mercredi 27 novembre 2013

Exhortation apostolique Evangelii Gaudium



Nous avons la grande grâce d'avoir un pape qui parle sans langue de bois. Dans sa nouvelle exhortation apostolique Evangelii Gaudium il aborde entre autres choses avec une lucidité extraordinaire, celle qui manque tant à nos gouvernants, la crise économique actuelle. Cette crise du capitalisme libéral sauvage est une crise morale. Le culte des marchés et de la croissance ne sert qu'à enrichir une infime minorité d'humains, une ploutocratie égoïste et cynique, et plonge dans le même temps une masse d'hommes et de femmes dans la misère et l'exclusion. Le pape le rappelle avec fermeté : le culte de l'argent est incompatible avec le culte de Dieu. Notre système économique actuel favorise l'injustice et les inégalités sociales, il promeut le consumérisme et le gaspillage, et nous prépare des lendemains bien douloureux. La violence et la dégradation de l'environnement font déjà partie du tableau. Ces menaces augmenteront encore sauf si les Etats prennent enfin leur responsabilité et acceptent de contrôler et de réguler avec fermeté le capitalisme libéral devenu fou dans sa recherche insatiable de profits toujours plus grands. La foi dans la croissance et le libre-marché est incompatible avec la foi en Dieu car elle exclut de la sphère économique des notions aussi essentielles que le bien commun, la solidarité, la destination universelle des biens, la préservation de l’environnement et la justice sociale.
 
 
EXHORTATION APOSTOLIQUE
EVANGELII GAUDIUM DU PAPE FRANÇOIS
SUR L'ANNONCE DE L'ÉVANGILE DANS LE MONDE D'AUJOURD'HUI
1. Quelques défis du monde actuel
52. L’humanité vit en ce moment un tournant historique que nous pouvons voir dans les progrès qui se produisent dans différents domaines. On doit louer les succès qui contribuent au bien-être des personnes, par exemple dans le cadre de la santé, de l’éducation et de la communication. Nous ne pouvons cependant pas oublier que la plus grande partie des hommes et des femmes de notre temps vivent une précarité quotidienne, aux conséquences funestes. Certaines pathologies augmentent. La crainte et la désespérance s’emparent du cœur de nombreuses personnes, jusque dans les pays dits riches. Fréquemment, la joie de vivre s’éteint, le manque de respect et la violence augmentent, la disparité sociale devient toujours plus évidente. Il faut lutter pour vivre et, souvent, pour vivre avec peu de dignité. Ce changement d’époque a été causé par des bonds énormes qui, en qualité, quantité, rapidité et accumulation, se vérifient dans le progrès scientifique, dans les innovations technologiques et dans leurs rapides applications aux divers domaines de la nature et de la vie. Nous sommes à l’ère de la connaissance et de l’information, sources de nouvelles formes d’un pouvoir très souvent anonyme.
Non à une économie de l’exclusion
53. De même que le commandement de “ne pas tuer” pose une limite claire pour assurer la valeur de la vie humaine, aujourd’hui, nous devons dire “non à une économie de l’exclusion et de la disparité sociale”. Une telle économie tue. Il n’est pas possible que le fait qu’une personne âgée réduite à vivre dans la rue, meure de froid ne soit pas une nouvelle, tandis que la baisse de deux points en bourse en soit une. Voilà l’exclusion. On ne peut plus tolérer le fait que la nourriture se jette, quand il y a des personnes qui souffrent de la faim. C’est la disparité sociale. Aujourd’hui, tout entre dans le jeu de la compétitivité et de la loi du plus fort, où le puissant mange le plus faible. Comme conséquence de cette situation, de grandes masses de population se voient exclues et marginalisées : sans travail, sans perspectives, sans voies de sortie. On considère l’être humain en lui-même comme un bien de consommation, qu’on peut utiliser et ensuite jeter. Nous avons mis en route la culture du “déchet” qui est même promue. Il ne s’agit plus simplement du phénomène de l’exploitation et de l’oppression, mais de quelque chose de nouveau : avec l’exclusion reste touchée, dans sa racine même, l’appartenance à la société dans laquelle on vit, du moment qu’en elle on ne se situe plus dans les bas-fonds, dans la périphérie, ou sans pouvoir, mais on est dehors. Les exclus ne sont pas des ‘exploités’, mais des déchets, ‘des restes’.
54. Dans ce contexte, certains défendent encore les théories de la “rechute favorable”, qui supposent que chaque croissance économique, favorisée par le libre marché, réussit à produire en soi une plus grande équité et inclusion sociale dans le monde. Cette opinion, qui n’a jamais été confirmée par les faits, exprime une confiance grossière et naïve dans la bonté de ceux qui détiennent le pouvoir économique et dans les mécanismes sacralisés du système économique dominant. En même temps, les exclus continuent à attendre. Pour pouvoir soutenir un style de vie qui exclut les autres, ou pour pouvoir s’enthousiasmer avec cet idéal égoïste, on a développé une mondialisation de l’indifférence. Presque sans nous en apercevoir, nous devenons incapables d’éprouver de la compassion devant le cri de douleur des autres, nous ne pleurons plus devant le drame des autres, leur prêter attention ne nous intéresse pas, comme si tout nous était une responsabilité étrangère qui n’est pas de notre ressort. La culture du bien-être nous anesthésie et nous perdons notre calme si le marché offre quelque chose que nous n’avons pas encore acheté, tandis que toutes ces vies brisées par manque de possibilités nous semblent un simple spectacle qui ne nous trouble en aucune façon.
Non à la nouvelle idolâtrie de l’argent
55. Une des causes de cette situation se trouve dans la relation que nous avons établie avec l’argent, puisque nous acceptons paisiblement sa prédominance sur nous et sur nos sociétés. La crise financière que nous traversons nous fait oublier qu’elle a à son origine une crise anthropologique profonde : la négation du primat de l’être humain ! Nous avons créé de nouvelles idoles. L’adoration de l’antique veau d’or (cf. Ex 32, 1-35) a trouvé une nouvelle et impitoyable version dans le fétichisme de l’argent et dans la dictature de l’économie sans visage et sans un but véritablement humain. La crise mondiale qui investit la finance et l’économie manifeste ses propres déséquilibres et, par-dessus tout, l’absence grave d’une orientation anthropologique qui réduit l’être humain à un seul de ses besoins : la consommation.
56. Alors que les gains d’un petit nombre s’accroissent exponentiellement, ceux de la majorité se situent d’une façon toujours plus éloignée du bien-être de cette heureuse minorité. Ce déséquilibre procède d’idéologies qui défendent l’autonomie absolue des marchés et la spéculation financière. Par conséquent, ils nient le droit de contrôle des États chargés de veiller à la préservation du bien commun. Une nouvelle tyrannie invisible s’instaure, parfois virtuelle, qui impose ses lois et ses règles, de façon unilatérale et implacable. De plus, la dette et ses intérêts éloignent les pays des possibilités praticables par leur économie et les citoyens de leur pouvoir d’achat réel. S’ajoutent à tout cela une corruption ramifiée et une évasion fiscale égoïste qui ont atteint des dimensions mondiales. L’appétit du pouvoir et de l’avoir ne connaît pas de limites. Dans ce système, qui tend à tout phagocyter dans le but d’accroître les bénéfices, tout ce qui est fragile, comme l’environnement, reste sans défense par rapport aux intérêts du marché divinisé, transformés en règle absolue.
Non à l’argent qui gouverne au lieu de servir
57. Derrière ce comportement se cachent le refus de l’éthique et le refus de Dieu. Habituellement, on regarde l’éthique avec un certain mépris narquois. On la considère contreproductive, trop humaine, parce qu’elle relativise l’argent et le pouvoir. On la perçoit comme une menace, puisqu’elle condamne la manipulation et la dégradation de la personne. En définitive, l’éthique renvoie à un Dieu qui attend une réponse exigeante, qui se situe hors des catégories du marché. Pour celles-ci, si elles sont absolutisées, Dieu est incontrôlable, non-manipulable, voire dangereux, parce qu’il appelle l’être humain à sa pleine réalisation et à l’indépendance de toute sorte d’esclavage. L’éthique – une éthique non idéologisée – permet de créer un équilibre et un ordre social plus humain. En ce sens, j’exhorte les experts financiers et les gouvernants des différents pays à considérer les paroles d’un sage de l’antiquité : « Ne pas faire participer les pauvres à ses propres biens, c’est les voler et leur enlever la vie. Ce ne sont pas nos biens que nous détenons, mais les leurs ». [55]
58. Une réforme financière qui n’ignore pas l’éthique demanderait un changement vigoureux d’attitude de la part des dirigeants politiques, que j’exhorte à affronter ce défi avec détermination et avec clairvoyance, sans ignorer, naturellement, la spécificité de chaque contexte. L’argent doit servir et non pas gouverner ! Le Pape aime tout le monde, riches et pauvres, mais il a le devoir, au nom du Christ, de rappeler que les riches doivent aider les pauvres, les respecter et les promouvoir. Je vous exhorte à la solidarité désintéressée et à un retour de l’économie et de la finance à une éthique en faveur de l’être humain.
Non à la disparité sociale qui engendre la violence
59. De nos jours, de toutes parts on demande une plus grande sécurité. Mais, tant que ne s’éliminent pas l’exclusion sociale et la disparité sociale, dans la société et entre les divers peuples, il sera impossible d’éradiquer la violence. On accuse les pauvres et les populations les plus pauvres de la violence, mais, sans égalité de chances, les différentes formes d’agression et de guerre trouveront un terrain fertile qui tôt ou tard provoquera l’explosion. Quand la société – locale, nationale ou mondiale – abandonne dans la périphérie une partie d’elle-même, il n’y a ni programmes politiques, ni forces de l’ordre ou d’intelligence qui puissent assurer sans fin la tranquillité. Cela n’arrive pas seulement parce que la disparité sociale provoque la réaction violente de ceux qui sont exclus du système, mais parce que le système social et économique est injuste à sa racine. De même que le bien tend à se communiquer, de même le mal auquel on consent, c’est-à-dire l’injustice, tend à répandre sa force nuisible et à démolir silencieusement les bases de tout système politique et social, quelle que soit sa solidité. Si toute action a des conséquences, un mal niché dans les structures d’une société comporte toujours un potentiel de dissolution et de mort. C’est le mal cristallisé dans les structures sociales injustes, dont on ne peut pas attendre un avenir meilleur. Nous sommes loin de ce qu’on appelle la “fin de l’histoire”, puisque les conditions d’un développement durable et pacifique ne sont pas encore adéquatement implantées et réalisées.
60. Les mécanismes de l’économie actuelle promeuvent une exagération de la consommation, mais il résulte que l’esprit de consommation effréné, uni à la disparité sociale, dégrade doublement le tissu social. De cette manière, la disparité sociale engendre tôt ou tard une violence que la course aux armements ne résout ni résoudra jamais. Elle sert seulement à chercher à tromper ceux qui réclament une plus grande sécurité, comme si aujourd’hui nous ne savions pas que les armes et la répression violente, au lieu d’apporter des solutions, créent des conflits nouveaux et pires. Certains se satisfont simplement en accusant les pauvres et les pays pauvres de leurs maux, avec des généralisations indues, et prétendent trouver la solution dans une “éducation” qui les rassure et les transforme en êtres apprivoisés et inoffensifs. Cela devient encore plus irritant si ceux qui sont exclus voient croître ce cancer social qui est la corruption profondément enracinée dans de nombreux pays – dans les gouvernements, dans l’entreprise et dans les institutions – quelle que soit l’idéologie politique des gouvernants.


 

 

 


dimanche 24 novembre 2013

Actualité: NON au traité transatlantique (EU/USA), NON à TAFTA


En parlant de TAFTA autour de moi je me suis rendu compte que la grande majorité des citoyens (français, danois, italiens etc.) n'est même pas au courant de ce traité commercial de libre-échange que l'Europe négocie en notre nom, de manière anti-démocratique et dans l'opacité la plus totale, avec les Etats-Unis. Il faut dire que nos média généralistes sont très discrets sur le sujet et que la manifestation de ce dimanche 24 novembre à Paris contre TAFTA ne semble pas avoir été relayée ni par TF1 ni par France 2... D'où l'importance de s'informer par soi-même via Internet étant donnés les dangers économiques, écologiques, alimentaires et sanitaires que ce traité implique pour les européens s'il était finalement signé par l'UE et les USA... Nous avons l'exemple de l'ALENA pour ne pas commettre en Europe la même erreur que le gouvernement mexicain. Voir ci-dessous le lien vers le documentaire "Les déportés du libre-échange". Ce traité anéantira le peu de souveraineté et de liberté que l'Union européenne a consenti à laisser aux Etats membres, et ce au profit exclusif de multinationales sans éthique et d'une cupidité sans bornes... Ce traité est une attaque frontale contre la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes et à décider de manière démocratique de ce qu'ils veulent et de ce qu'ils refusent.

http://stoptafta.wordpress.com/

http://www.youtube.com/watch?v=LcX08AQfbEA

1er décembre: nouvelle année liturgique (A)

Une sélection de mes homélies pour la nouvelle année liturgique A (éditions Croix du salut):
https://www.morebooks.de/store/fr/book/hom%C3%A9lies-pour-l-ann%C3%A9e-liturgique-a/isbn/978-3-8416-9853-7

Le Christ Roi de l'univers


Le Christ Roi de l’univers / C

24/11/13

Colossiens 1, 12-20

La fête du Christ Roi de l’univers marque la fin de notre année liturgique. En ce dimanche je voudrais méditer sur la royauté du Christ à partir de la deuxième lecture. Dans cette lecture saint Paul nous invite à rendre grâce à Dieu le Père parce qu’ « il nous a fait entrer dans le royaume de son Fils bien-aimé ». Nous le voyons le royaume n’est pas seulement une réalité à venir, lors du retour du Christ à la fin des temps, le royaume est une réalité déjà présente à laquelle nous participons en tant que chrétiens : « Le royaume de Dieu est au milieu de vous ». Dans la prière du Seigneur nous demandons au Père : « Que ton règne vienne ». Qu’il vienne à la fin des temps et chaque jour de notre histoire humaine. Le royaume de Dieu et le royaume du Christ sont des réalités qui se confondent car Dieu règne par l’œuvre de son Fils. Dans le magnifique passage de sa lettre aux Colossiens Paul affirme la divinité de Jésus. Il est tout d’abord « l’image du Dieu invisible ». Connaître le Christ par la foi c’est donc avoir accès au mystère même de Dieu. « Il est avant tous les êtres et tout subsiste en lui » : en tant que Fils de Dieu Jésus transcende toute la création. Comme Dieu lui-même le Fils est sans commencement. Il est donc roi parce qu’en tant que Fils unique il participe à la royauté divine elle-même. Saint Paul nous montre que cette royauté du Christ s’exprime à travers deux réalités essentielles : son rôle de créateur et sa mission de sauveur. Etre roi c’est donc d’abord donner la vie. Jésus est « le premier-né par rapport à toute créature ». Dans la communion de la Sainte Trinité il est créateur de tout ce qui existe : « C’est en lui que tout a été créé… Tout est créé par lui et pour lui ». Ces affirmations de saint Paul nous rappellent celles de saint Jean dans son prologue :

Au commencement était le Verbe, la Parole de Dieu, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. Par lui, tout s'est fait, et rien de ce qui s'est fait ne s'est fait sans lui.

 

Le Christ est aussi Roi parce qu’il est l’auteur de notre salut : « tête du corps » qui est l’Eglise. « Premier-né par rapport à toute créature » il est aussi « le premier-né d’entre les morts ». L’apôtre Paul fait ce beau parallèle entre le Christ qui donne la vie à toute créature et le Christ qui, le premier, est ressuscité d’entre les morts le jour de Pâques. Le Christ est donc roi par sa résurrection et sa victoire définitive sur la mort. Le mystère pascal qu’il a vécu au milieu de nous en épousant notre nature humaine donne à Jésus « la primauté ». La fin de la deuxième lecture nous ouvre des perspectives grandioses quant à la royauté du Christ :

 

Car Dieu a voulu que dans le Christ toute chose ait son accomplissement total. Il a voulu tout réconcilier par lui et pour lui, sur la terre et dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix.

 

Puisque tout ce qui existe a été créé dans le Christ, il est logique que « toute chose ait son accomplissement total » en lui. La royauté du Christ est universelle et cosmique. Elle ne concerne pas seulement le salut des hommes mais le salut de toute la création. L’œuvre de réconciliation accomplie par Jésus touche en effet tous les êtres. En lui c’est toute la création, du stade minéral au règne animal en passant par le stade végétal, qui est appelée à connaître la paix du royaume. La traduction de la Bible Osty propose la formule suivante : « pacifiant par le sang de sa croix soit ce qui est sur la terre, soit ce qui est dans les cieux ». Le Christ est donc roi de paix. Sa royauté consiste à restaurer les relations que notre péché ne cesse de détruire à la suite du péché d’Adam et d’Eve : relation entre les hommes et Dieu, relations entre les hommes, et relation entre notre humanité et toute la création. L’Evangile de cette fête nous montre que le royaume instauré par Jésus c’est le paradis. Au bon larron qui le supplie de l’accueillir dans son royaume le crucifié répond : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis ». Jésus-Christ est donc roi parce qu’il donne la vie, parce qu’il répare ce que notre péché a détruit et enfin parce qu’il offre la paix de Dieu à toutes les créatures. Nous sommes les membres de son royaume chaque fois que nous luttons pour le respect de la vie sous toutes ses formes, chaque fois que nous refusons l’égoïsme du péché et chaque fois que nous nous engageons pour la réconciliation et pour la paix entre les hommes, entre les nations et avec la création.

 

 

dimanche 17 novembre 2013

33ème dimanche du temps ordinaire



33ème dimanche du TO/C

17/11/13

Luc 21, 5-19

Le dimanche qui précède la fête du Christ Roi, donc la fin de notre année liturgique, nous parle toujours du sens de notre histoire humaine. La Bible nous montre comment Dieu se révèle progressivement dans l’histoire d’un petit peuple : Israël. Le mystère de l’incarnation marque l’accomplissement de cette révélation et l’entrée dans les temps qui sont les derniers. Ecoutons le commencement de la lettre aux Hébreux :

Souvent, dans le passé, Dieu a parlé à nos pères par les prophètes sous des formes fragmentaires et variées ; mais, dans les derniers temps, dans ces jours où nous sommes, il nous a parlé par ce Fils qu'il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes.

 

L’ère chrétienne dans laquelle nous nous trouvons est donc celle des derniers temps. Avec l’Alliance nouvelle et éternelle la fin de notre monde tel que nous le connaissons a déjà commencé. Il est inutile de chercher à connaître la date de la fin du monde, c’est-à-dire le moment de la fin de notre histoire humaine. Les premiers chrétiens pensaient que la fin du monde était toute proche. Certains avaient même arrêté de travailler puisque la figure de ce monde était en train de passer. Cela explique l’exhortation au travail que Paul adresse aux Thessaloniciens dans la deuxième lecture. Quelques années plus tard, à la fin du premier siècle, le Christ n’était toujours pas revenu dans la gloire, alors certains chrétiens commençaient à douter. C’est à eux que s’adresse la deuxième lettre de Pierre :

 

Mes bien-aimés, il y a une chose que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour. Le Seigneur n'est pas en retard pour tenir sa promesse, comme le pensent certaines personnes ; c'est pour vous qu'il patiente : car il n'accepte pas d'en laisser quelques-uns se perdre ; mais il veut que tous aient le temps de se convertir.

 

Beaucoup de prophètes avaient annoncé le jour du Seigneur, jour correspondant au jugement dernier et marquant le terme de notre histoire humaine. La première lecture nous donne l’annonce de ce jour dans le livre de Malachie. Le jour du Seigneur sera le temps de la justice comme nous le rappelle le psaume : « Acclamez le Seigneur, car il vient pour gouverner la terre, pour gouverner le monde avec justice et les peuples avec droiture ! » Tous les hommes affamés de justice, chrétiens ou hommes de bonne volonté, souffrent en voyant le déroulement de notre histoire humaine, si contraire au projet de Dieu pour notre humanité. Dans sa lettre aux Romains saint Paul décrit cette souffrance de la création dans l’attente de l’accomplissement de notre histoire humaine à la fin des temps :

 

J'estime donc qu'il n'y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que Dieu va bientôt révéler en nous. En effet, la création aspire de toutes ses forces à voir cette révélation des fils de Dieu. Car la création a été livrée au pouvoir du néant, non parce qu'elle l'a voulu, mais à cause de celui qui l'a livrée à ce pouvoir. Pourtant, elle a gardé l'espérance d'être, elle aussi, libérée de l'esclavage, de la dégradation inévitable, pour connaître la liberté, la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons bien, la création tout entière crie sa souffrance, elle passe par les douleurs d'un enfantement qui dure encore. Et elle n'est pas seule. Nous aussi, nous crions en nous-mêmes notre souffrance ; nous avons commencé par recevoir le Saint-Esprit, mais nous attendons notre adoption et la délivrance de notre corps.

 

C’est dans ce contexte biblique que nous pouvons mieux comprendre le sens de l’évangile de ce dimanche. C’est à partir d’une remarque de ses disciples que Jésus envisage l’avenir de notre histoire. Même le temple de Jérusalem sera détruit. En disant cela le Seigneur n’annonce pas seulement la venue des armées romaines et la destruction de Jérusalem en 70. Il nous fait comprendre que même les choses les plus sacrées, le temple en faisait partie, sont passagères et ne doivent pas être absolutisées. Au regard de l’ensemble de l’histoire humaine ce n’est pas le temple de Jérusalem et son culte qui sont importants mais l’œuvre de l’Esprit Saint dans le cœur des hommes. Le temple que Dieu désire c’est chacun d’entre nous. Et c’est bien par l’offrande de sa personne sur la croix que le Christ nous permet de devenir des sanctuaires de la sainte Trinité. Dans son discours le Seigneur mêle des perspectives historiques différentes : la ruine de Jérusalem et la persécution des premiers chrétiens d’une part, et la venue du jour du Seigneur de l’autre. La fin des temps n’arrivera pas avant que les disciples ne soient persécutés. Les romains détruiront le temple de pierre mais tout au long des âges de l’histoire on cherchera à détruire l’Eglise, corps du Christ. C’est au milieu d’un monde passant par les douleurs d’un enfantement qui dure encore que nous sommes témoins de notre espérance. C’est au sein des tribulations de notre histoire humaine que nous possédons déjà la vie éternelle. Notre attachement au Christ ne fait pas de nous des optimistes béats. Il implique au contraire une lutte pour la vérité et la justice, un engagement de chaque jour pour que la création nouvelle puisse advenir. Oui, c’est par notre persévérance que nous obtiendrons la vie. Les difficultés et les oppositions inévitables ne doivent jamais nous faire oublier la promesse du Seigneur :

 

« Le Soleil de justice se lèvera : il apportera la guérison dans son rayonnement ».

 

 

 

 


lundi 11 novembre 2013

Messe de Requiem pour les défunts des guerres (11 novembre)


Messe de Requiem du 11 novembre 2013

Mes chers frères et sœurs, prier pour le repos de l’âme de nos défunts, comme nous le faisons en ce 11 novembre pour les victimes militaires et civiles des deux guerres mondiales, est la plus grande preuve de notre charité à leur égard. Depuis un certain nombre d’années on parle avec raison du devoir de mémoire. C’est ce devoir qui nous rassemble en cette cathédrale. Mais si le devoir de mémoire était uniquement tourné vers le passé il serait inutile. Nous avons à tirer des leçons des erreurs, des fautes et des crimes commis dans le passé pour ne plus recommencer et pour préserver le bien commun de la paix entre les nations. Il y a 50 ans le bienheureux pape Jean XXIII écrivait l’encyclique Pacem in terris. Ce document fondamental est à l’origine de l’enseignement constant de l’Eglise et des papes sur la grave question de la promotion de la paix. Cet enseignement fait partie de la doctrine sociale de l’Eglise. Depuis le 1er janvier 1968, date à laquelle le pape Paul VI institua la première journée mondiale de prière pour la paix, cet enseignement est sans cesse repris, approfondi et actualisé. Dans Pacem in terris Jean XXIII s’adressait non seulement aux catholiques mais à tous les hommes de bonne volonté. Il nous donnait les 4 piliers qui assurent la paix dans notre monde : la vérité, la justice, la charité, la liberté. Il parlait entre autres choses de la responsabilité des grandes puissances vis-à-vis des pays économiquement sous-développés ou n’ayant pas la capacité militaire de se défendre. Le principe de la liberté « interdit aux nations toute ingérence dans les affaires internes des autres comme toute action oppressive à leur égard… L’aide apportée à ces peuples ne peut s'accompagner d'aucun empiétement sur leur indépendance… Les communautés politiques économiquement développées, dans leur action multiforme d'assistance aux pays moins favorisés, sont tenues de reconnaître et de respecter les valeurs morales et les particularités ethniques de ceux-ci, et de s'interdire à leur égard le moindre calcul de domination. C'est ainsi qu'elles apportent « une précieuse contribution à la formation d'une communauté mondiale, dont tous les membres, conscients de leurs obligations comme de leurs droits, travailleraient sur un pied d'égalité à la mise en œuvre du bien commun universel. » Et il définissait ainsi quelle doit être la mission de l’ONU : « Le but essentiel de l'Organisation des Nations Unies est de maintenir et de consolider la paix entre les peuples, de favoriser et de développer entre eux des relations amicales, fondées sur le principe de l'égalité, du respect réciproque et de la collaboration la plus large dans tous les secteurs de l'activité humaine. » Nous le remarquons le principe de l’égalité entre les nations est nécessaire pour que l’ONU puisse jouer correctement son rôle. Lors de sa visite à l’ONU Paul VI revenait sur ce principe : « que personne, en tant que membre de votre union, ne soit supérieur aux autres: Pas l'un au-dessus de l'autre. C'est la formule de l'égalité. » Du point de vue chrétien il est évident que non seulement tous les hommes jouissent d’une égale dignité mais aussi qu’aux yeux de Dieu il n’existe pas de nation ou de race supérieure aux autres. Dieu bénit toutes les nations et tous les peuples. L’impérialisme des grandes puissances a toujours constitué une grande menace pour la paix. Pour le 10ème anniversaire de Pacem in terris le cardinal Roy adressa une lettre à Paul VI. Dans ce document il montre qu’une nouvelle forme d’impérialisme s’est développé : le néo-colonialisme économique qu’il s’agit de combattre si nous voulons la paix. Il signale « les agressions et les oppressions des infrastructures lourdes et des nouvelles puissances financières, industrielles, commerciales, dans leur course au monopole ou à la domination, sur les terres, au fond des mers, et dans l’espace ». Le cardinal revient aussi sur la nécessité morale de stopper la course aux armements qu’il qualifie de danger, d’injustice et de vol, de folie et d’erreur. Cette course aux armements est une injustice et un vol car « les budgets fabuleux ainsi affectés constituent un véritable détournement de fonds et un gaspillage des pays riches qui représente déjà une agression à l’égard des pays ou des catégories sociales défavorisées ». En plus de la tentation impérialiste et de la réalité du néo-colonialisme dans le domaine économique une autre menace pèse sur la paix entre les peuples : celle du patriotisme aveugle. Le patriotisme est une bonne chose quand il demeure ouvert à l’universel et aux exigences de la raison humaine. Mais le patriotisme aveugle consiste à apporter un soutien inconditionnel à toutes les décisions d’un gouvernement même si elles s’avèrent moralement critiquables. Dans un tel contexte le cardinal Roy mentionne comme faisant partie des droits de l’homme le droit au dissentiment et celui à l’objection de conscience dans le domaine militaire.

En 2009 M. Obama a reçu le prix Nobel de la paix. Cela a créé dans le monde « une controverse considérable » pour reprendre l’expression utilisée par M. Obama lui-même. La prison militaire de Guantanamo n’est toujours pas fermée et la guerre des drones a fait des centaines de victimes, en particulier au Pakistan qui est un état souverain. Lorsque des présumés terroristes sont enlevés et emprisonnés ou bien encore tués sans jugement préalable c’est la force de l’arbitraire et non pas celle du droit qui domine. Et lorsque les droits de l’homme sont bafoués, comme celui de l’habeas corpus, de la présomption d’innocence et celui d’être jugé au cours d’un procès équitable avec l’assistance d’un avocat, c’est la cause de la paix qui régresse. Peut-être ce prix Nobel de la paix aurait-il dû être attribué à un petit pays d’Amérique centrale, le Costa Rica, qui est un pays sans armée depuis 1948…

Nous sommes tous responsables de la promotion de la paix mais nos gouvernants devront rendre compte à Dieu d’une manière particulière de leur gestion au jour du jugement. C’est l’enseignement du livre de la Sagesse :

Soyez attentifs, vous qui commandez aux foules, qui vous vantez de la multitude de vos peuples. Car la domination vous a été donnée de la part du Seigneur, et le pouvoir de la part du Très-Haut, lui qui examinera votre conduite et scrutera vos intentions. En effet, vous étiez les serviteurs de sa royauté, et vous n'avez pas rendu la justice avec droiture, ni observé la Loi, ni vécu selon les intentions de Dieu. Terrifiant et rapide il fondra sur vous, car un jugement implacable s'exerce sur les grands ; le petit obtient le pardon et la miséricorde, mais les puissants seront jugés avec puissance. Le Souverain de l'univers ne reculera devant personne, il ne se laissera influencer par aucune grandeur ; car les petits comme les grands, c'est lui qui les a faits, et il prend soin de tous pareillement. Les puissants seront soumis à une enquête rigoureuse.

 

 

 

dimanche 3 novembre 2013

TOUSSAINT



Toussaint 2013

Qu’est-ce que la sainteté chrétienne ? La Bible répond de bien des manières à cette question que nous pouvons nous poser en cette fête de la Toussaint. La sainteté est une réalité tellement riche qu’il est impossible en effet de l’enfermer dans une seule définition. C’est logique si l’on comprend bien que la sainteté est un don de Dieu et qu’elle est dans la personne des saints et des saintes un reflet de sa gloire. Personne ne peut définir qui est Dieu de manière satisfaisante. Seul Jésus nous a montré en sa personne, par ses actes et ses paroles, qui est Dieu. Aussi lorsque la Bible nous dit que Dieu est amour ou qu’il est esprit, elle nous enseigne bien la vérité. Mais en disant cela elle ne prétend pas enfermer le mystère de Dieu dans nos pauvres définitions humaines, forcément limitées et imparfaites. Il en va de même pour la sainteté, tout simplement parce que la sainteté des hommes est une participation à la sainteté de Dieu. Aussi la Bible n’est-elle pas pour nous la seule source nous permettant de comprendre ce qu’est la sainteté. La fête de la Toussaint est là pour nous dire la richesse de la sainteté chrétienne tout au long de l’histoire du peuple de Dieu. Richesse et diversité car chaque saint, chaque sainte, incarne en quelque sorte un aspect de la sainteté de Dieu à une époque particulière. Les saints et les saintes sont des membres éminents du corps mystique, de l’Eglise. L’image que Paul emploie pour nous parler de l’Eglise, celle du corps du Christ, indique bien la nécessaire diversité de la sainteté. De la même manière que dans un corps il faut des membres différents ainsi les saints et les saintes forment ensemble dans leur diversité l’unique image du visage du Christ. D’une certaine manière les saints et les saintes prolongent dans l’histoire de l’Eglise le mystère de l’incarnation. Depuis l’Ascension Jésus n’est plus présent parmi nous de manière visible. Les saints et les saintes rendent présent le Christ Ressuscité à notre humanité. De ce point de vue on pourrait dire que les saints et les saintes forment ensemble comme un huitième sacrement : ils rendent présent le Christ et nous attirent à la communion avec lui.

Je voudrais méditer brièvement sur la sainteté chrétienne à partir d’un texte de saint Paul, dans sa lettre aux Galates, texte qui ne se trouve pas dans la liturgie de la Parole de cette fête et que je cite donc maintenant :

Je vous le dis : vivez sous la conduite de l'Esprit de Dieu ; alors vous n'obéirez pas aux tendances égoïstes de la chair. Car les tendances de la chair s'opposent à l'esprit, et les tendances de l'esprit s'opposent à la chair. En effet, il y a là un affrontement qui vous empêche de faire ce que vous voudriez. Mais en vous laissant conduire par l'Esprit, vous n'êtes plus sujets de la Loi. Voici ce que produit l'Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, humilité et maîtrise de soi.

 

Paul nous montre que notre nature humaine, blessée par le péché, nous empêche de réaliser notre vocation de chrétiens qui est la sainteté. Pour que Dieu puisse vivre sa vie en nous, nous devons nous en remettre à lui par la foi : nous laisser conduire par son Esprit. L’Esprit nous délivre d’une vision légaliste de la sainteté : celle-ci ne consiste pas d’abord à être fidèle à une loi ou à des commandements. La sainteté c’est surtout le désir de Dieu, le désir de vivre en communion avec le Christ. Si nous nous laissons conduire par l’Esprit alors nous sommes sur ce chemin de vie qui fera de nous des saints et des saintes. Nous le voyons la vocation à la sainteté ne s’adresse pas à des hommes parfaits mais bien à des hommes de chair qui connaissent en eux la lutte entre les tendances égoïstes de leur nature et la charité de l’Esprit. Paul cite 9 aspects de l’unique fruit que porte en nous l’Esprit si nous l’accueillons et le prions. Pour savoir si nous nous laissons vraiment conduire par l’Esprit nous pouvons donc nous demander si ces fruits sont à l’œuvre dans notre vie. Les trois premiers (amour, joie et paix) sont essentiels. Les autres peuvent se regrouper en trois groupes : patience et maîtrise de soi, bonté et bienveillance, foi et humilité. Toutes ces qualités du cœur, ces attitudes spirituelles mériteraient un long commentaire. Mais la sainteté est peut-être d’abord une affaire de patience. Le véritable amour ne nous donne pas seulement le désir de faire le bien et de le rayonner autour de nous. Il nous donne aussi la force de supporter le mal qui est en nous et dans notre monde. La sainteté est un chemin, celui de toute notre vie, avec des moments de réussite et d’échec. D’où l’importance de la vertu de patience pour ne pas se décourager et garder en nous vivante l’espérance de la communion parfaite avec le Christ et avec nos frères et sœurs du ciel, les saints et les saintes.