mercredi 16 mars 2011

Premier dimanche de Carême

1er dimanche de Carême / A
13/03/2011
Matthieu 4, 1-11 (p. 27)

Comme chaque année au commencement du Carême l’Eglise nous invite à méditer la scène de la tentation de Jésus au désert. La liturgie de la Parole développe ce thème de la tentation à travers les trois lectures. Et c’est saint Paul qui, dans la deuxième lecture, fait le lien entre le texte de la Genèse et la tentation de Jésus au désert. Ecoutons-le à nouveau: “De même que la faute commise par un seul a conduit tous les hommes à la condamnation, de même l’accomplissement de la justice par un seul a conduit tous les hommes à la justification qui donne la vie. En effet, de même que tous sont devenus pécheurs parce qu’un seul homme a désobéi, de même tous deviendront justes parce qu’un seul homme a obéi”. Ce parallélisme entre Adam et Jésus nous présente le Seigneur comme le Nouvel Adam, celui qui vient nous délivrer du péché des origines. Et c’est bien en tant que Nouvel Adam que Jésus au commencement de son ministère public a dû affronter le tentateur au désert. Dans le récit de la Genèse comme dans l’Evangile nous trouvons un enseignement très intéressant sur les tactiques utilisées par le tentateur et les moyens que nous avons à notre disposition pour lui résister. Comme le dit le proverbe un homme averti en vaut deux, et face aux tentations un chrétien averti en vaut aussi deux!
Commençons donc avec cette célèbre page du chapitre 3 de la Genèse qui nous rapporte le récit de la chute originelle. Le style très naïf du récit ne doit pas nous faire oublier la très profonde leçon qu’il nous donne à propos de la tentation. Le tentateur ou Satan prend ici la forme d’un serpent. Et c’est à la femme que ce serpent s’adresse. Sa méthode est simple: mentir. Dieu avait interdit de manger le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal et voilà que le tentateur élargit l’interdit à tous les arbres du jardin. Dans un premier temps la femme résiste bien au tentateur et elle rétablit la vérité. Satan continue à mentir et fait peser sur Dieu un lourd soupçon: en fait Dieu vous a interdit de manger du fruit de cet arbre parce qu’il veut garder jalousement pour lui et pour lui seul ses prérogatives divines, sous-entendu afin de mieux pouvoir vous dominer. La parole du tentateur inverse totalement la Parole de Dieu: Dieu a dit “vous mourrez”, moi je vous dis que vous deviendrez immortels comme des dieux. Mensonge et fausse promesse voilà bien la politique de Satan, son art de séduire. Ce n’est pas pour rien que Jésus l’appellera le père du mensonge... Au deuxième assaut du serpent la femme cède et consent à la tentation. Le péché originel a consisté à accorder davantage de valeur à la parole satanique qu’à la parole divine. “Le fruit de l’arbre devait être savoureux, il avait un aspect agréable et il était désirable”. Lorsque nous choisissons de pécher ou de désobéir à la loi de Dieu, nous ne le faisons jamais pour nous faire du mal. Le péché se présente toujours à nous sous un jour positif et attirant, et c’est là sa force de séduction. C’est aussi en cela que consiste pour nous la tentation et la difficulté que nous avons à y résister depuis le péché des origines. Notons aussi la passivité d’Adam qui accepte sans discuter de partager avec sa femme le fruit défendu alors qu’il aurait pu utiliser sa liberté pour refuser. Et voilà que leurs yeux s’ouvrent et, en perdant l’état d’innocence, ils font la connaissance du mal. Cette connaissance ne les rend pas comme des dieux, plus heureux, mais au contraire ils connaissent désormais leur nudité avec le sentiment de honte et de culpabilité qui s’installe alors.
Faisons maintenant un grand bond en avant dans l’histoire du salut, et passons du jardin du paradis terrestre au désert des tentations de Jésus. En présence du Fils de Dieu le diable doit affiner sa tactique. Mais il joue toujours sur l’orgueil humain. Le péché originel était bien un péché d’orgueil: s’élever par soi-même de la condition de créature à celle de Dieu. Les deux premières tentations commencent de la même manière: “ Si tu es le Fils de Dieu...”. Le diable demande en quelque sorte à Jésus de lui prouver sa divinité par des faits extraordinaires. A la première tentation Jésus, Parole de Dieu faite chair, résiste en citant le texte de la Parole de Dieu: “Il est écrit”. Et il fera de même pour repousser les deux autres tentations. Nous avons à notre disposition la même arme que lui, celle de la Parole de Dieu. Encore faut-il que nous soyons assez familiers avec la Bible, en particulier les Evangiles, pour pouvoir utiliser cette arme et ne pas nous laisser tromper par le tentateur... Le Carême est le temps privilégié pour nous replonger dans cette Parole de Dieu. Et pourquoi ne pas choisir de lire en entier un Evangile de notre choix, jour après jour, dans une atmosphère de prière et de recueillement, ne serait-ce que pendant dix minutes? Lors de la deuxième tentation la tactique du diable se fait encore plus fine et pernicieuse. Puisque Jésus cite la Parole de Dieu pour ne pas entrer dans ses vues, il va lui aussi citer la même Parole de Dieu pour essayer de le faire entrer dans ses vues, et ainsi le perdre s’il était possible: “Jette-toi en bas, car il est écrit...”. Jésus lui déclara: “Il est encore écrit...”. Cette deuxième tentation est riche d’une grande leçon: la Bible en tant que Parole de Dieu est un ensemble, un tout. Et il est toujours dangereux d’isoler une partie, comme le fait le diable, sans tenir compte des autres. Toutes les sectes chrétiennes se réclament de la Bible! Nous savons bien à quel point il est facile de faire dire à la Bible, livre complexe et qui demande une initiation, tout et son contraire. La Bible ne prend tout son sens que si nous la recevons à la lumière du Christ, sommet de la révélation divine. La Bible devient lumineuse si nous mettons en rapport les uns avec les autres les divers passages ainsi que l’Ancien et le Nouveau Testament, sans avoir peur d’affronter ce qui semble ou est contradictoire en elle. Dans la troisième et dernière tentation le diable est plus direct et il attaque de front. Il ne joue plus sur l’orgueil, la volonté de prouver que l’on est supérieur, il joue sur le désir de possession, sur la fascination qu’exerce sur nous les biens de ce monde: “Tout cela, je te le donnerai, si tu te prosternes pour m’adorer”. Nous n’avons pas besoin d’une grande méditation pour voir à quel point c’est la situation de notre monde dans ses aspects politiques et économiques. Cela fait longtemps en effet que le culte du dieu argent et du profit sans retenue a anéanti toute conscience morale dans le coeur de millions d’hommes sur notre planète. Et de là découlent la majorité des injustices, des guerres et des problèmes qui remettent en cause la vie en société dans la paix, la solidarité et le respect. Jésus, le pauvre de coeur, n’a eu aucun mal à repousser cette tentation grossière mais il n’en va pas de même pour nous. L’idolâtrie la plus sournoise et la plus répandue est bien celle de ce culte unanime rendu au dieu argent. Et c’est bien lui qui est le prince de ce monde, nom que Jésus donne aussi à Satan. Prière, partage et jeûne nous sont donnés comme des remèdes en ce temps de Carême pour nous permettre de résister à l’esprit du temps et de renouveler au plus profond de nos coeurs la joie d’appartenir au Christ et de l’avoir pour seul Seigneur de nos vies.

mercredi 9 mars 2011

9ème dimanche du temps ordinaire

9ème dimanche du TO/A
6/03/2011
Matthieu 7, 21-27 (p. 954)

En ce dernier dimanche du temps ordinaire avant notre entrée en Carême nous entendons la fin du sermon sur la montagne. L’enseignement que Jésus nous délivre ici est particulièrement clair : « Il ne suffit pas de me dire : « Seigneur, Seigneur ! » pour entrer dans le Royaume des cieux ; mais il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux ». Ce qui est au centre de notre existence chrétienne, ce ne sont pas d’abord des déclarations, des paroles, même des paroles religieuses comme celles de la profession de foi ou de la prière (Seigneur, Seigneur !), mais bien des actes qui traduisent jour après jour notre désir d’accomplir la volonté de Dieu. Ce qui compte donc, pour reprendre une belle expression de saint Paul, c’est la foi active par la charité. Dans le même Evangile selon saint Matthieu deux autres passages viennent éclairer cet enseignement. Le premier se trouve au chapitre 12 : « Quiconque fait la volonté de mon Père des cieux est pour moi un frère, une soeur ou une mère ». Le second se présente sous la forme d’une petite parabole au chapitre 21 : « Un homme avait deux fils. Il s’adresse au premier pour lui dire : Mon garcon, va travailler aujourd’hui à ma vigne. Et lui répond : Je n’en ai pas envie. Mais ensuite il se reprend et il y va. Le père s’adresse également à l’autre et lui dit la même chose ; il répond : Bien sûr que oui, seigneur ! Mais il n’y va pas. Lequel des deux a fait la volonté du Père ? Ils répondent : le premier ». Dans le développement de son enseignement le Seigneur anticipe la réaction de ceux auxquels il adressera des reproches au jour du jugement. Ces chrétiens déclinent alors toutes leurs bonnes attitudes : ils ont été prophètes, ils ont chassé des démons et ils ont fait des miracles au nom de Jésus. Toutes ces actions semblent bonnes, elles ne sont pas des péchés... Et c’est pourquoi la réponse du Christ à ceux qui cherchent ainsi à se justifier en sa présence a de quoi nous étonner : « Je ne vous ai jamais connus. Ecartez-vous de moi, vous qui faites le mal ! » Le Seigneur les renie donc, il ne les reconnait pas comme étant de sa famille, de la famille des enfants de Dieu, de ceux qui cherchent à faire la volonté du Père dans leur vie. Le texte du Nouveau Testament qui me semble être le plus éclairant pour comprendre ce rejet du Christ est le célèbre passsage de la première lettre aux Corinthiens, passage dans lequel saint Paul nous présente l’amour de charité comme le sommet et la condition indispensable de toute vie chrétienne. Je ne le cite pas en entier ici, mais simplement cet extrait qui suffira à nous faire comprendre pourquoi Jésus qualifie de mauvaises des attitudes qui semblent pourtant bonnes : « Même si j'ai le don de prophétie et si je connais tous les mystères et toutes les sciences... même si j'ai la plénitude de la Foi, une Foi à transporter les montagnes... si je n'ai pas la Charité, je ne suis rien [...] La Charité ne passe jamais. Les Prophéties ? elles disparaîtront. Les langues ? elles se tairont. La science ? elle disparaîtra. Partielle est notre science, partielle aussi notre prophétie....Mais quand viendra ce qui est parfait, ce qui est partiel disparaîtra. » Faire la volonté du Père, c’est bien sûr agir, ne pas se contenter de belles paroles comme le second fils de la parabole, c’est agir en faisant le bien. Mais cela n’est pas encore suffisant si nous voulons bâtir la maison de notre existence sur le roc solide qu’est le Christ et sa Parole. Il faut encore que notre intention soit pure. Et seul l’amour de charité pour Dieu et pour notre prochain nous donne cette pureté d’intention qui fait de nos actes des semences de vie éternelle. La foi et l’espérance sont limitées à notre vie terrestre. C’est l’amour de charité, et lui seul, qui donne aux autres vertus, foi et espérance, leur valeur. Contrairement à ce que Luther pensait nous ne sommes pas sauvés par la foi seule. Saint Jacques fait remarquer dans sa lettre que les démons eux aussi croient en Dieu. Mais ce dont ils sont absolument incapables c’est du moindre acte de charité, et c’est ce qui fait qu’ils sont justement des démons. Cette capacité d’aimer à la manière de Jésus, en nous faisant serviteurs les uns des autres, nous l’avons recu au baptême et à la confirmation. Dans la prière nous avons à demander à l’Esprit Saint de nous faire grandir dans cette charité. En communiant nous demandons à Jésus de faire passer cette charité dans nos actes. Et souvenons-nous de la profonde réflexion de Charles Baudelaire : « Il est plus difficile d’aimer Dieu que de croire en lui. Au contraire, il est plus difficile aux gens de ce siècle de croire au diable que de l’aimer. Tout le monde le sert et personne n’y croit ».