samedi 20 mars 2010

5ème dimanche de Carême

5ème dimanche de Carême /C
21 mars 2010
Jean 8, 1-11 (p. 233)
A la fin de notre Carême, à l’approche du temps de la Passion, l’Eglise nous propose comme nourriture spirituelle l’Evangile de la femme adultère. Seul saint Jean nous rapporte cet épisode que beaucoup de biblistes attribuent en fait à saint Luc. Cette page d’Evangile est à la fois l’une des plus belles et des plus simples que nous puissions trouver dans les quatre Evangiles. Elle nous livre dans une pureté saisissante, bouleversante, le cœur du message de Jésus-Christ. Elle se situe bien dans la continuité de l’Evangile de dimanche dernier : la parabole du fils prodigue. Mais ici nous avons affaire à un événement réel et non pas à une parabole. Un événement dans lequel se manifeste de manière merveilleuse la miséricorde du Seigneur Jésus. Cet événement nous montre ce «monde nouveau » annoncé par Isaïe, ce monde de la justice qui vient de Dieu et qui est fondée sur la foi comme l’affirme Paul : « cette justice ne vient pas de moi-même, c’est-à-dire de mon obéissance à la loi de Moïse ».
Les scribes et les pharisiens qui veulent mettre Jésus à l’épreuve sont justement de ceux qui croient que la fidélité scrupuleuse à la loi de Moïse donne la justice. Ils trouvent ainsi leur justice, on pourrait dire leur sainteté, en eux-mêmes. C’est parce qu’ils sont fidèles à la loi de Moïse qu’ils s’estiment justes aux yeux de Dieu. C’est ce schéma de pensée que Jésus va remettre en question et saint Paul à sa suite dans l’Eglise primitive. Paul n’hésitera pas à reprendre Pierre, le chef des apôtres, pour affirmer que notre justice vient de Dieu par la foi, et non pas de la loi et de la circoncision. Ces hommes religieux vont utiliser une femme pécheresse pour essayer de mettre en difficulté Jésus par rapport à un précepte de la Torah. Ils la placent au centre de la foule comme un animal de foire. Le précepte du Deutéronome est clair, et ne fait pas, notons-le bien, de différence entre l’homme et la femme coupables d’adultère : « Si l’on trouve un homme couché avec une femme mariée, ils mourront tous les deux : aussi bien la femme que l’homme qui a couché avec elle. C’est ainsi que tu ôteras le mal d’Israël ». Ici on ne nous parle que de la femme. Face à la question piège des scribes et des pharisiens, le Seigneur adopte une attitude étrange et se réfugie dans le silence : il dessine ou écrit sur le sol… Ce qui ne démotive pas ses interlocuteurs. Il doit répondre oui ou non. Il doit se situer par rapport à ce précepte de la Loi. Par sa réponse lumineuse de simplicité et de vérité, Jésus échappe au piège qui lui est tendu : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre ». Et à nouveau il se met à tracer des traits sur le sol. D’un côté nous avons des hommes qui se considèrent justes et sont les gardiens de la morale, des hommes qui cherchent le péché chez les autres pour pouvoir les dénoncer et les condamner. Cette attitude est profondément ambigüe. Elle consiste à se convaincre de sa propre justice, donc de sa supériorité, par comparaison avec les autres qui sont pécheurs et mauvais. Cette fausse justice ne se situe pas au niveau de la conscience personnelle en présence de Dieu mais bien dans la comparaison. Souvenez-vous de la prière du pharisien au temple : 'Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes : voleurs, injustes, adultères, ou encore comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.' De l’autre côté nous avons Jésus qui renvoie les accusateurs à leur conscience personnelle dans la droite ligne de la parabole de la paille et de la poutre : Qu'as-tu à regarder la paille dans l'œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? Comment vas-tu dire à ton frère : 'Laisse moi retirer la paille de ton œil', alors qu'il y a une poutre dans ton œil à toi ? Esprit faux ! Enlève d'abord la poutre de ton œil, alors tu verras clair pour retirer la paille qui est dans l'œil de ton frère.
En ce Carême Jésus nous rappelle que nous avons à scruter notre vie et pas celle des autres, c’est nous qui devons travailler à notre propre conversion avant de prétendre travailler à celle des autres. En tout cas dans le monde nouveau de l’Evangile une chose est certaine : on ne travaille pas à la conversion de son frère en le tuant, mais en étant le témoin de la miséricorde divine. L’Evangile de la femme adultère condamne par avance tous les procédés violents qui ont été utilisés dans l’histoire de l’Eglise pour convertir ou faire taire les hérétiques et les dissidents. Les scribes et les pharisiens qui demandent la mise à mort de la femme adultère sont des fanatiques. Qu’est-ce qu’un fanatique religieux, qu’il soit chrétien, juif ou musulman ? Un homme dont la foi est tellement faible qu’il ne peut trouver sa force qu’en condamnant les autres. Le fanatique est gêné par une attitude différente de la sienne, il est remis en question, parce que sa foi est d’abord extérieure et sociale, elle n’est pas une relation personnelle et spirituelle avec Dieu. Il se sent donc menacé et ne sait réagir que par la violence. Certains préceptes de la loi de Moïse reflètent ce fanatisme religieux qui est le lot de tous ceux qui se prétendent plus orthodoxes que les autres ou encore intégristes. La miséricorde de Jésus nous renvoie quant à elle au cœur de Dieu et de son projet d’amour pour notre humanité blessée : Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Amen.

mardi 16 mars 2010

4ème dimanche de Carême

4ème dimanche de Carême / C
14/03/10
Luc 15, 1-32 (p. 182)
Le Carême est un temps de grâce pour l’Eglise et pour chacun d’entre nous. Et cette grâce a pour nom renouvellement et réconciliation. La deuxième lecture et l’Evangile nous parlent de cette réconciliation avec Dieu et entre nous. Pour accueillir ce message de la Parole de Dieu, je ne partirai pas de l’Evangile, bien connu de tous, mais de la deuxième lecture.
Saint Paul commence par nous redire ce que nous sommes : des chrétiens, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui sont en Jésus Christ, qui vivent de sa vie reçue au baptême. Nous appartenons donc à un monde nouveau, celui du Royaume de Dieu déjà présent au milieu de nous. Nous sommes des créatures nouvelles. Par le baptême et par la foi nous vivons notre condition humaine d’une manière nouvelle. Nous ne considérons plus les personnes, les événements d’une manière simplement humaine et raisonnable mais dans la lumière de la foi. Certes notre foi ne s’oppose pas à ce qui relève de la raison, mais elle nous permet d’aller au-delà du simplement vérifiable et constatable. Notre foi ouvre notre raison à un horizon qui en même temps la dépasse et l’élève.
Pour saint Paul la nouveauté de notre vie chrétienne vient de Dieu qui nous a réconciliés avec Lui par le Christ. Cette œuvre de la réconciliation s’est réalisée concrètement par un échange de situation : « Celui qui n’a pas connu le péché, Jésus, Dieu l’a pour nous identifié au péché des hommes, afin que, grâce à lui, nous soyons identifiés à la justice de Dieu ». Oui, Jésus a pris sur lui tous nos péchés et il nous a donné en échange sa justice de Fils de Dieu. C’est ainsi que nous sommes devenus des créatures nouvelles. Nous n’y sommes pour rien, nous ne le méritons pas, c’est la conséquence du don de Dieu en notre faveur et de sa décision de nous sauver. Le fils prodigue de la parabole traduit bien cette réalité en disant : « Je ne mérite plus d’être appelé ton fils ». Nous avons donc été réconciliés avec Dieu. En même temps saint Paul nous lance cet appel : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu ! » Cela signifie que notre condition de créatures nouvelles est sans cesse menacée par le mal, le péché que nous pouvons commettre. Le baptême ne nous dispense pas de la lutte contre le mal qui est en nous et dans le monde (c’était le premier dimanche de notre carême). C’est la raison d’être du sacrement justement appelé sacrement de la pénitence et de la réconciliation. Ce sacrement voulu par Jésus nous permet de nous laisser renouveler dans la grâce de notre baptême. La confession vécue avec sincérité et bonne volonté nous remet dans le monde nouveau, celui de la joie du salut obtenu par Notre Seigneur.
C’est à ce point de notre méditation que je ferai le lien avec la parabole du fils prodigue. Cette magnifique parabole nous rappelle le but de la réconciliation : que nous soyons vraiment fils et filles de Dieu. Que nous vivions dans une communion toujours plus intense avec ce Dieu que nous pouvons nommer notre Père. Et c’est justement le père de la parabole qui donne à son fils aîné la plus belle description de cette communion avec lui : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ». Dieu notre Père partage avec nous tout ce qui est à lui, tout ce qui lui appartient ! Pensons en effet que nous recevons au baptême sa vie, son amour, sa gloire, en participation bien sûr mais d’une manière bien réelle. Etre une créature nouvelle dans le Christ, c’est prendre davantage conscience de cela, c’est être toujours avec le Père.
En même temps la parabole nous rappelle un autre but de la réconciliation : non seulement que nous vivions en fils du Père céleste mais aussi que nous vivions en frères les uns avec les autres. Cela est inséparable. Le fils aîné de la parabole peut sembler parfait au premier abord : il est obéissant, fidèle et travailleur. Mais l’amour gratuit que son père donne à son frère revenu à la maison le met en colère. De fait il est loin d’être intérieurement parfait, même si extérieurement il agit de manière juste. Lui aussi a besoin d’être sauvé, d’être réconcilié, car la jalousie le coupe de son frère et donc de son père, puisqu’il refuse d’entrer dans la maison.
Pendant cette semaine nous pourrions préparer notre confession pascale et nous redire chaque jour dans notre prière ces merveilleuses paroles du père en nous les appliquant :
« Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ».

dimanche 7 mars 2010

3ème dimanche de Carême

3ème dimanche de Carême / C
7/03/10
Luc 13, 1-9 (p. 131)
Les lectures de ce dimanche de Carême posent une question essentielle : celle du sens des épreuves inévitables que nous connaissons tout au long de notre vie. Notre manière de pensée habituelle procède par causalité. S’il m’arrive quelque chose de mauvais ou de négatif, j’ai toujours tendance à chercher un responsable, un coupable. Et ce coupable, je pense que c’est moi… J’ai certainement fait quelque chose de pas bien, un péché en langage religieux, qui expliquerait l’épreuve qui me tombe dessus ! Avec le livre de Job, la révélation nous met en garde contre ce raisonnement simpliste. Nous n’avons pas à chercher systématiquement une cause et un sens à ce qui nous arrive de positif comme de négatif. Ce qui n’enlève rien au fait que le regard de la foi nous permet de tirer des leçons de notre expérience. Dans nos lectures, l’expérience de la servitude du peuple en Egypte et de sa libération par Dieu est relue dans la foi par saint Paul. Et Jésus, dans l’Evangile, commente l’actualité malheureuse de son temps. Aujourd’hui on aurait pu lui demander : les haïtiens ou les chiliens sont-ils coupables d’un péché plus grand que les habitants de Carpentras pour avoir eu à souffrir des tremblements de terre ?
La question essentielle n’est peut-être donc pas celle que je me posais au début : pourquoi ces épreuves dans ma vie ? Mais plutôt : comment dois-je regarder les événements de ma vie, qu’ils soient joyeux ou pénibles ? Et tout d’abord comment considérer mon passé ou bien celui de mon peuple, de mon pays ? Il est important pour nous de tirer des leçons de sagesse de notre expérience passée, au niveau personnel comme au niveau communautaire, pour ne pas retomber dans les mêmes erreurs et les mêmes péchés. L’histoire est en ce sens une discipline qui devrait nous faire progresser en sagesse. Mon histoire personnelle en tant que croyant est tout aussi importante. Je connais mes capacités comme mes faiblesses à partir d’elle. Le regard de la foi ne m’enferme pas dans mon passé, il est libérateur au contraire en me situant en vérité par rapport à lui. Le regard de foi que je porte sur mon histoire passée est ouverture sur l’espérance. Comment considérer aussi mon présent personnel comme l’actualité du monde dans lequel je vis et j’évolue ? Le concile Vatican II nous a invités à regarder les signes des temps. Mon présent comme le présent du monde peut être pour moi parole de Dieu si je le regarde dans la foi. Non pas en cherchant toujours les ou le coupable du mal dont je peux souffrir, mais en percevant mon épreuve comme un appel de la part de Dieu à aller plus loin, à me surpasser. Le vrai sens de mon histoire personnelle du passé comme du présent n’est donc pas dans la recherche d’une cause à tout ce qui ne va pas, mais dans un appel à la conversion. Ce qui me projette vers mon avenir avec espérance. Car je suis capable de changer, d’évoluer, de connaître enfin une plus grande liberté spirituelle. Les épreuves de ma vie peuvent donc me stimuler à aller de l’avant et à mieux répondre à l’appel du Seigneur à la sainteté. Mais tout cela est un don de Dieu. Seul ce regard de foi me permet de transfigurer mon présent en me tournant avec confiance vers l’avenir, non pas isolé, mais sous le regard de Dieu. Le vocabulaire de la première lecture nous rappelle que Dieu est proche et qu’il s’intéresse à notre vie. Les difficultés que nous pouvons traverser ne le laissent ni indifférent ni inactif : j’ai vu, j’ai entendu, je connais, je suis descendu…
Une affirmation de saint Paul dans la deuxième lecture me permettra de conclure cette méditation : « Celui qui se croit solide, qu’il fasse attention à ne pas tomber ». Une traduction plus littérale donnerait : « Que celui qui pense être debout prenne garde de ne pas tomber ». Notre histoire personnelle, relue dans la foi, est pleine de leçons et d’avertissements. C’est notre faux sentiment de sécurité qui nous empêche de les recevoir. Nous connaissons tous des personnes qui se croyaient invincibles, fortes, qui étaient sûres d’elles mêmes, de leur bon droit et de leurs talents, et qui pourtant sont tombées. Tout ce que nous ne construisons pas avec humilité, avec Dieu, a pour fondements les sables mouvants et les aléas de notre histoire humaine. Au début du livre des Actes des Apôtres, lorsque les apôtres sont arrêtés par le grand prêtre à cause de leur prédication du Nom de Jésus Sauveur, ils passent en jugement devant le Sanhédrin. Et voilà qu’un pharisien nommé Gamaliel, membre du Conseil, demande pour eux la clémence. Son argumentation est remplie de sagesse :
Eh bien, dans la circonstance présente, je vous le dis : ne vous occupez plus de ces gens-là, laissez-les. Car si leur intention ou leur action vient des hommes, elle tombera. Mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez pas les faire tomber. Ne risquez donc pas de vous trouver en guerre contre Dieu.

La Parole de Dieu nous demande en ce dimanche de construire humblement notre vie avec Dieu et de tirer profit des épreuves pour grandir en sagesse et en foi.