent en accepter la responsabilité ; chacun s’efforce sournoisement d’en rejeter la charge sur l’adversaire ».

Mais c’est finalement la soumission des peuples à l’égard de leurs dirigeants bellicistes qui rend la guerre possible:

« Et les peuples qui suivent, dociles, se résignent en disant qu’une puissance plus grande que les hommes a tout conduit. On entend, une fois de plus, le refrain séculaire : ‘Fatalité de la guerre, plus forte que toute volonté’, - le vieux refrain des troupeaux, qui font de leur faiblesse un dieu, et qui l’adorent ».

Pour Romain Rolland ce sont aussi les Eglises chrétiennes (et les chrétiens) qui ont gravement failli au témoignage qu’elles auraient dû rendre en cautionnant le patriotisme aveugle et la haine de l’ennemi :

« Nous avons vu, de notre temps, des hommes d’Eglise chercher, trouver dans l’Evangile la légitimation de la banque ou celle de la guerre ».

Le carburant idéologique de la première guerre mondiale comme de beaucoup d’autres guerres fut bien l’impérialisme dénoncé par Romain Rolland comme « le pire ennemi » :

« Cette volonté d’orgueil et de domination, qui veut tout absorber, ou soumettre, ou briser, qui ne tolère point de grandeur libre, hors d’elle… Chaque peuple, a, plus ou moins, son impérialisme ; quelle qu’en soit la forme, militaire, financier, féodal, républicain, social, intellectuel, il est la pieuvre qui suce le meilleur sang de l’Europe ».

En humaniste authentique il estime qu’en temps de guerre un peuple doit aussi défendre sa raison.

« Les flots de sang, les villes incendiées, toutes les atrocités de l’action et de la pensée n’effaceront jamais dans nos âmes tourmentées le sillage lumineux de la barque de Galilée, ni les vibrations profondes des grandes voix qui, à travers les siècles, proclamèrent la raison patrie de tous les hommes ».

C’est avec une prière écrite par un officier allemand que je conclurai cette évocation de Romain Rolland :

« Toi qui donnes la vie, toi qui la prends, comment te reconnaître ? Dans ces tranchées jonchées de corps mutilés, je ne te trouve pas. Le cri déchirant de ces milliers qu’étouffe l’affreuse étreinte de la mort ne perce-t-il pas jusqu’à toi, ou se perd-il dans l’espace glacé ? Pour qui doit fleurir ton printemps ? Les splendeurs de tes soleils, pour qui ? Oh ! Pour qui, mon Dieu ? Je te le demande au nom de tous ceux à qui le courage et la peur ferment la bouche devant l’horreur de tes ténèbres : quelle chaleur ai-je en moi ? Quelle vérité luit ? Ce massacre peut-il être ta volonté ? Est-ce ta volonté ? »

En fait seule une justice véritable et une démocratie authentique peuvent nous préserver du fléau de la guerre. Dans la France de 2014, patrie des droits de l’homme, dans la France qui a pour devise « liberté, égalité, fraternité », un jeune homme, Rémi Fraisse, vient de perdre la vie, tué par les forces de l’ordre. Son seul crime : être un militant écologiste qui s’opposait à un projet de barrage. Notre époque a le triste privilège de voir naître un nouveau type de guerre : celle des gouvernants contre leur peuple, contre des citoyens qui manifestent légitimement, sans violence, leur opposition à certaines de leurs décisions, contre des citoyens qui estiment que la démocratie ne saurait se réduire à voter une fois tous les cinq ans pour ensuite se contenter d’obéir en attendant passivement le prochain moment « démocratique » nommé élections…

Au niveau de l’Union européenne, de certaines institutions politiques et économiques internationales, on ne cesse de répéter aux peuples qu’il n’y a pas d’alternative à l’organisation actuelle, pourtant catastrophique à bien des égards. A la fatalité de la guerre condamnée par Romain Rolland en 1914 se substitue de nos jours une nouvelle fatalité qui plonge les peuples et les citoyens dans la frustration et le désespoir. Cette situation constitue une grave menace pour la paix. Quand une oligarchie politique et financière ne cesse de s’attaquer à la liberté des citoyens et à la souveraineté des peuples on peut en effet craindre le pire. Le meilleur moyen de promouvoir la paix est de permettre aux citoyens une réelle participation aux décisions politiques et économiques les concernant, en leur assurant aussi le droit fondamental à l’objection de conscience. Car sans liberté véritable la dignité de l’homme est bafouée.

Je terminerai en citant un passage du Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise :

« La personne humaine est le fondement et la fin de la communauté politique… La communauté politique trouve dans la référence au peuple sa dimension authentique… Le peuple n’est pas une multitude amorphe, une masse inerte à manipuler et à exploiter, mais un ensemble de personnes dont chacune – à la place et de la manière qui lui sont propres- a la possibilité de se former une opinion sur la chose publique et la liberté d’exprimer sa sensibilité politique et de la faire valoir en harmonie avec le bien commun… Le sujet de l’autorité politique est le peuple, considéré dans sa totalité comme détenteur de la souveraineté ».


dimanche 9 novembre 2014

32ème dimanche du temps ordinaire / A

Matthieu 25, 1-13

9/11/2014

Dans les derniers jours de son ministère public le Seigneur Jésus fait entrevoir à ses disciples sa venue après l’accomplissement du mystère pascal, ce que nous appelons aussi son retour dans la gloire ou son second avènement. Cette venue du Christ correspondra avec l’établissement du Royaume des cieux dans sa plénitude.
L’image utilisée par la parabole des dix jeunes filles (ou des dix vierges) est celle des noces. Le Christ est l’Epoux. La parabole ne nous donne pas beaucoup de détails sur les circonstances de sa venue. Nous savons simplement qu’il tarde à venir et qu’il vient en plein milieu de la nuit, c’est-à-dire au moment où généralement nous dormons. Les premiers chrétiens, et Paul avec eux comme nous le montre la deuxième lecture, pensaient voir la venue du Christ de leur vivant. Or le monde semblait continuer comme avant et le Christ n’était toujours pas revenu dans sa gloire. La déception était grande et le doute grandissant. C’est ce qui explique ce passage de la deuxième lettre de Pierre :
Sachez d’abord que, dans les derniers jours, des moqueurs viendront avec leurs moqueries, allant au gré de leurs convoitises, et disant : « Où en est la promesse de son avènement ? En effet, depuis que les pères se sont endormis dans la mort, tout reste pareil depuis le début de la création. » Bien-aimés, il est une chose qui ne doit pas vous échapper : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour. Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard. Au contraire, il prend patience envers vous, car il ne veut pas en laisser quelques-uns se perdre, mais il veut que tous parviennent à la conversion.

La parabole de ce dimanche s’intéresse davantage à l’attitude des jeunes filles qu’aux circonstances du retour du Christ. Jésus l’a donc prononcée pour nous qui sommes ses disciples, pour nous indiquer quelle doit être notre attitude pendant le temps de l’Eglise qui est aussi celui de l’attente de sa venue comme nous le proclamons au cœur de chaque eucharistie : « Nous attendons ta venue dans la gloire ».

Le chrétien doit en effet prendre pour modèle les jeunes filles prévoyantes, « celles qui étaient prêtes » et qui furent admises aux noces. La lampe et l’huile en réserve sont des éléments essentiels de notre parabole. Nous pouvons donc nous demander ce que représentent ces images dans notre vie chrétienne. Ce que Jésus nous demande c’est la persévérance et la vigilance. Qu’est-ce qui nous permettra, même si nous sommes endormis au moment de la venue de l’époux, de pouvoir l’accueillir comme il se doit et d’entrer avec lui dans la salle des noces ? La lampe pourrait représenter la foi qui nous permet en quelque sorte de voir l’invisible. La lampe c’est probablement aussi l’espérance qui oriente notre regard au-delà de la nuit de notre mort vers le jour lumineux de la rencontre avec le Christ, époux de nos âmes. Mais que sont la foi et l’espérance sans la charité ? Cette huile que les vierges prévoyantes ont prise en réserve n’est-ce pas le feu de l’amour, le feu de l’Esprit Saint ? Si notre amour pour Dieu s’est affaibli ou éteint, comment pourrons-nous persévérer dans la vie chrétienne alors que l’Epoux semble tarder ?
La fin de l’Evangile, le dialogue entre les vierges insensées et l’Epoux, reprend beaucoup d’éléments d’un enseignement donné par Jésus au début de l’Evangile selon saint Matthieu :

Ce n’est pas en me disant : “Seigneur, Seigneur !” qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux. Ce jour-là, beaucoup me diront : “Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé, en ton nom que nous avons expulsé les démons, en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ?” Alors je leur déclarerai : “Je ne vous ai jamais connus. Écartez-vous de moi, vous qui commettez le mal !”

Ce qui nous procurera l’huile en réserve pour la venue du Seigneur ce ne sont pas les marchands mais bien notre fidélité de chaque jour à la volonté du Père. Et comment être fidèle à cette volonté si nous n’avons pas au plus profond de notre cœur l’amour ? Si nous ne nous laissons pas guider par l’Esprit Saint ? Oui, c’est l’amour et lui seul qui nous permet de persévérer dans la vie chrétienne et d’entrer, lorsque le Seigneur le voudra, dans la salle des noces.

Ce qui demeure aujourd’hui, c’est la foi, l’espérance et la charité ; mais la plus grande des trois, c’est la charité.







dimanche 2 novembre 2014

TOUSSAINT

Matthieu 5, 1-12

La sainteté est le propre de Dieu. C’est cette sainteté divine que nous proclamons au cœur de chaque messe par le chant du Sanctus qui s’inspire d’un texte du prophète Isaïe :

« L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur qui siégeait sur un trône très élevé ; les pans de son manteau remplissaient le Temple. Des séraphins se tenaient au-dessus de lui. Ils se criaient l’un à l’autre : « Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur de l’univers ! Toute la terre est remplie de sa gloire. »

Dans l’Ancien Testament la sainteté de Dieu se confond presque avec sa gloire. Dieu est Esprit, Dieu est transcendant : le Créateur est tout autre par rapport à ses créatures. Sa sainteté exprime aussi cette distance entre le Créateur et les créatures. Dans le culte divin mis en place par la Loi de Moïse on distingue le sacré du profane, et dans la vie de chaque jour le pur de l’impur. Ce sont autant de manières pour le juif d’honorer le Dieu saint. La sainteté et la gloire de Dieu sont liées à l’arche d’alliance, lieu privilégié de la présence divine. Arche qui a voyagé avec le peuple à travers le désert et qui était placée sous la tente de la rencontre, arche qui ensuite a été transférée par David dans le premier temple de Jérusalem. Puis est venu le temps de l’accomplissement des promesses avec la nouvelle alliance, une alliance éternelle. Dans le mystère de l’incarnation Dieu qui est Esprit épousait notre humanité en son Fils Jésus. Dieu venait vivre notre condition humaine de l’intérieur pour nous dire son amour et sa proximité. Quand saint Jean nous parle de ce mystère dans le prologue de son évangile, il écrit : « Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire ». Le texte grec utilise une expression significative : « Il a planté sa tente au milieu de nous », expression qui rappelle la tente de la rencontre. Jésus est donc la nouvelle arche d’alliance, le temple nouveau et éternel, celui qui rayonne la sainteté et la gloire de Dieu. Avec la venue de Jésus la sainteté de Dieu n’est plus localisée dans un temple mais elle se répand dans toute la création et particulièrement dans le cœur des hommes. Tout est appelé à devenir sacré même les réalités les plus humbles et les plus charnelles. Il n’y a plus rien d’impur dans la création si ce n’est le mal qui provient du cœur de l’homme et qui le pousse à pécher. Saint Paul n’hésitera pas à dire que désormais « tout est pur pour les purs ».
La fête de la Toussaint nous rappelle que nous participons à cette sainteté de Dieu par le baptême, la confirmation et tous les autres sacrements mais aussi par la foi et la charité. Nous pouvons avoir parfois une fausse conception de la sainteté chrétienne, comme si cette dernière était réservée aux ermites et aux moines. Jésus en prenant notre condition humaine et en vivant une vie ordinaire au milieu de son peuple nous fait comprendre au contraire que le don de la sainteté est offert à tous et cela dans les conditions de notre vie quotidienne. Dans l’évangile des Béatitudes nous n’avons pas entendu Jésus nous dire : « Heureux ceux qui ont des visions et des extases, heureux ceux qui font des miracles, heureux ceux qui parlent en langues ». Les Béatitudes nous parlent d’abord d’une disposition intérieure, d’une qualité du cœur. Ce n’est pas en nous détournant de notre monde que nous serons saints. Jésus nous demande plutôt de nous sanctifier au cœur de ce monde avec tous ses problèmes et ses défis, et nous savons qu’ils sont nombreux. La sainteté consiste à ne pas perdre l’espérance d’un monde nouveau, d’une création nouvelle, puisque Jésus a voulu tout sanctifier depuis la nuit de Noël. Le trésor de la sainteté nous est particulièrement confié à nous qui sommes chrétiens. Il nous revient de le faire fructifier en nous engageant jour après jour à faire le bien selon l’esprit de l’Evangile. Participer à la sainteté de Dieu c’est une réalité concrète qui doit donc avoir des conséquences visibles dans notre manière d’être, dans notre comportement, nos engagements et nos choix de vie. Diverses associations, chrétiennes ou pas, nous permettent de mettre notre foi en pratique dans divers domaines : la pauvreté et la faim dans le monde, la justice sociale, l’écologie, la lutte contre la torture et la peine de mort, la promotion d’une paix véritable etc. Oui, nous serons heureux de la joie même de Jésus si nous ne laissons pas dormir en nous le don de la sainteté ; oui, nous serons heureux de sa joie si nous sommes prêts à accepter la souffrance en raison de notre engagement pour la paix et la justice sur cette terre.
Recevons en cette fête l’enseignement de l’apôtre Paul :

« Dans le Christ Jésus, ce qui a de la valeur, ce n’est pas que l’on soit circoncis ou non, mais c’est la foi qui agit par la charité… Ne nous lassons pas de faire le bien, car, le moment venu, nous récolterons, si nous ne perdons pas courage. »

dimanche 26 octobre 2014

30ème dimanche du temps ordinaire / A

26/10/14

Matthieu 22, 34-40

Jésus nous donne dans l’Evangile de ce dimanche un enseignement fondamental pour notre vie chrétienne. Le double commandement de l’amour est en effet le cœur et l’âme de toute la Loi de Moïse. Cette Loi contenait tellement de commandements et de préceptes qu’il était facile d’en oublier l’essentiel au profit de certains préceptes secondaires. Jésus adressera un reproche sévère à ceux qui lui posent cette question « pour le mettre à l’épreuve ». Ce reproche du Seigneur à l’encontre des pharisiens se trouve dans le chapitre qui suit notre Evangile :

Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous payez la dîme sur la menthe, le fenouil et le cumin, mais vous avez négligé ce qui est le plus important dans la Loi : la justice, la miséricorde et la fidélité. Voilà ce qu’il fallait pratiquer sans négliger le reste. Guides aveugles ! Vous filtrez le moucheron, et vous avalez le chameau !

En allant à l’essentiel Jésus effectue une merveilleuse simplification de la vie religieuse. Tout l’Ancien Testament se résume à ces deux commandements, tout dans la Loi et les prophètes doit être compris à la lumière du commandement de l’amour. Nous le voyons, Jésus n’invente rien. Il se contente de mettre une hiérarchie entre les commandements. Il nous demande de distinguer ce qui est le plus important de ce qui est secondaire. En morale il s’agit en effet de ne pas tout mettre sur le même plan. C’est aussi un danger pour nous catholiques de nous attacher de manière excessive à des aspects secondaires de la vie chrétienne tout en négligeant ce qui est premier et essentiel. Le génie de Jésus consiste à avoir montré l’unité qui existe entre l’amour pour Dieu et l’amour pour le prochain. Le double commandement de l’amour nous permet d’unifier notre vie chrétienne et de ne pas vivre le culte et la prière comme des moments séparés, n’ayant aucun rapport avec le quotidien de notre existence, ni aucune influence sur nos choix et décisions. C’est cette belle unité de la vie chrétienne que nous rappelaient les évêques de France en 1996 : « Nous ne pouvons pas laisser croire qu’il nous faudrait choisir entre Dieu et les hommes, entre la foi en Dieu et le service des hommes ».

Je voudrais maintenant vous parler du premier commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit ». La formulation de ce commandement a l’avantage de nous montrer concrètement comment nous pouvons aimer Dieu et le servir : avec toute notre personne. Nous cherchons Dieu et nous allons à sa rencontre avec tout ce que nous sommes : le cœur, l’âme et l’esprit. Ce n’est pas par hasard que le cœur est cité en premier. Dans la Bible le cœur représente bien sûr notre capacité à aimer mais aussi le plus intime de notre personne humaine, le centre unique de notre personnalité. Blaise Pascal a beaucoup parlé de l’importance du cœur dans ses Pensées : « C’est le cœur qui sent Dieu, et non la raison : voilà ce que c’est que la foi. Dieu sensible au cœur, non à la raison ». Notre amour pour Dieu va bien au-delà d’un amour philosophique. L’âme correspond quant à elle au souffle de vie que Dieu nous donne, c’est le principe même de notre vie. Aimer Dieu avec toute notre âme cela signifie donc l’aimer par toute notre vie : pas seulement le dimanche à la messe ou encore lorsque nous prions mais à travers nos pensées et nos actes de chaque jour, même les plus simples. Enfin l’esprit c’est ce qui nous permet l’intelligence des choses, la compréhension des êtres et du monde dans lequel nous vivons. C’est la foi qui nous met en relation avec Dieu mais la foi n’exclut pas l’usage de notre raison. Pascal avait cette belle formule : « Soumission et usage de la raison : en quoi consiste le vrai christianisme ». C’est pour cela qu’il y a toujours eu dans l’Eglise des exégètes et des théologiens, des personnes qui ont utilisé les lumières de l’esprit humain pour approfondir le sens de ce qui était révélé par Dieu dans la Bible et enseigné dans le catéchisme comme vérité de foi. Au cœur, à l’âme et à l’esprit Saint Paul n’hésite pas à ajouter notre corps : « Rendez donc gloire à Dieu dans votre corps ». Oui, c’est vraiment avec toutes les dimensions de notre être, créé par Dieu, que nous sommes appelés à l’aimer en lui rendant grâce pour le don de notre vie, celui de son Fils Jésus, et celui de l’Esprit Saint qui habite en nos cœurs comme dans un temple. Nous pouvons enfin établir une correspondance entre les dimensions de notre être et les vertus théologales par lesquelles nous entrons en relation avec le Seigneur. Au cœur correspond bien sûr la vertu de charité. Notre âme, principe de notre vie humaine, va de pair avec l’espérance car cette vertu nous fait espérer la vie éternelle. Et notre esprit ou notre intelligence correspond à la foi. En effet, comme le faisait remarquer Jean-Paul II, « la foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité ».


lundi 20 octobre 2014

29ème dimanche du temps ordinaire / Année A

19/10/14

Matthieu 22, 15-21

En lisant les évangiles nous trouvons assez souvent des épisodes semblables à celui que nous rapporte saint Matthieu en ce dimanche. Des pharisiens ou des docteurs de la Loi s’approchent de Jésus pour lui tendre un piège. Ils lui posent une question non pas parce qu’ils recherchent la vérité mais pour « prendre en faute Jésus en le faisant parler ». Nos hommes politiques sont de grands spécialistes de cette tactique au cours des faux débats auxquels ils participent sur les plateaux de télévision. Saint Luc est encore plus clair quant au but recherché ici par les pharisiens : « afin de le livrer à l’autorité et au pouvoir du gouverneur ». Jésus n’est bien sûr pas dupe : il connaît la perversité de ses adversaires et n’hésite pas à les traiter d’hypocrites. Sa prédication les gêne. Il attire à lui le peuple. Il menace donc leur autorité religieuse et surtout le prestige humain dans lequel ils se complaisent. Il faut donc en finir au plus vite avec ce prédicateur trop charismatique. Dans le chapitre suivant le Seigneur se montre particulièrement sévère envers ces hommes qui pratiquent une religion de façade : ce sont les sept malédictions contre les pharisiens.
Mais il nous faut être justes. Même si l’intention est perverse, la question qui est posée n’est pas sans intérêt : « Est-il permis de payer l’impôt à l’empereur ? » Remettons-nous dans le contexte du peuple juif au premier siècle : il est sous occupation romaine, donc sous la domination païenne. Depuis 587 av. JC, date de la ruine de Jérusalem, Israël a perdu son indépendance politique. On comprend donc que pour certains Juifs nationalistes payer l’impôt à Rome cela revient à collaborer avec l’occupant. Cette question morale ne relève pas seulement d’un antique débat. Elle se pose aussi à nous aujourd’hui même si nous n’y pensons pas spontanément. Un citoyen français, et un chrétien à plus forte raison, peut se poser des questions quant au fait de contribuer à travers son impôt à l’arme nucléaire par exemple. Ou encore de contribuer aux subventions attribuées par les municipalités du midi aux corridas. On pourrait multiplier les exemples. Mais on devine derrière cette question un véritable cas de conscience pour ceux qui se la posent honnêtement.
Comme souvent Jésus ne répond pas directement à la question. Il évite ainsi de tomber dans le piège qui lui est tendu. S’il répond « oui », il sera traité de collaborateur. S’il répond « non », il sera dénoncé comme un révolutionnaire voulant renverser le pouvoir romain. Il répond donc en posant à son tour une autre question : « Cette effigie et celle légende, de qui sont-elles ? » Ou pour le dire autrement : quelle est l’autorité qui frappe la monnaie que nous utilisons chaque jour pour nos échanges commerciaux ? C’est bien l’empereur de Rome, en l’occurrence Tibère. Finalement Jésus répond indirectement « oui » : il est permis de payer l’impôt à César. Car il ne faut pas confondre les règnes temporels qui se succèdent les uns aux autres dans l’histoire et le règne de Dieu, son royaume, qui demeure à jamais. Ce que Jésus veut dire aux pharisiens c’est qu’ils peuvent être de bons juifs tout en payant l’impôt à César. La qualité de leur vie religieuse n’est pas diminuée par leur soumission au pouvoir temporel sur ce point précis. Si Jésus distingue donc la sphère du pouvoir civil du Royaume de Dieu, les choses se compliqueront tout au long de l’histoire de l’Eglise. Dans le Nouveau Testament lui-même nous trouvons des accents différents. Saint Paul recommande aux chrétiens d’obéir aux autorités civiles et il va même jusqu’à affirmer que leur autorité vient de Dieu. Mais face aux autorités religieuses Pierre et Jean revendiquent l’objection de conscience, le devoir de désobéir : « Est-il juste devant Dieu de vous écouter, plutôt que d’écouter Dieu ? A vous de juger. »
La distinction entre César et Dieu n’est pas une séparation. Et c’est là toute la difficulté du débat. Jésus condamne par avance toute vision nationaliste ou patriotique de la foi religieuse, car ce sont deux domaines différents. Par ailleurs si nous rendons vraiment à Dieu ce qui est à Dieu nous ne pouvons pas rester indifférents au cours des affaires terrestres. Notre foi chrétienne est aussi une force prophétique dans le domaine de César, c’est-à-dire dans la politique. Et c’est au nom de cette foi que tout au long de l’histoire des chrétiens se sont élevés contre les diktats des puissants. Pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres on peut penser aux frères Berrigan, deux prêtres catholiques américains, qui ont organisé des actions de désobéissance civile pour s’opposer à la poursuite de la guerre du Vietnam et influencer l’opinion publique. Oui, le chrétien doit participer à la vie civique de son pays en payant l’impôt. Mais il doit garder sa conscience libre par rapport aux décisions des autorités. S’il veut être sel de la terre et lumière du monde, il doit demeurer vigilant et exprimer son désaccord de manière pacifique lorsque cela est nécessaire.


dimanche 12 octobre 2014

28ème dimanche du temps ordinaire / année A

Matthieu 22, 1-14

12/10/14

En ce dimanche la liturgie nous propose à nouveau une parabole. Jésus raconte cette histoire pour nous faire entrer dans le mystère du Royaume des cieux. Il avait commencé sa prédication en Galilée en annonçant ce Royaume : « Convertissez-vous car le Règne de Dieu est là ». Ce thème a toujours été central dans la prédication de Jésus et à la fin de son ministère public il le reprend, quelques jours seulement avant sa Passion et sa mort. Cette fois c’est l’image des noces qui est utilisée. Un roi célèbre les noces de son fils. Il nous invite à partager sa joie et à venir au banquet de fête qu’il a préparé pour nous. Ce roi c’est Dieu et son fils c’est bien sûr Jésus. Les noces représentent l’alliance nouvelle et éternelle, l’union de la divinité avec notre humanité dans la personne du Fils de Dieu. Oui, dans le sein de Marie sa mère, Jésus épouse notre condition humaine, il se lie pour toujours avec tous les hommes et toutes les femmes, de tous les pays et de tous les temps. Et ce n’est pas par hasard qu’il choisit un repas pour en faire le mémorial de la nouvelle alliance, l’eucharistie. Les noces du Fils de Dieu commencent donc dès l’annonciation et Noël. Elles seront consommées à la fin des temps lors du retour du Christ en gloire. La parabole est dramatique : elle nous décrit notre refus de participer à la fête des noces, notre mauvaise volonté, et même parfois notre opposition violente à ceux qui, de la part de Dieu, nous transmettent cette invitation. Jésus lui-même sera la plus grande victime de ce refus. Nos affaires terrestres (notre champ, notre commerce) nous préoccupent tellement et mobilisent à un tel point notre intérêt et nos énergies qu’il nous est impossible d’entendre l’appel de Dieu. Nous sommes comme spirituellement paralysés. Saint Matthieu nous décrit la réaction violente du roi. Ce que ne fait pas saint Luc. L’exemple du Christ lui-même nous invite à ne pas prendre ce détail de la parabole pour une vérité théologique. Souvenons-nous de la réaction du Seigneur face au refus des samaritains de l’accueillir dans leur village. Ce n’est pas les samaritains qu’il a condamnés mais le mauvais zèle de ses apôtres qui voulaient faire tomber sur eux la punition céleste comme à « la bonne vieille époque » de Sodome et de Gomorrhe... En tant que Fils de Dieu Jésus a toujours refusé d’utiliser la violence et la contrainte. Dans la deuxième partie de la parabole le roi envoie à nouveau ses serviteurs pour inviter largement les hommes à participer aux noces, « les mauvais comme les bons », puisque les premiers invités n’en étaient pas dignes. Comme chez saint Luc la parabole originelle devait se terminer à ce moment précis, celui où « la salle de noces fut remplie de convives ». Mais on a ajouté par la suite une autre parole de Jésus, celle sur le vêtement de noce, qui rend du coup notre parabole incompréhensible. Car si le roi demande à ses serviteurs d’inviter tous ceux qu’ils rencontreront sur les chemins sans donner aucune limitation, comment peut-il ensuite reprocher à l’un de ses invités d’avoir répondu oui à l’invitation et d’être là ? En effet cette invitation était sans condition aucune. Sur le carton d’invitation il n’était pas précisé : « vêtement de noce exigé » ou encore « entrée réservée à ceux qui en sont dignes ». Et de fait les mauvais comme les bons se retrouvent dans la salle du festin. La deuxième partie de notre parabole illustre la grâce divine, le fait que le salut nous est offert sans aucun mérite de notre part alors que la parole sur le vêtement de noces aborde probablement un autre thème, celui de notre libre participation au salut ou encore la nécessité du baptême. D’ailleurs la liturgie de l’eucharistie reflète parfaitement l’enseignement de la parabole. C’est logique puisque l’eucharistie est déjà ce repas du Royaume des cieux, une anticipation dans l’Eglise du festin des noces de l’Agneau à la fin des temps. « Heureux les invités au repas du Seigneur ! Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde », telle est l’invitation de Dieu à son repas sacré. Et que répondons-nous ? « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir… ». Oui, face à l’invitation de Dieu nous sommes tous indignes, et personne ne peut dire : je mérite de communier au corps du Seigneur. Que la méditation de cette parabole fasse grandir en nous la gratitude émerveillée pour le don de Dieu, notre humilité face à la grandeur de ce don, et la conscience profonde de notre indignité !


mardi 7 octobre 2014

INTERVIEW AVEC GILLES LARTIGOT à Piolenc (Vaucluse)


Cet été j'ai eu la joie de recevoir dans le jardin du presbytère de Piolenc Gilles LARTIGOT, l'auteur du livre EAT (écrit en français malgré son titre en anglais), venu faire une interview de moi sur deux sujets: 

1°/ L'alimentation et le végétarisme

2°/ La musique Metal

Alors même si cette interview n'est pas une homélie du dimanche vous y trouverez un enseignement biblique (en référence particulièrement au 9 premiers chapitres du livre de la Genèse), c'est la raison pour laquelle je vous propose de la visionner sur You Tube en suivant ce lien:

https://www.youtube.com/watch?v=7RjB1vts1tc&list=UUo3AhnfsCnyDF9Z73MA0q-w



dimanche 28 septembre 2014

26ème dimanche du temps ordinaire / A

28/09/14

Matthieu 21, 28-32


C’est dans le temple de Jérusalem que Jésus adresse cette parole que nous venons d’écouter aux autorités religieuses. Nous sommes dans les derniers jours du ministère public du Seigneur. Il vient de faire son entrée triomphale dans la ville sainte et, dans le temple, il s’est fait remarquer par les autorités en expulsant du lieu de prière les marchands d’animaux et les changeurs. Les chefs des prêtres et les anciens ne peuvent le laisser faire sans réagir : « De quelle autorité fais-tu tout cela ? Qui t’a chargé de le faire ? » En proposant aux responsables religieux du peuple l’histoire des deux fils Jésus met au centre de la discussion la volonté du Père. Dans la prière qu’il nous a transmise nous disons : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». L’histoire des deux fils invités à travailler dans la vigne de leur père est assez simple à comprendre : nos actes valent mieux que nos paroles. Dans l’évangile selon saint Matthieu le Seigneur avait déjà précisé cet aspect de son enseignement : « Ce n’est pas en me disant : “Seigneur, Seigneur !” qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux. » Dans le cas du premier fils il y a un conflit entre sa volonté et ce que veut son père et il le reconnaît clairement : « Je ne veux pas ». L’autre fils fait comme s’il n’y avait pas de conflit : « Oui, Seigneur ! » Tous, autant que nous sommes, ne faisons pas naturellement la volonté de Dieu. Ce que Jésus nous demande en tant qu’envoyé du Père dépasse largement nos capacités naturelles. Il est bon de le savoir pour ne pas se faire d’illusions. Notre refus spontané d’aller travailler dans la vigne du Père est en quelque sorte naturel car nous avons d’autres projets qui nous semblent meilleurs. La qualité du premier fils c’est donc son honnêteté, il ne fait pas semblant, il dit « non ». Alors que l’histoire des deux fils semble nous parler de la différence entre les paroles et les actes, le commentaire qu’en donne Jésus est en décalage. Car la différence entre les publicains et les prostituées d’une part et les chefs religieux de l’autre ne consiste pas en des actes. Tout tourne autour du verbe croire : eux ont cru à la parole de Jean, vous, vous n’y avez pas cru. La différence entre les deux fils ne serait-elle pas d’abord dans la manière qu’ils ont eu d’écouter ou de ne pas écouter la parole de leur Père ? Comment faire la volonté du Père si nous n’écoutons pas sa parole ? Le premier fils semble avoir écouté réellement la parole, c’est pour cela que dans un second temps « s’étant repenti, il y alla ». Il faut du temps à la parole de Dieu pour nous changer du dedans, nous convertir. La différence entre les deux fils consiste dans le fait de laisser la parole de Dieu nous travailler ou pas. Il s’agit davantage de se laisser travailler par la volonté de Dieu que d’aller travailler dans sa vigne. Ou pour le dire autrement nos actes sont le fruit de notre conversion intérieure. Pour la plupart d’entre nous nous connaissons bien les évangiles que la liturgie nous propose chaque dimanche. Il y a donc un réel danger à ce qu’ils n’aient plus de prise sur notre cœur, à ce qu’ils aient perdu leur force d’interpellation. Pour faire la volonté du Père nous avons besoin de cette grâce : écouter avec un cœur nouveau ces textes « anciens » dans le sens de « connus ». Pour faire la volonté du Père nous avons besoin de croire qu’il veut notre bien et notre bonheur. Ce qu’il nous demande nous coûte souvent car cela va dans le sens contraire de notre nature marquée par le péché. Pensons à l’exhortation de Paul dans la deuxième lecture : « Ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes. Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de lui-même, mais aussi des autres ». Mais en fin de compte nous savons par expérience que vivre en conformité avec l’Evangile est la source d’une joie et d’une paix profondes. 

dimanche 14 septembre 2014

La croix glorieuse


Basilique sainte Sabine, Rome


14/09/14

Jean 3, 13-17

Cette année le 14 septembre tombant un dimanche nous célébrons la fête de la croix glorieuse à la place du 24ème dimanche du temps ordinaire. Cette fête est inséparable de la célébration du vendredi saint au cours de laquelle nous vénérons la croix du Seigneur. C’est l’accent qui est différent. Le 14 septembre c’est la croix glorieuse que nous célébrons alors que la croix du vendredi saint est celle des souffrances physiques et morales du Christ.
Avant d’aborder le sens profond de cette fête il est nécessaire de se référer à l’histoire du christianisme. La croix considérée pour elle-même est un horrible objet de torture et de souffrance, un instrument de mort particulièrement terrible. Des milliers d’hommes sont morts du supplice de la croix dans l’antiquité, pensons simplement à Spartacus et aux esclaves qui l’avaient suivi dans sa révolte. La croix en tant qu’instrument de supplice est la preuve de la perversité de l’esprit humain capable d’inventer des formes de torture toujours plus cruelles et barbares. Elle est la preuve éclatante de la méchanceté de l’homme marqué par le péché originel et esclave de ses propres péchés, méchanceté qui va de pair avec un cœur de pierre, un cœur non seulement insensible aux souffrances d’autrui, mais un cœur qui prend un plaisir diabolique à faire souffrir et à tuer. Ne pensons pas que cette barbarie soit l’apanage de l’antiquité : nos armes modernes, en particulier la bombe atomique, les drones et les armes chimiques, sont tout aussi condamnables moralement. Au moins le soldat romain qui plantait les clous dans les pieds et les mains de Jésus avait du cran pour commettre cette horreur, contrairement au pilote qui depuis son avion lâche lâchement des bombes… Tant que l’homme ne s’est pas vraiment converti au Seigneur et à son Evangile il demeure capable des pires atrocités à l’égard de son prochain. Les premiers chrétiens savaient par expérience à quel point le supplice de la croix était un spectacle horrible. C’est la raison pour laquelle il a fallu attendre le 5ème siècle pour que Jésus crucifié soit représenté pour la première fois dans l’histoire de l’art chrétien sur les portes de la basilique sainte Sabine à Rome ! Et encore la croix est absente de cette représentation, on y voit simplement le Christ entouré des larrons étendant les bras en forme de croix. Tout cela pour dire qu’aujourd’hui nous ne célébrons pas un instrument de torture mais bien la croix sur laquelle le Seigneur Jésus a donné sa vie pour obtenir notre conversion et notre salut. Le magnifique texte de saint Paul aux Philippiens nous présente le mystère de Pâques comme un abaissement (la mort sur la croix) et comme une élévation (la résurrection et l’ascension). En parlant de croix glorieuse la liturgie nous montre que les deux aspects du mystère de Pâques sont inséparables : la douleur et la gloire, la croix et la résurrection, la mort et la vie. Aussi si la croix, instrument de supplice, peut être qualifiée de glorieuse c’est uniquement en raison de l’amour du Christ. Ce qui compte en effet ce n’est pas la croix mais bien ce que Jésus y a accompli en acceptant cette mort infamante. Célébrer la croix glorieuse c’est donc célébrer le sacré cœur de Jésus, ce cœur qui nous a tant aimés. C’est la puissance de l’amour divin de Jésus qui a transformé cet instrument de supplice en signe de vie et d’espérance. Comme le disent souvent les pères de l’Eglise en acceptant de mourir sur le bois de la croix Jésus a tué la mort. Il a transformé une invention diabolique en source de vie pour tous ceux qui mettraient sa foi en lui. La fête de ce jour nous demande de mettre au centre de notre foi et de notre vie chrétienne le mystère de Pâques. Tous les dons de Dieu, en commençant par la foi, mais aussi les sacrements et les grâces diverses et variées, les charismes de l’Esprit Saint, ont leur source dans la croix glorieuse, celle de Jésus-Christ, notre unique Seigneur.


dimanche 7 septembre 2014

23ème dimanche du temps ordinaire

Matthieu 18, 15-20

7/09/14

L’Evangile de ce dimanche nous parle de la présence du mal à l’intérieur de l’Eglise. L’Eglise est sainte mais elle rassemble en son sein un peuple de pécheurs en marche vers la sainteté. Les conseils de Jésus ont pour but de nous rendre solidaires les uns des autres. Nous devons nous aider à atteindre la sainteté qui est notre vocation commune. C’est dans ce contexte qu’il nous faut pratiquer la correction fraternelle. Certaines expressions peuvent nous sembler dures : Si le pécheur « refuse encore d’écouter l’Eglise, considère-le comme un païen et un publicain ». J’y reviendrai mais je voudrais dans un premier temps prendre de la hauteur pour mieux comprendre la portée de cet Evangile. En fait c’est la relation entre l’Eglise-communauté et la personne qui est au cœur de cet enseignement de Jésus. La plupart des religions ont un aspect communautaire et un aspect personnel. Cela signifie que c’est ensemble et de manière personnelle que l’on recherche Dieu, qu’on le prie, qu’on lui voue un culte. Il suffit de connaître l’histoire du christianisme pour savoir que l’accent s’est déplacé au cours des siècles. En schématisant à l’extrême on peut dire que jusqu’à la Renaissance l’aspect communautaire a prévalu. La pratique de la religion, soutenue et imposée par l’autorité civile, était une pratique sociale. Si bien qu’en théorie la grande majorité de la population était chrétienne. A partir du 16ème siècle et surtout à partir de la révolution française la religion se privatise au fur et à mesure ou pour le dire d’une manière plus positive elle s’intériorise : ce qui est mis en avant c’est la relation personnelle du croyant avec Dieu. Cela correspond bien sûr à la séparation des Eglises et de l’Etat, à ce que nous appelons la laïcité. L’un des problèmes essentiels de l’Islam aujourd’hui consiste précisément dans l’affirmation communautaire de la pratique religieuse aux dépens de la relation personnelle du croyant avec Dieu. D’où la volonté d’imposer la théocratie, c’est-à-dire un système dans lequel l’Etat et la religion se confondent sans laisser aucun espace de liberté à la conscience personnelle. Comprise ainsi la théocratie n’est en fait qu’une dictature religieuse utilisant, comme toute dictature, la violence, la contrainte et la peur pour obtenir de la population un consensus purement extérieur.
Je reviens maintenant à notre Evangile qui exige que nous le comprenions, comme toujours, en lien avec d’autres enseignements de Jésus. Il serait facile de voir une contradiction entre la pratique de la correction fraternelle et l’image de la paille et de la poutre employée dans le même Evangile :
« Ne jugez pas, pour ne pas être jugés ; de la manière dont vous jugez, vous serez jugés ; de la mesure dont vous mesurez, on vous mesurera. Quoi ! Tu regardes la paille dans l’œil de ton frère ; et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? Ou encore : Comment vas-tu dire à ton frère : “Laisse-moi enlever la paille de ton œil”, alors qu’il y a une poutre dans ton œil à toi ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère.

Ou encore de relever le contraste entre la sévérité de Jésus, demandant de considérer le pécheur refusant de se convertir comme un païen et un publicain, et sa propre attitude faite de bienveillance et de miséricorde à l’égard des pécheurs :

Comme Jésus était à table à la maison, voici que beaucoup de publicains et beaucoup de pécheurs vinrent prendre place avec lui et ses disciples. Voyant cela, les pharisiens disaient à ses disciples : « Pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains et les pécheurs ? » Jésus, qui avait entendu, déclara : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Allez apprendre ce que signifie : Je veux la miséricorde, non le sacrifice. En effet, je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. »

Cette mise en perspective des textes les uns avec les autres nous interdit d’emblée d’avoir une interprétation fanatique de la correction fraternelle. Aider mon prochain à devenir meilleur et à changer ne peut pas se faire sans amour ni patience, et encore moins en niant la dignité de sa conscience. Cela suppose en moi une grande humilité. Le concile Vatican II a donné une belle définition de la conscience : « Le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre ». L’Eglise a justement pour mission d’éclairer et de former la conscience des fidèles en particulier par l’enseignement de la morale. Jésus ne précise pas de quel type de péché il s’agit. Mais on peut supposer que la correction fraternelle concerne surtout les péchés qui portent atteinte à la vie de la communauté, à sa communion et à son unité. D’où l’utilisation en cas de nécessité absolue de l’excommunication. Après avoir fait son travail de formation l’Eglise, comme le confesseur, renvoie toujours le fidèle à sa propre conscience, donc à l’usage de sa liberté qui est un don de Dieu. L’Eglise en tant que communauté comme le chrétien de manière personnelle doivent toujours se souvenir de l’exhortation de saint Paul dans sa lettre aux Romains :

Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait.