dimanche 25 décembre 2022

NOEL 2022 / Messe du jour


Jean 1, 1-18

Hier, pour la messe de la nuit de Noël nous avons contemplé l’enfant de la crèche avec saint Luc : Marie mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. Aujourd’hui, nous contemplons le même mystère avec les yeux d’aigle de saint Jean le théologien : Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité.

La vision de Luc est humble, celle de Jean grandiose, mais elles nous donnent accès au même mystère, celui de l’incarnation par lequel non seulement Dieu se fait homme mais aussi notre frère. Et c’est à Noël qu’il inaugure ce chemin de fraternité avec nous en commençant sa vie au milieu de nous comme un nouveau-né. Ce nouveau-né, c’est bien le Verbe, la Parole éternelle de Dieu. Jésus, Fils de Dieu, devra attendre de grandir pour faire sien le langage des hommes. Il commence comme tous les bébés de la terre sans cette capacité du langage et pourtant il est bien la Parole de Dieu faite chair. C’est d’ailleurs l’origine latine de notre mot enfant qui nous le rappelle : infans, désignant le très jeune enfant qui ne parle pas. Sur ses 33 années de vie parmi nous Jésus n’a enseigné par sa parole que pendant les trois dernières années de sa vie, ce que l’on appelle son ministère public. La plus grande partie de sa vie a été une vie humble et cachée à Nazareth. Entre sa naissance dans la crèche et le jour de son baptême, Jésus, le Verbe, nous a parlé, nous a enseigné par son silence. Il nous a parlé en choisissant une vie humble et ordinaire au milieu des siens. Chez saint Luc et saint Jean deux lieux sont liés à la manifestation du Fils de Dieu dans notre humanité : la mangeoire et la tente. Car la traduction littérale du verset 14 du magnifique prologue est la suivante : Et le Verbe s’est fait chair, il a planté sa tente parmi nous. Si Dieu choisit comme lieu de sa naissance une mangeoire, il se présente aussi à nous comme celui qui séjourne parmi nous sous une tente. C’était déjà le cas lors des 40 années passées dans le désert par le peuple d’Israël après sa libération de l’esclavage en Egypte. L’image de la tente évoque un Dieu voyageur, un Dieu en mouvement, un Dieu qui nous accompagne là où nous sommes, là où nous en sommes dans notre chemin de vie. Le tabernacle de nos églises, accueillant le trésor du pain eucharistique, est une image de la tente de l’incarnation. Dans le prologue de saint Jean, l’évangéliste nous présente Jésus comme la vraie lumière : En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes… Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde. Oui, Jésus dans le mystère de son enfance et de toute sa vie, illumine nos cœurs par sa présence. Il nous parle en donnant une signification à notre vie, une direction.  Une phrase sans verbe ne signifie rien, en effet. Jésus infiltre sa douce lumière dans nos ténèbres, celles de nos échecs et de nos péchés, de nos souffrances et de nos deuils. Il vient nous enseigner le chemin de la véritable joie avec Dieu et entre nous, si nous le voulons bien, dans la mesure où nous l’accueillons et l’acceptons dans le mystère de la foi. Noël est toujours un appel à faire confiance dans le triomphe de la lumière sur nos ténèbres intérieures et celles de notre monde.

Nous ne connaissons pas la date de naissance de Jésus. Lorsqu’au 4ème siècle les chrétiens ressentent le besoin d’instituer cette fête, ils choisissent une date proche de celle du solstice d’hiver, le moment où le jour regagne du terrain sur la nuit… Depuis l’année 274, les Romains fêtaient le 25 décembre le soleil invaincu. Les chrétiens ayant saisi le mystère de l’incarnation choisirent de christianiser la fête païenne de la naissance du soleil invaincu. Bien avant l’institution de la fête de Noël, saint Jean affirmait dans son prologue : La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée. Noël est bien cette fête lumineuse au sein des ténèbres de l’hiver. C’est à chacun d’entre nous que Jésus confie sa divine lumière pour que nous la fassions rayonner en aimant comme lui nous a aimés, davantage par nos actes que par nos paroles.


 

NOEL 2022 / Messe de la nuit

 


Luc 2, 1-14

Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli. Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. C’est avec ces mots d’une grande simplicité que saint Luc nous parle de l’événement le plus important de notre histoire humaine : le mystère de l’incarnation par lequel Dieu se fait homme en naissant du sein de la Vierge Marie, l’épouse de Joseph. L’évangéliste est bref et sobre. Lorsque nous écoutons le récit qu’il nous donne de la Nativité de Jésus nous sommes frappés par le contraste entre la grandiose introduction et la simplicité extrême de cette naissance. D’un côté nous avons en effet l’empereur Auguste, le maître du plus grand Empire de l’époque, qui ordonne un recensement, de l’autre nous avons un bébé couché dans une mangeoire, naissant dans une ville illustre pour le petit peuple Juif mais obscure pour le grand peuple romain. Jésus naît à la marge de cet immense Empire romain, dans une petite province orientale. Il naît pour reprendre un mot cher au pape François dans les périphéries du monde romain. Dieu, par fidélité à son peuple, choisit le territoire de l’ancien Israël pour donner au monde son Fils. Mais de manière plus profonde encore Dieu choisit de manifester son Fils dans l’humilité, la simplicité et la pauvreté, très loin de la demeure d’Auguste à Rome.

Dans la nuit de Noël, en Palestine, Dieu se fait notre frère en nous donnant son Fils. Dieu se fait notre compagnon dans l’expérience de la condition humaine, sur la route de l’histoire de notre humanité. Dans les lectures de la nuit de Noël nous percevons le contraste entre le signe donné aux bergers, un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire, et l’identité de l’enfant qui vient de naître : oui, ce bébé, est réellement le Sauveur, le Christ, le Seigneur. Il est d’après la prophétie messianique d’Isaïe Conseiller-merveilleux, Dieu-Fort, Père-à-jamais, Prince-de-la-Paix. En contemplant la crèche nous comprenons que le Dieu fort choisit de se manifester à nous dans la faiblesse et l’humilité. Sa force divine est cachée, et c’est en étant cachée qu’elle est capable de nous sauver et de nous attirer à Lui. C’est l’un des grands enseignements du mystère de Noël : le chemin du salut, donc de la vie, est celui de l’abaissement de Dieu, celui de l’humilité et de la pauvreté de Dieu. Dieu se fait notre frère, non pas en naissant dans la splendeur du palais d’Auguste à Rome, au centre du monde, mais en naissant dans la mangeoire d’une ville oubliée à la périphérie du grand Empire. Auguste avait apporté à cet Empire la paix après un siècle de guerres civiles. Ce n’est pas un hasard si Dieu fait concorder la naissance du Prince de la paix avec l’avènement de la paix civile, l’âge d’or augustéen. La paix de Dieu rejoint ainsi la paix des hommes célébrée par l’autel de la paix à Rome.

A Noël Dieu se fait notre frère et notre nourriture. Il vient au monde dans la mangeoire destinée à nourrir les animaux de l’étable. Il vient au monde dans la cité du roi David, Bethléem, ce nom signifiant la maison du pain. Dès sa naissance Jésus se fait pain pour nous nourrir de la Parole de Dieu. Lui qui ne parle pas encore nous parle en silence par l’humilité de sa naissance. Remarquons bien qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune… d’où cette naissance à l’écart, dans une étable au milieu des animaux. En cette sainte nuit de Noël, Dieu, une fois de plus, nous invite à donner une place dans notre cœur, dans notre vie, dans nos actions, dans nos pensées, à la manifestation de son Fils au milieu de nous. Dieu nous invite à la prière et à la communion. Fortifiés par le pain du Prince de la paix, soyons artisans de paix. Goûtons cette joie que Dieu nous offre en abondance et soyons dans l’action de grâce !


dimanche 11 décembre 2022

Troisième dimanche de l'Avent / année A

 

Desiderio desideravi, lettre apostolique du pape François (3)

11/12/2022

En ce troisième dimanche de l’Avent j’achève ma présentation de la lettre du pape François consacrée à la formation liturgique du peuple de Dieu avec le dernier chapitre intitulé ars celebrandi. Au n°48 le pape fait le lien entre l’art de célébrer et l’univers symbolique propre à la liturgie :

L’ars celebrandi, l’art de célébrer, est certainement l’une des façons de prendre soin des symboles de la liturgie et de croître dans une compréhension vitale de ceux-ci… L’ars celebrandi ne peut être réduit à la simple observation d’un système de rubriques, et il faut encore moins le considérer comme une créativité imaginative – parfois sauvage – sans règles. Le rite est en soi une norme, et la norme n’est jamais une fin en soi, mais elle est toujours au service d’une réalité supérieure qu’elle entend protéger.

Le mot art permet au pape de développer la métaphore selon laquelle les sujets de la célébration chrétienne sont comparables à des artistes. De la même manière que les chrétiens sont formés par la liturgie, ainsi le véritable artiste ne possède pas un art, mais il est possédé par lui (50). Au n°51 le pape nous met en garde contre une tentation quand on aborde l’art de célébrer :

En parlant de ce thème, nous sommes enclins à penser qu’il ne concerne que les ministres ordonnés qui exercent le service de la présidence. Mais en fait, il s’agit d’une attitude que tous les baptisés sont appelés à vivre. Je pense à tous les gestes et à toutes les paroles qui appartiennent à l’assemblée : se rassembler, marcher en procession, s’asseoir, se tenir debout, s’agenouiller, chanter, se taire, acclamer, regarder, écouter.

A propos des gestes des membres de l’assemblée eucharistique le pape montre leur importance pour notre intériorité, les gestes extérieurs du corps façonnant notre spiritualité :

Ce sont des gestes et des paroles qui mettent de l’ordre dans notre monde intérieur en nous faisant vivre certains sentiments, attitudes, comportements (51).

Au n°52 le pape François place le silence parmi les gestes rituels et en souligne l’importance :

Parmi les gestes rituels qui appartiennent à l’ensemble de l’assemblée, le silence occupe une place d’importance absolue. Bien souvent, il est expressément prescrit dans les rubriques. Toute la célébration eucharistique est immergée dans le silence qui précède son début et qui marque chaque moment de son déroulement rituel…Le silence liturgique est le symbole de la présence et de l’action de l’Esprit Saint qui anime toute l’action de la célébration. C’est pourquoi il constitue un point d’arrivée dans une séquence liturgique… Nous sommes appelés à accomplir avec un soin extrême le geste symbolique du silence. À travers lui, l’Esprit nous donne forme.

Au n°53 le pape revient sur l’importance des gestes avec l’exemple de l’agenouillement :

Aussi l’agenouillement doit être fait avec art, c’est-à-dire avec une pleine conscience de son sens symbolique et du besoin que nous avons de ce geste pour exprimer notre manière d’être en présence du Seigneur.

Si l’ars celebrandi concerne toute l’assemblée, il est également vrai que les ministres ordonnés doivent y porter une attention toute particulière (54)… Il y aurait beaucoup à dire sur l’importance et la délicatesse de la présidence de la célébration eucharistique (55). Au n°56 le pape introduit ainsi le rôle de président de l’assemblée que le prêtre assume dans la célébration :

Le prêtre vit sa participation caractéristique à la célébration en vertu du don reçu dans le sacrement de l’Ordre, et celle-ci s’exprime précisément dans la présidence. Comme tous les rôles qu’il est appelé à remplir, il ne s’agit pas en premier lieu d’un devoir qui lui est assigné par la communauté, mais plutôt d’une conséquence de l’effusion de l’Esprit Saint reçue lors de l’ordination, qui le rend apte à une telle tâche. Le prêtre aussi est formé par le fait qu’il préside l’assemblée qui célèbre.

 

Le prêtre rend présent le Seigneur ressuscité au milieu de l’assemblée réunie au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit :

 

Pour que ce service soit bien fait – et même avec art ! – il est d’une importance fondamentale que le prêtre ait tout d’abord une conscience aiguë d’être, par la miséricorde de Dieu, une présence particulière du Seigneur ressuscité. Le ministre ordonné est lui-même l’un des modes de présence du Seigneur qui rendent l’assemblée chrétienne unique, différente de toute autre assemblée (cf. Sacrosanctum Concilium, n.7). Ce fait donne une profondeur sacramentelle – au sens large – à tous les gestes et paroles de celui qui préside (57).

 

Au n°57, le pape utilise une magnifique expression pour caractériser le rôle de médiateur du prêtre dans la célébration :

 

C’est comme s’il était placé au milieu entre le cœur brûlant de l’amour de Jésus et le cœur de chaque croyant, objet de son amour. Présider l’Eucharistie, c’est être plongé dans la fournaise de l’amour de Dieu.

 

La norme liturgique ultime, la règle suprême, ne provient pas de l’extérieur, ou même de l’autorité de l’Eglise, mais bien de la réalité même du sacrement de l’eucharistie, réalité assimilée et intériorisée autant par les membres de l’assemblée que par celui qui la préside au nom du Seigneur :

La norme la plus élevée, et donc la plus exigeante, est la réalité même de la célébration eucharistique, qui sélectionne les mots, les gestes, les sentiments qui nous feront comprendre si notre usage de ceux-ci est ou non à la hauteur de la réalité qu’ils servent. Il est évident que cela ne s’improvise pas. C’est un art. Cela demande de la part du prêtre de l’application, un entretien assidu du feu de l’amour du Seigneur qu’il est venu allumer sur la terre (cf. Luc 12,49).

 

Au n°60 le pape dessine les contours de la spiritualité sacerdotale s’incarnant dans la célébration de la messe :

 

C’est la célébration elle-même qui éduque le prêtre à ce niveau et à cette qualité de présidence. Il ne s’agit pas, je le répète, d’une adhésion mentale, même si tout notre esprit ainsi que toute notre sensibilité doivent y être engagés. Ainsi, le prêtre se forme en présidant les paroles et les gestes que la liturgie met sur ses lèvres et dans ses mains.

Il n’est pas assis sur un trône car le Seigneur règne avec l’humilité de celui qui sert.

Il ne détourne pas l’attention de la centralité de l’autel, symbole du Christ, car c’est de son côté transpercé qu’il laissa couler l’eau et le sang, source des sacrements de l’Église et le centre de notre louange et de notre action de grâce

En s’approchant de l’autel pour l’offrande, le prêtre est éduqué à l’humilité et à la contrition par les paroles : « Le cœur humble et contrit, nous te supplions, Seigneur, accueille-nous : que notre sacrifice, en ce jour, trouve grâce devant toi, Seigneur notre Dieu ». 

Il ne peut pas compter sur lui-même pour le ministère qui lui est confié, car la liturgie l’invite à prier pour être purifié par le signe de l’eau, lorsqu’il dit : « Lave-moi de mes fautes, Seigneur, et purifie-moi de mon péché »…

À cette offrande, il participe par l’offrande de lui-même. Le prêtre ne peut pas raconter la Cène au Père sans y participer lui-même. Il ne peut pas dire : « Prenez, et mangez-en tous : ceci est mon Corps livré pour vous », et ne pas vivre le même désir d’offrir son propre corps, sa propre vie, pour le peuple qui lui est confié. C’est ce qui se passe dans l’exercice de son ministère.

De tout cela et de beaucoup d’autres choses, le prêtre est continuellement formé par l’action célébrative.

 

Ecoutons maintenant la conclusion que le pape donne à sa lettre :

 

De dimanche en dimanche, la parole du Seigneur ressuscité illumine notre existence, en voulant atteindre en nous la fin pour laquelle elle a été envoyée. (Cf. Isaïe 55,10-11) De dimanche en dimanche, la communion au Corps et au Sang du Christ veut faire de notre vie aussi un sacrifice agréable au Père, dans la communion fraternelle du partage, de l’hospitalité, du service. De dimanche en dimanche, l’énergie du Pain rompu nous soutient dans l’annonce de l’Évangile dans lequel se manifeste l’authenticité de notre célébration

Abandonnons nos polémiques pour écouter ensemble ce que l’Esprit dit à l’Eglise. Sauvegardons notre communion. Continuons à nous émerveiller de la beauté de la liturgie. La Pâque nous a été donnée. Laissons-nous protéger par le désir que le Seigneur continue d’avoir de manger sa Pâque avec nous. Sous le regard de Marie, Mère de l’Eglise (65).

dimanche 4 décembre 2022

Deuxième dimanche de l'Avent / année A

 

Desiderio desideravi, lettre apostolique du pape François (2)

4/12/2022

En ce deuxième dimanche de l’Avent je poursuis la présentation de la lettre du pape François sur la formation liturgique du peuple de Dieu à partir des chapitres 6, 7 et 8 :

6. Redécouvrir à chaque jour la beauté de la vérité de la célébration chrétienne. 7. L’émerveillement devant le mystère pascal : élément essentiel de l’acte liturgique. 8. La nécessité d’une formation liturgique sérieuse et vitale.

Tout d’abord je citerai la définition que le pape donne de la liturgie au n°21 : La liturgie est le sacerdoce du Christ révélé et donné dans son mystère pascal, rendu présent et actif aujourd’hui par des signes sensibles (eau, huile, pain, vin, gestes, paroles) afin que l’Esprit, en nous plongeant dans le mystère pascal, transforme toute notre vie, nous conformant toujours plus au Christ. La célébration liturgique n’est pas un moment séparé du reste de notre vie. En nous faisant participer au mystère pascal du Christ elle a la capacité de transformer notre vie et notre personne. Ce que nous vivons le dimanche ne s’arrête donc pas à la sortie de la messe. Ou pour le dire autrement nous ne sommes pas chrétiens une heure par semaine et athées, indifférents ou païens le reste du temps. En insistant sur l’émerveillement du chrétien devant le mystère pascal, le pape le distingue du « sens du mystère ». Il fait allusion à l’accusation faite à la réforme liturgique d’avoir supprimé de la célébration ce sens du mystère. Voici comment il répond à cette accusation au n°25 : L’émerveillement dont je parle n’est pas une sorte de désarroi devant une réalité obscure ou un rite énigmatique, mais c’est, au contraire, l’émerveillement devant le fait que le dessein salvifique de Dieu nous a été révélé dans la Pâque de Jésus (cf. Ep 1, 3-14) dont l’efficacité continue à nous atteindre dans la célébration des « mystères », c’est-à-dire des sacrements. Il n’en reste pas moins vrai que la plénitude de la révélation a, par rapport à notre finitude humaine, une abondance qui nous transcende et qui aura son accomplissement à la fin des temps, lorsque le Seigneur reviendra. Si l’émerveillement est vrai, il n’y a aucun risque que nous ne percevions pas, même dans la proximité voulue par l’Incarnation, l’altérité de la présence de Dieu. Si la réforme avait éliminé ce vague « sens du mystère », ce serait une note de mérite plutôt qu’un acte d’accusation. La beauté, tout comme la vérité, suscite toujours l’admiration et lorsqu’elle est rapportée au mystère de Dieu, elle conduit à l’adoration.

Au chapitre 8 de sa lettre le pape traite de la formation liturgique du peuple de Dieu en distinguant la formation pour la liturgie de la formation par la liturgie : La première est fonctionnelle par rapport à la seconde qui est essentielle (n°34). Cela signifie que la formation liturgique n’est pas d’abord une affaire de connaissance, une étude sur la liturgie, mais surtout une affaire d’expérience spirituelle. Il est bon de se former pour mieux comprendre la signification théologique de la liturgie, mais il est encore meilleur de se laisser former par la liturgie elle-même en la vivant avec intensité. Concernant le premier aspect le pape écrit : Il est nécessaire de trouver les canaux d’une formation à l’étude de la liturgie. Dans cette formation les prêtres ont une responsabilité particulière au sein même de la célébration dominicale de l’eucharistie : Les ministres ordonnés accomplissent une action pastorale de première importance lorsqu’ils prennent les fidèles baptisés par la main pour les conduire dans l’expérience répétée de la Pâque. Rappelons-nous toujours que c’est l’Église, le Corps du Christ, qui est le sujet célébrant et non pas seulement le prêtre.

 

Le plus important réside dans le second aspect de la formation liturgique résumé de la manière suivante par le pape : Nous sommes formés, chacun selon sa vocation, à partir de la participation à la célébration liturgique (40)… La connaissance du mystère du Christ, question décisive pour notre vie, ne consiste pas en une assimilation mentale d’une idée quelconque, mais en un engagement existentiel réel avec sa personne (41). C’est à ce moment de sa réflexion que le pape revient sur le lien essentiel entre la liturgie et le mystère de l’incarnation : Cet engagement existentiel se produit – en continuité et en cohérence avec la méthode de l’Incarnation – de manière sacramentelle. La liturgie se fait avec des choses qui sont l’exact opposé des abstractions spirituelles : le pain, le vin, l’huile, l’eau, les parfums, le feu, les cendres, la pierre, les tissus, les couleurs, le corps, les mots, les sons, les silences, les gestes, l’espace, le mouvement, l’action, l’ordre, le temps, la lumière. Toute la création est une manifestation de l’amour de Dieu, et à partir du moment où ce même amour s’est manifesté dans sa plénitude dans la croix de Jésus, toute la création a été attirée vers lui. C’est toute la création qui est assumée pour être mise au service de la rencontre avec le Verbe : incarné, crucifié, mort, ressuscité, monté vers le Père…Dès le début, les choses créées contiennent le germe de la grâce sanctifiante des sacrements.

 

En développant sa réflexion, le pape insiste sur l’importance d’une lecture symbolique de la liturgie qui n’est pas une connaissance mentale, ni l’acquisition de concepts, mais plutôt une expérience vitale (45). Il cite Guardini selon lequel l’homme doit retrouver sa puissance symbolique. Ensuite le pape fait un constat : La tâche n’est pas facile car l’homme moderne est devenu analphabète, il ne sait plus lire les symboles, il en soupçonne à peine l’existence. Cela se produit également avec le symbole de notre corps. Il est un symbole parce qu’il est une union intime de l’âme et du corps ; il est la visibilité de l’âme spirituelle dans l’ordre corporel ; et en cela consiste l’unicité humaine, la spécificité de la personne irréductible à toute autre forme d’être vivant. Notre ouverture au transcendant, à Dieu, est constitutive : ne pas la reconnaître nous conduit inévitablement non seulement à une méconnaissance de Dieu mais aussi à une méconnaissance de nous-mêmes (44). A partir de ce constat à propos de notre difficulté à percevoir l’univers symbolique, et en particulier au sujet de notre propre corps, le pape tire les conséquences que cela peut avoir pour notre perception de la liturgie chrétienne : Le fait d’avoir perdu la capacité de saisir la valeur symbolique du corps et de toute créature rend le langage symbolique de la liturgie presque inaccessible à la mentalité moderne. Et pourtant, il ne peut être question de renoncer à ce langage. On ne peut y renoncer parce que c’est ainsi que la Sainte Trinité a choisi de nous atteindre à travers la chair du Verbe. Il s’agit plutôt de retrouver la capacité d’utiliser et de comprendre les symboles de la liturgie. Nous ne devons pas perdre espoir car cette dimension en nous, comme je viens de le dire, est constitutive ; et malgré les méfaits du matérialisme et du spiritualisme – tous deux négateurs de l’unité de l’âme et du corps – elle est toujours prête à resurgir, comme toute vérité.