mercredi 25 décembre 2019

NOEL 2019




Jean 1, 1-18

Nous venons d’écouter le magnifique prologue que saint Jean donne à son Evangile. Ce prologue est une profonde méditation de l’apôtre sur le mystère que nous célébrons chaque année à Noël : l’incarnation.

Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité.

Pour nous parler du grand mystère de l’incarnation, Jean utilise la notion de Verbe, en grec Logos, qui signifie à la fois la Parole et la Raison. La seconde personne de la Trinité, le Fils unique de Dieu, c’est donc le Verbe, la Parole de Dieu. L’enfant couché dans la crèche, le fils de Marie, nommé Jésus, est le Verbe éternel de Dieu. Cette révélation du Verbe a été préparée par Dieu dans l’Ancienne Alliance comme en témoigne le commencement de la lettre aux Hébreux :

A bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes.

Oui, le Verbe a appelé des hommes nommés prophètes pour non seulement nous transmettre la Parole de Dieu, mais aussi pour se révéler lui-même et pour nous préparer à l’accueillir dans son incarnation. La Bible conserve le témoignage écrit de l’activité de ces prophètes à travers 18 livres. Si l’on voulait résumer le contenu des livres prophétiques, on pourrait retenir trois thèmes principaux : l’annonce du Messie à venir et donc du mystère de Noël, la critique du culte hypocrite et du ritualisme et enfin l’exigence de justice sociale. Parmi les prophètes Isaïe tient une place exceptionnelle. Tout chrétien devrait avoir lu et médité au moins une fois dans sa vie le livre d’Isaïe tellement il est essentiel pour comprendre la personne et le message de Jésus. Je donnerai ici un seul exemple du style vigoureux de ce prophète :

Malheureux, ces gens qui déclarent bien ce qui est mal, et mal ce qui est bien, qui font des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres, qui rendent amer ce qui est doux et doux ce qui est amer ! […] Malheureux ! Ils rédigent des décrets malfaisants, ils inscrivent des écrits d’oppression ! Ils refusent de rendre justice aux faibles, et privent de leurs droits les pauvres de mon peuple ; les veuves deviennent leurs proies, et ils dépouillent les orphelins !

Au terme de cette longue préparation prophétique, la Parole de Dieu se manifeste directement, de manière personnelle, en naissant du sein de la Vierge Marie. En épousant notre condition humaine en toutes choses à l’exception du péché, le Verbe veut nous parler en quelque sorte à partir de notre intériorité, du dedans et non plus du dehors. Cette Parole ne vient pas de nous mais elle nous est désormais transmise dans la personne de Jésus, notre frère en humanité. Jean nous montre que le Verbe n’a pas été accueilli par tous et que même il a été rejeté comme un signe de contradiction pour reprendre les paroles du vieux Syméon dans le temple. Il en est toujours de même aujourd’hui car chacun de nous nous sommes marqués par le péché qui est un refus de Dieu. Le but du mystère de Noël est précisément de nous libérer de l’esclavage et du fardeau de nos péchés pour nous faire participer à la création nouvelle voulue par Dieu et commencée dans la nuit de Noël. Jean nous dit que tout a été créé, que tout continue d’être créé par et dans le Verbe de Dieu. A Noël ce même Verbe inaugure le Royaume de Dieu, donc la nouvelle création. La Parole de Dieu est plénitude de grâce et de vérité. Nous qui sommes nés de Dieu par le baptême, nous devons incarner dans nos vies la grâce et la vérité du Verbe. Cela implique un combat spirituel car nous vivons dans une société dont les valeurs sont bien souvent opposées au message évangélique. Au lieu de la grâce, on nous encourage au chacun pour soi, au profit illimité et à l’égoïsme dans la grande concurrence de la mondialisation. La dureté de cœur et l’indifférence sont présentées comme des vertus pour survivre. Rien ne doit être gratuit, tout doit se payer, même une réalité aussi vitale que l’eau. Au lieu de la vérité, on nous habitue à tordre le sens des mots et à manipuler les esprits, la tristement célèbre novlangue. Nous sommes matraqués par toutes sortes de propagandes publicitaires, idéologiques et politiques. Comment retrouver la grâce et la vérité du Verbe dans un monde dominé par des structures de péché ? Saint Paul nous le dit dans sa lettre aux Romains :

Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait.

Le Verbe de Dieu a choisi comme lieu de son incarnation la crèche de Bethléem. Marie donne naissance à son fils Jésus dans la pauvreté. Le Verbe fait chair se manifeste donc à nous dans une double faiblesse : celle d’un nouveau-né qui ne parle pas encore et qui a besoin de la protection de ses parents, celle du dénuement de sa naissance. Le chrétien épris de la Parole de Dieu a besoin avant toutes choses de la vertu d’humilité pour refléter dans sa vie la grâce et la vérité du Verbe. Etre humble, c’est être toujours vrai et miséricordieux. En ce sens l’humilité de l’incarnation et celle du disciple de Jésus n’est pas une faiblesse mais elle est au contraire le signe de la force spirituelle. C’est cette douce force qui nous permet de démasquer les mensonges de ce monde et de résister aux tentations qu’il nous présente pour détourner notre cœur de l’essentiel : la présence en nous et dans l’Eglise du Verbe, plein de grâce et de vérité. Et cette force ne peut se recevoir que dans une vie de prière fidèle et intense, que par la grâce des sacrements, en particulier l’eucharistie et le sacrement de la réconciliation.

Souvenons-nous enfin du cri prophétique de Bernanos qui, en 1946, écrivait déjà dans La France contre les robots :

« On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ».

dimanche 22 décembre 2019

Quatrième dimanche de l'Avent / A



Matthieu 1, 18-24

22/12/19

Nous venons d’écouter l’Evangile de l’annonce à Joseph qui fait suite à la généalogie de Jésus, Christ, fils de David, fils d’Abraham. Alors que saint Luc nous parle de Gabriel venant demander à Marie d’être la mère du Messie, saint Matthieu nous montre Joseph visité par un ange pendant son sommeil. Face à l’embarras bien compréhensible de Joseph qui veut répudier en secret sa fiancée, Dieu lui envoie son ange pour le réconforter : ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse. Marie n’a pas été infidèle à Joseph. Elle a été choisie entre toutes les femmes pour que par elle se réalise le grand mystère de l’incarnation. Ce qui est véritablement au centre de l’annonce à Joseph c’est la révélation faite par l’ange de la conception virginale. Saint Matthieu la mentionne à deux reprises :

-      Marie fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint.
-      L’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint.

Nous retrouvons cette affirmation dans l’Evangile selon saint Luc lors du récit de l’Annonciation :

L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, il sera appelé Fils de Dieu.

Pourquoi donc cette conception virginale ? Parce que Jésus, le Sauveur, n’est pas seulement un homme extraordinaire et unique, le Messie d’Israël, mais parce qu’il est le Fils de Dieu. Son père ne pouvait être que Dieu lui-même, Dieu agissant par son Esprit dans le sein de Marie. L’épisode de Jésus âgé de 12 ans et retrouvé dans le temple de Jérusalem par Marie et Joseph montre bien cette conscience que l’enfant avait de son origine divine : Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant !  Il leur dit : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »

L’insistance de l’Evangile sur la conception virginale de Jésus n’a pas pour but de mettre en avant une naissance extraordinaire, hors des lois de la nature. La conception virginale est en fait une révélation de l’identité de l’enfant qui naitra de Marie : comme nous le disons dans notre profession de foi il est vrai Dieu et vrai homme. Vrai homme parce que né d’une femme, Marie, sa mère, et vrai Dieu parce qu’elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint. C’est aussi pour cette raison que l’évangéliste cite la prophétie d’Isaïe, notre première lecture. Tout cela est arrivé pour que soit accomplie la parole du Seigneur prononcée par le prophète. Or ce qui s’accomplit lors de l’annonce à Joseph et ensuite lors de la naissance de l’enfant, ce n’est en fait qu’une partie de la prophétie : Voici que la Vierge concevra, et elle enfantera un fils, la conception virginale. Car pour ce qui est de son nom l’enfant s’appellera Jésus et non pas Emmanuel, même si ce nom peut bien sûr s’appliquer à lui.

Enfin Joseph comme Marie est docile à la volonté de Dieu même quand elle se manifeste dans une situation totalement imprévue et déstabilisante. Si Luc donne à Marie la parole pour manifester son consentement à l’ange, Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole, Matthieu quant à lui nous montre l’obéissance d’un Joseph silencieux :
Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse, mais il ne s’unit pas à elle, jusqu’à ce qu’elle enfante un fils, auquel il donna le nom de Jésus.

dimanche 15 décembre 2019

Troisième dimanche de l'Avent / A



15/12/19

Matthieu 11, 2-11

L’Evangile de ce dimanche nous fait entendre un échange à distance entre Jean, dans sa prison, et Jésus. Il nous parle de l’identité de ces deux hommes. Tout part d’une question de Jean, une question habitée par le doute : Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? Comme souvent Jésus ne répond pas directement. Il se contente de se présenter comme celui qui accomplit une prophétie d’Isaïe. Et il conclut avec une formule qui pose question : Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! Cette formule rappelle la prophétie du vieillard Syméon dans le temple à l’occasion de la présentation de l’enfant Jésus par ses parents : Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction. Oui, encore aujourd’hui, la question de l’identité de Jésus divise. Il est toujours un signe de contradiction pouvant susciter tout aussi bien la foi que le refus. Au commencement Jean a cru et, en baptisant Jésus, l’a présenté au peuple comme le Messie. Cependant sa conception du Messie était fort éloignée de ce qu’il entendait dire des premiers pas missionnaires du Seigneur. D’où son doute. En passant par cette étape du doute sa foi en Jésus a été purifiée. Il a fini par accepter que Jésus soit Messie selon une tout autre image que celle qu’il s’était fait(e). Il peut nous arriver à nous aussi, chrétiens, de nous faire une image fausse ou inexacte de Dieu. Dans ce cas Jésus peut être pour nous une occasion de chute si nous ne sommes pas prêts à recevoir de lui la véritable image de Dieu. Qui me voit, voit le Père. Connaître Jésus à travers les Evangiles, c’est connaître non seulement sa véritable identité, mais c’est en même temps avoir accès à l’authentique image de Dieu en tant que Père.

Dans la seconde partie de notre Evangile, le Seigneur précise l’identité de Jean. Il est non seulement le plus grand des prophètes, mais le plus grand parmi les hommes qui ont vécu avant l’ère chrétienne. Il est cette frontière entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance. Et cependant le plus petit dans le royaume des Cieux est plus grand que lui. Le Royaume des Cieux ce n’est pas seulement le Paradis après notre mort. Jésus commence précisément sa prédication en annonçant cette présence du Royaume des Cieux ou de Dieu. Le plus petit parmi les disciples de Jésus, le plus petit membre de son Eglise, est plus grand que Jean le baptiste. Car ce dernier est mort avant d’avoir vu l’accomplissement de la mission de Jésus à Pâques. Alors que nous nous connaissons par la foi le mystère de la mort et de la résurrection du Christ. Nous en vivons dans les sacrements et en particulier chaque fois que nous célébrons l’eucharistie. Pour comprendre pourquoi nous sommes plus grands que le plus grand des prophètes, il faut se référer à une autre parole de Jésus adressée à ses disciples : Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! Car, je vous le déclare : beaucoup de prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous-mêmes voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu. En ce temps de l’Avent, Jésus en nous rappelant notre dignité de chrétiens nous invite à la joie et à la gratitude parce que nous vivons dans l’ère chrétienne, dans le temps de la grâce, dans le temps de l’accomplissement des promesses par le mystère de l’incarnation que nous célébrerons à Noël.

dimanche 1 décembre 2019

Premier dimanche de l'Avent / A



1er /12/19

Matthieu 24, 37-44

Notre année chrétienne débute avec l’Avent de la même manière qu’elle s’était achevée avec la solennité du Christ, roi de l’univers. C’est-à-dire en nous faisant contempler l’accomplissement de la création et du salut lors de la venue en gloire du Christ. La nuit est bientôt finie, le jour est tout proche. Ce contraste entre la nuit et le jour nous parle d’une manière bien différente si nous habitons au Danemark ou bien si nous habitons dans le sud de l’Europe ! Il s’agit d’une image pour nous parler du jour du Christ, jour de l’accomplissement parfait de l’œuvre de Dieu, jour qui nous surprendra comme le déluge avait surpris les contemporains de Noé. Inutile de chercher à savoir quand précisément le Christ reviendra pour mettre fin à notre monde blessé par le péché.
Les lectures de ce dimanche nous donnent deux grandes caractéristiques de la venue glorieuse du Seigneur à la fin des temps. Il reviendra tout d’abord en tant que juge des vivants et des morts. Il sera juge entre les nations et l’arbitre de peuples nombreux, selon la prophétie d’Isaïe. Ce jugement universel impliquera une séparation comme l’indiquent les expressions de l’Evangile : l’un est pris, l’autre laissé ; l’une est prise, l’autre laissée. Ce sera le dernier Avent de l’histoire humaine. C’est ce que Michel-Ange a tenté de représenter sur la paroi de l’autel de la chapelle Sixtine. Si cet avènement n’a pas lieu de notre vivant, le jour de notre mort représentera comme une anticipation de cet Avent de la fin des temps, car nous serons jugés à ce moment-là qui signera de manière irréversible les choix que nous aurons faits tout au long de notre vie humaine. C’est ce que le catéchisme appelle le jugement particulier.

La seconde caractéristique du retour du Christ en gloire consistera dans l’instauration de la nouvelle création représentée par la magnifique vision de Jérusalem dans la première lecture. Une Jérusalem universelle, catholique, attirant vers elle toutes les nations et tous les peuples de la terre. Isaïe annonce ici la Jérusalem céleste du dernier livre de la Bible, l’Apocalypse. Dans Isaïe comme dans le psaume de cette liturgie, le bien suprême apporté par le règne universel de Dieu sera celui de la paix. Jérusalem, si souvent associée aux conflits tout au long de son histoire, deviendra enfin par le salut du Christ ce que son nom signifie : la ville de la paix. De leurs épées, ils forgeront des socs, et de leurs lances, des faucilles. Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée ; ils n’apprendront plus la guerre. A cette magnifique vision de la paix messianique, il convient d’ajouter celle du chapitre 11, toujours dans le prophète Isaïe : Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâture, leurs petits auront même gîte. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra ; sur le trou de la vipère, l’enfant étendra la main. Il n’y aura plus de mal ni de corruption sur toute ma montagne sainte ; car la connaissance du Seigneur remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer. Cette vision paradisiaque du chapitre 11, écho du jardin d’Eden du commencement, nous fait entrevoir la dimension cosmique du salut apporté par le Christ glorieux à la fin de temps. Ce salut est universel, rassemblant tous les peuples et toutes les nations, mais il est aussi cosmique, rassemblant toutes les créatures humaines et animales dans la paix de Dieu. Si telle est la beauté de l’avenir auquel nous sommes promis, nous savons alors quel est notre devoir sur terre en attendant la venue de ce jour béni. La paix de Dieu nous est déjà donnée dans l’Esprit Saint. Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. Il nous incombe donc de préparer en quelque sorte la matière du Royaume des cieux par notre engagement en faveur de la paix, en sachant que cette paix ne peut s’établir que dans la vérité, la justice et l’amour.

Le concile Vatican II (Gaudium et Spes 39) a exprimé bien mieux que je ne pourrais le faire en quoi consiste notre nécessaire collaboration à l’avènement du Royaume de Dieu :

Certes, nous savons bien qu’il ne sert à rien à l’homme de gagner l’univers s’il vient à se perdre lui-même, mais l’attente de la nouvelle terre, loin d’affaiblir en nous le souci de cultiver cette terre, doit plutôt le réveiller : le corps de la nouvelle famille humaine y grandit, qui offre déjà quelque ébauche du siècle à venir. C’est pourquoi, s’il faut soigneusement distinguer le progrès terrestre de la croissance du règne du Christ, ce progrès a cependant beaucoup d’importance pour le Royaume de Dieu, dans la mesure où il peut contribuer à une meilleure organisation de la société humaine.



lundi 25 novembre 2019

Le Christ, roi de l'univers / année C



24/11/19

Luc 23, 35-43

Pour la solennité du Christ, roi de l’univers, qui clôt notre année chrétienne, l’Eglise nous propose pour l’année C comme pour l’année B un extrait de la Passion du Christ. Ce choix peut paraître paradoxal car il associe la royauté à la croix. Mais il présente l’intérêt de bien nous faire comprendre que l’image du roi appliquée à Jésus exige une interprétation pour être comprise correctement. Le fait de contempler la royauté du Christ au cœur même de sa Passion indique d’emblée la différence essentielle qui existe entre les rois de la terre et le Christ. Et dans ce cas la différence est bien plus importante que la ressemblance.

Dans l’Evangile selon saint Luc que nous venons d’écouter, alors que Jésus souffre sur la croix, il est l’objet des moqueries et des insultes. Le message qui lui est adressé à trois reprises se résume en ces mots : sauve-toi toi-même ! Si tu es bien le Messie, le roi des Juifs… Or Jésus, dont le nom signifie justement Dieu sauve, n’est pas venu partager notre condition humaine pour se sauver lui-même mais bien pour nous sauver. C’est la raison pour laquelle il accepte le supplice de la croix et les injures des hommes. C’est au moment même où il apparaît comme un Messie faible et impuissant qu’il réalise notre salut. C’est le scandale de la croix. La puissance des rois terrestres (ou des chefs d’Etat pour parler un langage plus actuel) se mesure habituellement à leurs forces armées et à l’influence de leur empire économique. D’où la folle course aux armements et la guerre économique sans pitié ! C’est une puissance uniquement matérielle et brutale qui se moque bien de la puissance de Dieu, de la puissance d’ordre spirituel. La boutade de Staline adressée à Pierre Laval en 1935 illustre parfaitement le fossé qui existe entre la puissance humaine et la puissance divine : Le pape ! Combien de divisions ? Dans l’Evangile de ce dimanche un seul homme nomme Jésus par son nom, et non pas en lui donnant les titres de Messie ou de roi : c’est le bon larron. Et il le fait dans une attitude d’humilité et de prière, en confessant le règne de Jésus alors qu’il agonise sur la croix. Ce malfaiteur condamné au supplice de la croix est le seul à avoir tout compris. Il pressent que l’échec de Jésus est en fait l’annonce de sa victoire éclatante puisqu’il viendra après sa mort inaugurer son Règne. Saint Paul dans la deuxième lecture nous fait contempler l’homme-Dieu comme étant au centre de la création et de la nouvelle création. Il est à la fois  le premier-né, avant toute créature et le premier-né d’entre les morts. Tout est créé par lui et pour lui. En regard de ces vérités, que la gloire des puissants de ce monde est insignifiante ! Célébrer la fête du Christ Roi est une invitation à revoir les valeurs qui orientent et dirigent non seulement nos vies mais aussi nos sociétés et les relations internationales. L’Evangile opère dans ce domaine une véritable révolution : celle du service et de l’amour. Il n’y a finalement de véritable puissance que celle de l’Esprit Saint. Le véritable pouvoir humain ne peut être que dans la ligne de l’humilité et du service, en dépendance du pouvoir unique qui est celui de Dieu créateur et Sauveur. L’histoire nous montre comment la puissance de l’Esprit a été capable d’ébranler puis de renverser les puissances de ce monde qui mettaient leur assurance uniquement dans les armes et dans l’argent. De grands empires, des dictatures de fer se sont écroulés, mais l’Eglise, dont le Chef et la Tête est le Christ roi, subsiste faible et petite en ce monde, mais puissante de la force de l’Esprit. Contempler le Christ roi, c’est comprendre l’urgence de remplacer les fausses valeurs agressives et brutales, qu’on les nomme armements, concurrence ou compétition économique, par un esprit radicalement nouveau : celui de l’entraide, de la coopération, du partage des richesses matérielles et humaines, du service désintéressé, de la recherche du bien commun dans le dialogue. Le Christ meurt sur la croix pour tout réconcilier en sa personne et faire la paix. Cet événement du Golgotha a eu lieu il y a 2000 ans, mais force est de constater que les valeurs qui régissent notre monde sont encore celles de l’homme primitif même si nous prétendons être plus civilisés que nos ancêtres. De ce point de vue-là l’Evangile n’en est qu’à ses commencements. Il ne pourra porter tous ses fruits que si nous sommes disposés à changer notre cœur de pierre en un cœur de chair et à croire réellement en la puissance transformatrice de l’Esprit de Dieu.

dimanche 17 novembre 2019

33ème dimanche du temps ordinaire / C




Luc 21, 5-19

17/11/19

Dans l’Evangile que nous venons d’écouter Jésus répond à l’admiration de ses disciples devant le Temple par une annonce de sa destruction totale. C’est par la main du romain Titus et de son armée que cette annonce trouvera son accomplissement en l’an 70. Le Temple de l’époque de Jésus n’était pas celui de Salomon, le premier temple détruit en 587 av.JC par les babyloniens, ni le deuxième reconstruit  à la fin du 6ème siècle. Il s’agissait d’un temple presque neuf puisque construit par le roi Hérode à partir de 19 av.JC. Il n’était même pas totalement achevé à l’époque de Jésus… tellement il était grandiose. Pour bien comprendre l’importance de la destruction du Temple, il faut avoir à l’esprit que ce troisième temple était le lieu unique du culte Juif, contrairement à nos églises. Il n’y avait en effet qu’un temple, à Jérusalem, qui était le lieu de la présence divine et le lieu dans lequel on offrait les sacrifices prescrits par la Loi. Si la destruction du Temple a été un drame pour les Juifs qui l’ont vécue, nous pouvons rechercher, en tant que chrétiens, la signification spirituelle de cet événement. C’est Jésus lui-même qui nous la donne dans l’Evangile selon saint Jean pour justifier son geste lorsqu’il expulse les marchands du temple :

« Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. » Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèverais ! » Mais lui parlait du sanctuaire de son corps.

Dans la nouvelle Alliance, nous avons, nous aussi, un temple unique et véritable, c’est le corps de Jésus mort et ressuscité pour nous. Ce Temple est vivant à jamais et ne pourra jamais plus être détruit par la main des hommes comme sur la Croix, car la mort n’a plus aucun pouvoir sur le Christ glorifié et exalté à la droite du Père. A la fin du livre de l’Apocalypse, dans la vision que Jean a de la nouvelle Jérusalem, donc du Royaume de Dieu dans son achèvement, c’est le Seigneur Dieu et Jésus Agneau qui est l’unique temple :

Dans la ville, je n’ai pas vu de sanctuaire, car son sanctuaire, c’est le Seigneur Dieu, Souverain de l’univers, et l’Agneau.

Et si nous passons de cette vision du Royaume à la fin de la Bible au récit de la création au commencement de la Bible, dans le livre de la Genèse, c’est la femme qui est en quelque sorte la première image du temple construit par Dieu. Observons comment est décrite la création de la femme à partir de la côte de l’homme dans le second récit de la création :

Le Seigneur Dieu bâtit en femme la côte qu’il avait prise de l’homme.

Le vocabulaire utilisé est bien celui de la construction et de l’architecture. Il n’est pas dit explicitement que la femme originelle est un temple… mais comment ne pas penser à Marie, la nouvelle Eve, qui, dans le mystère de l’incarnation, sera véritablement le temple de la divinité, l’Arche d’Alliance !

Alors que nous parvenons à la fin de notre année liturgique, cette méditation sur la différence entre le temple de pierre destructible et le Temple vivant et éternel qu’est le Corps du Seigneur ressuscité, né de la Vierge Marie, nous invite à raviver en nous la grâce du sacrement de notre baptême et de notre confirmation. Car si Jésus, Agneau de Dieu, est bien l’unique temple de la nouvelle alliance, Dieu a voulu que nous soyons aussi, chacun pour notre part et ensemble dans la communion de l’Eglise, ses temples et ses sanctuaires. Saint Paul l’affirme clairement dans sa première lettre aux Corinthiens :

Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous.

Telle est en effet notre grande dignité. Le fait que nous percevons vivement notre faiblesse et nos péchés ne doit jamais nous empêcher de reconnaître ce grand don de Dieu et d’accomplir ainsi jour après jour notre vocation à la sainteté.


dimanche 3 novembre 2019

TOUSSAINT 2019




Le 19 mars 2018, le pape François a donné à l’Eglise une exhortation apostolique sur l’appel à la sainteté dans le monde actuel, Gaudete et exsultate. La solennité de la Toussaint est pour nous l’occasion de recevoir cet enseignement du pape. Je voudrais vous partager certains aspects de sa réflexion en me référant au chapitre IV qui traite de quelques caractéristiques de la sainteté dans le monde actuel. Le pape François énumère 5 caractéristiques de la sainteté chrétienne aujourd’hui :
Endurance, patience et douceur
Joie et sens de l’humour
Audace et ferveur
En communauté
En prière constante.

Pour chacune de ces caractéristiques, je citerai un passage de l’exhortation. Commençons donc par l’endurance, la patience et la douceur :

La première de ces grandes caractéristiques, c’est d’être centré, solidement axé sur Dieu qui aime et qui soutient. Grâce à cette force intérieure, il est possible d’endurer, de supporter les contrariétés, les vicissitudes de la vie, et aussi les agressions de la part des autres, leurs infidélités et leurs défauts : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » (Rm 8, 31). Voilà la source de la paix qui s’exprime dans les attitudes d’un saint. Grâce à cette force intérieure, le témoignage de sainteté, dans notre monde pressé, changeant et agressif, est fait de patience et de constance dans le bien. C’est la fidélité de l’amour, car celui qui s’appuie sur Dieu peut également être fidèle aux frères ; il ne les abandonne pas dans les moments difficiles, il ne se laisse pas mener par l’anxiété et reste aux côtés des autres même lorsque cela ne lui donne pas de satisfactions immédiates.

A la vertu de patience le pape unit le don de la joie spirituelle :

Ce qui a été dit jusqu’à présent n’implique pas un esprit inhibé, triste, aigri, mélancolique ou un profil bas amorphe. Le saint est capable de vivre joyeux et avec le sens de l’humour. Sans perdre le réalisme, il éclaire les autres avec un esprit positif et rempli d’espérance. Être chrétien est « joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14, 17), parce que « l’amour de charité entraîne nécessairement la joie. Toujours celui qui aime se réjouit d’être uni à l’aimé […]. C’est pourquoi la joie est conséquence de la charité »… Il y a des moments difficiles, des temps de croix, mais rien ne peut détruire la joie surnaturelle qui « s’adapte et se transforme, et elle demeure toujours au moins comme un rayon de lumière qui naît de la certitude personnelle d’être infiniment aimé, au-delà de tout ». C’est une assurance intérieure, une sérénité remplie d’espérance qui donne une satisfaction spirituelle incompréhensible selon les critères du monde.

La troisième caractéristique de la sainteté consiste en l’audace et la ferveur du chrétien :

L’accoutumance nous séduit et nous dit que chercher à changer quelque chose n’a pas de sens, que nous ne pouvons rien faire face à cette situation, qu’il en a toujours été ainsi et que nous avons survécu malgré cela. À cause de l’accoutumance, nous n’affrontons plus le mal et nous permettons que les choses ‘‘soient ce qu’elles sont’’, ou ce que certains ont décidé qu’elles soient. Mais laissons le Seigneur venir nous réveiller, nous secouer dans notre sommeil, nous libérer de l’inertie. Affrontons l’accoutumance, ouvrons bien les yeux et les oreilles, et surtout le cœur, pour nous laisser émouvoir par ce qui se passe autour de nous et par le cri de la Parole vivante et efficace du Ressuscité… Les saints surprennent, dérangent, parce que leurs vies nous invitent à sortir de la médiocrité tranquille et anesthésiante.

Comme quatrième caractéristique le pape propose l’appartenance à la communauté, l’importance de se sentir membre de l’Eglise. Ou pour le dire autrement nous avons besoin non seulement de Dieu mais aussi des autres pour progresser sur ce chemin de notre vocation à la sainteté.

Il est très difficile de lutter contre notre propre concupiscence ainsi que contre les embûches et les tentations du démon et du monde égoïste, si nous sommes trop isolés. Le bombardement qui nous séduit est tel que, si nous sommes trop seuls, nous perdons facilement le sens de la réalité, la clairvoyance intérieure, et nous succombons. La sanctification est un cheminement communautaire, à faire deux à deux.

Enfin la vie de prière, la vie spirituelle est une dimension fondamentale de vie des saints, donc de toute vie chrétienne.

Finalement, même si cela semble évident, souvenons-nous que la sainteté est faite d’une ouverture habituelle à la transcendance, qui s’exprime dans la prière et dans l’adoration. Le saint est une personne dotée d’un esprit de prière, qui a besoin de communiquer avec Dieu. C’est quelqu’un qui ne supporte pas d’être asphyxié dans l’immanence close de ce monde, et au milieu de ses efforts et de ses engagements, il soupire vers Dieu, il sort de lui-même dans la louange et élargit ses limites dans la contemplation du Seigneur. Je ne crois pas dans la sainteté sans prière, bien qu’il ne s’agisse pas nécessairement de longs moments ou de sentiments intenses.


dimanche 27 octobre 2019

30ème dimanche du temps ordinaire / année C



27/10/19

Luc 18, 9-14

D’une certaine manière la parabole que nous venons d’écouter développe celle entendue dimanche dernier : celle de la veuve et du juge inique. Il s’agit toujours du thème de la prière. L’exemple de la veuve nous était donné pour nous encourager à persévérer dans la prière, et particulièrement dans la prière de demande : Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager. Aujourd’hui Jésus nous dépeint l’attitude de deux hommes qui montent au temple pour prier. Il veut nous donner à travers ce petit tableau un enseignement sur l’esprit dans lequel nous devons prier. Car, comme le montre l’exemple du pharisien, on peut prier mais d’une manière qui ne correspond pas à la volonté de Dieu, d’une mauvaise manière. L’introduction donnée par saint Luc à la parabole permet de dépasser le cadre strict de la prière : À l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres, Jésus dit la parabole que voici. Ce qui est en jeu ici c’est une attitude spirituelle qui concerne l’ensemble de notre vie et pas seulement les moments que nous consacrons à la prière. Le Seigneur nous met en garde contre une tentation qui est propre aux croyants et aux personnes pieuses : celle de l’orgueil spirituel. Le péché capital d’orgueil, perçu au niveau simplement humain, est facilement repérable : il touche en particulier les domaines du pouvoir, de l’ambition, de la connaissance et de la richesse. Saint Jean en dresse un portrait évocateur : Tout ce qu’il y a dans le monde – la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, l’arrogance de la richesse –, tout cela ne vient pas du Père, mais du monde. C’est l’orgueil mondain. L’orgueil spirituel, quant à lui, est beaucoup plus difficile à détecter, ce qui le rend d’autant plus dangereux pour notre vie chrétienne et spirituelle. L’introduction de notre page évangélique en donne les caractéristiques essentielles : se considérer comme un juste et mépriser les autres. Le contenu de la prière du pharisien nous permet de mieux comprendre la nature de cet orgueil spirituel, saisie au cœur même de la prière : Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain. Cette prière commençait très bien, par une action de grâce… mais l’orgueil du pharisien la gâte, la transformant en une prière incapable de plaire à Dieu et de toucher son cœur. Je ne suis pas comme les autres hommes… Le but de toute prière authentique est la communion avec Dieu, Créateur et Père de tous les hommes. Jésus nous demande bien de dire : Notre Père et non pas mon Père. Le croyant orgueilleux s’appuie sur ses bonnes actions pour s’exclure de l’humanité commune considérée comme pécheresse et mauvaise. Il oublie ce que Jésus enseigne dans l’Evangile selon saint Matthieu : il s’agit bien pour nous d’être vraiment les fils du Père qui est aux cieux et qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. La prière véritable unit et fait grandir la communion non seulement avec Dieu mais entre nous. Au lieu d’exclure les autres, elle les inclue au contraire, en particulier par l’intercession. Elle est incompatible avec le jugement qui méprise le frère, avec un cœur dur et sans miséricorde. Bref elle a pour condition essentielle la vertu d’humilité que nous retrouvons dans la figure du publicain. Prier en pensant ou en disant du mal de nos frères est une contradiction en soi. Saint Jacques nous met en garde contre la peste du jugement si difficile à extirper de notre cœur : Cessez de dire du mal les uns des autres ; dire du mal de son frère ou juger son frère, c’est dire du mal de la Loi et juger la Loi. Or, si tu juges la Loi, tu ne la pratiques pas, mais tu en es le juge. Un seul est à la fois législateur et juge, celui qui a le pouvoir de sauver et de perdre. Pour qui te prends-tu donc, toi qui juges ton prochain ?

Pratiquement, cette parabole nous invite à considérer comment et dans quel esprit nous entrons dans la prière. Deux pratiques nous rendront plus forts pour lutter contre l’orgueil spirituel : invoquer l’aide et la lumière de l’Esprit Saint et faire un acte d’humilité, soit par un geste (se mettre à genoux, se tenir à distance, ne pas lever les yeux comme le publicain etc.) soit par une prière dans laquelle nous nous reconnaissons pécheurs, nous nous abaissons, au lieu de nous vanter en présence du Seigneur : Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis ! Ce n’est pas par hasard que chaque célébration eucharistique commence par nous faire faire précisément cet acte d’humilité.

dimanche 20 octobre 2019

29ème dimanche du temps ordinaire / année C



20/10/19

Luc 18, 1-8

Dimanche dernier, l’un des dix lépreux guéris par le Christ nous donnait l’exemple de la prière de remerciement. Aujourd’hui, à travers l’histoire de la veuve importune, Jésus nous donne un enseignement sur la prière de demande. Ce n’est pas la première fois dans l’Evangile selon saint Luc. Au chapitre 11, immédiatement après le don de la prière du Notre Père, la prière de demande par excellence, nous trouvons l’histoire de l’homme importun qui vient réclamer au milieu de la nuit trois pains à son ami. Les deux paraboles sont très proches l’une de l’autre et délivrent un même message : il nous faut apprendre à prier sans se décourager. Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe, on ouvrira. Si Jésus oppose la persévérance dans la prière de demande au découragement, c’est bien parce que nous nous décourageons. Lorsque nous ne sommes pas exaucés, nous cessons de demander, en pensant que cela est inutile. Et combien de prières avons-nous faites sans obtenir ce que nous demandions à Dieu ?

Face à cette difficulté, l’Evangile nous donne un premier élément de réponse : nous ne sommes pas exaucés parce que nous ne prions pas avec une foi véritable. Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? Et pourtant nous avons entendu récemment cette affirmation de Jésus, en réaction à la demande de ses apôtres « Augmente en nous la foi ! » : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous aurait obéi. Autrement dit, dès que la foi est présente, elle est puissante et agissante. Or notre foi, petite comme une graine de moutarde, s’accompagne parfois de bien des doutes. Nous pouvons trouver un autre élément de réponse dans la conclusion que le Seigneur donne à l’histoire de l’homme importun qui vient déranger son ami pendant la nuit, comme la veuve ennuie le juge jusqu’à obtenir justice : Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! De manière implicite, Jésus nous fait comprendre quel doit être le premier et principal objet de notre prière de demande : le don de l’Esprit Saint. Enfin un troisième élément de réponse se trouve dans l’introduction donnée au Notre Père dans l’Evangile selon saint Matthieu, introduction qui peut sembler en contradiction avec l’Evangile de ce dimanche… Lorsque vous priez, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés. Ne les imitez donc pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant même que vous l’ayez demandé. Il existe certes une nuance importante entre persévérer dans la prière et rabâcher. Persévérer peut impliquer bien sûr la répétition d’une demande, mais décrit surtout l’intensité avec laquelle nous demandons. Il n’en reste pas moins vrai que le Jésus de saint Luc nous encourage à la prière de demande alors que celui de saint Matthieu semble la déclarer inutile car notre Père sait de quoi nous avons besoin, avant même que nous l’ayons demandé. Mais au fond les deux se rejoignent insistant l’un sur la foi, l’autre sur la confiance. La règle de notre prière de demande doit être finalement celle du Notre Père. Sa condition est la confiance absolue dans le Père. Son objet essentiel, nous l’avons vu, est le don de l’Esprit Saint. Ce qui exclue bien sûr toutes les demandes mauvaises inspirées par la haine, la jalousie, la cupidité ou encore la vengeance. Quand nous demandons au Père une grâce pour les autres ou pour nous-mêmes qui nous semble bonne, comme par exemple la guérison ou trouver un travail ou un mari ou une femme, nous devons toujours le faire à la fois dans l’esprit de persévérance et dans l’esprit de confiance, en soumettant notre demande particulière à la grande et unique demande qui résume tout et qui seule est parfaite parce que faisant partie de la prière même du Seigneur :
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.

dimanche 13 octobre 2019

28ème dimanche du temps ordinaire / C



13/10/19

Luc 17, 11-19

Les Evangiles nous rapportent de nombreux épisodes de guérisons opérées par Jésus. Dans ces récits on retrouve bien souvent des points communs : une supplication de la part des malades (ici : Jésus, maître, prends pitié de nous) et l’importance accordée par le Seigneur au rôle de la foi dans la guérison (ici : relève-toi et va : ta foi t’a sauvé).

Le récit de la purification des dix lépreux insiste quant à lui sur un autre aspect en nous donnant comme exemple l’un des dix lépreux, un Samaritain. L’Evangile de Luc met en effet en valeur l’attitude de ce Samaritain qui est celle de l’action de grâce et de la gratitude. Constatant sa guérison, avant même d’arriver à Jérusalem pour se montrer aux prêtres, il revient sur ses pas à la rencontre de Jésus en glorifiant Dieu à pleine voix. Le Seigneur souligne que c’est un étranger, un Samaritain, qui a été capable d’exprimer son adoration et sa gratitude. Souvenons-nous aussi de la parabole du bon Samaritain dans le même Evangile.

C’est la première leçon que nous pouvons retirer de cet épisode. Elle nous enseigne que la foi et la ferveur ne sont pas la propriété exclusive des bons Juifs ou des bons catholiques, et que malheureusement nous sommes parfois parmi les plus lents ou les plus incapables à exprimer à Dieu notre action de grâce, à l’image des neuf lépreux oubliant celui qui les a guéris. Tous les dix n’ont-ils pas été purifiés ? Les neuf autres, où sont-ils ? Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu !

La seconde leçon est évidente : il s’agit de l’importance de la gratitude envers Dieu. Cet Evangile nous interroge sur notre aptitude à savoir dire tout simplement merci. Et la vertu de gratitude commence d’abord à s’exercer au niveau humain, c’est-à-dire dans les relations que nous avons les uns avec les autres. Si nous sommes incapables de dire merci à notre prochain que nous voyons, comment serions-nous capables d’action de grâce envers Dieu que nous ne voyons pas ? La gratitude va bien au-delà de la simple politesse. Elle s’apprend dès le plus jeune âge dans le cadre de la famille. Il s’agit en fait de reconnaître que nous dépendons des autres pour vivre et que nous ne sommes pas des êtres autonomes et isolés. Il s’agit de percevoir que tout est don. Et même quand nous achetons quelque chose, il est bon de dire merci. Sans cette reconnaissance de notre dépendance mutuelle, la vie en société devient dure et sauvage. La gratitude contribue à la douceur de la vie en société et à la joie de vivre ensemble. Il s’agit de nous enlever de la tête que tout nous est dû que ce soit dans le couple, dans la famille, dans notre travail et dans notre vie sociale. A plus forte raison la gratitude est aussi une vertu spirituelle qui touche au cœur même de notre relation avec Dieu pour la simple raison qu’il est Créateur et que nous sommes ses créatures. Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? s’exclame saint Paul. Un cœur bon est forcément un cœur qui sait reconnaître le don de Dieu, le don des autres, et qui spontanément exprime sa reconnaissance, non pas comme un devoir de politesse ou un devoir religieux, mais comme une nécessité intérieure. Pratiquer cette vertu peut changer radicalement notre vie humaine et chrétienne. Car un cœur qui sait dire merci est toujours un cœur comblé par la paix et la joie qui viennent du Seigneur.

dimanche 29 septembre 2019

26ème dimanche du temps ordinaire / C



Luc 16, 19-31

29/09/19

En ce dimanche nous terminons notre méditation du chapitre 16 de l’Evangile selon saint Luc, chapitre consacré à la question de l’argent et des richesses. Le dernier verset de l’Evangile de dimanche dernier est une bonne introduction à la parabole du riche et de Lazare : vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent.

Dans la première lecture, le prophète Amos ne reproche pas seulement aux riches de son temps de vivre dans le luxe. Il leur reproche aussi de se désintéresser du bien commun, de se désolidariser du reste d’Israël : ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël ! Tout peut bien s’effondrer autour d’eux, ils continuent à festoyer comme si de rien n’était… Où l’on constate le lien fréquent entre richesse et égoïsme. Ce qui vaut à ces riches notables du peuple d’Israël la sentence suivante : la bande des vautrés n’existera plus, ou selon la traduction de la Bible des peuples : l’orgie des paresseux est maintenant terminée. Ce qui correspond à ce que certains sociologues appellent de nos jours la sécession des élites.

La parabole de ce dimanche est riche de nombreux enseignements. Elle opère tout d’abord un renversement évangélique de la réalité de notre monde. Ici c’est le riche qui est anonyme et le pauvre qui a un nom. La gare saint Lazare à Paris ou encore la congrégation des Lazaristes (congrégation de la Mission) fondée par saint Vincent de Paul nous ont rendu ce nom biblique familier… tout simplement parce que la gare fut construite à côté de la rue saint Lazare, cette rue tenant son nom de l’enclos saint Lazare qui était une ancienne léproserie…[1] dans laquelle s’installèrent les premiers fils de saint Vincent de Paul. Comme dans la première lecture, ce qui est reproché au riche c’est son enfermement sur lui-même et ses plaisirs, son indifférence au monde extérieur… si bien que les chiens sont plus humains que lui, car eux, au moins, éprouvent de la pitié pour Lazare et viennent lécher ses plaies. Pourquoi tant de pauvres vivants dans la rue sont-ils accompagnés de chiens ? Le renversement évangélique signalé à propos du nom se poursuit après la mort du pauvre et du riche. La mort nous rappelle brutalement que nous sommes égaux et tous membres de la même famille humaine : Or le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi, et on l’enterra. La formule est saisissante de par le contraste du vocabulaire. Alors que le riche est enterré, la mort de Lazare est décrite comme une élévation à la gloire du Ciel. Dans l’au-delà la situation respective des deux hommes est à nouveau renversée : l’un souffre dans ce qui semble être l’enfer tandis que l’autre jouit de la vision de Dieu auprès d’Abraham, le père des croyants. Cette fois la barrière qui les sépare n’est plus la richesse ou la classe sociale, mais bien un grand abîme infranchissable. Le riche, dans sa souffrance, pense alors à ses frères. La seule solidarité qu’il semble avoir conservé se limite à sa famille. Et il supplie Abraham de les mettre en garde contre ce qui les attend s’ils ne changent pas de vie. Peine inutile, répond Abraham, car s’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus. La leçon finale de la parabole est limpide : nous avons la chance d’avoir la Parole de Dieu, la Loi, les prophètes et l’Evangile. Cette parole nous ouvre le chemin de la vie car elle nous indique comment vivre avec justice en ce monde. A nous de la mettre en pratique dès aujourd’hui, sans remettre à demain ce que nous devons changer dans notre manière de vivre, car demain il sera trop tard. Les richesses comme l’attrait désordonné pour les plaisirs constituent un obstacle sur ce chemin qui conduit à la vie parce qu’elles nous rendent égoïstes et indifférents au sort de notre prochain. D’où l’enseignement que saint Paul donne aux riches par son disciple Timothée :

Quant aux riches de ce monde, ordonne-leur de ne pas céder à l’orgueil. Qu’ils mettent leur espérance non pas dans des richesses incertaines, mais en Dieu qui nous procure tout en abondance pour que nous en profitions. Qu’ils fassent du bien et deviennent riches du bien qu’ils font ; qu’ils donnent de bon cœur et sachent partager. De cette manière, ils amasseront un trésor pour bien construire leur avenir et obtenir la vraie vie.


[1] Au Moyen Âge, on fit de Lazare de Béthanie le patron des lépreux (à l'origine du lazaret), en l’identifiant avec  le personnage de la parabole rapportée par Luc. Son nom correspond à l'hébreu אלעזר, ʾelʿazar (« Dieu a secouru »).

dimanche 15 septembre 2019

24ème dimanche du temps ordinaire / année C



15/09/19

Luc 15, 1-10

En ce dimanche la liturgie de la Parole nous fait entendre les trois paraboles de la miséricorde divine qui correspondent au chapitre 15 de l’Evangile selon saint Luc. J’ai choisi la lecture brève qui n’inclue pas la troisième parabole, celle du fils prodigue. Tout simplement parce que c’est cette parabole qui est la plus connue et qui retient généralement notre attention au détriment des deux autres. Cela me permettra donc de me concentrer sur les deux petites paraboles de la brebis perdue et de la pièce perdue.

Jésus ne nous a pas donné ces paraboles comme un enseignement autonome sans rapport immédiat avec la situation concrète dans laquelle il se trouvait. Contrairement aux Béatitudes, ces paraboles ne se comprennent que dans leur contexte vivant. Elles constituent une réponse à une critique qui lui est adressé. D’où l’introduction donnée par l’évangéliste : Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! » Les hommes religieux se voulant fidèles à la loi de Moïse ne supportent pas l’attitude d’accueil et de bienveillance de Jésus à l’égard des publicains et des pécheurs. Peut-être sont-ils animés par une forme de jalousie religieuse selon laquelle ils devraient être prioritaires en tant que bons Juifs par rapport aux autres… Comme aujourd’hui certains catholiques aigris reprochent au pape François  de se préoccuper davantage des périphéries que des bons catholiques fidèles… Derrière cette situation de conflit entre Jésus et les pharisiens, c’est la question du caractère missionnaire de l’Eglise qui se pose. Ou pour le dire autrement c’est la question du pourquoi du mystère de l’incarnation. Dans quel but Dieu, en son Fils bien-aimé, se fait homme et devient notre frère ? Les paraboles répondent clairement à cette question : pour appeler les pécheurs à la conversion et leur offrir le don de la réconciliation. Dans sa première lettre à Timothée, l’apôtre Paul, lui-même un pécheur converti, traduit de manière concise le pourquoi de la présence de Jésus au milieu de nous : Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité. Ces paraboles ne nous parlent pas seulement de l’amour miséricordieux du Père, donc de Jésus, pour les pécheurs. Elles nous rappellent sa volonté de salut universel : ce sont tous les hommes qu’il veut rassembler dans sa communion trinitaire. Nous pourrions penser qu’il n’est pas si grave que cela de perdre une brebis ou une pièce quand il nous en reste encore 99 ou neuf… Mais Dieu ne raisonne pas ainsi. Chacun d’entre nous a une grande valeur à ses yeux, chacun est unique. Peu lui importe que 99 brebis soient en sécurité, si une seule s’est égarée alors son cœur s’émeut et il ne peut se résoudre à cette perte. A l’image du berger et de la femme, c’est lui-même qui se met à notre recherche si nous sommes perdus. Et rien ne procure davantage de joie à Dieu notre Père que de pouvoir nous retrouver et de nous réintroduire dans sa communion et dans sa vie divine. Remarquez comment dans les deux paraboles cette joie ne peut être gardée pour soi-même ! Le berger comme la femme se réjouissent avec leurs amis et leurs voisins. Il en va de même dans la communion de l’Eglise et dans la communion des saints au ciel : C’est ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion. Saint Matthieu nous présente une variante de la parabole de la brebis perdue qui a le mérite de nous en donner la signification précise : votre Père qui est aux cieux ne veut pas qu’un seul de ces petits soit perdu.
Ces deux paraboles nous interpellent en tant que catholiques pratiquants. Premièrement, si nous sommes présents en cette église pour célébrer le sacrement de l’eucharistie, c’est probablement parce que nous faisons partie des 99 brebis qui ne se sont pas égarées, ce qui ne fait pas de nous automatiquement des saints ! Cela signifie-t-il que nous ne pouvons pas réjouir le cœur de Dieu notre Père ? Pas du tout, puisque notre objectif et notre vocation, c’est bien la sainteté et que sur ce chemin nous pouvons toujours progresser et nous rapprocher du Père dans la foi, l’espérance et la charité. Ensuite, au lieu de récriminer contre Jésus comme les pharisiens, nous sommes invités à nous réjouir de ce que Dieu et son Eglise accueillent et recherchent les brebis égarées. Nous-mêmes sommes invités à faire nôtre l’attitude de Jésus : accueil, bienveillance, ouverture et charité pour les brebis égarées. Sans mépris ni aucun complexe de supériorité, il s’agit pour nous d’être tout simplement apôtres et missionnaires à la suite de Jésus et surtout à sa manière. Faire partie des 99 brebis qui sont dans la bergerie de l’Eglise devrait nous empêcher d’être indifférents à la perte d’un seul de nos frères. Il s’agit donc de partager la préoccupation du Seigneur pour ceux qui se sont éloignés et pour leur salut… ainsi que sa joie quand ils se convertissent.


dimanche 8 septembre 2019

23ème dimanche du temps ordinaire / année C



8/09/19

Luc 14, 25-33

Alors que nous avons commencé une nouvelle année scolaire et, qu’en ce dimanche, nous faisons notre rentrée paroissiale en tant que communauté francophone de Copenhague, la parole de Jésus ne nous ménage pas ! Peut-être avons-nous pensé intérieurement que nous n’étions ni des moines ni des religieuses et que les exigences du Seigneur sont tout simplement irréalisables dans une vie au cœur du monde tel qu’il est… Et pourtant c’est à tous ses disciples que Jésus adresse ces paroles. En fait deux paroles d’exigence illustrées par deux petites histoires (bâtir une tour et partir en guerre). Réécoutons ces paroles :

Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple.

Ainsi donc, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple.

Une troisième parole résume l’esprit de ces propos exigeants en utilisant l’image de la croix : Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple.

Dans la première parole il s’agit de préférer Jésus à tout, dans la seconde il s’agit de renoncer à toutes ses possessions. Ces deux attitudes font partie de ce que le Seigneur appelle porter sa croix en le suivant. C’est dire que dans la vie chrétienne, il y a un aspect de sacrifice, un aspect pénible et laborieux qui va contre nos penchants naturels. La vie de disciple exige de nous des efforts, une lutte spirituelle comme le montre l’image du roi qui se prépare à partir en guerre. Les deux paroles d’exigence ne font que traduire le premier commandement, celui de l’amour dû à Dieu et à lui seul. En exigeant cela pour lui, Jésus nous fait comprendre de manière implicite qu’il est bien plus qu’un prophète, bien plus que le Messie d’Israël : il est le Fils unique de Dieu, égal au Père dans la communion de l’Esprit. S’il n’était qu’un homme, ce serait orgueil et folie de sa part de nous demander un amour aussi exigeant. En même temps il est notre frère en humanité, notre chemin, ce qui fait que nous pouvons le suivre car il nous ouvre le chemin de la vie. Son exigence à notre égard vise ce que nous avons de plus précieux : les liens de la famille, notre propre vie, et nos biens matériels. Toutes ces réalités précieuses pour nous dans notre vie humaine sur cette terre doivent donc être ordonnées à l’amour de Dieu, à l’amour de Jésus. Derrière ces paroles, il y a en fait une mise en garde, un enseignement de sagesse, car là où est notre trésor, là aussi sera notre cœur. Si mes parents, ma femme, mon attachement excessif (désordonné) à ma propre vie et à ce que je possède sont des obstacles dans l’accomplissement de ma vocation chrétienne, s’ils m’empêchent d’accomplir la volonté du Seigneur, alors je peux être amené, par fidélité à Jésus, à faire un choix radical qui est souvent un choix crucifiant, c’est-à-dire un choix qui me coûte et qui me demande un effort sur moi-même.

L’exemple de celui qui veut bâtir une tour nous fait penser à un autre passage de l’Evangile selon saint Luc :

Et pourquoi m’appelez-vous en disant : “Seigneur ! Seigneur !” et ne faites-vous pas ce que je dis ? Quiconque vient à moi, écoute mes paroles et les met en pratique, je vais vous montrer à qui il ressemble. Il ressemble à celui qui construit une maison. Il a creusé très profond et il a posé les fondations sur le roc. Quand est venue l’inondation, le torrent s’est précipité sur cette maison, mais il n’a pas pu l’ébranler parce qu’elle était bien construite.

En ce temps de rentrée, le Seigneur nous invite à bâtir le chef d’œuvre de notre vie sur lui, le roc, et sur sa parole. Ces paroles qui nous semblent dures et nous effraient n’ont pas d’autre but que de nous pousser à mettre de l’ordre dans notre vie, à faire le ménage dans notre cœur, et à redonner à notre relation avec le Seigneur la priorité sur tout le reste. Si nous sommes honnêtes, nous constatons que le peu que nous donnons à Dieu, le peu de temps que nous consentons à lui consacrer dans la prière, passe en général après tout le reste… Probablement parce que nous manquons de foi, d’espérance et de charité, et que nous n’avons pas réalisé à quel point Jésus nous aime. L’électrochoc des paroles de ce dimanche a pour but de nous faire inverser cette tendance et de faire passer Jésus des marges de notre vie au cœur de notre existence quotidienne.