dimanche 25 octobre 2015

30ème dimanche du temps ordinaire / B



25/10/15

Marc 10, 46-52


L’évangéliste Marc situe la rencontre entre Jésus et Bartimée dans les jours qui précèdent l’entrée triomphale du Seigneur dans Jérusalem, donc dans les derniers jours de son ministère public. Le premier verset campe le décor de cette rencontre et nous invite à imaginer une scène très vivante. Nous sommes à la sortie de Jéricho sur la route menant à Jérusalem. D’un côté nous avons Jésus entouré de ses disciples et d’une foule nombreuse, de l’autre un mendiant aveugle assis au bord de la route. Jésus prend le chemin de sa Passion et se dirige vers le lieu de son supplice. Il continue à attirer de nombreuses personnes, parmi lesquelles il devait y avoir beaucoup de curieux. Bartimée est un pauvre aveugle. Sa condition l’oblige à vivre de la charité des voyageurs. Il souffre donc doublement d’être privé de la vue et d’être privé des moyens matériels qui lui permettraient de vivre humainement. Mais il n’est pas sourd, et cette foule qui se déplace autour de Jésus attire son attention. « Apprenant que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier… ». Pour ne pas passer inaperçu, pour ne pas être ignoré, le mendiant doit crier le plus fort possible. Et son cri est une prière adressée au Messie : « Aie pitié de moi ! ». La réaction de la foule est significative : elle veut garder Jésus pour elle seule et considère Bartimée comme un perturbateur, quelqu’un qui dérange à cause de ses cris. Avec un mendiant aveugle on ne prend pas de pincettes. A celui qui implore du Seigneur la pitié, la foule répond de manière violente, c’est vivement qu’on lui demande de se taire. Mais lui, n’ayant rien à perdre, ne se décourage pas. Jésus quant à lui a entendu son cri et s’arrête sur le chemin. L’attention que le Seigneur prête à Bartimée change les sentiments de la foule. D’un seul coup on devient aimable avec cette homme qu’auparavant on voulait faire taire : « Confiance, lève-toi ; il t’appelle ». Entendant cette invitation, l’homme aveugle ne perd pas une seule minute et se précipite vers Jésus, sans rien y voir. Son attitude annonce la foi qui est la sienne. Elle est une image de l’acte de foi qui fait confiance avant même de voir et de comprendre. Souvenons-nous de ce que le Ressuscité dit à son apôtre Thomas : « Tu m’as vu et tu crois. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui croient ». Ensuite tout se passe très vite et c’est avec une grande sobriété que Marc décrit la guérison de Bartimée. « Que veux-tu que je fasse pour toi ? », cette question du Seigneur pourrait paraître inutile, vu le contexte. En fait elle manifeste le respect de Dieu envers notre liberté. Le mendiant aurait pu par exemple demander à Jésus quelques pièces… Mais il a reconnu en lui le Messie et rien n’est plus important pour lui que de retrouver la vue. « Ta foi t’a sauvé » : combien de fois Jésus n’a-t-il pas dit cela après avoir accordé la grâce de la guérison ! L’Evangile de Bartimée nous parle donc de l’itinéraire de la foi. Cet homme apprend d’abord que Jésus est proche, il le prie avant même de l’avoir vu et rencontré, il fait confiance et persévère dans sa prière sans se décourager. A l’appel de Jésus, il répond immédiatement, sans aucun retard. Et le Seigneur le récompense en lui redonnant la possibilité de voir. Bien qu’aveugle, Bartimée voyait intérieurement par la foi. Ce Jésus de Nazareth qu’il ne pouvait pas voir, il le reconnaissait intérieurement par la foi comme le Fils de David, comme le Messie. Et sa foi le fait agir : « il suivait Jésus sur la route ». L’acte de foi dans le Seigneur nous permet en effet de commencer une nouvelle vie. Nous étions assis et prostrés au bord de la route, nous nous mettons désormais en marche à la suite de Jésus. La foi est une force, un dynamisme, une résurrection spirituelle. C’est tout cela que l’histoire de Bartimée nous enseigne pour nous encourager à grandir jour après jour dans la foi de notre baptême et d’être ainsi rendus capables de voir les merveilles de Dieu dans notre vie et dans sa création.

dimanche 18 octobre 2015

29ème dimanche du temps ordinaire / B


18/10/15

Marc 10, 35-45

Dans l’Evangile selon saint Marc, l’Evangile de ce dimanche suit la troisième annonce par Jésus de ses souffrances et de sa mort en croix. Saint Marc nous décrit l’état d’esprit des disciples à ce moment-là : « Ils étaient déconcertés, et ceux qui suivaient avaient peur ». Nous sommes loin de l’enthousiasme des débuts. Et saint Marc ne craint pas de nous montrer les faiblesses humaines des apôtres. Jacques et Jean ont une vision très terre à terre du Royaume de Dieu (avoir les places d’honneur auprès du Christ), tandis que les autres s’indignent, peut-être par jalousie. Bref les ambitions égoïstes des deux apôtres sèment la division au sein du groupe des Douze. Le Seigneur profite de cette tension pour donner à ses apôtres et à son Eglise un enseignement sur le pouvoir et l’autorité dans l’Eglise. Le Christ a voulu pour son Eglise une hiérarchie : le groupe des Douze avec Pierre comme chef. Donc il a voulu un principe d’autorité au service de la vérité, de l’unité et de la communion. Il est significatif que cette autorité soit définie en opposition avec l’autorité civile ou politique :

« Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi ».

La version de saint Luc présente une nuance intéressante :

« Les rois des nations païennes se comportent avec elles en maîtres, et quand ils les écrasent, ils se font appeler bienfaiteurs. Ce ne sera pas pareil chez vous ».

Bref l’autorité des apôtres, et celle des évêques dans leur sillage, n’a rien à voir avec le pouvoir exercé par les dictateurs de ce monde. Le modèle de l’autorité dans l’Eglise ne vient pas de ce monde mais d’en haut, de Dieu lui-même. Le seul modèle se trouve en effet dans l’exemple de Jésus lui-même :

« Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »

Ce sont l’humilité et le don de Jésus qui sont au fondement de l’autorité dans la communauté chrétienne. L’un des titres du pape le rappelle clairement : serviteur des serviteurs de Dieu. La grandeur de l’autorité chrétienne est donc inséparable d’un véritable esprit de service :

« Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous ».

Etre apôtre ou évêque ne consiste donc pas à rechercher pour soi les places d’honneur ou à travailler à sa propre gloire. L’ambition ou le carriérisme sont incompatibles avec le ministère épiscopal. Les évêques et les prêtres parce qu’ils sont pleinement hommes comme Jacques et Jean ont à lutter chaque jour pour résister à l’esprit mondain, à la logique de ce monde qui est celle de la recherche d’une gloire personnelle et humaine. La simplicité avec laquelle le pape François vit son ministère au sein de l’Eglise touche beaucoup de cœurs parce qu’on y retrouve l’exemple même de Jésus. Ce pape est évangélique, non seulement intérieurement, mais aussi extérieurement, dans son comportement et dans sa manière de se situer vis-à-vis des autres membres de l’Eglise. Mais cela n’enlève rien à son autorité, bien au contraire. L’exemple personnel renforce l’autorité de sa parole et de sa charge.

Saint Pierre a bien compris la leçon de son Maître. Ce qu’il écrit aux chefs de la communauté chrétienne peut être une source d’inspiration valable aussi pour les parents et les responsables politiques :


« Quant aux anciens en fonction parmi vous, je les exhorte, moi qui suis ancien comme eux et témoin des souffrances du Christ, communiant à la gloire qui va se révéler : soyez les pasteurs du troupeau de Dieu qui se trouve chez vous ; veillez sur lui, non par contrainte mais de plein gré, selon Dieu ; non par cupidité mais par dévouement ; non pas en commandant en maîtres à ceux qui vous sont confiés, mais en devenant les modèles du troupeau. Et, quand se manifestera le Chef des pasteurs, vous recevrez la couronne de gloire qui ne se flétrit pas ».

dimanche 11 octobre 2015

28ème dimanche du temps ordinaire / B


11/10/15

Marc 10, 17-30



L’Evangile de ce dimanche nous rapporte le dialogue entre un homme riche et Jésus. Cet homme veut « avoir en héritage la vie éternelle ». Il sait au fond de lui-même qu’il n’y a pas de plus grande richesse que la vie de communion avec Dieu. Mais comment vivre cette communion ? Jésus lui répond : en observant les commandements. L’homme riche est un homme juste qui a été fidèle toute sa vie aux commandements du Seigneur. Mais voilà que Jésus l’invite à le suivre d’une manière plus étroite et parfaite en renonçant à ses biens matériels pour « avoir un trésor au ciel ». Cette histoire nous montre de quelle manière Dieu nous appelle à le connaître et à vivre avec Lui et pour Lui. A tous Dieu demande d’observer ses commandements. A certains il demande encore plus : le détachement radical et total vis-à-vis des biens de ce monde pour suivre Jésus. Que l’on soit laïc vivant dans ce monde ou bien religieux, religieuse, consacré à Dieu par les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, tous nous avons à nous situer d’une manière juste et sage par rapport aux richesses. Pour tous est valable l’appel à une vie simple, sobre et solidaire. Pour tous est valable la mise en garde de saint Paul contre la tentation de faire de l’argent une idole :

« Certes, il y a un grand profit dans la religion si l’on se contente de ce que l’on a. De même que nous n’avons rien apporté dans ce monde, nous n’en pourrons rien emporter. Si nous avons de quoi manger et nous habiller, sachons nous en contenter. Ceux qui veulent s’enrichir tombent dans le piège de la tentation, dans une foule de convoitises absurdes et dangereuses, qui plongent les gens dans la ruine et la perdition. Car la racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent. Pour s’y être attachés, certains se sont égarés loin de la foi et se sont infligés à eux-mêmes des tourments sans nombre. […] Quant aux riches de ce monde, ordonne-leur de ne pas céder à l’orgueil. Qu’ils mettent leur espérance non pas dans des richesses incertaines, mais en Dieu qui nous procure tout en abondance pour que nous en profitions. Qu’ils fassent du bien et deviennent riches du bien qu’ils font ; qu’ils donnent de bon cœur et sachent partager. De cette manière, ils amasseront un trésor pour bien construire leur avenir et obtenir la vraie vie ».

« Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu ».

En affirmant cela, Jésus opère une révolution par rapport à une doctrine présente dans l’Ancien Testament, doctrine selon laquelle Dieu bénit le juste en lui accordant une vie prospère, la richesse étant le signe de la bénédiction divine. Pour comprendre ce changement il ne suffit pas de se référer à l’expérience concrète faite par le peuple d’Israël : certains hommes méchants prospèrent tandis que des justes sont persécutés et vivent dans la misère. Il existe une cohérence profonde entre la référence de Jésus aux commandements et sa sévérité vis-à-vis des richesses. Car il devient très difficile de ne pas tuer et de ne pas voler quand l’amour de l’argent et du profit nous possède. Dans son encyclique Laudato si’, le pape François reprend l’enseignement traditionnel de l’Eglise sur la destination commune des biens :

« Aujourd’hui croyants et non croyants, nous sommes d’accord sur le fait que la terre est essentiellement un héritage commun, dont les fruits doivent bénéficier à tous. Pour les croyants cela devient une question de fidélité au Créateur, puisque Dieu a créé le monde pour tous. Par conséquent, toute approche écologique doit incorporer une perspective sociale qui prenne en compte les droits fondamentaux des plus défavorisés. Le principe de subordination de la propriété privée à la destination universelle des biens et, par conséquent, le droit universel à leur usage, est une ‘‘règle d’or’’ du comportement social, et «le premier principe de tout l’ordre éthico-social». La tradition chrétienne n’a jamais reconnu comme absolu ou intouchable le droit à la propriété privée, et elle a souligné la fonction sociale de toute forme de propriété privée » (n°93).

L’égoïsme qui pousse à vouloir toujours posséder plus et à s’enrichir sans limites est non seulement un manque de sagesse mais il a pour conséquence de voler et de tuer les plus pauvres. A ce propos le pape cite les évêques de Nouvelle-Zélande :

« Pour cette raison, les Évêques de Nouvelle Zélande se sont demandés ce que le commandement «tu ne tueras pas» signifie quand «vingt pour cent de la population mondiale consomment les ressources de telle manière qu’ils volent aux nations pauvres, et aux futures générations, ce dont elles ont besoin pour survivre» (n°95).

Et dans un autre passage de l’encyclique le pape fait allusion à un vol de dimension planétaire, celui de l’accaparement des terres du sud :

« De diverses manières, les peuples en développement, où se trouvent les plus importantes réserves de la biosphère, continuent d’alimenter le développement des pays les plus riches au prix de leur présent et de leur avenir. La terre des pauvres du Sud est riche et peu polluée, mais l’accès à la propriété des biens et aux ressources pour satisfaire les besoins vitaux leur est interdit par un système de relations commerciales et de propriété structurellement pervers » (n°52).

Des spécialistes de l’agriculture et de l’écologie comme Fabrice Nicolino dénoncent cet accaparement par des pays comme la Chine, par des multinationales ou encore par des industriels comme Vincent Bolloré au Cameroun et au Sierra-Leone, et n’hésitent pas à parler d’un « immense crime contre l’humanité ». Nous vivons donc une situation de profonde injustice. D’un côté un homme affamé peut être condamné par la justice en France à payer une amende parce qu’il a pris de la nourriture dans les poubelles des supermarchés, de l’autre un industriel peut piller les ressources d’un pays africain et mettre dans la misère des centaines de personnes sans être nullement inquiété…


Évangile exige de chacun de nous un usage solidaire de nos biens et de nos richesses. Si nous voulons un monde meilleur, un monde ouvert à la justice du Royaume des cieux, nous devons nous engager de toutes nos forces pour la promotion d’une société de la sobriété et du partage.

jeudi 1 octobre 2015

Les animaux dans l'encyclique du pape François Laudato si'


Les animaux dans l’encyclique Laudato si’ du pape François

Les animaux sont cités 24 fois dans l’encyclique, soit de manière générale (les animaux[1], les espèces animales[2], les autres êtres vivants[3], les autres créatures[4], tous les êtres de cette terre[5], la vie sous toutes ses formes[6]), soit de manière spécifique (les oiseaux[7], les insectes[8]). Après le nom générique d’animaux et à égalité avec lui le pape utilise en priorité celui de créature(s). C’est donc en tant que créatures voulues par Dieu qu’il considère les animaux. Seul le chapitre 5 (Quelques lignes d’orientation et d’action) ne mentionne pas les animaux.

L’encyclique remet tout d’abord en cause une fausse interprétation de l’anthropocentrisme. Le pape parle carrément d’un « anthropocentrisme déviant » (n°69) qui est à l’origine de la maltraitance des animaux par l’homme. En citant des passages de la Loi de Moïse (Deutéronome 22, 4.6 et Exode 23,12[9]), il n’hésite pas à condamner « un anthropocentrisme despotique » incompatible avec le message biblique :

« La Bible ne donne pas lieu à un anthropocentrisme despotique qui se désintéresserait des autres créatures » (n°68).

Au n°83 le pape François réaffirme cette thèse à la lumière de la révélation chrétienne dans le Nouveau Testament :

« L’aboutissement de la marche de l’univers se trouve dans la plénitude de Dieu, qui a été atteinte par le Christ ressuscité, axe de la maturation universelle. Nous ajoutons ainsi un argument de plus pour rejeter toute domination despotique et irresponsable de l’être humain sur les autres créatures ».

La différence que Dieu a voulue entre les hommes et les animaux ne doit pas faire naître dans le cœur de l’homme un sentiment d’orgueil le conduisant à mépriser le reste de la création :

« Quand nous insistons pour dire que l’être humain est image de Dieu, cela ne doit pas nous porter à oublier que chaque créature a une fonction et qu’aucune n’est superflue » (n°84).

La thèse essentielle de l’encyclique à propos des animaux consiste à affirmer avec insistance leur valeur en tant que créatures de Dieu :

« Il ne suffit pas de penser aux différentes espèces seulement comme à d’éventuelles ‘ressources’ exploitables, en oubliant qu’elles ont une valeur en elles-mêmes » (n°33).

« En même temps que nous pouvons faire un usage responsable des choses, nous sommes appelés à reconnaître que les autres êtres vivants ont une valeur propre devant Dieu et ‘par leur simple existence ils le bénissent et lui rendent gloire’, puisque ‘le Seigneur se réjouit en ses œuvres’ (Ps 104, 31) » (n°69).

« Aujourd’hui, l’Eglise ne dit pas seulement que les autres créatures sont complètement subordonnées au bien de l’homme, comme si elles n’avaient aucune valeur en elles-mêmes et que nous pouvions en disposer à volonté » (n°69).

En affirmant à trois reprises la valeur que les animaux ont en eux-mêmes au sein de la création, le pape réfute une vision exclusivement utilitariste des espèces animales. Elles n’existent pas seulement pour être au service de l’homme et l’homme n’est pas libre d’en faire ce qu’il veut en fonction de ses intérêts immédiats et égoïstes.
Contre la tradition philosophique issue de Descartes et de Malebranche, l’encyclique rappelle une évidence qui n’aurait jamais dû être oubliée dans le contexte de la foi en Dieu, créateur de tous les êtres vivants :

« Il serait aussi erroné de penser que les autres êtres vivants doivent être considérés comme de purs objets, soumis à la domination humaine arbitraire » (n°82).

Non seulement les animaux ne sont pas des objets privés de valeur objective, mais encore ils n’ont pas été créés d’abord pour l’homme. Au n°83 le pape énonce une thèse qui me semble d’une importance extrême dans le cadre d’une vision chrétienne des rapports entre humains et animaux :

« La fin ultime des autres créatures, ce n’est pas nous. Mais elles avancent toutes, avec nous et par nous, jusqu’au terme commun qui est Dieu, dans une plénitude transcendante où le Christ ressuscité embrasse et illumine tout ; car l’être humain, doué d’intelligence et d’amour, attiré par la plénitude du Christ, est appelé à reconduire toutes les créatures à leur créateur ».

La vocation de l’homme, et en particulier du chrétien, vis-à-vis des autres créatures ne consiste pas à être un despote violent et irresponsable. L’homme est au contraire présenté comme le prêtre de l’univers, celui par lequel et avec lequel, toutes les autres créatures pourront atteindre leur propre fin en Dieu. Cela rejoint ce que le pape dit de saint François dans son introduction à l’encyclique :

« Tout comme cela arrive quand nous tombons amoureux d’une personne, chaque fois que saint François d’Assise regardait le soleil, la lune ou les animaux même les plus petits, sa réaction était de chanter, en incorporant dans sa louange les autres créatures » (n°11).

Nous retrouvons cette belle idée de l’homme prêtre de l’univers dans la « prière chrétienne avec la création » à la fin de l’encyclique :

« Dieu d’amour, montre-nous notre place dans ce monde comme instruments de ton affection pour tous les êtres de cette terre, parce qu’aucun n’est oublié de toi » (n°246).

Nous avons vu que la fin ultime des autres créatures, ce n’est pas l’homme mais le Créateur. Le pape développe la thèse selon laquelle il y aura aussi « une place » au paradis, dans le Royaume de Dieu pour les autres créatures. La résurrection du Christ n’apporte pas seulement le salut aux hommes. Elle est le commencement d’une création nouvelle dans laquelle chaque créature aura sa place :

« Les créatures de ce monde ne se présentent plus à nous comme une réalité purement naturelle, parce que le Ressuscité les enveloppe mystérieusement et les oriente vers un destin de plénitude. Même les fleurs des champs et les oiseaux qu’émerveillé il a contemplé de ses yeux humains[10] sont maintenant remplis de sa présence lumineuse » (n°100).

Oui, même les oiseaux portent en eux la présence lumineuse du Christ depuis le jour de Pâques ! Et les animaux comme les autres créatures participeront à leur manière à la vie éternelle !

« La vie éternelle sera un émerveillement partagé, où chaque créature, transformée d’une manière lumineuse, occupera sa place et aura quelque chose à apporter aux pauvres définitivement libérés » (n°243).

C’est bien parce que chaque créature a sa valeur propre et sa fonction sur cette terre que le pape s’inquiète à de nombreuses reprises de la disparition de certaines espèces animales[11]. Les changements du climat n’affectent pas seulement les hommes mais aussi les animaux (n°25). La perte de biodiversité est due à de multiples facteurs dont certains sont cités par l’encyclique : les agro-toxiques (les pesticides, n°34), la surexploitation commerciale de certaines espèces (on peut penser concrètement à la surpêche, n°35), le commerce de peaux d’animaux en voie d’extinction (n°123) etc. Au n°89 le pape utilise une expression particulièrement forte pour caractériser la perte que peut représenter l’extinction d’une espèce animale :

« Je veux rappeler que ‘Dieu nous a unis si étroitement au monde qui nous entoure, que la désertification du sol est comme une maladie pour chacun et nous pouvons nous lamenter sur l’extinction d’une espèce comme si elle était une mutilation’ ».

L’homme ne peut rester indifférent ni passif face à cette perte de biodiversité tout simplement parce qu’il en est le premier responsable, et d’une certaine manière la première victime, même s’il n’en a pas conscience :

« Chaque année disparaissent des milliers d’espèces végétales et animales que nous ne pourrons plus connaître, que nos enfants ne pourront pas voir, perdues pour toujours. L’immense majorité disparaît pour des raisons qui tiennent à une action humaine. A cause de nous, des milliers d’espèces ne rendront plus gloire à Dieu par leur existence et ne pourront plus nous communiquer leur propre message. Nous n’en avons pas le droit » (n°33).

La disparition de certaines espèces animales constitue donc un appauvrissement de la création divine, une véritable mutilation pour les hommes. Les animaux, de par leur simple existence, rendent gloire à Dieu et nous délivrent un message. Eux, qui ne sont pas dotés comme nous de la parole, nous parlent cependant à leur manière et nous n’avons pas le droit de les condamner au silence, nous privant ainsi nous-mêmes de leur témoignage. Le pape suggère que leur message est important en condamnant notre irresponsabilité vis-à-vis d’eux. Cette conviction, il la réaffirme plus loin dans l’encyclique :

« Diverses convictions de notre foi développées au début de cette encyclique aident à enrichir le sens de cette conversion, comme la conscience que chaque créature reflète quelque chose de Dieu et a un message à nous enseigner » (n°221).

Quel est donc ce message ?

« Tout l’univers matériel est un langage de l’amour de Dieu, de sa tendresse démesurée envers nous. Le sol, l’eau, les montagnes, tout est caresse de Dieu » (n°84).

« Dieu a écrit un beau livre ‘dont les lettres sont représentées par la multitude des créatures présentes dans l’univers’. Les évêques du Canada ont souligné à juste titre qu’aucune créature ne reste en dehors de cette manifestation de Dieu » (n°85).

Dans le deuxième chapitre (n°90.91), le pape François exprime une crainte : que certains militants de la cause animale manquent de cohérence en se désintéressant du sort des hommes.

« Parfois […] il se mène une lutte en faveur d’autres espèces que nous n’engageons pas pour défendre l’égale dignité entre les êtres humains » (n°90).
« L’incohérence est évidente de la part de celui qui lutte contre le trafic d’animaux en voie d’extinction, mais qui reste complètement indifférent face à la traite des personnes, se désintéresse des pauvres, ou s’emploie à détruire un autre être humain qui lui déplaît » (n°91).

L’écologie intégrale défendue par le pape unit la cause des hommes et celle de la nature :

« Le sentiment d’union intime avec les autres êtres de la nature ne peut pas être réel si en même temps il n’y a pas dans le cœur de la tendresse, de la compassion et de la préoccupation pour les autres êtres humains. […] Il faut donc une préoccupation pour l’environnement unie à un amour sincère envers les êtres humains, et à un engagement constant pour les problèmes de société » (n°91).

Pourquoi le pape insiste-t-il tant sur l’union de l’amour pour les animaux et de l’amour pour les hommes (« en même temps ») ? Parce que, comme il ne cesse de le répéter tout au long de son encyclique, « tout est lié[12] »

Au chapitre troisième (La racine humaine de la crise écologique), l’encyclique aborde le thème sensible des expérimentations animales. Le pape admet, en citant le Catéchisme de l’Eglise catholique[13], qu’elles peuvent être légitimes dans certains cas. Le même Catéchisme est à nouveau cité pour rappeler qu’ « il est contraire à la dignité humaine de faire souffrir inutilement les animaux et de gaspiller leurs vies[14] ». La formulation du Catéchisme pose un problème de par son manque de précision. Que signifie dans ce contexte l’adverbe « inutilement », et quelle est l’autorité morale qui va déterminer quels sont les cas concrets dans lesquels la souffrance infligée par l’homme à des animaux est utile ?

Regardons maintenant les passages de l’encyclique qui traitent du type de relation que l’homme doit avoir (ou ne pas avoir) avec les créatures animales. Tout d’abord il y a la référence à Luc 12, 6 :

« Quand on lit dans l’Evangile que Jésus parle des oiseaux, et dit qu’aucun d’eux n’est oublié au regard de Dieu, pourra-t-on encore les maltraiter ou leur faire du mal ? » (n°221).

La réponse à cette interrogation rhétorique est évidente : l’homme n’a pas le droit de maltraiter ou de faire du mal aux animaux car ils sont des créatures de Dieu et l’amour divin s’étend aussi à eux. Dans sa tendresse et sa providence le Créateur n’est pas indifférent aux animaux. Lorsque le pape parle de l’éducation à la responsabilité environnementale, il mentionne l’exigence de « traiter avec attention les autres êtres vivants » (n°211). Un homme qui maltraite les animaux risque fort de maltraiter aussi ses frères humains :

« Il est vrai aussi que l’indifférence ou la cruauté envers les autres créatures de ce monde finissent toujours par s’étendre, d’une manière ou d’une autre, au traitement que nous réservons aux autres êtres humains. Le cœur est unique, et la même misère qui nous porte à maltraiter un animal ne tarde pas à se manifester dans la relation avec les autres personnes. Toute cruauté sur une quelconque créature est contraire à la dignité humaine » (n°92).

Dans le contexte de l’écologie intégrale développée par le pape François, on pourra regretter certains manques ou certaines omissions : l’encyclique ne mentionne pas le problème de la surconsommation de viande, le scandale de l’élevage industriel des animaux (et donc des abattoirs) et l’option végétarienne. Du moins pas de manière explicite…

« Une écologie intégrale est aussi faite de simples gestes quotidiens par lesquels nous rompons la logique de la violence, de l’exploitation, de l’égoïsme. En attendant, le monde de la consommation exacerbée est en même temps le monde du mauvais traitement de la vie sous toutes ses formes » (n°230).

L’élevage industriel des animaux, en particulier celui des vaches laitières, des poulets et des poules pondeuses, des porcs et des lapins, n’est-il pas l’une des expressions les plus horribles de cette logique dénoncée par le pape ? Violence, exploitation et égoïsme. La surconsommation de viande (« la consommation exacerbée ») est en effet inséparable du mauvais traitement infligée à des millions d’animaux considérés comme de simples objets, sources de rendement économique maximal (« mauvais traitement de la vie sous toutes ses formes »).

Au terme de ce parcours je voudrais citer deux passages du chapitre sixième (éducation et spiritualité écologiques) qui me semblent particulièrement significatifs dans le contexte du juste rapport que nous devons entretenir avec les autres êtres vivants sur cette planète terre. Tout d’abord la différence maintenue par le pape entre les hommes et les animaux n’implique pas, nous l’avons déjà vu, un anthropocentrisme despotique et irresponsable. C’est le contraire qui est vrai :

« Cette conversion (écologique) implique aussi la conscience amoureuse de ne pas être déconnecté des autres créatures, de former avec les autres êtres de l’univers une belle communion universelle. […] Le croyant ne comprend pas sa supériorité comme motif de gloire personnelle ou de domination irresponsable, mais comme une capacité différente, lui imposant à son tour une grave responsabilité qui naît de sa foi » (n°220).

La logique de l’exploitation violente et égoïste des animaux doit donc laisser la place à la fraternité entre toutes les créatures :

« J’invite tous les chrétiens à expliciter cette dimension de leur conversion, en permettant que la force et la lumière de la grâce reçue s’étendent aussi à leur relation avec les autres créatures ainsi qu’avec le monde qui les entoure, et suscitent cette fraternité sublime avec toute la création, que saint François d’Assise a vécue d’une manière si lumineuse » (n°221). 


[1] 10 fois
[2] 6 fois
[3] 5 fois
[4] 10 fois
[5] 1 fois
[6] 1 fois
[7] 4 fois, en lien avec Luc 12, 6.
[8] 1 fois
[9] Citation reprise au n°237.
[10] Cf. aussi n°226.
[11] Cf. n° 32 (la perte de biodiversité), 35, 89, 123 et 145.
[12] Cette expression est utilisée 8 fois.
[13] N°2417.
[14] N°2418.