dimanche 30 décembre 2018

LA SAINTE FAMILLE / ANNÉE C



Luc 2, 41-52
30/12/18

Dans la lumière du mystère de Noël, nous célébrons en ce dimanche la sainte famille. Même si Jésus est venu au monde par l’action du Saint Esprit, le fait qu’il soit vraiment homme, l’insère dans une famille humaine avec un père et une mère, sans oublier qu’en Orient la famille était une réalité très importante et vaste, incluant les parents et connaissances dont nous parle l’Evangile.

Le récit que nous venons d’entendre est celui de Jésus adolescent qui décide de prolonger à l’insu de ses parents le pèlerinage de la Pâque à Jérusalem. Il demeure dans la ville sainte au lieu de s’en retourner à Nazareth avec ses parents. Ce récit est encadré par deux versets significatifs nous décrivant la croissance de Jésus enfant. La liturgie ne nous donne que le verset conclusif. Voici donc ces deux versets :

L’enfant, lui, grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.
Quant à Jésus, il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes.

Saint Luc insiste sur deux aspects de la croissance de l’enfant : sa sagesse et le don de Dieu, la grâce qui lui est accordée. Cela rejoint ce que saint Jean affirme dans son prologue à propos du Verbe de Dieu, Fils unique, plein de grâce et de vérité. Cet enfant de 12 ans est bien le Verbe éternel de Dieu, sa Parole et sa Sagesse. Ceux qui assistent aux échanges qu’il a avec les docteurs de la Loi ne s’y trompent pas : tous ceux qui l’entendaient s’extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses. Certes Jésus n’est pas un enfant sage dans le sens ordinaire du terme puisqu’il prend une décision libre, caractéristique d’un adulte, et qui cause peine et tourment à ses parents. Il est sage de la sagesse divine car par cette décision inattendue il indique à ses parents que seul Dieu est son Père : Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? La traduction de Chouraqui donne : Il faut que je sois en ce qui est de mon Père. En restant au temple, le jeune Jésus indique l’orientation de toute sa vie, il révèle à tous sa vocation. Marie savait bien qu’il était le Fils de Dieu. Il s’agit pour elle comme pour Joseph d’accepter maintenant toutes les conséquences de la divinité de son fils. Jésus a fait preuve d’une divine liberté en choisissant de demeurer à Jérusalem pour indiquer clairement que le centre de sa vie, le centre même de son être, c’est sa relation unique avec Dieu qu’il nomme son Père. La sainte famille a beau être composée de saintes personnes, nous constatons que la souffrance et l’incompréhension font tout de même partie des relations : Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que nos familles humaines, marquées par les péchés des uns et des autres, fassent, elles-aussi, l’expérience des difficultés et des incompréhensions, par exemple entre enfants et parents. Cela est lié à la réalité de la croissance, de la prise de conscience chez l’enfant et l’adolescent de sa propre identité et de sa vocation. Ce qui fait la sainteté d’une famille, ce n’est donc pas l’absence de conflits ou de souffrances dans les relations. C’est le fait de chercher ensemble et chacun selon le chemin qui lui est propre la communion avec Dieu Père et Créateur. C’est le fait de favoriser la vocation propre de chacun des membres de la famille. D’ailleurs le récit de saint Luc nous livre une leçon particulièrement intéressante : c’est en voulant demeurer chez son Père que le jeune Jésus force en quelque sorte ses parents à chercher Dieu en le cherchant. Symboliquement, il les oblige à revenir à Jérusalem, lieu de la présence divine, alors que la fête est terminée. La famille est le lieu privilégié où nous pouvons faire l’expérience de la communion des saints. Si l’un des membres cherche Dieu de tout son cœur, s’il se sanctifie, alors il attirera dans son élan spirituel les autres membres de la famille. Et bien des fois ce sont les enfants, en demandant le baptême ou en participant au catéchisme, qui remettent Dieu présent au cœur de la vie de leurs parents. L’expérience de Jésus à douze ans illumine sans aucun doute ce que Jésus, adulte, enseignera comme voie spirituelle :

Amen, je vous le dis : si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux. Mais celui qui se fera petit comme cet enfant, celui-là est le plus grand dans le royaume des Cieux.

lundi 24 décembre 2018

NOEL 2018 / Messe du jour



Jean 1, 1-18

L’Evangile du jour de Noël ne nous conduit pas à la crèche, dans l’étable de Bethléem, à la suite des bergers, mais nous invite à une contemplation du Verbe incarné. Bien sûr saint Jean ne contredit pas saint Luc dans sa présentation du mystère de l’incarnation. Il choisit simplement de ne pas raconter la nuit de Noël, lors du recensement ordonné par l’empereur Auguste, nuit d’humilité et de pauvreté pour la manifestation du Fils de Dieu. Il nous place au commencement et considère le mystère de plus haut, de plus loin. Il ne nous fait pas voir l’enfant Jésus dans l’étable auprès du bœuf et de l’âne, mais le Verbe éternel auprès de Dieu.

En débutant son Évangile par ces paroles, Au commencement était le Verbe, Jean, le théologien, nous ramène au premier verset de la Bible, dans le livre de la Genèse : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Cette référence implicite, en forme de clin d’œil pour tous ceux qui connaissent les Écritures, place donc le mystère de l’incarnation dans la lumière de celui de la création et encore plus la création dans la lumière de l’incarnation. Le commencement dont parle Jean n’est pas celui de Dieu puisque Dieu n’a pas de commencement. Ce commencement désigne le temps de la création, le moment où la Sainte Trinité décide de créer. Et l’évangéliste souligne fortement que tout a été créé par le Verbe, le Fils bien-aimé du Père. Le Verbe peut se traduire par Parole mais aussi par Raison ou Intelligence. Le Père fait sortir du néant toute la création par sa Parole pleine de Sagesse. Cette vérité est déjà présente au chapitre premier de la Genèse puisque Dieu créé en disant, en parlant… Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut. Relevons au passage que la première étape de la création est celle de la lumière qu’il convient de séparer des ténèbres : Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des ténèbres. Dieu appela la lumière « jour », il appela les ténèbres « nuit ». Il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour. Or le soleil, le grand luminaire de la Genèse, n’est créé que plus tard, au quatrième jour. La lumière et les ténèbres du premier jour sont donc des réalités d’un autre ordre. Et ce n’est probablement pas par hasard que nous retrouvons ce couple lumière/ténèbres dans le prologue de saint Jean… La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée. Si la lumière du premier jour est créée, le Verbe lumière, lui, est créateur. Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde. Jésus lui-même se présentera à ses auditeurs comme la lumière du monde. C’est cette métaphore de Jésus-Lumière qui a incité les chrétiens du 4ème siècle à choisir la date du 25 décembre pour célébrer la naissance du Sauveur en substitution à la fête romaine du Soleil invincible et immortel qui commémorait aussi la naissance du dieu solaire Mithra. Ce qui se traduit également dans le cycle de la création puisque la lumière du jour commence à vaincre les ténèbres de la nuit. Le message de Jean est donc le suivant : De même qu’au commencement Dieu a tout créé avec Sagesse par son Verbe, de même par le mystère de l’incarnation du Verbe, il commence une création nouvelle. Sans oublier que l’accomplissement et le but du mystère de Noël, c’est celui de la Pentecôte et du don de l’Esprit Saint. L’homme et la femme de la Genèse sont créés à l’image de Dieu, selon sa ressemblance. Même si saint Jean n’utilise pas la notion d’image pour le Verbe, la réalité, elle, est bien présente : Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître. C’est saint Paul qui, dans sa lettre aux Colossiens, présentera Jésus comme l’image du Dieu qu’on ne peut voir, le premier-né pour toute créature. Pour Paul Jésus est en effet le Nouvel Adam qui nous permet de passer de la première création blessée par le péché à la nouvelle création. Pourquoi donc le Verbe s’est-il fait chair en naissant de la Vierge Marie ? Pour que, par notre foi en Lui comme notre unique Sauveur, nous devenions des enfants de Dieu, nés de Dieu. Même si ce grand mystère de l’incarnation s’accomplit dans les derniers temps, dans ces jours où nous sommes, Dieu étant éternel, c’est depuis toujours qu’il projetait de faire de nous ses fils et filles bien-aimés par le Fils unique, son Verbe. Saint Paul l’affirme sous la forme d’une prière de bénédiction dans sa lettre aux Éphésiens :

Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ ! Il nous a bénis et comblés des bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ. Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour. Il nous a prédestinés à être, pour lui, des fils adoptifs par Jésus, le Christ. Ainsi l’a voulu sa bonté, à la louange de gloire de sa grâce, la grâce qu’il nous donne dans le Fils bien-aimé.

C’est bien ce cadeau inestimable, cette grâce de Dieu qui nous vient par Jésus-Christ, que Jean célèbre lui aussi, dans son prologue :
Tous nous avons eu part à sa plénitude, nous avons reçu grâce après grâce ; car la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.

Tout ce que nous venons de méditer à partir du prologue de saint Jean dans la lumière des Ecritures est traduit d’une manière merveilleusement concise par la prière d’ouverture de cette messe. Le grand mystère de Noël est en effet celui de l’admirable échange :

Père, toi qui as merveilleusement créé l’homme et plus merveilleusement encore rétabli sa dignité, fais-nous participer à la divinité de ton Fils, puisqu’il a voulu prendre notre humanité.


samedi 22 décembre 2018

Quatrième dimanche de l'Avent / Année C



Luc 1, 39-45

23/12/18

Cette année le 4ème dimanche de l’Avent, très proche de la célébration de Noël, prolonge l’atmosphère de joie qui était celle de dimanche dernier. Nous venons d’écouter le beau récit de la Visitation de Marie à Elisabeth. Saint Luc nous dit que c’est avec empressement que Marie se met en route pour la Judée. Elle ne va pas rendre visite à Elisabeth par devoir ou par politesse, mais bien dans la joie de célébrer ce que Dieu a fait pour elle en lui donnant un fils dans sa vieillesse.

La Visitation, c’est la rencontre de deux mères qui portent en leur sein des enfants par la grâce de Dieu, l’une étant une jeune vierge, l’autre une femme âgée et stérile. La Visitation, ce n’est pas seulement la joyeuse rencontre de ces deux mères, mais c’est aussi, mystérieusement, la rencontre de Jésus et de Jean avant même le jour de leur naissance. Par sa salutation à Elisabeth, Marie provoque la joie de Jean dans le sein de sa mère : lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi. Marie est comblée de grâce, c’est par la puissance de l’Esprit Saint qu’elle porte en elle un fils, et voici qu’elle communique en quelque sorte à Elisabeth cette grâce spirituelle : Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint. D’où l’atmosphère de joie dans laquelle baigne tout ce récit, la joie étant l’un des fruits de l’Esprit Saint, le signe de sa présence et de son action en nous. Si Marie est capable de communiquer cette joie de l’Esprit Saint à Elisabeth et à son enfant, c’est bien parce qu’elle porte en elle celui que l’on appellera Jésus, c’est-à-dire « Dieu sauve ». Avant même sa naissance, Jésus répand par Marie, sa mère, la joie de l’Evangile.

On pourrait aussi lire cette belle rencontre comme la rencontre entre la Nouvelle Alliance, représentée par la jeune femme qu’est Marie, et l’Ancienne Alliance, incarnée par la vielle femme qu’est Elisabeth. C’est Jésus qui, en portant à son accomplissement la première alliance, apporte au peuple Juif, dans l’attente du Messie, la joie d’une alliance nouvelle et définitive. Si nous lisons ce récit de la Visitation en ayant à l’esprit celui des Noces de Cana dans l’Evangile de Jean, alors tout semble s’illuminer encore davantage. En effet c’est Marie qui insiste pour que Jésus réalise son premier signe : transformer l’eau en vin des noces. C’est par Marie que l’eau de l’ancienne alliance, conservée dans les jarres destinées aux purifications rituelles des Juifs, devient le vin de la joie, le vin de la nouvelle alliance en Jésus. Le commentaire du maître du repas de noces peut être interprété dans cette perspective du rapport entre les deux alliances : Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant.

Dans la rencontre de la Visitation, à l’aube du mystère de l’Incarnation, Marie nous apparaît avec deux des titres que nous lui donnons en priant les litanies de Lorette : elle est l’arche de la nouvelle alliance, portant en son sein le Fils de Dieu, et, pour cette raison, elle est aussi la cause de notre joie.

A la veille de la célébration de Noël, il est nous est bon de reprendre les paroles d’Elisabeth à Marie et surtout de les méditer dans notre cœur :
Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni.


samedi 15 décembre 2018

Troisième dimanche de l'Avent / Année C




Luc 3, 10-18

16/12/18

Comme l’indiquent les deux premières lectures de cette liturgie, le troisième dimanche de l’Avent nous invite à la joie spirituelle. Dans l’Evangile selon saint Luc, nous ne retrouvons pas cette mention de la joie, mais, comme nous le verrons, un chemin qui nous conduit à la joie dans le Seigneur. Dimanche dernier, l’Evangile nous présentait Jean le baptiste sous les traits d’un prophète. Aujourd’hui nous entendons son message, ses réponses aux questions qui lui sont posées par ceux qui viennent se faire baptiser dans le Jourdain. A trois reprises une même question est adressée à Jean : Que devons-nous faire ? Nous retrouverons cette question simple mais essentielle au jour de la Pentecôte, dans la bouche des auditeurs de Pierre. Sur les trois questions posées à Jean, deux le sont par des groupes particuliers : les collecteurs d’impôts et les soldats. Cela a son importance, car cela nous montre que le changement de vie, la conversion, n’est pas une réalité générale et abstraite, mais qu’elle s’enracine dans notre vie concrète et doit toucher jusqu’à la manière que nous avons de vivre notre vocation et notre travail.

Regardons tout d’abord la réponse de Jean au premier groupe de personnes. C’est tout simple. Le précurseur invite en effet ceux qui ont demandé le baptême au partage de leurs biens avec les plus démunis. Cet esprit de partage et de solidarité est essentiel pour tous les croyants, et Jésus rappellera sans cesse à la suite de Jean et de tous les prophètes cette exigence d’une vie convertie. Nous trouvons ici un premier chemin de joie chrétienne dans la générosité, le service et le décentrement de soi vers nos frères.

Les réponses données par Jean aux publicains et aux soldats ont un élément commun : N’exigez rien de plus que ce qui vous est fixé et  contentez-vous de votre solde. Le précurseur prêche ici un idéal de modération et de sobriété, un rapport aux biens matériels, et en particulier à l’argent, marqué par la tempérance. Dans sa première lettre à Timothée, saint Paul fait un commentaire remarquable de cette exigence de modération :

Il y a un grand profit dans la religion si l’on se contente de ce que l’on a. De même que nous n’avons rien apporté dans ce monde, nous n’en pourrons rien emporter. Si nous avons de quoi manger et nous habiller, sachons nous en contenter. Ceux qui veulent s’enrichir tombent dans le piège de la tentation, dans une foule de convoitises absurdes et dangereuses, qui plongent les gens dans la ruine et la perdition. Car la racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent. Pour s’y être attachés, certains se sont égarés loin de la foi et se sont infligé à eux-mêmes des tourments sans nombre.

L’apôtre cite implicitement Job dans ce passage : Nu je suis sorti du ventre de ma mère, nu j’y retournerai. Nous trouvons ici un deuxième chemin de joie chrétienne dans le fait d’être libéré de l’esclavage de l’enrichissement sans limites et du désir de possession toujours insatisfait. Lorsque nous avons la chance de ne pas subir le fardeau de la misère, contentons de ce que nous avons en pensant aux biens véritables qui sont ceux du cœur et de l’esprit.

Enfin un élément de réponse est propre au groupe des soldats : Ne faites violence à personne, n’accusez personne à tort. Toutes les personnes qui disposent de l’usage légitime de la force et des armes, militaires comme policiers, ne doivent pas abuser de leur pouvoir pour devenir violents ou injustes. Jean rappelle à ces personnes leur responsabilité morale personnelle. Dans ces métiers, on reçoit des ordres de la part des autorités. Mais si ces ordres sont injustes ou incitant à la violence, alors s’impose l’objection de conscience. Militaires et policiers auront, comme tout un chacun, à répondre personnellement de leurs actes devant Dieu, sans pouvoir se cacher derrière l’excuse de l’obéissance aux autorités. Ces dernières commettent bien sûr une faute beaucoup plus grave lorsqu’elles incitent à la violence et à l’injustice, mais cette faute morale ne supprime pas pour autant le péché de ceux qui obéissent aveuglement. Nous trouvons ici un troisième chemin de joie chrétienne, celui des Béatitudes, en particulier celles de la douceur et de la justice :

Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.

dimanche 2 décembre 2018

Premier dimanche de l'Avent / année C



2/12/18

Luc 21, 25-28.34-36

Le cycle de l’année liturgique commence avec le premier dimanche de l’Avent de la même manière qu’il s’était achevé avec le 33ème dimanche du temps ordinaire et la solennité du Christ, roi de l’univers. Au début comme à la fin de notre année chrétienne, l’Eglise nous fait méditer le mystère du retour du Christ à la fin des temps, ce que nous exprimons dans notre profession de foi avec les mots suivants : Il reviendra dans la gloire, pour juger les vivants et les morts ; et son règne n’aura pas de fin.
Dans les Evangiles synoptiques, Jésus attend les derniers jours de son ministère public, juste avant sa Passion, pour aborder avec ses disciples le thème de son retour en gloire. C’est donc dans un contexte dramatique, celui de l’offrande de sa vie pour le salut du monde, que le Seigneur fait son discours eschatologique, consacré non seulement à la fin des temps mais aussi à la ruine de Jérusalem et du temple. Alors qu’il est désormais tout proche de sa fin terrestre, c’est comme naturellement qu’il aborde aussi la fin de ce monde marqué par le mal et le péché.

L’Evangile qui ouvre ce temps de l’Avent contient des références apocalyptiques : l’ébranlement des puissances célestes et le déchaînement des éléments naturels. De manière paradoxale, alors que ces événements susciteront la peur parmi les peuples, Jésus invite ses disciples à l’espérance : redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche. Le Christ étant le commencement et la fin de la création divine, son retour signifiera l’accomplissement du salut divin. Comme l’affirme saint Paul dans sa lettre aux Colossiens, tout est créé par le Christ et pour le Christ, c’est-à-dire en vue de lui. Il est la finalité de toute la création et de toute l’histoire humaine. Il est donc aussi notre fin, le but de notre vie et son accomplissement, ce qui fait dire à l’apôtre Paul : Car le Christ est mort pour tous, afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux.

La deuxième partie de notre Evangile nous montre l’attitude juste du disciple dans l’attente du retour de son Maître. Il ne doit pas avoir peur, mais plutôt demeurer éveillé afin de pouvoir paraître debout devant le Fils de l’homme. Il s’agit, dans un premier temps, de se garder de ce qui peut nous empêcher de vivre l’Avent de manière vraiment spirituelle, comme un temps rempli d’espérance et de joie, comme un temps d’attente pour la manifestation du Christ : Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie. Cette mise en garde nous rappelle la parabole du semeur au chapitre 8 du même Evangile. La parole de Jésus est parfois semé au milieu des ronces, et le Seigneur explique clairement le sens de cette image : Ce qui est tombé dans les ronces, ce sont les gens qui ont entendu, mais qui sont étouffés, chemin faisant, par les soucis, la richesse et les plaisirs de la vie, et ne parviennent pas à maturité. Les soucis, la richesse et les plaisirs de la vie sont en effet capables de nous empêcher d’être libres et disponibles pour le Christ qui vient et qui frappe à la porte de notre cœur. Comment faire pour que ce temps de l’Avent ne se réduise pas à une trépidante préface commerciale au mystère de Noël avec les soucis de tous les cadeaux à acheter ou encore à une suite de « Julefrokost » bien arrosés ? Le Seigneur nous donne une réponse simple : Restez éveillés et priez en tout temps. Seule la prière personnelle quotidienne et la prière communautaire du dimanche nous permettront de vivre cet Avent chrétiennement. Donner la priorité au rendez-vous quotidien de prière avec le Seigneur en laissant nos soucis à la porte, être disponibles pour Lui et pour Lui seul, voilà l’attitude juste qui fera de notre Avent un temps fort sous la conduite de l’Esprit Saint.


dimanche 25 novembre 2018

Le Christ, roi de l'univers, année B



25/11/18

Jean 18, 33-37

L’année liturgique B propose à notre méditation un passage de la Passion pour la solennité du Christ, roi de l’univers. Dans l’Evangile selon saint Jean, le procès civil de Jésus est longuement décrit. L’évangéliste nous rapporte cette rencontre entre deux hommes : le romain Ponce Pilate, représentant le pouvoir civil, et Jésus, le prophète rejeté par les dirigeants religieux du peuple d’Israël. Le dialogue entre Pilate et Jésus est d’une haute portée philosophique. Pilate, procurateur romain de Judée, a bien du mal à comprendre les querelles religieuses qui agitent régulièrement le peuple d’Israël. La province de Judée était, pour cette raison, l’une des plus difficiles à gouverner. En 70 Titus matera une révolte de la population en détruisant le temple de Jérusalem. Pilate ne comprend pas davantage pourquoi les grands prêtres veulent la mort de Jésus,  car il est convaincu de son innocence : Je ne trouve rien à condamner chez cet homme. C’est au cœur de ce que l’on appellerait aujourd’hui un dialogue inter-religieux que Jésus nous révèle les caractéristiques de sa royauté.

Ma royauté ne vient pas de ce monde.

Jésus, en situation de faiblesse extrême, lors de son procès, affirme donc qu’il n’est pas roi à la manière des rois de ce monde. En face du représentant de l’empereur de Rome, il affirme une autorité divine qui ne s’appuie pas sur la force des armes et la puissance des légions. Cela peut nous faire penser à la réponse ironique de Staline à Pierre Laval qui lui demandait de respecter la liberté religieuse en Russie : Le Pape, combien de divisions ? Même si l’Eglise  est très rapidement tombée dans la tentation de la théocratie, cela dès le 4ème siècle sous Théodose, donc dans l’utilisation de moyens non-évangéliques pour asseoir son influence, le message de Jésus sur ce point est sans ambiguïté : le Royaume des Cieux ne doit pas être confondu avec celui des Césars, d’où la célèbre formule, Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Dans la suite du dialogue, Jésus rappelle au païen Pilate que même son pouvoir vient de Dieu : Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut. Où se trouve donc la force de la royauté que le Christ affirme au moment de sa plus grande faiblesse, quelques heures avant de mourir crucifié ? La royauté du Christ sur l’univers ne provient pas d’une alliance hasardeuse entre le sabre et le goupillon, mais uniquement de la vérité divine.

Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix.

La notion de vérité est très présente dans le quatrième Evangile. Dès le Prologue, Jésus, le Verbe de Dieu, nous est présenté comme celui qui est plein de grâce et de vérité : la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ, et plus loin Jésus lui-même ose affirmer : Je suis le chemin, la vérité et la vie. Enfin quand le Seigneur annonce le don de l’Esprit Saint, il parle à ses disciples de l’Esprit de vérité. La vérité pour Jésus n’a rien à voir avec un concept philosophique abstrait. Elle ne saurait pas plus se confondre avec nos dogmes, ce que nous appelons les vérités de foi. Dans la bouche du Seigneur, la vérité est une réalité existentielle et dynamique, tout le contraire d’une définition dans un dictionnaire. Trois versets de saint Jean nous montrent ce qu’est la vérité évangélique, fondement et force de la royauté du Christ.

Celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu.
La formule utilisée ici par Jésus dans son dialogue avec Nicodème est révélatrice : il s’agit bien de faire la vérité, et non pas de l’étudier ou de l’enseigner ! C’est donc dans la cohérence et l’authenticité de la vie chrétienne, accorder ses actes à sa foi en Jésus Sauveur, que le Royaume est présent. Dans ce contexte la vérité devient une mission, un appel, celui de la sainteté. La vérité du Royaume est sainteté.

Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer.
Dans son dialogue avec la samaritaine, Jésus nous montre la vérité comme le milieu propice à l’adoration du Père. C’est en effet dans la mesure où nous nous reconnaissons dans notre condition de créatures et d’enfants de Dieu que nous pouvons adorer le Père en esprit et en vérité. La vérité de notre condition humaine, c’est que nous sommes dépendants de Dieu dans les racines les plus profondes de notre être. La vérité du Royaume est humilité et adoration.

Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres.
La royauté du Christ nous invite en effet à la liberté intérieure, à la liberté des enfants de Dieu. La vérité n’est pas un concept abstrait qui nous contraint et nous enferme. C’est au contraire une puissance de vie qui nous libère de l’esclavage du mal et de l’égoïsme. La vérité  du Royaume est libération.
Enfin, de même que la Royauté du Christ ne trouvera son accomplissement que lors de son retour en gloire, de même nous ne connaitrons vraiment la vérité qu’est Jésus qu’au terme d’une vie consacrée à la recherche de Dieu sous la conduite de l’Esprit Saint : Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. Ce que saint Paul développe dans sa lettre aux Ephésiens : les fidèles sont organisés pour que les tâches du ministère soient accomplies et que se construise le corps du Christ, jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble à l’unité dans la foi et la pleine connaissance du Fils de Dieu, à l’état de l’Homme parfait, à la stature du Christ dans sa plénitude.
La vérité du Royaume est chemin, dynamisme et expérience de vie. Le Christ, notre divin roi, est en effet pour chacun d’entre nous le chemin, la vérité et la vie.

dimanche 18 novembre 2018

La Parousie et les fins dernières / 33ème dimanche du temps ordinaire année B



18/11/18

Marc 13, 24-32

Le dernier dimanche de notre année chrétienne est consacré à la célébration du Christ roi de l’univers. Ce sera dimanche prochain. Dans la liturgie, ce dimanche, le 33ème du temps ordinaire, oriente notre pensée vers les fins dernières avec le retour du Christ en gloire et la fin de notre monde tel que nous le connaissons. L’Evangile que nous venons d’entendre est un passage du discours eschatologique de Jésus dans lequel il aborde non seulement la ruine de Jérusalem et la destruction du Temple mais aussi la terrible détresse qui précédera son retour. Le Seigneur utilise le vocabulaire apocalyptique, typique de la culture religieuse juive, en mentionnant l’ébranlement des puissances célestes et des signes dans les astres. Nous sommes d’emblée mal à l’aise avec ce style apocalyptique si difficile à comprendre et à interpréter. Pour le dire le plus simplement possible, de grands bouleversements dans le fonctionnement ordinaire de la nature seront les signes du retour du Christ et donc du jugement dernier. Jésus n’annonce pas de manière précise quand cela arrivera. C’est le secret de son Père. La description de l’ébranlement des puissances cosmiques peut évoquer ce qu’actuellement certains appellent la collapsologie : un néologisme inventé par le français Pablo Servigne composé du mot «collapse», du latin collapsus, «qui est tombé en un seul bloc» (à lorigine du verbe to collapse en anglais, «seffondrer») et du suffixe «-logie ». C’est en 2015 que Pablo Servigne publie avec Raphaël Stevens un livre au titre apocalyptique : Comment tout peut s’effondrer: Petit manuel de collapsologie à lusage des générations présentes. Récemment, un jeune français ayant fait des études dans la finance, Julien Wosnitza,  a enfoncé le clou en publiant : Pourquoi tout va s’effondrer. Et voici ce qu’il affirme : J’ai 24 ans et j’ai compris que le monde allait s’effondrer. Ce n’est pas une intuition, mais une réalité. Tous les faisceaux d’indices, toutes les publications scientifiques, toutes les observations concordent : notre civilisation court vers un effondrement global. Fonte des glaciers, mort des océans, extraction de ressources à outrance, bouleversement sans précédent de la biodiversité, hausse continue du réchauffement climatique, accroissement des inégalités sociales...  Et que fait-on ? Rien ! Ou presque rien. Pire, nous croyons encore pouvoir résoudre ces crises fondamentales par le système qui les a précisément engendrées. Au pays du climato-sceptique Trump, voilà une grosse semaine que les incendies ravagent la Californie et étouffent les habitants de beaucoup de villes, l’air devenant irrespirable. A cette collapsologie de plus en plus répandue, on pourrait ajouter la tendance survivaliste soutenue par des personnes pensant qu’il faut se préparer à l’effondrement final en assurant une autonomie maximale en nourriture, eau, énergie etc. Nous le constatons, l’ambiance n’est pas particulièrement optimiste dans certains courants de pensée contemporains. La pensée de l’Apocalypse revient à l’ordre du jour non plus à cause des témoins de Jéhovah annonçant régulièrement la date de la fin du monde, mais des rapports scientifiques alarmants sur l’état de notre planète annonçant l’écroulement de notre civilisation entre 2030 et 2050…

Comme nous y invite le pape François, nous avons, nous aussi, en tant que catholiques, à vivre une conversion écologique. Il s’agit bien de prendre très au sérieux ce que la communauté scientifique mondiale porte à notre connaissance même si cela n’est pas très agréable. L’Evangile de ce dimanche nous rappelle aussi l’importance de notre attitude spirituelle face au mystère de la fin des temps, et au mystère de notre propre mort. Et finalement, c’est la confiance au Christ Sauveur qui doit l’emporter car le ciel et la terre passeront, ses paroles ne passeront pas. Si Jésus est proche, à notre porte, c’est aussi un appel à la vigilance qui nous est fait. Il s’agit pour nous de demeurer éveillés dans la prière et dans la foi, tout en nous engageant résolument dans l’écologie. Pour nous chrétiens, il est plus que jamais nécessaire de faire grandir notre confiance en la Parole du Christ :

Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde.

dimanche 28 octobre 2018

30ème dimanche du temps ordinaire/B



28/10/18

Marc 10, 46-52

L’épisode de la rencontre entre Jésus et Bartimée se situe juste avant l’entrée messianique du Seigneur dans Jérusalem. Jéricho se trouve à seulement 12 kilomètres de Jérusalem. Nous sommes donc dans les derniers jours terrestres de Jésus, peu de temps avant sa Passion et sa mort.

Bartimée est mendiant parce qu’aveugle. Ne pouvant pas travailler à cause de son infirmité, il dépend de la charité des voyageurs pour survivre. Entendant le bruit d’une foule à la sortie de la ville, s’étant informé, il sait que Jésus va passer près de lui. Il n’hésite pas un seul instant à crier : Jésus, fils de David, aie pitié de moi ! Le fils de Timée interpelle vivement le fils de David. Lui, le juif ordinaire et d’humble condition, s’adresse au descendant du grand roi David sans aucune crainte. Il ne lui demande pas directement la guérison mais il fait appel à sa miséricorde : aie pitié de moi ! Nous reprenons ces paroles à chaque messe. Il a entendu parler du cœur de Jésus, un cœur toujours compatissant, jamais indifférent à notre misère. Dans l’Evangile selon saint Matthieu, le Seigneur nous confie les secrets de son cœur : Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger.

Mais voilà que la foule qui accompagne Jésus dans son voyage vers Jérusalem veut écarter l’importun. Cette foule veut garder Jésus pour elle et pour elle seule, pas question d’être dérangé par un mendiant aveugle qui nous casse les oreilles avec ses cris ! Cette foule veut faire taire Bartimée, mais, note Marc, il criait de plus belle. Contrairement à la foule, Jésus prête attention aux cris de Bartimée et le fait appeler pour ensuite lui rendre la vue. Et c’est ainsi que le mendiant aveugle devint, lui aussi, disciple du Seigneur en le suivant sur la route.

En tant que chrétiens, nous faisons partie des proches de Jésus, nous appartenons à son Eglise, nous sommes les membres de son corps. Cet Evangile nous interpelle sur notre attitude par rapport à ceux qui sont encore loin, sur le bord de la route. Sommes-nous, comme la foule de l’Evangile, un obstacle dans leur première rencontre avec le Seigneur ? C’est une tentation réelle à laquelle nous devons être attentifs. A l’image de Jésus qui accueille tout homme dans sa miséricorde, nous devons apprendre à avoir un cœur miséricordieux nous aussi. Le chrétien doit être capable d’entendre les cris de ceux qui sont loin, même lorsque ces appels sont implicites, non exprimés de manière formelle. Le chrétien ayant un sens missionnaire authentique ne saurait éteindre la mèche qui faiblit, à l’image du serviteur de Dieu annoncé par Isaïe : Il ne brisera pas le roseau qui fléchit, il n’éteindra pas la mèche qui faiblit, il proclamera le droit en vérité. Notre Eglise, notre communauté, a pour vocation d’être ouverte et accueillante aux nouveaux, à tous ceux qui frappent à la porte et demandent à voir Jésus. A travers nous, la voix de la miséricorde doit toujours résonner de manière chaleureuse dans nos églises et en dehors : confiance, lève-toi ; Jésus t’appelle.

dimanche 21 octobre 2018

29ème dimanche du temps ordinaire / B



21/10/18

Marc 10, 35-45

Il est important de bien situer l’Evangile de ce dimanche dans son contexte immédiat. Nous sommes dans les derniers jours de la vie publique de Jésus, juste avant son entrée triomphale dans Jérusalem. Nous sommes immédiatement après la troisième annonce de la Passion, mort et résurrection de Jésus, et saint Marc prend le soin de préciser quel était l’état d’esprit des disciples à cet instant précis : ils étaient en route pour monter à Jérusalem ; Jésus marchait devant eux ; ils étaient saisis de frayeur, et ceux qui suivaient étaient aussi dans la crainte.
A l’approche des jours sombres de la Passion, la frayeur n’empêche pas Jacques et Jean de préparer leur entrée dans la vie éternelle en demandant à leur Maître les meilleures places ! Le vocabulaire qu’ils emploient (siéger) reflète probablement la vision courante du Royaume de Dieu à leur époque. Jésus lui-même semble avoir employé ce vocabulaire. Voici ce qu’il dit à ses disciples en saint Luc, lors de la dernière Cène : Vous, vous avez tenu bon avec moi dans mes épreuves. Et moi, je dispose pour vous du Royaume, comme mon Père en a disposé pour moi. Ainsi vous mangerez et boirez à ma table dans mon Royaume, et vous siégerez sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël. Toutes ces images sont matérielles (manger, boire, siéger) et il convient de leur donner une signification spirituelle puisqu’il s’agit du Royaume des cieux.

La demande de Jacques et de Jean suscite l’indignation des dix autres disciples, et on comprend fort bien leur réaction. Dans la dernière partie de cet Evangile, Jésus profite de l’attitude trop humaine de ses disciples pour donner le cœur de son enseignement sur la grandeur évangélique. Nous lions souvent la grandeur avec l’exercice du pouvoir et l’autorité. L’élément le plus important dans l’enseignement du Christ tient en cette phrase : parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Le chrétien doit être différent, il ne doit pas se conformer à l’esprit du monde. Jésus oppose clairement l’exercice du pouvoir selon le monde, souvent tenté par la tyrannie ou la dictature, à l’exercice du pouvoir selon l’Evangile. De fait il inverse totalement les valeurs humaines communément admises, car pour lui régner c’est servir. Le vrai maître est celui qui va même jusqu’à donner sa propre vie. Nous sommes donc appelés à un discernement qui nous permettra de vivre pleinement dans ce monde sans être de ce monde. Discerner c’est faire le tri, faire la différence, entre les fausses valeurs du monde et la vérité de l’Evangile. Discerner, c’est donc résister à l’esprit du monde qui voudrait nous faire oublier notre différence chrétienne, ce qui fait que nous sommes sel de la terre et lumière du monde. Cela demande de notre part une foi vivante, une vie de prière authentique et surtout la force de l’Esprit Saint. Saint Paul a bien expliqué aux Romains la nature de ce discernement : Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait.

Les nations qui ont accueilli l’Evangile depuis les commencements de l’évangélisation reflètent-elles aujourd’hui la vérité de l’Evangile ? Malgré la sécularisation et la progression de l’indifférence religieuse, beaucoup de valeurs communément admises portent encore la trace de cette évangélisation. Mais force est de constater que les valeurs dominantes du monde politique et économique n’ont rien à voir avec le christianisme, et lui sont même souvent opposées. Ce n’est malheureusement pas l’esprit de service et le dévouement au bien commun qui guident la plupart des dirigeants et des décideurs, mais plutôt le carriérisme, l’ambition et la cupidité. Autrement notre monde se porterait mieux et les inégalités ne seraient pas aussi importantes. D’où l’importance pour les chrétiens, en particulier ceux qui occupent des postes de responsabilités, d’incarner une autre logique, celle qui parait folie aux yeux de ce monde à l’horizon étriqué, mais qui est sagesse de Dieu, la logique du service par amour désintéressé qui fait de nous les héritiers du Royaume. L’enseignement de cet Evangile nous ouvre l’horizon plénier de notre existence humaine dans une humanité qui, pour reprendre les paroles du pape François, possède trop de moyens pour des fins limitées et rachitiques.

dimanche 14 octobre 2018

28ème dimanche du temps ordinaire /B



14/10/18

Marc 10, 17-30

L’Evangile de ce dimanche nous rapporte la rencontre entre un homme et Jésus sur la route. Cet homme respecte et estime Jésus, il se met même à genoux pour lui poser une question. Nous ne connaissons pas son nom mais nous savons son désir d’avoir la vie éternelle en héritage. Tout au long de cet épisode nous retrouverons un vocabulaire s’appliquant d’abord aux richesses matérielles tout en ayant aussi une signification métaphorique : l’héritage, le trésor etc. La première lecture est dans la droite ligne de cette application du vocabulaire de la richesse à une réalité spirituelle, celle de la Sagesse qui vient de Dieu : en face d’elle, l’argent sera regardé comme de la boue. Dans sa réponse, Jésus n’invente rien : il invite tout simplement cet homme à être fidèle aux commandements de Dieu pour hériter de la vie éternelle. Constatant que cet homme est un juste, Jésus l’appelle à progresser sur ce chemin de sainteté : une seule chose te manque. Que manque-t-il donc à cet homme ? Le détachement par rapport à ses richesses pour pouvoir suivre Jésus et devenir son disciple. Alors tu auras un trésor au ciel. Et c’est à ce point précis du récit que la rencontre entre l’homme et Jésus s’achève. Etant très riche, il ne se sent pas capable de renoncer à ses biens et s’en va tout triste. Cette incapacité de l’homme riche à répondre à l’appel de Jésus nous rappelle un enseignement évangélique : vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. En contraste avec cet homme, nous voyons Pierre et les disciples qui ont tout quitté pour suivre leur Maître.

Jésus profite de cet événement pour livrer un nouvel enseignement sur les richesses, tellement sévère que les disciples sont stupéfaits. C’est la célèbre image du chameau cherchant à passer à travers le trou d’une aiguille. C’est bien sûr impossible… Eh bien, c’est encore plus impossible à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu, même si, lueur d’espoir, tout est possible à Dieu ! Un autre passage de saint Luc nous aidera à approfondir ce thème :

 « Gardez-vous bien de toute avidité, car la vie de quelqu’un, même dans l’abondance, ne dépend pas de ce qu’il possède. » Et il leur dit cette parabole : « Il y avait un homme riche, dont le domaine avait bien rapporté. Il se demandait : “Que vais-je faire ? Car je n’ai pas de place pour mettre ma récolte.” Puis il se dit : “Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j’en construirai de plus grands et j’y mettrai tout mon blé et tous mes biens.  Alors je me dirai à moi-même : Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence.” Mais Dieu lui dit : “Tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ?” Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu. »
Pour le chrétien, la priorité devrait donc être de s’enrichir en vue de Dieu. C’est-à-dire de développer sa vie de communion avec le Christ et sa vie de service du prochain dans l’amour, le partage et le don de soi, avec une attention particulière à ceux qui souffrent dans leur âme et dans leur corps et aux pauvres. Sur ce chemin de sainteté chrétienne peut se dresser l’obstacle de notre avidité ou de notre cupidité. Il s’agit bien d’un péché capital. Saint Paul n’hésite pas à affirmer que la cupidité est la racine de tous les maux. Aux riches de ce monde, il demande de devenir riches en bonnes œuvres par le partage. De cette façon, ils se préparent pour l’avenir un bon capital avec lequel ils pourront acquérir la vraie vie. Nous ne pouvons pas comprendre le pourquoi des crises économique, sociale et écologique, si nous ne tenons pas compte de ce péché de cupidité. Si le chrétien veut être sel de la terre et lumière du monde, il n’a pas d’autre choix que de se libérer de cet esclavage de la cupidité. S’il veut de l’intérieur changer la société, il doit prendre conscience de l’immoralité d’un système économique qui n’a pas d’autre but que le profit maximum pour une minorité de privilégiés et cela le plus rapidement possible, sans aucune considération éthique pour les travailleurs, les animaux et l’environnement. Dénoncer ne suffit pas, il faut aller jusqu’au boycott et promouvoir des alternatives compatibles avec l’Evangile. La rencontre de l’homme riche avec Jésus nous remet devant la question essentielle du sens de notre vie et du bonheur véritable. Quelle est la richesse qui seule peut combler mon cœur et me rendre heureux dans ma vocation d’homme et de chrétien ? Certainement pas celle qui me permet d’accumuler toujours plus de biens de consommation ou de billets de banque. La seule et unique richesse, celle qui nous permet déjà de faire l’expérience de la vie éternelle sur cette terre, c’est notre capacité à entrer en relation avec Dieu et les uns avec les autres, à sortir de notre égoïsme pour nous donner et pour partager ce que nous sommes et ce que nous avons.
Le prêtre suisse Maurice Zundel a beaucoup médité sur la signification de la pauvreté évangélique : elle nous commande d’extirper la misère autant qu’elle nous presse de supprimer la richesse, pour qu’il n’y ait plus deux humanités, séparées par la frontière infranchissable qui oppose la pénurie à l’abondance. Zundel va cependant plus loin. Il nous montre la pauvreté évangélique, le choix libre d’une vie simple et sobre, comme une participation du chrétien au mystère même de Dieu Trinité : la divinité n’est pas autre chose que son amour. Dieu est celui qui n’a rien ; la Trinité veut dire : la divinité n’est à personne parce que la divinité c’est le jaillissement éternel de la lumière et de l’amour du Père dans le Fils, du Fils dans le Père, et du Père et du Fils dans le Saint-Esprit. Elle est l’oblation parfaite : Dieu n’a pas, Dieu est.


dimanche 30 septembre 2018

26ème dimanche du temps ordinaire / B



Marc 9, 38-48

30/09/18

L’Evangile de ce dimanche rassemble divers petits enseignements de Jésus donnés à ses disciples à Capharnaüm.

Le premier part d’un fait vécu rapporté par Jean. Les disciples ont en effet vu, chemin faisant, une personne chasser des esprits mauvais au nom de Jésus. Et ils ont voulu l’en empêcher. Quelle est donc la raison donnée par Jean ? Car il n’est pas de ceux qui nous suivent. La réaction des disciples révèle leur sectarisme, sectarisme condamné par Jésus car celui qui n’est pas contre nous est pour nous. C’est une tentation permanente pour les disciples de se croire les propriétaires exclusifs du bien. Avant le développement de l’œcuménisme, c’est ainsi que les chrétiens s’excluaient les uns les autres, catholiques contre protestants et vice-versa. La réaction de Jésus nous invite à comprendre que non seulement faire le bien n’est pas la propriété des disciples mais que l’Esprit Saint inspire de bonnes actions à tous les hommes de bonne volonté. Au sectarisme des disciples Jésus oppose l’universalité de Dieu, Père créateur, qui veut le salut de tous les hommes et qui peut agir dans le cœur de tous pour que son Règne arrive. En tant que catholiques nous devons donc nous réjouir et rendre grâce à Dieu lorsque nos frères protestants ou des croyants d’autres religions ou encore des athées réalisent de bonnes œuvres.

Le deuxième enseignement, très bref, parle du comportement des hommes à l’égard des disciples de Jésus avec l’exemple du verre d’eau. Dans l’événement précédent, il s’agissait d’un bien spirituel accompli au nom de Jésus : chasser des démons. Ici il s’agit d’un bien corporel : soulager la soif des disciples. Mais l’on pourrait ajouter toutes les œuvres de bienfaisance corporelle que nous trouvons au chapitre 25 de saint Matthieu : donner à manger, vêtir etc. J’avais soif, et vous m’avez donné à boire. Ces œuvres de charité seront récompensés, la version de saint Matthieu précise qu’il s’agira de la récompense suprême : celle du Paradis, de la vision béatifique des élus.

L’enseignement suivant, sur le scandale, porte sur une action mauvaise : entraîner la chute des croyants. Celui qui cause ainsi le scandale, mieux vaut pour lui mourir immédiatement, jeté dans la mer avec une meule au cou ! La chute des petits que sont les croyants peut venir des incroyants comme d’autres croyants. Les terribles scandales de pédophilie ayant ébranlé l’Eglise ces derniers temps nous montrent la gravité de certaines actions qui sont des contre-témoignages manifestes. En positif, cet enseignement du Christ exige que nous nous soutenions les uns les autres dans la foi par notre attitude et notre vie dans la communauté Eglise. Il s’agit bien plutôt que de nous entre-détruire de nous édifier les uns les autres par la foi agissant par l’amour. Dans la communion de l’unique corps du Christ, chaque membre est responsable et solidaire de tous les autres membres. Comme l’affirme saint Paul, si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ; si un membre est à l’honneur, tous partagent sa joie.

Dans le dernier enseignement de cette page évangélique, Jésus utilise des images violentes (couper sa main, arracher son œil) pour nous inviter à la fermeté par rapport à tout ce qui peut nous entraîner au péché, donc au mal. Car ce qui est en jeu ici, c’est notre vie éternelle ou au contraire notre perdition. Ces images choc ne doivent pas nous faire perdre de vue que dans certains cas, par exemple des mauvaises habitudes acquises depuis longtemps, il nous faudra beaucoup de temps et de patience pour en être libérés avec l’aide du Seigneur, et pouvoir « couper notre main ou arracher notre œil ». Plus profondément Jésus nous invite à nous poser la question suivante : qu’est-ce qui, dans ma vie, m’entraîne au péché ? La deuxième lecture peut nous fournir certaines indications comme l’amour des richesses, du plaisir et du luxe, ainsi que l’indifférence au sort de notre prochain. Pour conclure nous pourrions méditer la formule concise que nous trouvons dans la première lettre de saint Jean :

Tout ce qu’il y a dans le monde – la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, l’arrogance de la richesse –, tout cela ne vient pas du Père, mais du monde. Or, le monde passe, et sa convoitise avec lui. Mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure pour toujours.


dimanche 16 septembre 2018

24ème dimanche du temps ordinaire / B



16/09/18

Marc 8, 27-35

Jésus choisit un moment bien particulier pour annoncer à ses disciples son propre destin : l’accomplissement de son mystère pascal à Jérusalem où il devra beaucoup souffrir de la part de l’élite religieuse du peuple pour être finalement condamné à mort. Il fait cette annonce scandaleuse immédiatement après la profession de foi de Pierre qui reconnaît en lui le Messie. C’est cette réalité du Messie souffrant que Pierre rejette. Celui qui vient de reconnaître en Jésus le Messie se voit traité de Satan, car ses pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes. La scène évangélique de ce dimanche présente donc un paradoxe. D’un côté Pierre proclame la vraie foi, et de l’autre il est incapable d’accepter que son Maître puisse souffrir et être tué. Ce paradoxe rejoint le cœur de notre expérience chrétienne. Nous pouvons confesser la foi catholique en ce qui concerne la personne de Jésus et y adhérer, tout en ayant des difficultés à incarner cette foi dans notre vie. Nous pouvons communier au Christ mort et ressuscité pour nous, et ne pas accepter pour nous-mêmes le mystère de la croix. D’où l’enseignement par lequel se termine notre Evangile : la nécessité pour tout disciple d’accepter dans sa vie le scandale de la croix. Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive.

Que signifie donc prendre sa croix à la suite du Seigneur ? Nous ne sommes pas tous appelés à être martyrs, mais tous nous avons à prendre cette croix de Jésus, en sachant que son joug est facile à porter et son fardeau léger dans la mesure où nous recevons sa grâce et son amour. Comme souvent il est très utile de faire appel à d’autres passages bibliques pour mieux saisir ce que signifie prendre sa croix. Tout d’abord un verset des Béatitudes : Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. La persécution fait partie de la vie du chrétien dans la mesure où le témoignage authentique qu’il donne dérange forcément. Quand nous nous engageons réellement au nom de notre foi pour la vérité, la justice et la paix, nous allons contre l’esprit du monde. Aller à contre-courant n’est jamais confortable et demande une grande force de caractère, une force qui ne peut venir que de la présence et de l’action de l’Esprit Saint en nous. Un passage de l’apôtre Paul aux Romains nous fait bien comprendre ce qu’est la justice chrétienne : Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait. Notre foi est en effet une force de contestation par rapport à un monde qui promeut souvent de fausses valeurs et qui s’engage dans bien des impasses tout en se proclamant « civilisé ». S’engager pour la paix, pour la justice sociale, le partage des biens et la solidarité, la sobriété évangélique, l’écologie, la vérité et l’honnêteté, implique de souffrir à la suite de Jésus sans avoir peur du jugement des autres. Ceux qui s’engagent sur ce chemin peuvent même être exclus et connaître la solitude de ceux qui semblent prêcher dans le désert. Mais le chrétien persécuté pour la justice n’est jamais seul, puisqu’il vit de l’intérieur une profonde communion avec le Messie souffrant, lui aussi rejeté à cause de la justice du Royaume des cieux. Le Concile Vatican II, dans la constitution sur l’Eglise dans le monde ce temps, nous livre un commentaire particulièrement beau des paroles de Jésus nous invitant à le suivre sur son chemin de souffrance, de mort et de résurrection :

En acceptant de mourir pour nous tous, pécheurs, Jésus nous apprend, par son exemple, que nous devons aussi porter cette croix que la chair et le monde font peser sur les épaules de ceux qui poursuivent la justice et la paix. Constitué Seigneur par sa résurrection, le Christ à qui tout pouvoir a été donné, au ciel et sur la terre agit désormais dans le cœur des hommes par la puissance de son Esprit ; il anime aussi, purifie et fortifie ces aspirations généreuses qui poussent la famille humaine à améliorer ses conditions de vie et à soumettre à cette fin la terre entière. […] De tous il fait des hommes libres pour que, renonçant à l’amour-propre et rassemblant toutes les énergies terrestres pour la vie humaine, ils s’élancent vers l’avenir, vers ce temps où l’humanité elle-même deviendra une offrande agréable à Dieu (n°38).