dimanche 20 octobre 2024

29ème dimanche du temps ordinaire / année B

 

20/10/2024

Marc 10, 35-45

Dimanche dernier nous avons entendu l’histoire de l’homme riche appelé par Jésus qui devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens. Aujourd’hui l’Evangile nous parle des apôtres, de ceux qui suivent déjà Jésus. Tout d’abord de Jacques et de Jean qui veulent réserver les meilleures places dans le Royaume de Dieu et puis des dix autres qui s’indignent contre Jacques et Jean. Autant dire que l’évangéliste ne nous cache pas les faiblesses de ces hommes que Jésus a pourtant choisis pour être ses apôtres, c’est-à-dire ses envoyés pour proclamer son message au monde entier. Les deux passages du chapitre 10 de l’Evangile selon saint Marc se complètent admirablement bien. Après la tentation de l’Argent-idole vient la tentation du Pouvoir-idole… La vanité de l’homme pécheur lui fait en effet estimer au plus haut point la richesse et le pouvoir. Le désir d’être le premier, le mieux placé, le plus riche et le plus puissant font partie de notre condition humaine après le péché des origines. Nous oublions en permanence le message de l’Ecclésiaste, Vanité des vanités, tout est vanité, y compris et surtout les richesses et le pouvoir. C’est la misère de l’homme sans Dieu décrite en ses moindres détails par Pascal dans ses Pensées. « Qui ne voit pas la vanité du monde est bien vain lui-même » ; « L’homme est vain par l’estime qu’il fait des choses qui ne sont point essentielles » ; « Que le cœur de l’homme est creux et plein d’ordure ». Dans ces trois pensées Pascal n’est pas misanthrope, il est réaliste. L’exemple de Jacques et Jean confirme la vérité de ces sentences.

Jésus avec patience essaie d’éduquer ses apôtres et de les remettre sur le chemin de la vérité qui est toujours celui de l’humilité. Il leur fait d’abord contempler le pouvoir despotique des grands de ce monde :

Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir.

Le pouvoir des apôtres, celui de l’Eglise du Christ, ne saurait être une imitation du pouvoir des puissants qu’ils soient rois, empereurs, dictateurs, tyrans ou présidents. Jésus détourne le regard de ses apôtres, fasciné par les grandeurs de ce monde, pour l’orienter à nouveau vers sa propre personne qui est l’unique mesure de toute véritable grandeur :

Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude.

Depuis l’époque de Constantin jusqu’à nos jours cette tentation des apôtres Jacques et Jean a été permanente dans l’Eglise : vouloir imiter le pouvoir des grands de ce monde, s’allier avec eux pour obtenir en retour puissance, prestige et richesse… L’Eglise y a souvent perdu sa liberté et surtout sa capacité à être apostolique, c’est-à-dire à transmettre l’Evangile en témoignant d’une échelle de valeurs qui n’est pas celle du monde, qui est même très souvent opposée à ce qui est estimé dans le monde. D’où, dès la première génération chrétienne, la mise en garde de l’apôtre Paul :

Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait.

Confronté à l’ambition humaine de ses apôtres qui veulent se mettre en avant et siéger sur des trônes, Jésus rappelle une fois de plus le chemin de l’Evangile :

Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous.

C’est l’humble service des frères dans la charité qui doit être la marque de fabrique du chrétien, du disciple de Jésus. Il doit être différent de ce qui se voit habituellement dans le monde : Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. C’est cette différence par rapport à la fascination exercée par les idoles de l’argent et du pouvoir qui constitue le témoignage vivant de ce que l’on est réellement attaché au Christ et à son Evangile. Cette différence du chrétien, une différence par l’esprit d’humilité, de service et de gratuité, est illustrée par l’enseignement de Jésus dans l’Evangile selon saint Matthieu :

Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, comment lui rendre de la saveur ? Il ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné par les gens. Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux.

dimanche 6 octobre 2024

27ème dimanche du temps ordinaire / année B

 

6/10/2024

Marc 10, 2-16 (Marc 12, 24)

Jésus n’était pas marié. Il a très rarement parlé du mariage. Il existe un contraste saisissant entre les très rares paroles du Christ à ce sujet et les innombrables documents de l’Eglise consacrés au mariage et à la famille, surtout au 20ème siècle, en particulier sous le pontificat de Jean-Paul II. Le passage essentiel des Evangiles dans lequel Jésus aborde le mariage est celui que nous venons d’entendre dans la version qu’en donne saint Marc. Notons que le Seigneur donne cet enseignement en réponse à une question-piège qui lui est posée par les pharisiens, une question portant sur la possibilité du divorce. Chez saint Marc Jésus répond à cette question par une autre question : Que vous a prescrit Moïse ? Il renvoie dans un premier temps les stricts observateurs de la Loi que sont les pharisiens à cette même Loi attribuée à Moïse. Ce dernier permet le divorce tout en protégeant la femme renvoyée grâce à l’obligation d’établir un acte de répudiation. Ce n’est qu’après avoir entendu la réponse de la Loi que le Seigneur répond en donnant sa propre réponse : C’est en raison de la dureté de vos cœurs qu’il a formulé pour vous cette règle. Mais, au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme. Ce passage est d’une extrême importance pour nous permettre de bien interpréter la Bible. Jésus nous donne ici une règle d’interprétation que nous pouvons employer pour d’autres sujets que le mariage. La Loi de Moïse a été donnée à des hommes pécheurs. Elle s’adapte en quelque sorte à la méchanceté du cœur humain en essayant de limiter cette méchanceté. Elle n’enlève pas le péché, elle le modère. C’est donc une loi qui tient compte de l’endurcissement des cœurs dans le péché. Le Seigneur, lui, remonte beaucoup haut que Moïse. Il nous invite à regarder le projet créateur de Dieu au commencement, donc avant le péché des origines. Jésus affirme que la Loi de la Création est supérieure à la Loi de Moïse. La première alliance, celle de la Création, l’emporte en sainteté et en importance sur l’alliance conclue plus tard à l’époque de Moïse. Si le Seigneur affirme nettement l’indissolubilité du mariage, donc le refus du divorce, c’est bien parce qu’il se réfère au projet de Dieu Créateur au commencement : Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! En affirmant cela Jésus se présente comme supérieur à Moïse, ce qui a dû faire grincer des dents les pharisiens… Mis à part cette insistance sur le caractère indissoluble de l’union de l’homme et de la femme, le Seigneur se contente de citer le verset essentiel du chapitre 2 de la Genèse sur le mariage : À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. Ce verset 24 contient implicitement ce que nous nommons dans la préparation des couples au mariage « les piliers du mariage chrétien à l’église », trois sur quatre. Tout d’abord la liberté du consentement qui implique la maturité. C’est cela qui est signifié par l’expression « quitter son père et sa mère ». Se marier, c’est en effet être capable de se détacher de ses parents et de sa famille d’origine pour créer une nouvelle réalité : celle du couple et donc une nouvelle famille. Ce choix d’un mari ou d’une femme implique que désormais la priorité de l’amour ne va plus aux parents mais à sa femme ou à son mari. Après la liberté nous trouvons dans ce verset la fidélité et l’indissolubilité. « S’attacher à sa femme » : ce lien implique un choix exclusif donc le détachement vis-à-vis des autres femmes. Choisir sa femme, c’est exclure toutes les autres. « Devenir une seule chair », dans l’unité du corps et de l’esprit, implique que le mariage est pour toujours et que seule la mort de l’une des parties peut y mettre un terme. Il ne manque que le pilier de la fécondité, même si l’expression « une seule chair » peut faire penser à la procréation des enfants en évoquant l’union des corps. C’est dans le chapitre premier de la Genèse que la fécondité du couple est clairement affirmée sous la forme d’un commandement : Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. »

Enfin il est intéressant et utile de mettre en lien ce passage du chapitre 10 de l’Evangile selon saint Marc avec le verset 25 du chapitre 12 :

Lorsqu’on ressuscite d’entre les morts, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme les anges dans les cieux.

Le mariage est donc une réalité purement terrestre, limitée à notre vie sur cette terre. Dans le Royaume des Cieux cette réalité n’aura plus lieu d’être. Seule subsistera la charité universelle circulant entre les saints et les saintes dans la communion du Dieu trois fois saint.

dimanche 29 septembre 2024

26ème dimanche du temps ordinaire / année B

 

29/09/2024

Marc 9, 38-48

Dans l’Evangile de ce dimanche saint Marc a rassemblé trois enseignements du Christ : Le premier enseignement porte sur le rapport que les chrétiens doivent avoir avec ceux qui ne partagent pas leur foi ; le second sur les bienfaits accordés aux chrétiens ; le troisième sur ceux qui sont cause de scandale et font chuter les autres. A ce dernier enseignement Jésus ajoute un développement sur ce qui, en nous, nous entraîne au péché, donc sur ce qui nous fait chuter. Je me limiterai au premier enseignement qui part d’une réflexion de l’apôtre Jean, réflexion faite probablement en vue d’obtenir l’approbation de Jésus : Maître, nous avons vu quelqu’un expulser les démons en ton nom ; nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui nous suivent.

Avant de regarder la réponse de Jésus, il convient de bien saisir le raisonnement de Jean. Expulser les démons au nom de Jésus est une bonne chose, mais, pour Jean et les autres apôtres, il fallait l’empêcher… Car la personne qui pratiquait cette libération ne faisait pas partie du groupe des disciples. Car il n’est pas de ceux qui nous suivent. Tout groupe religieux, y compris une paroisse ou un mouvement catholique, peut connaître cette tentation du sectarisme. La réaction de Jean montre qu’il se croit le possesseur du bien, l’unique bénéficiaire de l’action de Dieu. En dehors de mon groupe Dieu n’a pas le droit d’agir ! En dehors de ma paroisse, de mon mouvement ou de l’Eglise catholique il est interdit de faire du bien. Pour caricaturer nous sommes les bons et tous les autres sont mauvais. Ce sectarisme est frontalement opposé à ce que signifie catholique, c’est-à-dire universel dans le sens d’une ouverture bienveillante à ceux qui ne font pas partie de notre groupe ou qui ne partagent pas notre foi. Au commencement de l’Eglise il a fallu faire un choix entre sectarisme et universalisme. Les judéo-chrétiens voulaient conserver pour eux seuls l’Evangile du Christ tandis que d’autres comme l’apôtre Paul n’hésitaient pas à annoncer l’Evangile aux non-Juifs, aux Grecs c’est-à-dire aux païens du vaste empire romain. C’est cette ouverture universaliste qui a lentement déplacé le centre de gravité du christianisme de Jérusalem vers Rome où Pierre et Paul ont donné le témoignage suprême du martyre. Paul a montré avec un grand talent les conséquences du baptême chrétien, et cela à deux reprises :

Car tous, dans le Christ Jésus, vous êtes fils de Dieu par la foi. En effet, vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ; il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus. (Galates 3)

Vous vous êtes débarrassés de l’homme ancien qui était en vous et de ses façons d’agir, et vous vous êtes revêtus de l’homme nouveau qui, pour se conformer à l’image de son Créateur, se renouvelle sans cesse en vue de la pleine connaissance. Ainsi, il n’y a plus le païen et le Juif, le circoncis et l’incirconcis, il n’y a plus le barbare ou le primitif, l’esclave et l’homme libre ; mais il y a le Christ : il est tout, et en tous. (Colossiens 3)

La réponse de Jésus à Jean est tout le contraire d’une approbation. Il réprouve en effet l’esprit de sectarisme de son apôtre : Ne l’en empêchez pas, car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ; celui qui n’est pas contre nous est pour nous. Le projet de Dieu est celui de la réconciliation entre les hommes et de leur unité dans le Christ. Le vieil homme en nous résiste de toutes ses forces à ce salut catholique, c’est-à-dire offert à tous et qui n’exclue personne sous prétexte qu’il ne serait pas de ceux qui nous suivent. Combien de divisions, de jalousies, de ressentiment, même parfois de haine, entre les personnes et les groupes dans les paroisses et l’Eglise, en raison de cet esprit sectaire ? C’est ainsi que certains disciples sont cause de scandale en favorisant ce qui divise au lieu de rechercher ce qui nous unit : la foi et le baptême. Si ta main, si ton pied, si ton œil sont une occasion de chute, coupe-les… Ne laissons donc pas l’ivraie du sectarisme envahir notre cœur et étouffer en lui la charité catholique dont nous avons tant besoin pour que notre Eglise soit vivante et rayonnante.

dimanche 22 septembre 2024

25ème dimanche du temps ordinaire / année B

 

22/09/2024

Marc 9, 30-37

Dimanche dernier l’Evangile nous rapportait la profession de foi de Pierre et la première annonce du mystère pascal par Jésus. Nous passons en ce dimanche du chapitre 8, verset 35 au chapitre 9, verset 30. Si la liturgie de la parole nous fait sauter un long passage de l’Evangile dans lequel se trouve la transfiguration c’est bien pour relier la première annonce de la Passion à la deuxième :

Partis de là, ils traversaient la Galilée, et Jésus ne voulait pas qu’on le sache, car il enseignait ses disciples en leur disant : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera. »

Le temps privilégié de cet enseignement répété doit demeurer dans le secret du groupe des disciples qui, précise saint Marc, ne comprenaient pas ces paroles et avaient peur de l’interroger. Non seulement les disciples ne comprennent pas les paroles de leur Maître, mais leurs pensées sont aux antipodes de ce que Jésus tente de leur enseigner. Ils sont mus par une ambition qui provient du péché d’orgueil : être le plus grand. Comme si le groupe des Douze ressemblait à un groupe d’hommes en concurrence les uns avec les autres et aspirant à la première place. La religion n’est donc pas à l’abri de ce genre de sentiments que l’on peut trouver dans le sport, l’entreprise ou les grandes écoles. Dans l’histoire de l’Eglise bien des successeurs des apôtres ont eu comme but de faire carrière, d’être les premiers, et d’en retirer prestige humain et bénéfices matériels. Jésus avec grande patience et miséricorde va les ramener sur le chemin de la sainteté et cela en deux temps.

Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. Suivre Jésus, c’est s’inspirer de son abaissement divin par lequel il se met au service du salut de l’humanité. Et ce service lui coutera souffrance et mort en croix. Dans les pensées des hommes celui qui sert est le dernier de tous. N’oublions pas que nous sommes à une époque où l’esclavage est omniprésent. Tout homme riche peut s’acheter à volonté des serviteurs qui lui appartiennent corps et âme. Tout ce langage de Jésus qui parle de service et de croix ne pouvait que rebuter profondément la mentalité des disciples qui sont hommes de leur temps. De la même manière il demeure difficile à accepter pour nous après 2000 ans de christianisme. Retenons simplement la grandeur et la dignité de celui qui se fait serviteur, non pas par contrainte comme les esclaves, mais librement et par amour du Christ. La deuxième leçon du Seigneur est visuelle, elle passe par l’enfant qu’il embrasse et accueille : Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. Dans l’antiquité l’enfant n’avait guère plus de valeur que l’esclave. La mortalité infantile était tellement élevée que la perte d’un enfant, la plupart du temps, n’était pas un drame comme elle l’est de nos jours, et la coutume autorisait à abandonner sur la voie publique les enfants que l’on ne désirait pas, souvent des filles… qu’on laissait mourir dans la rue ou qui étaient récupérés et élevés par les marchands d’esclaves. Ici encore, comme dans son attitude vis-à-vis des femmes, Jésus rompt avec la mentalité de son temps. La mise en valeur de la figure de l’enfant peut se comprendre suite à la discussion des apôtres pour savoir qui est le plus grand. Le corps de l’enfant est petit et faible. La vie de l’enfant dépend du soin qu’en prennent les adultes. Enfin l’enfant est pauvre, il n’a ni biens ni richesses. Quand on accueille un enfant, on le fait gratuitement, sans arrière-pensée, sans espoir d’un retour gratifiant si ce n’est la joie de l’enfant accueilli. Jésus s’identifie à l’enfant. Parce que lui aussi est pauvre, petit dans le sens de l’humilité et qu’il dépend de son Père. Accueillir Jésus dans nos vies gratuitement, sans en attendre de récompense ou de bienfaits, l’accueillir pour lui-même, c’est accueillir son Père et notre Père, c’est faire une place à Dieu.

dimanche 15 septembre 2024

24ème dimanche du TO / B

 

15/09/2024

Marc 8, 27-35

Dans l’Evangile de ce dimanche Jésus procède à un sondage d’opinion sur sa propre personne : Au dire des gens, qui suis-je ? Dès l’antiquité, en particulier avec Socrate et Platon, les philosophes ont distingué les opinions de la vérité. Ici ce sont donc les opinions des hommes que les disciples rapportent. Par définition elles sont plurielles, différentes et subjectives. Du point de vue de l’opinion Jésus divise les hommes : ils ne sont pas d’accord sur son identité. Puis vient une question moins générale, plus personnelle, une question qui engage celui qui répond : Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? Ici Jésus pratique la méthode socratique bien connue consistant à faire accoucher autrui de la vérité par le questionnement. Et c’est Pierre qui donne une réponse dont nous avons du mal à mesurer toute l’importance en tant que non-Juifs : Tu es le Christ, c’est-à-dire le Messie. L’apôtre ne pouvait pas donner de titre plus grandiose et élevé que celui-ci à son Maître que la plupart considéraient comme un simple Rabbi. C’est ainsi qu’il confesse une vérité essentielle sur l’identité de Jésus, une vérité qui se démarque de la variété des opinions mais qui n’est pas encore la vérité ultime. Nous sommes encore bien éloignés de la reconnaissance de Jésus, vrai Dieu et vrai homme, du mystère de la Sainte Trinité. Immédiatement après la proclamation de cette vérité sur l’identité de Jésus (il est le Messie) vient l’interdiction de la propager par la parole au-delà du petit groupe des disciples. Ce n’est qu’après Pâques et la Pentecôte que les apôtres pourront annoncer ouvertement que Jésus est le Christ. A cette première proclamation de la vérité sur Jésus Messie correspond la première annonce de sa Passion, de sa mort et de sa résurrection. Ce n’est pas par hasard bien sûr. Jésus commence à faire comprendre à ses proches qu’il n’est pas le Messie tel que les pensées des hommes peuvent le concevoir. Il n’est pas le Messie triomphant et puissant que les Juifs attendaient afin qu’il restaure la royauté en Israël et rétablisse l’indépendance politique de la nation juive. D’ailleurs dans son annonce du mystère de Pâques Jésus ne reprend pas le titre de Christ mais celui de Fils de l’homme… Le Messie tel que Dieu le préparait et tel que Dieu le manifestera est un Messie vaincu, rejeté et souffrant… Ce que Pierre ne peut accepter car il n’est pas en accord avec les pensées de Dieu. A la manifestation de la vérité messianique par Pierre correspond donc le portrait du Messie selon Dieu annoncé par Jésus. Le Seigneur précise ainsi l’identité du Messie, sa propre identité, en des termes étonnants pour les disciples. L’apôtre tardif, celui qui n’a jamais connu Jésus avant Pâques, Paul, est bien celui qui a mis en lumière d’une manière extraordinaire, dans sa première lettre aux Corinthiens, cette identité du Messie souffrant : Alors que les Juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie, ce Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.

Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive… L’Evangile de ce dimanche nous montre que renoncer à soi-même, c’est aussi renoncer à nos manières humaines de se représenter Dieu et son Messie. Il s’agit bien de laisser Dieu être Dieu tel qu’il est et non pas tel que nous le rêvons, et de s’ouvrir ainsi aux pensées de Dieu. Jésus en annonçant sa Passion et sa mort en croix vient purifier nos pensées trop humaines sur Dieu. Ce Dieu qui est Esprit et Trinité est tout sauf une idole imbue de sa propre puissance et supériorité, trônant dans le ciel et exigeant des hommes un culte servile. Dans le mystère du Fils de l’homme et du Messie souffrant, Il se révèle comme un Dieu dont la faiblesse est plus forte que tous les rêves de puissance des hommes. Un Dieu humble et qui s’abaisse pour convertir nos pensées humaines en pensées dignes de lui, un Dieu que nous ne pouvons connaître que par le cœur et en suivant Jésus son Fils qui nous ouvre le chemin de la vie.

dimanche 8 septembre 2024

23ème dimanche du temps ordinaire / année B

 

8/09/2024

Marc 7, 31-37

L’Evangile de ce dimanche nous rapporte la guérison d’un sourd-muet. Être à la fois sourd et muet constitue un grand malheur pour un homme. C’est sa capacité de communication qui en est rendue très difficile, donc sa vie en société. Nous pouvons avoir le bonheur d’entendre et de parler, cela ne signifie pas pour autant que nous communiquons bien entre nous. Cela montre que la capacité à bien communiquer, donc à entrer dans une relation juste avec autrui, n’est pas seulement une question d’organes physiques qui fonctionnent correctement. Si nous réfléchissons à nos difficultés de communication, nous comprenons que l’histoire du sourd-muet nous parle aussi de notre péché, du mal qui peut habiter notre cœur et le rendre impur pour reprendre l’expression de Jésus entendue dimanche dernier.

Deux psaumes peuvent éclairer le sens spirituel de la guérison opérée par Jésus en prononçant la parole Effata (« Ouvre-toi ! ») et en touchant les oreilles et la langue du sourd-muet. Remarquons d’abord que cette guérison qui unit les gestes concrets et la parole évoque nos sacrements dans lesquels les gestes et les paroles signifient et produisent la grâce offerte par Dieu en notre faveur.

Tout d’abord le psaume 39 :

Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, tu as ouvert mes oreilles ; tu ne demandais ni holocauste ni victime, alors j'ai dit : « Voici, je viens. »

Jésus ouvre les oreilles de cet homme pour lui permettre non seulement d’entendre la parole des autres hommes mais surtout pour lui donner d’écouter la parole de Dieu et d’y répondre en disant « je viens ». Les versets 10 et 11 du même psaume nous montrent que celui qui a les oreilles ouvertes à la parole de Dieu proclame les merveilles de Dieu :

J'annonce la justice dans la grande assemblée ; vois, je ne retiens pas mes lèvres, Seigneur, tu le sais. Je n'ai pas enfoui ta justice au fond de mon cœur, je n'ai pas caché ta fidélité, ton salut ; j'ai dit ton amour et ta vérité à la grande assemblée.

C’est précisément cela que le sourd-muet guéri fait dans notre Evangile, lui et les témoins de sa guérison : Alors Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne ; mais plus il leur donnait cet ordre, plus ceux-ci le proclamaient.

Enfin les versets 16 et 17 du psaume 50 mentionnent l’ouverture des lèvres et de la bouche afin de parler : Libère-moi du sang versé, Dieu, mon Dieu sauveur, et ma langue acclamera ta justice. Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange.

Le verset 17 ouvre chaque matin ou chaque nuit la louange universelle de l’Eglise dans la liturgie des Heures, des milliers de chrétiens le chantent ou le récitent comme introduction à la prière de louange : Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera ta louange.

La guérison du sourd-muet constitue un appel pour nous à soigner notre communication afin qu’elle soit vraiment chrétienne. Il est pour nous très difficile de ne pas pécher dans ce domaine soit par notre manque d’écoute soit par notre incapacité à maîtriser notre langue. L’exhortation de Paul aux Ephésiens s'adresse à chacun d'entre nous pour que nous ayons la grâce de la vigilance, de la prudence et de la douceur dans notre manière d'écouter et de parler :

Aucune parole mauvaise ne doit sortir de votre bouche ; mais, s’il en est besoin, que ce soit une parole bonne et constructive, profitable à ceux qui vous écoutent. N’attristez pas le Saint Esprit de Dieu, qui vous a marqués de son sceau en vue du jour de votre délivrance. Amertume, irritation, colère, éclats de voix ou insultes, tout cela doit être éliminé de votre vie, ainsi que toute espèce de méchanceté. Soyez entre vous pleins de générosité et de tendresse. Pardonnez-vous les uns aux autres, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ.

dimanche 1 septembre 2024

22ème dimanche du temps ordinaire / année B

 

1er/09/2024

Marc 7, 1-23

La page évangélique de ce dimanche est d’une grande importance. Elle contient en effet un enseignement essentiel de Jésus sur la pureté et l’impureté, notions centrales dans la loi de Moïse. Tout part d’une attitude des disciples de Jésus, cause de scandale auprès des pharisiens et des scribes : Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens ? Ils prennent leurs repas avec des mains impures. Les disciples prennent leur repas sans s’être auparavant lavé les mains. Ce qui est pour nous une simple règle d’hygiène était à cette époque revêtu d’une valeur religieuse. La loi de Moïse avait en effet tendance à codifier tout le quotidien de la vie jusque dans les moindres détails. Les disciples prennent donc une certaine liberté vis-à-vis de ces prescriptions. Dans sa réponse Jésus assimile la tradition des anciens dont se réclament les pharisiens à une simple tradition humaine. Ce type de préceptes n’ont rien à voir avec la religion ou encore le culte rendu à Dieu : Les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous aussi, vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes.

Dans un second temps Jésus profite de cet incident pour donner un enseignement de portée plus générale sur l’impureté et la pureté. Le cœur de cet enseignement tient en un seul verset : Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. L’argumentation du Seigneur repose sur l’opposition entre extérieur et intérieur. Nous pouvons la retrouver au chapitre 23 de saint Matthieu lorsque Jésus déclare malheureux les pharisiens en raison de leur hypocrisie et de leur manque de discernement. Ils donnent de l’importance à ce qui est très secondaire et ils oublient l’essentiel de la religion : Guides aveugles ! Vous filtrez le moucheron, et vous avalez le chameau ! A deux reprises le Seigneur leur montre que l’essentiel se trouve du côté de l’intériorité en reprenant l’opposition extérieur/intérieur que nous avons repérée chez saint Marc :

Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous purifiez l’extérieur de la coupe et de l’assiette, mais l’intérieur est rempli de cupidité et d’intempérance ! Pharisien aveugle, purifie d’abord l’intérieur de la coupe, afin que l’extérieur aussi devienne pur.

Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis à la chaux : à l’extérieur ils ont une belle apparence, mais l’intérieur est rempli d’ossements et de toutes sortes de choses impures. C’est ainsi que vous, à l’extérieur, pour les gens, vous avez l’apparence d’hommes justes, mais à l’intérieur vous êtes pleins d’hypocrisie et de mal.

La religion que Jésus enseigne est donc clairement celle de l’intériorité et du cœur, opposée à toute forme d’hypocrisie. Pour Jésus aucun aliment ne peut être déclaré impur contrairement aux affirmations de la tradition des anciens. Ce que la Bible appelle la pureté du cœur n’a rien à voir avec ce que l’on mange ou le fait de ne pas se laver les mains avant un repas (ça c’est la pureté rituelle !) … Notre texte liturgique omet certains versets qui rendent encore plus claire l’argumentation du Seigneur, en particulier les versets 18 et 19 : Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans l’homme, en venant du dehors, ne peut pas le rendre impur, parce que cela n’entre pas dans son cœur, mais dans son ventre, pour être éliminé ? A la suite des prophètes Jésus prêche une religion du cœur, une religion qui a pour but de changer notre cœur de pierre en un cœur de chair. Notre relation authentique avec le Seigneur doit nous rendre meilleurs et nous transformer. Le péché vient en effet du dedans, d’un cœur mauvais : Car c’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses : inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure. Pensées et actions perverses sont intimement liées comme l’arbre et ses fruits. Au chapitre deuxième de sa lettre aux Colossiens Paul tirera toutes les conséquences de cet enseignement libérateur du Christ :

Que personne ne vous juge pour des questions de nourriture et de boisson, ou à propos de fête, de nouvelle lune ou de sabbat : tout cela n’est que l’ombre de ce qui devait venir, mais la réalité, c’est le Christ. Ne vous laissez pas frustrer de votre récompense par ceux […] qui se laissent vainement gonfler d’orgueil par des idées purement humaines. Ces gens-là ne sont pas en union avec la tête, avec Celui par qui tout le corps poursuit sa croissance en Dieu… Si, avec le Christ, vous êtes morts aux forces qui régissent le monde, pourquoi subir des prescriptions légales comme si votre vie dépendait encore du monde : « Ne prends pas ceci, ne goûte pas cela, ne touche pas cela », alors que toutes ces choses sont faites pour disparaître quand on s’en sert ! Ce ne sont là que des préceptes et des enseignements humains

Lorsque nous ne sommes plus, ou pas assez, en communion de cœur avec Jésus, alors le risque est grand pour nous de penser et d’agir comme les pharisiens, d’avoir une apparence de religion, un vernis de christianisme, en nous attachant méticuleusement à des observances rituelles mais en oubliant l’essentiel, c’est-à-dire la conversion de notre cœur. C’est bien de ce changement radical de notre être dont témoigne saint Augustin que nous avons fêté le 28 août :

Tu étais au-dedans de moi quand j’étais au-dehors, et c’est dehors que je te cherchais… Tu étais avec moi, et je n’étais pas avec toi.