dimanche 21 janvier 2024

Troisième dimanche du temps ordinaire / année B. Dimanche de la parole de Dieu.

 

Dimanche de la Parole de Dieu – 21/01/2024

 

Sermon de Bossuet sur la Parole de Dieu

 

La réforme liturgique voulue par le Concile Vatican II a donné à la Parole de Dieu une place essentielle dans la célébration des sacrements et tout particulièrement dans la célébration du sacrement de l’eucharistie. Les prédicateurs sont ainsi passés du sermon qui abordait l’un ou l’autre point de la foi catholique à l’homélie, c’est-à-dire à un commentaire de la Parole de Dieu. La constitution sur la Sainte Liturgie (Sacrosanctum Concilium, 4 décembre 1963) affirme d’une manière significative que le Christ « est là présent dans sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Eglise les Saintes Ecritures » (n°7). Dans la même constitution nous trouvons des expressions maintenant bien connues pour caractériser la liturgie de la Parole et la liturgie eucharistique : « La table de la parole de Dieu » (n°51) et « la table du Corps du Seigneur » (n°48). La conclusion logique de tout cela, c’est bien sûr l’unité du sacrement de l’eucharistie : « Les deux parties qui constituent en quelque sorte la messe, c’est-à-dire la liturgie de la parole et la liturgie eucharistique, sont si étroitement unies entre elles qu’elles constituent un seul acte de culte » (n°56). Cet enseignement du Concile s’enracine dans la Tradition patristique. Au 15ème siècle l’Imitation de Jésus-Christ utilise déjà le vocabulaire des « deux tables » : « L’une est la table de l’autel sacré, sur lequel repose un pain sanctifié, c’est-à-dire le Corps précieux de Jésus-Christ. L’autre est la table de la loi divine, qui contient la doctrine sainte, qui enseigne la vraie foi, qui soulève le voile du sanctuaire, et nous conduit avec sûreté jusque dans le Saint des saints » (IV, 11, 4). Au 17ème siècle le grand prédicateur que fut Bossuet développe avec vigueur et génie « cette alliance sacrée qui est entre la chaire et l’autel ». Son sermon sur la Parole de Dieu, donné en 1661, est en effet une profonde méditation sur « ce rapport admirable entre l’autel et la chaire ». Son enseignement peut encore aujourd’hui nous aider à participer « consciemment, pieusement et activement à l’action sacrée » par excellence qu’est la célébration de l’eucharistie (Sacrosanctum Concilium, n°48).

 

Je citerai dans un premier temps un peu longuement un très beau passage de l’exorde. C’est la thèse du prédicateur, le fondement de tout son développement :

« Le temple de Dieu a deux places augustes et vénérables, je veux dire l’autel et la chaire. Là, se présentent les requêtes ; ici, se publient les ordonnances ; là, les ministres des choses sacrées parlent à Dieu de la part du peuple ; ici, ils parlent au peuple de la part de Dieu ; là, Jésus-Christ se fait adorer dans la vérité de son corps ; il se fait reconnaître ici dans la vérité de sa doctrine. Il y a une très étroite alliance entre ces deux places sacrées, et les œuvres qui s’y accomplissent ont un rapport admirable. Le mystère de l’autel ouvre le cœur pour la chaire ; le ministère de la chaire apprend à s’approcher de l’autel ».

Après cette introduction Bossuet développe sa méditation selon trois points :

 

Premier point : auditeurs fidèles et prédicateurs évangéliques

 

Deuxième point : la parole de Dieu doit aller au cœur de l’auditeur

 

Troisième point : la parole de Dieu accueillie dans le cœur nous fait accomplir la volonté de Dieu

 

Je me limiterai en ce dimanche au premier point.

 

Pour Bossuet « le ministère de la parole » est le « plus grave, le plus important, le plus nécessaire emploi de l’Eglise ». Dans son sermon il s’adresse autant aux prédicateurs qu’aux auditeurs. Et le parallèle qu’il ne cesse de faire entre l’autel et la chaire doit amener les uns et les autres au plus grand respect envers la Parole de Dieu et la prédication qui en découle. Le grand prédicateur qu’est l’aigle de Meaux (Bossuet était évêque de cette ville) s’élève contre une tendance de son époque : la prédication mondaine. Lorsque l’éloquence et les figures de style deviennent la priorité des prédicateurs, alors la sainte prédication est abaissée au rang d’un divertissement futile : « Il y a ici un ordre à garder : la sagesse marche devant comme la maîtresse, l’éloquence s’avance après comme la suivante ». L’éloquence doit donc toujours être secondaire. A la suite de saint Augustin, Bossuet affirme avec force l’éminente dignité du ministère de la prédication. Pour lui les prédicateurs de l’Evangile montent en chaire « dans le même esprit qu’ils vont à l’autel ; ils y montent pour célébrer un mystère, et un mystère semblable à celui de l’Eucharistie. Car le corps de Jésus-Christ n’est pas plus réellement dans le sacrement adorable que la vérité de Jésus-Christ est dans la prédication évangélique ». Jésus-Christ est la Vérité. Le prédicateur évangélique doit se soumettre en toutes choses à cette divine vérité. L’auditeur évangélique doit désirer de toutes ses forces la vérité de l’Evangile en écoutant les saintes prédications. « D’où il faut tirer cette conséquence, qui doit faire trembler tout ensemble et les prédicateurs et les auditeurs, que, tel que serait le crime de ceux qui feraient ou exigeraient la célébration des divins mystères autrement que Jésus-Christ ne les a laissés, tel est l’attentat des prédicateurs et tel celui des auditeurs, quand ceux-ci désirent et que ceux-là donnent la parole de l’Evangile autrement que ne l’a déposée entre les mains de son Eglise ce céleste prédicateur que le Père nous ordonne aujourd’hui d’entendre. » Qui est donc le prédicateur évangélique ? « Celui qui fait parler Jésus-Christ […], un interprète fidèle qui n’altère, ni ne détourne, ni ne mêle, ni ne diminue sa sainte parole ». Le prédicateur est l’humble serviteur de la Parole de Dieu. Et si à certaines époques les prédicateurs évangéliques se font rares, c’est parce que les chrétiens ne cherchent plus « en vérité la saine doctrine ». Bossuet parle ici d’un mystère : « Ce sont les auditeurs fidèles qui font les prédicateurs évangéliques, parce que, les prédicateurs étant pour les auditeurs, ‘les uns reçoivent d’en haut ce que méritent les autres’ ».

 

Au terme de cette réflexion sur la parole de Dieu et le ministère de la prédication en compagnie de Bossuet, je lui laisserai une dernière fois la parole :

 

« Mes Frères, ces mystères sont amis ; ne soyons pas assez téméraires pour en rompre la société. Adorons Jésus-Christ avant qu’il nous parle ; contemplons en respect et en silence ce Verbe divin à l’autel, avant qu’il nous enseigne dans cette chaire. Que nos cœurs seront bien ouverts à la doctrine céleste par cette sainte préparation ! Pratiquez-la, Chrétiens : ainsi Notre Seigneur Jésus-Christ puisse être votre docteur ! »

 

 

 

 

dimanche 7 janvier 2024

EPIPHANIE 2024

 


Epiphanie 2024

Au chapitre 11 de l’Evangile selon saint Matthieu l’évangéliste nous rapporte une prière de louange que Jésus adresse à son Père : Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Le motif de la louange de Jésus semble entrer en contradiction avec la visite des mages auprès de Jésus nouveau-né. En effet les mystérieux mages dont nous ignorons le nombre, les noms et le pays d’origine, sont bien des sages et des savants. L’Epiphanie, c’est précisément la révélation du salut de Dieu apportée à des sages et à des savants venus d’Orient jusqu’à Jérusalem puis à Bethléem. On peut supposer que ces mages de l’antiquité étaient à la fois des astronomes/astrologues et des philosophes. A l’époque de la naissance du Christ la séparation entre astronomie et astrologie, entre sciences physiques et philosophie n’existait pas. Tous les sages de l’antiquité, les philosophes, s’intéressaient au cosmos, au fonctionnement de l’univers et aux lois physiques qui le régissaient. Cette veine scientifique de la philosophie a d’ailleurs continué jusqu’à l’époque moderne comme en témoignent Descartes et Pascal.

Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. Les mages parlent de l’étoile du Christ comme d’un signe divin. S’il est juste de voir dans l’Epiphanie une célébration de l’universalité du salut, ces mages ne sont pas Juifs, cette universalité va bien au-delà d’une question de religion, donc de la séparation entre Juifs et non-Juifs. Dans le mystère de l’Epiphanie l’enfant de Bethléem accueille tous les hommes, qu’ils soient sages ou ignorants, savants ou sans culture, riches comme les mages ou pauvres comme les bergers.

La voyage des mages, hommes savants et riches venus d’Orient, nous enseigne que Dieu parle à tous les hommes en utilisant un langage qu’ils peuvent comprendre. Dieu parle à tous les hommes en s’adaptant en quelque sorte à leur condition humaine concrète. Il utilise donc l’étoile pour toucher le cœur des mages. Le Verbe de Dieu épouse notre humanité, non pas en général, mais en descendant dans le concret et la singularité de notre condition humaine telle qu’elle est vécue par chacun et cela de manière unique. Les mages étaient passionnés et fascinés par l’observation des phénomènes célestes et des astres. Dieu utilise en quelque sorte leur passion pour les conduire à son Fils, donc au salut. Cela signifie que nos passions humaines ne sont pas forcément négatives comme le laisse entendre l’usage courant de ce mot. Elles ne sont pas forcément opposées à la vie spirituelle de communion avec Dieu. Ce qui nous intéresse et nous motive dans notre vie humaine, ce qui nous passionne, peut devenir un chemin vers Dieu. Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant.

Nous pouvons donc nous demander personnellement : Quelles sont mes passions et mes centres d’intérêts ? Cette réflexion peut être importante du point de vue spirituel pour nous aider à comprendre le langage que Dieu utilise pour nous personnellement afin de nous conduire à la connaissance de son mystère et à la révélation de son Fils. La Parole de Dieu ne se limite pas à la Bible. Tout peut être Parole de Dieu : les astres, le cosmos, les sciences, l’art, la musique, le sport etc. Tous ces vastes domaines de la culture dans lesquels le génie créateur de l’homme s’exprime et témoigne de l’appel à la transcendance inscrit au plus profond de notre cœur. Dans le mystère de l’incarnation Dieu ne nous demande pas d’être des hommes et des femmes amputés de la richesse de nos passions. L’histoire nous montre au contraire de nombreux exemples de grands croyants qui étaient indissociablement philosophes, savants, artistes etc. Notre foi en Jésus, Fils de Dieu, manifesté dans la chair, intègre et purifie toute la richesse qui constitue notre humanité dans son génie créateur et dans sa recherche de la vérité et de la sagesse. Notre foi ne nous appauvrit pas, ne nous ampute pas, elle nous élève vers Dieu avec tout ce qui fait la beauté de notre humanité dans son unité comme dans sa diversité. Notre appartenance au Christ intensifie donc notre vie, ce qui explique qu’elle est source d’une joie profonde, celle-là même que les mages ont éprouvée à Bethléem :

Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie.