dimanche 24 avril 2022

Deuxième dimanche de Pâques / année C

 

24/04/2022

Jean 20, 19-31

Le soir de Pâques la première parole du Ressuscité au groupe des disciples est une salutation de paix : La paix soit avec vous ! Cette salutation pascale revient à trois reprises dans la bouche de Jésus, c’est dire toute son importance. En effet la paix est comme un fil rouge qui traverse toute la révélation biblique (331 fois…). C’est Abram, le premier, qui entend ce message de paix de la part de Dieu dans le livre de la Genèse : Quant à toi, tu rejoindras tes pères dans la paix. Tu seras enseveli après une heureuse vieillesse. Pour Abram il s’agit de la paix dont jouissent les défunts, la paix du repos éternel. Dans l’Evangile de l’octave de Pâques il s’agit de la paix du Christ qui est passé par la mort de la croix pour connaître la gloire de la résurrection, une paix non plus associée au sommeil de la mort mais au contraire à la plénitude de la vie divine manifestée en Jésus ressuscité. C’est cette paix qui avait été annoncée par les anges dans la nuit de Bethléem : paix sur la terre aux hommes que Dieu aime.  C’est encore cette paix que Jésus, dans les Béatitudes, nous demande de vivre et de promouvoir entre nous : Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. Enfin notons que la seule prière de la messe adressée à Jésus, juste avant le moment solennel de la communion, est une citation du chapitre 14 de l’Evangile selon saint Jean, citation qui nous rappelle ce don précieux de la paix du Christ : Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé.

La salutation de paix le soir de Pâques est un appel qui nous est fait à désirer et à accueillir ce don inestimable. En même temps elle constitue un rappel de notre vocation chrétienne à être artisans de paix dans l’esprit des Béatitudes. Au livre deuxième de l’Imitation de Jésus-Christ, intitulé « Instruction pour avancer dans la vie intérieure », le chapitre 3 est consacré à l’homme pacifique. L’auteur de ce texte distingue trois types d’hommes :

1. Il y en a qui sont en paix avec eux-mêmes et avec les autres.

2. Il y en a qui n'ont point la paix, et qui troublent celle d'autrui: ils sont à charge aux autres, et plus à charge à eux-mêmes.

3. Il y en a, enfin, qui se maintiennent dans la paix et qui s'efforcent de la rendre aux autres.

L’Imitation nous fait comprendre l’importance d’être d’abord en paix avec nous-mêmes pour être artisans de paix : Conservez-vous premièrement dans la paix: et alors vous pourrez la donner aux autres. L’homme qui n’est pas unifié intérieurement par l’amour de charité du Ressuscité et par les lumières de l’Esprit Saint devient inquiet et mécontent. N’étant pas réconcilié avec Dieu et avec lui-même, il trouble la paix de ses frères et sœurs. L’Imitation dépeint ainsi le second type d’homme mentionné plus haut : Il n'a jamais de repos, et n'en laisse point aux autres. Il dit souvent ce qu'il ne faudrait pas dire, et ne fait pas ce qu'il faudrait faire. Attentif aux devoirs des autres, il néglige ses propres devoirs. Sans la grâce du Christ ressuscité, sans le secours des sacrements, sans une vie de prière personnelle, nous sommes tous menacés par cette tentation qui nous empêche d’être des artisans de paix. D’où la nécessité pour nous de toujours rechercher une communion profonde avec le Christ Vivant, en particulier dans le cœur à cœur avec Lui et sous le regard du Père : Toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.

Pour nous aider sur ce chemin d’unification intérieure, donc de pacification de notre cœur, l’Imitation nous donne deux conseils concrets que nous pouvons mettre en pratique :

1. Ayez donc premièrement du zèle pour vous-même, et vous pourrez ensuite avec justice l'étendre sur le prochain.

2. Nous pourrions jouir d'une grande paix, si nous voulions ne nous point occuper de ce que disent et de ce que font les autres et de ce dont nous ne sommes point chargés. Comment peut-il être longtemps en paix, celui qui s'embarrasse de soins étrangers, qui cherche à se répandre au-dehors, et ne se recueille que peu ou rarement en lui-même ? Heureux les simples, parce qu'ils posséderont une grande paix ! (I.11).

dimanche 17 avril 2022

PAQUES 2022

 


Pâques 2022

Jean 20, 1-9

Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ; c’était encore les ténèbres. Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau. C’est avec ces simples mots que saint Jean nous rapporte le pèlerinage de Marie de Magdala auprès du tombeau de Jésus juste avant l’aube, le premier jour de la semaine. Le style de l’évangéliste est sobre et concis. Ce qu’il nous dit nous invite à lire la première page de la Bible dans le livre de la Genèse, au premier jour de la création. Le premier jour de Pâques est en effet à mettre en rapport avec le premier jour de la création : Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des ténèbres. Dieu appela la lumière « jour », il appela les ténèbres « nuit ». Il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour.

Lorsque Marie se rend au tombeau, ce sont encore les ténèbres de la nuit. Elles vont bientôt disparaître pour laisser la place à la lumière d’un jour nouveau, celui de la découverte de la résurrection, celui du commencement d’une nouvelle création, d’une ère nouvelle dans l’histoire de notre humanité. Si bien que pendant les premiers siècles on faisait commencer l’ère chrétienne non pas à partir de la naissance de Jésus mais à partir de la date de sa mort sur la croix et de sa résurrection. La mention des ténèbres nous renvoie aussi au prologue de l’Evangile selon saint Jean : Dans le Verbe était la vie, et la vie était la lumière des hommes ; la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée… Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde. L’événement de la résurrection (qui s’est déroulé dans le secret de Dieu sans aucun témoin humain) révèle le triomphe de Jésus-Lumière sur les ténèbres dans lesquelles notre existence humaine était plongée en raison de la puissance du mal. La résurrection du Christ est en effet cet événement fondateur par lequel nous sommes libérés et rendus à notre condition de fils et de filles de Dieu. C’est par le baptême et par la foi agissant par la charité que nous pouvons participer à ce triomphe de la lumière sur les ténèbres et devenir nous-mêmes lumière pour nos frères les hommes. Ecoutons ce que Paul dit aux chrétiens d’Ephèse : Autrefois, vous étiez ténèbres ; maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière ; conduisez-vous comme des enfants de lumière – or la lumière a pour fruit tout ce qui est bonté, justice et vérité – et sachez reconnaître ce qui est capable de plaire au Seigneur… Tout ce qui devient manifeste est lumière. C’est pourquoi l’on dit : Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera. Prenez bien garde à votre conduite : ne vivez pas comme des fous, mais comme des sages. Tirez parti du temps présent, car nous traversons des jours mauvais. Ne soyez donc pas insensés, mais comprenez bien quelle est la volonté du Seigneur.

La joie de Pâques ne peut être reçue que dans l’Esprit Saint. La joie de Pâques est celle des créatures nouvelles ayant fait l’expérience de la re-naissance, ou nouvelle naissance, le jour du baptême et dans la vie de foi et de charité. Tout commence pour nous avec ce matin de la première Pâques où Marie découvre le tombeau ouvert et vide et Jean, en voyant, croit le premier en la résurrection du crucifié. Cette joie pascale nous ne pouvons l’expérimenter que dans la mesure où nous nous engageons à la suite de Jésus sur son chemin de lumière : bonté, justice et vérité. La joie pascale se communique dans l’Esprit Saint à ceux qui croient en Jésus vivant et à ceux qui mettent en pratique ses commandements. La joie de Pâques est toujours en même temps spirituelle et concrète. Car l’Esprit de Jésus ressuscité nous pousse à prier et à agir en témoins de la nouvelle création. Comme nous l’enseigne Jésus, celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu.


samedi 16 avril 2022

VEILLEE PASCALE

 


Veillée pascale 2022

Saint Luc 24, 1-12

Du premier récit de la création dans le livre de la Genèse à l’annonce de la résurrection dans l’Evangile selon saint Luc, tel est le parcours que la Parole de Dieu nous invite à faire en cette sainte nuit de Pâques.

Dans un premier temps méditons le magnifique poème de la création qui est tout entier une célébration de la vie et de sa diversité merveilleuse et foisonnante. Les prêtres qui ont composé avec soin ce poème lui ont donné comme cadre temporel la semaine humaine. Le texte est en effet rythmé par un refrain : Il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour… et cela jusqu’au 6ème jour. Dieu créateur organise le cosmos de manière progressive, ordonnée et hiérarchique. Il commence par former le ciel et la terre, ce sont les deux premiers jours et ce que nous pourrions appeler le stade minéral de la vie. Il poursuit son œuvre le 3ème jour avec le règne végétal. Afin que ce règne puisse exister, il crée ensuite le grand luminaire, le soleil, et le petit luminaire, la lune, le jour suivant. D’un point de vue rationnel le récit est incohérent puisque, avant même la création du soleil, Dieu sépare la lumière des ténèbres dès le premier jour… il y eut un soir, il y eut un matin. Ce qui nous montre bien que la portée de ce texte n’est pas d’ordre scientifique, mais bien spirituel. Avec le 5ème jour la vie se complexifie encore, c’est l’apparition des premiers animaux, donc du règne animal, avec les animaux qui habitent les eaux (poissons et monstres marins) et ceux qui habitent le ciel (les oiseaux). Pour la première fois dans le récit Dieu adresse la parole à ses créatures en les bénissant. Signe de ce que le règne animal est particulièrement aimé du Créateur et objet de sa providence comme le chante le psaume 103. Le dernier jour de l’acte créateur fait apparaître les animaux terrestres, d’abord les bestiaux, ceux qui vivront avec l’homme, et les bêtes sauvages qui conserveront leur indépendance, puis enfin, au sommet de la création, un animal unique avec l’espèce humaine, l’homme et la femme créés ensemble à l’image et à la ressemblance de Dieu tout en étant de la même famille que les animaux terrestres. Porteurs de la divinité et bénis par Dieu qui s’adresse à eux, ils sont appelés par le créateur à être les maîtres de toute la création, des maîtres bons et pacifiques à l’image du Père source de vie. A sept reprises Dieu déclare que sa création est bonne, et même très bonne lorsqu’il achève son œuvre le 6ème jour. Le message du poème pourrait se résumer de manière assez simple : tout ce qui sort du Créateur est bon, toute vie est bonne, et l’homme et la femme sont au service de la bonté de cette création, ayant une responsabilité unique en son sein. Au chapitre premier de la Genèse la mort n’existe pas encore, pas plus que le mal ni la violence. C’est une harmonie parfaite qui règne entre toutes les créatures, une harmonie hiérarchisée puisque au sommet sont placés l’homme et la femme, comme les lieutenants de Dieu sur terre. Telle a été la volonté du Père, son projet hors de lui-même.

L’Evangile de cette nuit de Pâques nous propulse dans la condition humaine telle que nous la connaissons : la mort existe pour toutes les créatures, la violence aussi. Cette violence dont Jésus de Nazareth a été la victime innocente sur la croix. Ce n’est pas par hasard que notre Evangile se situe le premier jour de la semaine, le lendemain du sabbat. Comment ne pas penser au premier jour de la création par lequel à partir d’une terre informe et vide, le souffle de Dieu sépara la lumière des ténèbres ? Le mystère pascal du Fils de Dieu est en effet une recréation, une nouvelle création à partir de notre condition humaine mortelle et déchue, chaotique. De la même manière que la terre primordiale était informe et vide, ou encore un chaos selon une autre traduction, l’homme et la femme, privés de la grâce du Christ, étaient eux aussi informes et vides. Ils avaient perdu la belle forme de l’innocence dans laquelle ils avaient été créés en tant qu’images de Dieu. Déchus de leur condition première, ils étaient vides de la vie de la grâce, vides de la plénitude de vie divine, vides enfin en raison de la vanité de leurs pensées et de la violence de leurs actes. Et l’on comprend que le poète désabusé du livre de l’Ecclésiaste ait pu commencer son œuvre par ces mots : Vanité des vanités disait Qohèleth. Vanité des vanités, tout est vanité ! Quel profit l’homme retire-t-il de toute la peine qu’il se donne sous le soleil ? Une génération s’en va, une génération s’en vient, et la terre subsiste toujours.

N’oublions pas que le pèlerinage des trois femmes auprès du tombeau de Jésus est une visite funéraire, dont le but est de compléter la toilette funéraire du Seigneur effectuée à la va-vite en raison du sabbat qui approchait. Les femmes portent avec elles les aromates pour achever la sépulture de celui qu’elles aimaient d’un amour tendre et fidèle. Et voici que deux hommes mystérieux viennent rompre par leur message la vanité, c’est-à-dire le vide existentiel, de notre vie humaine coupée de la source de vie en raison de nos péchés : Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité. Et l’épitre de Paul aux Romains se joint au témoignage des deux messagers : Ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur lui.

Le signe du tombeau ouvert de Jésus crucifié est toujours un appel qui est fait à notre foi. Voulons-nous réellement passer avec le Christ du chaos de la violence et de la mort à la beauté de la vie divine ? Dans notre monde imparfait et marqué par le péché, l’ouverture du tombeau est un passage vers le Royaume de Dieu. Comme Pierre soyons tout étonnés, car c’est par l’étonnement que bien souvent s’ouvre pour nous l’accès à la joie d’une vie nouvelle.


vendredi 15 avril 2022

VENDREDI SAINT


Passion de Jésus-Christ selon saint Jean

Hier, lors de la commémoration de la dernière Cène du Seigneur, nous avons entendu ces paroles de saint Jean : Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu…

Oui, le Père a remis toute son autorité divine entre les mains de son Fils, Jésus, né de la Vierge Marie dans le temps et l’histoire des hommes. C’est avec ses mains que Jésus a lavé les pieds de ses disciples et institué le sacrement de l’eucharistie. Ce sont ces mains de la Parole de Dieu faite chair qui sont aujourd’hui attachées au bois du supplice et transpercées par les clous de la croix. C’est par ses mains que pendant toute son existence ce jeune homme juif n’a cessé de faire le bien, de bénir, de partager, de soulager et de guérir. En méditant la Passion de Jésus, nous sommes confrontés au grand mystère de l’ingratitude des hommes qui, bien souvent, sont capables de rendre le mal pour le bien et de vénérer ce qui leur font du mal. Mystère de notre péché.

L’évangéliste Jean dresse un portrait favorable de l’autorité romaine représentée par Pilate. Davantage encore que dans les autres Evangiles, Pilate fait tout ce qui est en son pouvoir pour éviter à Jésus la condamnation à mort. De la bouche du romain et du païen Pilate sortent deux paroles solennelles de présentation du Christ à la foule : Voici l’homme… Voici votre roi… Ces paroles peuvent être l’objet d’une longue méditation intérieure. Que peuvent-elles bien signifier ? Le Romain aurait-il pressenti dans cet homme torturé, revêtu du manteau pourpre (vêtement réservé au seul empereur de Rome), l’homme parfait, l’homme tel qu’il devrait être ? Jésus, image parfaite de l’homme parce que parfaite image de Dieu ? Voici l’homme… cette affirmation prophétique de Pilate correspond peut-être à ce que Paul dira plus tard de Jésus en voyant en lui le nouvel Adam, l’homme enfin libéré du péché et du mal, l’homme saint et innocent, donc l’homme parfaitement libre. Voici votre roi… Formule ambiguë par définition… Mais Jésus lui-même nous empêche de la comprendre de travers : Ma royauté n’est pas de ce monde… Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité.

Si Pilate est présenté sous un jour positif par Jean, ce n’est pas le cas, bien sûr, de ceux qui demandent avec insistance la condamnation à mort de Jésus, en particulier des grands prêtres et de leurs soutiens dans la foule. Les grands prêtres avaient trouvé un compromis avec l’occupant romain qui leur laissait leurs privilèges et leur liberté dans le domaine sacré du culte et du temple. En échange ils collaboraient volontiers avec l’ordre romain. Ils avaient fort peu apprécié l’intervention de Jésus dans le temple et sa décision d’en expulser les marchands et les changeurs. La prédication de Jésus pouvait fort bien ruiner le gain financier important obtenu grâce aux pèlerinages et aux sacrifices effectués dans le temple et sous leur contrôle. Ce que Jésus avait dit autrefois à la femme de Samarie avait de quoi les inquiéter : Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père. En plus de laisser entrevoir la fin du culte et des sacrifices dans le temple, donc la fin du sacerdoce, Jésus avait prêché l’égalité spirituelle entre tous les fils de Dieu, ce qui menaçait l’autorité religieuse des grands prêtres sur le peuple : Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères. Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux. Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ. Sans le vouloir, dans leur acharnement à vouloir se débarrasser de Jésus, les grands prêtres ont accompli ce qu’ils redoutaient le plus… C’est précisément en mourant sur la croix que Jésus devient en effet le grand prêtre de la nouvelle alliance. Il abolit par son sang versé le culte ancien et les sacrifices d’animaux offerts dans le temple. Malgré la collaboration des grands prêtres avec les Romains, le temple sera détruit en 70 par Titus, ce qui aura pour conséquence la fin de leur sacerdoce et du culte selon la loi de Moïse. Saint Paul, plus que tout autre, a parfaitement saisi la révolution religieuse qui a commencé sur le Golgotha avec la crucifixion de Jésus. Ecoutons ce qu’il écrit aux chrétiens d’Ephèse :

C’est lui, le Christ, qui est notre paix : des deux, le Juif et le païen, il a fait une seule réalité ; par sa chair crucifiée, il a détruit ce qui les séparait, le mur de la haine ; il a supprimé les prescriptions juridiques de la loi de Moïse. Ainsi, à partir des deux, le Juif et le païen, il a voulu créer en lui un seul Homme nouveau en faisant la paix, et réconcilier avec Dieu les uns et les autres en un seul corps par le moyen de la croix ; en sa personne, il a tué la haine. Il est venu annoncer la bonne nouvelle de la paix, la paix pour vous qui étiez loin, la paix pour ceux qui étaient proches. Par lui, en effet, les uns et les autres, nous avons, dans un seul Esprit, accès auprès du Père.

 

jeudi 14 avril 2022

JEUDI SAINT 2022

 


Jean 13, 1-15

Dimanche dernier, lors de la célébration des Rameaux, nous avons entendu Jésus nous dire :

Quel est en effet le plus grand : celui qui est à table, ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Eh bien moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert.

En ce Jeudi saint, l’évangéliste Jean nous montre Jésus qui se lève de table afin de laver les pieds de ses disciples. Il se présente à nous comme notre serviteur, comme le Dieu qui s’abaisse. Il le fait physiquement avec son corps pour se mettre au niveau des pieds des disciples, il le fait surtout dans son âme et dans son cœur pour nous dire sa proximité avec nous, son amour miséricordieux qui vient nous purifier et nous sanctifier. Dans ce geste d’abaissement volontaire, Jésus qui est sorti de Dieu et qui s’en va vers Lui nous prend avec Lui pour aller vers le Père. Il s’abaisse à nos pieds pour nous élever avec Lui. Jean affirme : sachant que le Père a tout remis entre ses mains, soulignant ainsi la divinité du Fils. C’est justement avec ses mains, dans lesquelles le Père a remis toute son autorité divine, que, dans un même mouvement, le Fils fait l’eucharistie, prenant le pain et le vin, et lave les pieds de ses disciples.

Confronté à l’humilité de son maître et Seigneur, Pierre, le premier parmi les apôtres, refuse de se laisser laver les pieds : Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! Cette réaction spontanée nous rappelle celle de Jean le baptiste en saint Matthieu, refusant de baptiser Jésus : Jean voulait l’en empêcher et disait : « C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi, et c’est toi qui viens à moi ! » Dans les deux cas Jésus persuade ces hommes de le laisser faire même s’ils ne peuvent pas comprendre pour le moment la signification de ces actes. Ainsi la scène du baptême au début de l’Evangile et celle du lavement des pieds à la fin ont la même signification : dans les deux cas Jésus s’abaisse devant des hommes, il se fait leur inférieur. Et c’est ainsi qu’il décide de leur révéler les voies du salut choisis par Dieu qui sont celles de l’humilité de Dieu. C’est bien par cette capacité de Dieu à se faire petit, à s’abaisser en se mettant à notre niveau, que nous sommes réconciliés avec lui. L’Evangile de ce Jeudi saint s’achève en qualifiant le geste du lavement des pieds d’exemple  que nous avons à imiter. C’est dire à quel point l’humilité du disciple et son esprit de service sont une participation effective au salut apporté par Jésus-Christ. Saint Paul exhorte ainsi les chrétiens de Philippes : Ne soyez jamais intrigants ni vaniteux, mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes. Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts ; pensez aussi à ceux des autres.

Le geste du lavement des pieds comme celui de l’eucharistie nous permet de saisir ce qui se joue dans la Passion du Seigneur que nous méditerons demain : pas seulement la souffrance du juste innocent, mais un acte d’humilité et d’abaissement ultime qui nous permet de nous relever de nos péchés et d’être libérés des logiques du mal et de son pouvoir sur nous, logiques toujours liées à l’orgueil égoïste.

Marie, mère du Sauveur, a prophétisé tout cela dans son Magnificat, son action de grâce offerte au Père :

Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles.


dimanche 10 avril 2022

Dimanche des Rameaux et de la Passion


10/04/2022

Passion selon saint Luc

Le Christ s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est avec ces mots que l’apôtre Paul médite le mystère de la Passion du Christ. Nous pouvons être frappés par la sobriété avec laquelle l’évangéliste saint Luc rapporte ces événements : il ne cherche pas à dramatiser, il ne s’attarde pas à décrire avec force détails les souffrances endurées par le Messie. A cette sobriété du récit correspond dans notre cœur le silence face au grand mystère, silence qui est aussi celui de Jésus : il parle très peu ou se tait, renonçant à vouloir se défendre. Silence du vendredi saint. Au commencement de ce récit, Jésus lui-même donne par avance la signification de ses souffrances et de sa mort :

Je suis au milieu de vous comme celui qui sert… Il faut que s’accomplisse en moi ce texte de l’Écriture : Il a été compté avec les impies.

Paul, nous l’avons entendu, parle d’anéantissement et d’abaissement. Oui, dans sa Passion, Jésus est bien cet impie, ce maudit aux yeux de son peuple, et ce serviteur bien-aimé aux yeux de Dieu. Anéantissement de celui qui accepte d’être compté parmi les impies, Agneau de Dieu portant le péché du monde, excommunié par les chefs religieux et exclu de son peuple. Tout cela en raison de l’amour divin qui brûle dans son cœur et de la vérité du mystère de l’incarnation. Dès lors il accepte, prenant la place des impies, c’est-à-dire des sans Loi (des sans-Tora selon la traduction de Chouraqui), de souffrir dans son corps et dans son âme le déchainement de la méchanceté des hommes, accablé de coups et d’injures, de moqueries et de défis. Dans le récit de Luc, c’est un impie, un païen, Pilate qui confesse à trois reprises son innocence, sans toutefois avoir le courage de refuser sa condamnation à la mort de la croix. C’est encore un impie, le centurion romain, qui reconnaît la sainteté du crucifié. C’est enfin un malfaiteur, celui que nous avons appelé le bon larron, qui, avec Pilate, confesse l’innocence de Jésus, le roi des Juifs.

De la bouche du serviteur souffrant du Seigneur, du Fils de l’homme et du Fils de Dieu, sortent trois paroles. Deux sont des prières adressées à son Père : Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font… Père, entre tes mains je remets mon esprit. Dans un même mouvement le serviteur, ayant pris la dernière place, intercède comme un grand prêtre pour les pécheurs que nous sommes, et s’abandonne totalement, dans la confiance, entre les mains de son Père. Entre ces deux paroles de prière, s’insère la parole solennelle qui répond à la prière du malfaiteur : Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. Le rideau du Temple se déchire, laissant le sanctuaire ouvert. Dieu n’est plus mis à demeure dans un lieu unique. Le Père de Jésus est en effet le Créateur et le Sauveur de tous, sa sainte présence est désormais offerte à tous les hommes de tous les temps et de tous les lieux grâce à l’obéissance de son Fils. Avec la parole de Jésus adressée au malfaiteur, c’est enfin le Ciel qui s’ouvre. Le royaume que Jésus de Nazareth avait prêché en Galilée devient réalité au moment de son offrande sur le bois de la croix. C’est ainsi que Jésus excommunié canonise le premier saint de l’ère chrétienne. La force de son pardon ouvre le Ciel à un malfaiteur. Nous ne connaissons pas son nom. Celui qui sera avec Jésus dans la joie du Paradis nous représente tous et nous fait entrevoir notre vocation divine, notre dignité de fils et de filles de Dieu appelés à la sainteté.