dimanche 30 décembre 2012

LA SAINTE FAMILLE



 

Dans la lumière du temps de Noël la liturgie nous invite à contempler la sainte famille de Jésus, Marie et Joseph. Le mystère de l’incarnation a pour conséquence que le Fils de Dieu, lui aussi, a eu une famille humaine dans laquelle il a été accueilli, il a grandi et a été éduqué. Une famille certes un peu particulière puisque Joseph n’est pas le géniteur de Jésus. Une famille un peu unique dont tous les membres sont saints. Il est intéressant de relever que cette sainteté n’enlève rien au caractère véritablement humain de la famille de Jésus. Les évangélistes qui nous parlent de certains aspects de l’enfance du Christ, Matthieu et Luc, ne nous présentent pas une famille vivant dans une béatitude parfaite, exemptée des difficultés ordinaires des hommes. La vie de la sainte famille ne ressemble pas aux représentations qu’en donnent les images pieuses à l’eau de rose. Certains peintres qui étaient de véritables artistes ont représenté les membres de la sainte famille d’une manière beaucoup plus réaliste, je pense en particulier au Caravage qui, à son époque, a fait scandale… Tellement on avait oublié, dans les mentalités, pas dans la profession de foi bien sûr, la véritable humanité du Fils de Dieu et de sa famille. L’évangile de ce dimanche est le seul témoignage que nous ayons sur cette longue période de la vie cachée de Jésus, se situant entre sa naissance et son baptême dans les eaux du Jourdain. Nous savons par saint Luc que Marie et Joseph étaient de bons Juifs pratiquants et qu’ils respectaient à ce titre les traditions religieuses, dont le pèlerinage annuel à Jérusalem pour la fête de la Pâque. Mais voilà que le jeune Jésus, âgé de 12 ans, vient bouleverser les traditions, déjà… Au lieu de se contenter de faire le pèlerinage comme tout le monde il décide de rester à Jérusalem non pas pour y faire une fugue mais pour parler dans le Temple avec les docteurs de la Loi. Cet enfant leur pose des questions. Il ne se contente pas de suivre pieusement la coutume. Il veut comprendre et approfondir. Il montre sa curiosité et son avidité de savoir. Il semble aussi, situation surprenante, qu’il ait répondu avec une intelligence remarquable aux questions des savants religieux. Dès l’âge de 12 ans il met en pratique ce dialogue du salut qui marquera toutes les rencontres qu’il fera pendant son ministère public bien des années plus tard. Dans le cadre de la coutume voilà donc du nouveau qui apparaît. Ses parents bien sûr se sont inquiétés de ne pas le trouver dans la caravane du retour vers Nazareth. Et c’est Marie qui se fait la porte-parole de cette inquiétude lorsqu’il est enfin retrouvé dans le Temple : « Pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comment nous avons souffert en te cherchant ». Cela devrait rassurer tous les parents de constater que le jeune Jésus, lui aussi, parfaitement saint, a fait souffrir ses parents. Dans la réponse de cet adolescent nous trouvons un reproche à peine voilé : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne le saviez-vous pas ? » Quant à la réponse elle-même, « C’est chez mon Père que je dois être », elle n’a pas satisfait les pauvres parents tourmentés par l’attitude étrange de leur enfant. Ils n’ont même pas pu comprendre le sens de cette déclaration. Dans la sainte famille il y a donc eu de l’incompréhension entre Jésus et ses parents. C’était bien une famille humaine comme les nôtres. Comme nous le voyons la sainteté ne supprime pas l’humanité dans les relations familiales. Ce que le jeune Jésus déclare dans le Temple, lieu de la présence divine, aurait dû rappeler à sa mère la révélation de l’ange lors de l’annonciation. Son enfant a Dieu pour Père. Il a été enfanté en elle par la puissance de l’Esprit Saint. Mais au-delà du cas unique de la sainte famille c’est une belle occasion de méditation pour tous les parents chrétiens : « C’est chez mon Père que je dois être ». Les parents chrétiens doivent se souvenir qu’ils n’ont pas donné la vie. Ils l’ont transmise en collaborant à l’œuvre de Dieu créateur. En ce sens la célèbre formule de Khalil Gibran, « vos enfants ne sont pas vos enfants », est exacte. Transmettre la vie c’est s’engager à ne pas posséder ses enfants. Les parents qui l’oublient et ne respectent pas la juste liberté et autonomie de leurs enfants seront bien vite rappelés à la réalité par les événements. Dans ce récit le jeune Jésus témoigne de sa liberté en même temps qu’il demeure soumis à ses parents. C’est une tâche délicate et difficile pour les parents chrétiens de susciter la liberté de leurs enfants tout en exigeant d’eux le respect. Notre évangile se termine par une phrase qui pourrait constituer un programme parfait pour tous les éducateurs de jeunes : « Quant à Jésus, il grandissait en sagesse, en taille et en grâce sous le regard de Dieu et des hommes ».


mardi 25 décembre 2012

NATIVITE DU SEIGNEUR



 

La messe de la nuit de Noël nous fait entendre le récit de saint Luc, un récit qui, en décrivant les circonstances de la naissance de l’enfant Jésus, correspond bien à l’image que nous nous faisons de Noël, en particulier grâce à nos crèches et aux innombrables peintures ayant tenté de représenter cet événement. La messe du jour nous donne à entendre le magnifique prologue de l’évangile selon saint Jean. Ici aucune image n’est capable d’évoquer le message de l’évangéliste. Nous ne sommes plus dans un récit de type historique mais dans une grandiose méditation théologique du mystère de l’incarnation. Jean ne nous parle pas d’un petit bébé dans une crèche mais du Verbe qui s’est fait chair. C’est un certain Denys le petit qui au 6ème siècle a été chargé par le pape Jean 1er de préciser la date de la naissance du Christ. A cause d’une erreur de calcul faite par Denys les historiens estiment que le Christ est né entre 2 et 7 avant Jésus-Christ ! Mais là n’est pas le plus important bien sûr ! Nous avons la grâce de vivre dans l’ère chrétienne. Comme on le disait autrefois en l’année du Seigneur 2012 ou encore en l’an de grâce 2012. Je voudrais à partir de cette dernière expression et du prologue de l’évangile méditer avec vous un aspect de ce mystère central de notre foi, l’incarnation. Mystère qui rend la religion chrétienne totalement unique par rapport aux deux autres religions monothéistes que sont le Judaïsme et l’Islam. Affirmer de Dieu qu’il a assumé en son Fils unique notre condition humaine, qu’il s’est fait l’un de nous, notre frère en humanité, c’est là en effet le propre de la révélation chrétienne. Dieu n’est plus seulement là-haut dans les cieux, transcendant et tout autre. Il est d’abord l’Emmanuel, Dieu avec nous, qui a voulu naître parmi nous d’une femme, la Vierge Marie. La lettre aux Hébreux nous rappelle que dans le mystère de l’incarnation Dieu nous parle. Le nom choisi par Jean, le Verbe, pour désigner le Christ nous dit la même chose. Dieu épouse notre humanité en son Fils pour nous parler de grâce et de vérité. Ce Verbe éternel qui entre dans notre histoire est « plein de grâce et de vérité ». Et si la Loi a été donnée aux hommes par Moïse, « la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ ». D’où la belle expression citée plus haut : l’an de grâce 2012. Si nous regardons dans le Petit Larousse la définition de la grâce au sens courant du terme nous y trouvons : « Faveur que l’on fait sans y être obligé ; bonne disposition ; bienveillance ; charme particulier, beauté ». Le sens chrétien du mot reprend le sens courant en lui donnant une portée surnaturelle dans le cadre de la révélation. La grâce de Dieu en Jésus-Christ est une réalité essentielle dans tout le Nouveau Testament, en particulier chez saint Paul. Le mot y est utilisé 191 fois. Célébrer Noël c’est donc se rappeler que, librement et par amour, Dieu a voulu aller le plus loin possible dans la révélation de son mystère. Il a voulu nous sauver du dedans, à partir même de notre condition humaine. L’incarnation du Verbe donne à notre vie une valeur extraordinaire. Car tout ce que nous vivons, le Fils de Dieu a voulu le vivre à l’exception du péché. C’est par le Verbe que Dieu a créé notre humanité, c’est par le Verbe incarné qu’il vient lui donner un nouveau commencement à Noël. Si bien que le Concile Vatican II a pu affirmer : « Quiconque suit le Christ, homme parfait, devient lui-même plus homme ». L’ère chrétienne, l’ère de la grâce, est le temps béni de notre humanisation et de notre divinisation. Car c’est dans la mesure où l’homme est uni toujours plus étroitement à Dieu par le Christ qu’il devient davantage homme. Cette ère est aussi celle de la vérité. Cette vérité du Christ qui est une lumière pour guider notre existence de chaque jour. Cette vérité qui n’est pas d’abord une théorie de plus mais une voie dans laquelle nous devons marcher. « Celui qui pratique la vérité vient à la lumière » dit le Seigneur à Nicodème. Et aux Juifs il affirme que la vérité rend libre. L’amour divin manifesté dans la pauvreté et l’humilité de Noël nous offre cette grâce de libération. Ce bébé qui est la Parole de Dieu nous enseigne déjà comment vivre en hommes libres, en chrétiens. Si nous accueillons vraiment la grâce de Noël nous comprendrons qu’au plus nous aimons en vérité au plus nous serons libres. Et c’est encore au Concile que je laisserai le soin de conclure :

« La loi fondamentale de la perfection humaine, et donc de la transformation du monde, est le commandement nouveau de l’amour ».

 


dimanche 23 décembre 2012

Quatrième dimanche de l'Avent


 

Le dernier dimanche du temps de l’Avent nous oriente plus directement vers la célébration de Noël qui, cette année, commencera demain soir. Marie ou Joseph sont au centre de ce dimanche. L’évangile de cette liturgie nous rapporte la visitation de Marie à Elisabeth. C’est cet événement que nous méditons dans le deuxième mystère joyeux du rosaire. Souvenons-nous de ce que l’ange avait dit à Marie lors de l’annonciation :

Et voici qu'Élisabeth, ta cousine, a conçu, elle aussi, un fils dans sa vieillesse et elle en est à son sixième mois, alors qu'on l'appelait : 'la femme stérile'. Car rien n'est impossible à Dieu.

 

Marie vient donc de dire « oui » à la volonté du Seigneur sur elle.  Lorsqu’elle quitte Nazareth pour aller visiter Elisabeth, en Judée, elle porte déjà en elle celui qui sera appelé Jésus. La visitation ce n’est pas seulement la rencontre de deux femmes, Marie et Elisabeth, mais aussi celle de deux enfants encore dans le sein de leur mère : Jésus et Jean. Ce récit de saint Luc se déroule en l’absence d’hommes. Le prêtre Zacharie est seulement mentionné mais il ne joue aucun rôle dans cette rencontre. La visitation c’est une histoire de femmes et d’enfants même pas encore nés. Or dans le Judaïsme de ce temps, comme dans beaucoup d’autres civilisations, seuls les hommes comptaient. Ce que Jésus, plus tard, remettra en question en s’adressant aux femmes comme à des personnes adultes et autonomes ainsi qu’en accueillant et en bénissant les enfants. Tout le récit de saint Luc est traversé par la joie. Marie, et l’enfant dans son sein, apportent la joie à Elisabeth et à Jean. Cette joie est celle de l’Esprit Saint dont Elisabeth est remplie en recevant la salutation de Marie. Notons-le, Marie, la mère du Seigneur, n’a pas besoin de faire quelque chose d’extraordinaire pour répandre autour d’elle cette joie qui ne vient pas des hommes. Sa seule présence, ses simples paroles de salutation, toutes banales, suffisent à donner la joie de Dieu. Ce récit nous rappelle que porter Jésus en nous c’est toujours porter à nos frères le bonheur de Dieu. Avant même le grand mystère de l’incarnation c’est de ce bonheur dont sont comblés Elisabeth et son enfant. Dans sa joie Elisabeth nous montre aussi quel est le bonheur de Marie, celui de croire à la Parole de Dieu : « Heureuse, celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur ». A l’autre bout de l’évangile, au moment justement de l’accomplissement final, sur le calvaire, Jésus mourant donnera sa mère à Jean et confiera Jean à sa mère. Depuis ce moment solennel Marie est aussi la mère de l’Eglise, la mère de chaque croyant. Beaucoup de saints et de saintes ont trouvé en Marie la cause de leur joie. Il en va de même pour nous. Comme Elisabeth nous pouvons être comblés de la joie de Dieu en laissant Marie entrer dans notre maison intérieure. La prière du chapelet, que Jean-Paul II affectionnait particulièrement, si elle est bien priée, si elle nous porte vraiment à méditer les mystères de Jésus avec Marie et par elle, nous permet de faire cette expérience merveilleuse de la douce joie chrétienne et de la paix venant de l’Esprit-Saint.

Ce récit de la visitation peut être aussi interprété à un niveau allégorique. Il est la rencontre d’une jeune fille vierge et d’une femme âgée et stérile. Marie représente la nouveauté de l’Alliance qui va commencer à partir de Noël. Elisabeth, femme d’un prêtre officiant dans le temple, représente quant à elle l’ancienne Alliance. En poursuivant cette comparaison on comprend alors que seule la nouvelle Alliance peut apporter à l’ancienne la joie de Dieu. Car seul Jésus dans le mystère de sa naissance et de toute sa vie vient accomplir les promesses de la première alliance. C’est ce que semblent avoir compris les Juifs messianiques qui, tout en restant fidèles au Judaïsme, reconnaissent en Jésus le Messie de Dieu. La deuxième lecture nous parle du Christ qui « supprime l’ancien culte pour établir le nouveau ». Avant même la naissance du Fils de Dieu à Bethléem ce sont deux femmes et deux enfants qui, dans leur rencontre, annoncent ce culte nouveau en esprit et en vérité. Dans ce culte la foi de l’homme et l’action de l’Esprit se conjugueront d’une manière admirable pour que notre humanité puisse être recréée.

dimanche 16 décembre 2012

Troisième dimanche de l'Avent


 

En ce troisième dimanche de l’Avent nous restons en compagnie de Jean le baptiste, celui qui a reçu pour mission de préparer le peuple d’Israël à accueillir la venue du Messie. C’est en donnant un baptême d’eau à ceux qui venaient à lui dans le désert que Jean veut préparer les cœurs. Recevoir ce baptême c’était s’engager à changer de vie. Pour accueillir la venue de Jésus dans nos vies le temps de l’Avent nous rappelle donc cette nécessité qui est celle de la conversion permanente du chrétien. Dans sa prédication aux accents remplis de violence et de menaces, Jean n’hésite pas à traiter de « race de vipères » ceux qui viennent à lui, le précurseur insiste sur la nécessité de changer de vie : « Montrez donc les fruits authentiques de la conversion ! ». Le passage que nous venons d’entendre nous montre que le peuple a bien entendu cet appel : « Que devons-nous faire ? » Après la Pentecôte et la première prédication de Pierre le peuple pose exactement la même question aux apôtres : « Frères, que devons-nous faire ? » Lorsque nous nous sommes laissé toucher par la Parole de Dieu nous nous posons forcément cette question : comment faire correspondre ma vie au message de la Parole de Dieu ? Le récit de saint Luc donne trois réponses à cette question, l’une pour répondre à la foule, les deux autres pour répondre à des groupes particuliers : les collecteurs d’impôt et les soldats. C’est intéressant de relever cela. Il y a en effet des principes généraux, valables pour tous, qui guident notre volonté de conversion. Et puis en fonction de notre situation personnelle, de notre métier, de notre âge et de bien d’autres choses encore, l’Evangile nous donne une lumière particulière pour savoir ce que nous devons changer dans notre manière de vivre. Commençons par regarder la réponse générale donnée par Jean à la foule : « Celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas ; et celui qui a de quoi manger, qu’il fasse de même ! » Jean annonce d’une manière très simple l’enseignement de Jésus sur le jugement dernier tel que nous le trouvons au chapitre 25 de l’évangile selon saint Matthieu. Et c’est d’ailleurs un juge qu’il annonce en la personne du Christ : « Il tient à la main la pelle à vanner pour nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera le grain dans son grenier ; quant à la paille, il la brûlera dans un feu qui ne s’éteint pas ». Se convertir, donc être prêt pour le jour du jugement, c’est peu à peu être libéré de l’égoïsme pour pouvoir partager avec ceux qui se trouvent dans le besoin. Nous serons donc jugés sur notre charité. Une charité qui ne se contente pas de discours idéalistes mais qui se traduit par des actes et des choix concrets. C’est l’exhortation de saint Jean dans sa première lettre : « Mes enfants, n’aimons pas seulement en paroles, avec nos lèvres, mais en vérité, avec des œuvres ». Voilà pour le cadre général de la conversion chrétienne. Après vient la considération de chaque situation personnelle. C’est ce que fait Jean en répondant aux collecteurs d’impôts et aux soldats. A ces deux catégories de personnes il est demandé de se contenter de qu’elles gagnent, salaire ou solde, et de ne pas en vouloir plus. Notre rapport à l’argent constitue toujours une source de tentations diverses et variées. Comme le dit saint Paul la cupidité est à la racine de la plupart des maux qui frappent notre humanité. La vertu cardinale de tempérance n’est plus très à la mode. D’après le Petit Larousse c’est elle qui nous permet pourtant de discipliner les désirs et les passions humaines. On parle aussi aujourd’hui de sobriété. Nous voyons bien le lien entre l’exigence de partage et la vertu de tempérance. L’évangile de ce dimanche nous invite donc à nous regarder dans notre situation concrète même si nous ne sommes ni militaires ni fonctionnaires des impôts ! Avec la lumière et la grâce de l’Esprit Saint nous pouvons repérer ce qu’il faut changer, et dans ce changement de notre cœur et de nos attitudes nous trouverons la joie du Seigneur Jésus.

dimanche 2 décembre 2012

Premier dimanche de l'Avent



Avec le premier dimanche de l’Avent nous commençons une nouvelle année liturgique au cours de laquelle nous méditerons plus particulièrement l’évangile selon saint Luc. L’année liturgique chrétienne commence et finit de la même manière. Le 33ème dimanche du temps ordinaire, celui avant la fête du Christ roi, et le premier dimanche de l’Avent nous présentent en effet un passage du discours de Jésus sur la fin des temps et sur son retour dans la gloire : « Jésus parlait à ses disciples de sa venue ». Ou pour le dire autrement le début et la fin de l’année chrétienne nous orientent vers l’avenir. Non pas l’avenir dans un sens simplement historique mais notre avenir du point de vue de Dieu et de son projet de salut pour notre humanité. C’est le Christ, et lui seul, parce qu’il est l’Alpha et l’Omega de toutes choses, qui nous permet de regarder cet avenir avec confiance : « Redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche ». Dans sa lettre aux Colossiens saint Paul nous décrit d’une manière admirable la place centrale du Christ dans l’accomplissement de toute la création : « Car Dieu a voulu que dans le Christ toute chose ait son accomplissement total. Il a voulu tout réconcilier par lui et pour lui, sur la terre et dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix. » Cette réconciliation universelle acquise par l’amour du Fils de Dieu ne trouvera sa perfection qu’à la fin des temps, lors de son retour « avec grande puissance et grande gloire ». Le temps de l’Avent nous oriente d’abord vers ce moment-là dont nul ne connaît ni le jour ni l’heure. L’Avent nous remet devant les yeux la belle cohérence du mystère chrétien à partir du thème de la venue du Sauveur : Il est venu à Noël, il vient chaque jour et il reviendra. La différence entre ces venues ou ces présences du Seigneur à notre humanité se trouve dans la manière dont il vient. A Noël et aujourd’hui dans l’humilité et de manière cachée, à la fin des temps avec gloire et de manière évidente. Au commencement de l’Avent l’Eglise nous fait comprendre que la meilleure manière de nous préparer au retour du Christ dans la gloire c’est de l’accueillir jour après jour dans la vie de foi, d’espérance et de charité. Pour cela nous devons nous « tenir sur nos gardes » et « faire de nouveaux progrès ». Comme le carême l’Avent est un temps de préparation, d’attente. Mais ce temps est court. Il est plus difficile de vivre spirituellement l’Avent que le carême. Comment en effet ne pas se laisser distraire ? Comment demeurer attentif à l’essentiel ? L’ambiance de nos villes en décembre ne nous porte pas à l’intériorité et au silence mais au commerce intensif. Il nous faut donc une capacité de résistance pour ne pas nous laisser engloutir par ces soucis matériels. Sans parler de la tradition danoise des nombreux repas de Noël tout au long du mois de décembre, bien avant la fête elle-même ! Comment donc faire de nouveaux progrès et bien profiter du temps de l’avent ? En limitant au maximum, donc en groupant, nos sorties pour acheter les fameux cadeaux de Noël qui, eux aussi, peuvent être limités. En consacrant du temps à la prière et à la lecture des évangiles. En ayant le désir de créer dans nos maisons une atmosphère propice au recueillement : moins de télé, de radio ; moins de temps passé sur nos écrans d’ordinateur ou d’IPhone. Il s’agit en effet de nous désencombrer du superflu qui nous divertit si bien de l’essentiel. L’Avent comme temps de l’attente nous propose aussi de revoir si possible nos rythmes de vie. Certains parmi nous, plus que d’autres, ont un emploi du temps bien chargé et un rythme de vie rapide. L’Avent ce peut être aussi l’occasion de maîtriser davantage ce rythme, de ne pas en être l’esclave, donc de ralentir et de faire des pauses même très courtes, pour mieux nous tourner vers le Seigneur qui vient. Vous le constatez : vivre l’Avent n’est pas facile car ce temps nous demande de ramer à contre-courant et de ne pas nous laisser entraîner dans le scintillement artificiel des lumières de nos villes. Scintillement finalement si triste et si vide lorsqu’il n’est pas accompagné de la joie secrète provenant de notre relation avec Jésus Emmanuel.


mardi 20 novembre 2012

A la curie romaine la soutane fait le prêtre...

Une fois n'est pas coutume je partage aux lecteurs de mon blog une réflexion sur les récentes directives vestimentaires données par le cardinal Bertone, au nom du pape, aux membres de la curie romaine:
 
Au Vatican la soutane fait le prêtre comme l’habit fait le moine
Au Vatican, le 15 octobre 2012

Éminence / Excellence Révérendissime,

Par la présente je souhaite attirer Votre attention sur l’importance de la discipline inhérente au port quotidien de l’habit ecclésiastique (soutane ou clergyman) et religieux, tel qu’il a été déterminé par la réglementation en la matière et selon les motivations présentées et expliquées en son temps par le Bienheureux Jean-Paul II dans sa Lettre du 8 septembre 1982 au Cardinal Vicaire de Rome.

En un temps où chacun est spécialement appelé à raviver la conscience et la cohérence de son identité, je viens, sur une vénérable injonction, demander à Votre Éminence / Excellence de bien vouloir assurer l’application de ce qui précède par tous les ecclésiastiques et religieux qui travaillent dans ce Dicastère/Tribunal/Service/Vicariat, en leur rappelant qu’ils ont le devoir de porter régulièrement et de manière digne l’habit qui leur est propre, en tout temps, notamment par respect du devoir d’exemplarité qui incombe surtout à tous ceux qui travaillent au service du Successeur de Pierre.

L’exemple même de ceux qui, revêtus de la dignité épiscopale, sont fidèles au port quotidien de la soutane pour eux-mêmes, pendant les heures de bureau, devient un encouragement explicite pour tous, y compris pour les Épiscopats et pour ceux qui se rendent en visite à la Curie Romaine et à la Cité du Vatican.

De plus je profite de cette lettre pour rappeler - notamment afin d’éviter des incertitudes et d’assurer l’uniformité nécessaire - que le port de la soutane est exigé pour participer à toutes les activités auxquelles le Saint-Père est présent, ainsi que pour les Assemblées Plénières et Ordinaires, les Réunions Interdicastérielles, l’accueil des Visites "ad limina" et les diverses convocations officielles du Saint-Siège.

En vous remerciant de votre collaboration, je profite volontiers de l’occasion qui m’en est donnée pour réaffirmer

à Votre Éminence/Excellence Rév.me

mes sentiments de déférence distinguée et cordiale et de dévouement dans le Seigneur

+ Tarcisio Card. Bertone

Secrétaire d’état
Après ma conversion à l’âge de 13 ans et pendant tout le temps de mon adolescence j’ai fréquenté le curé de la paroisse de mon village qui avait gardé le port de la soutane contrairement à la grande majorité de ses confrères du diocèse. J’ai toujours conservé pour ce prêtre, décédé en 1998, un souvenir mêlé d’affection et de respect. Lors de mes études au séminaire français de Rome, à partir du rite de l’admission, j’ai porté régulièrement l’habit ecclésiastique (clergyman), et je le porte toujours depuis mon ordination sacerdotale en 1993. Tout cela pour dire que je ne suis pas du tout opposé au fait que le prêtre puisse porter un habit spécifique. Pour ma part j’ai constaté que cela pouvait être parfois utile pour nouer des contacts avec des inconnus, catholiques ou pas, et engager un dialogue sur la foi et la religion avec des personnes croisées dans la rue ou dans un train. Le port de l’habit, sans être sacralisé ou absolutisé, peut donc avoir une utilité du point de vue de l’évangélisation.
Lorsque j’ai lu, via le site de Sandro Magister, les récentes directives (15 octobre 2012) du cardinal Bertone sur le port obligatoire de la soutane dans les bureaux de la Curie romaine et dans les cérémonies en présence du pape je suis resté perplexe. D’autant plus que ces directives viennent en fait du pape lui-même. Les arguments sont au nombre de trois mais l’utilité d’un habit distinctif en vue du témoignage de sa foi n’est pas signalée :
 
-       La soutane aide à affirmer l’identité du prêtre ou de l’évêque
-       Le port de la soutane est un exemple visant à encourager ceux qui ne la portent pas régulièrement dans le monde à la porter
-       Le port obligatoire de la soutane en présence du pape répond à une uniformité nécessaire.
 
Il est regrettable de donner au port de l’habit, soutane ou clergyman, une telle importance dans la conscience que le prêtre a de son identité et de sa mission. Je connais dans mon diocèse beaucoup de bons prêtres, pleinement dévoués à leur ministère, et qui ne portent aucun habit spécifique, c’est-à-dire un habit civil simple avec souvent une croix. L’identité du prêtre vient de la grâce de Dieu conférée par le sacrement de l’ordre. Et sa fidélité à cette grâce ne tient pas à un bout de tissu. Ni Jésus ni les apôtres n’ont porté de soutane. Saint Paul, le premier et le plus grand de tous les évangélisateurs, n’avait pas besoin d’une soutane pour avoir conscience de son identité et de sa mission d’apôtre, et tant d’autres à sa suite.
 
Le cardinal Bertone, et le pape à travers lui, pense que la discipline de la soutane à la Curie romaine convertira les évêques récalcitrants dans le monde qui ne portent pas cet habit de manière régulière mais, dans beaucoup de cas, un simple clergyman. C’est donc une volonté d’uniformisation extérieure. Et la soutane est bien comprise dans cette directive comme un uniforme, un peu à la manière de celui des militaires.
 
Désormais tout évêque (tout prêtre ?) qui s’approchera du pape, le rencontrera ou concélébrera lors d’une messe présidée par lui, devra porter la soutane, et cela au nom d’une uniformité nécessaire. Pourquoi donc est-elle nécessaire et au nom de quoi le texte ne le précise pas… Si Notre Seigneur Jésus-Christ se présentait au Vatican il serait donc refoulé par les gardes suisses et ne pourrait pas s’entretenir avec le chef visible de son Eglise !
 
Je regrette pour ma part cette importance donnée aux apparences extérieures et à ce qu’il faut bien appeler une étiquette de cour. Le pape n’est pourtant pas un souverain comme les autres. Il est le serviteur des serviteurs de Dieu. Depuis l’histoire de Samuel et de David nous savons que « l’homme s’arrête aux apparences » mais que « Dieu regarde le cœur » (1 Samuel 16, 7). La sainteté du clergé ne vient pas du port de la soutane. Certaines traditions ou disciplines ecclésiales devraient pouvoir être relativisées ou même remises en question au nom du seul critère décisif : leur conformité à l’esprit de l’Evangile et à l’enseignement de Jésus. On n’imagine pas un seul instant un tableau montrant Jésus et ses apôtres en soutanes sur le mont de Béatitudes. On oublie un peu trop facilement d’actualiser certains passages des Evangiles à la vie de notre Eglise en les reléguant à un passé lointain.
 
Dans son enseignement, il disait : « Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à sortir en robes solennelles et qui aiment les salutations sur les places publiques, les premiers rangs dans les synagogues, et les places d'honneur dans les dîners. Ils dévorent les biens des veuves et affectent de prier longuement : ils seront d'autant plus sévèrement condamnés. » (Marc 12, 38-40) 
 
« Méfiez-vous des scribes qui tiennent à sortir en robes solennelles et qui aiment les salutations sur les places publiques, les premiers rangs dans les synagogues et les places d'honneur dans les dîners. Ils dévorent les biens des veuves et affectent de prier longuement : ils seront d'autant plus sévèrement condamnés. » (Luc 20, 46.47) 
 
La traduction de la Bible des peuples parle de longues robes (comme celle de la Bible Osty). Pourquoi donc obliger les évêques et les cardinaux à se comporter comme les scribes dont Jésus nous dit que nous devons nous en méfier ? La critique du Seigneur à l’égard des scribes de son temps n’aurait-elle donc aucune valeur pour la hiérarchie de l’Eglise catholique de notre temps ? 
 
Sans oublier le début du chapitre 23 de l’évangile selon saint Matthieu : 
 
Alors Jésus déclara à la foule et à ses disciples : « Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse. Pratiquez donc et observez tout ce qu'ils peuvent vous dire. Mais n'agissez pas d'après leurs actes, car ils disent et ne font pas. Ils lient de pesants fardeaux et en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. Ils agissent toujours pour être remarqués des hommes : ils portent sur eux des phylactères très larges et des franges très longues (Bible Osty : ils élargissent leurs phylactères et agrandissent leurs franges) ; ils aiment les places d'honneur dans les repas, les premiers rangs dans les synagogues, les salutations sur les places publiques, ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi. Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n'avez qu'un seul enseignant, et vous êtes tous frères. Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n'avez qu'un seul Père, celui qui est aux cieux. Ne vous faites pas non plus appeler maîtres, car vous n'avez qu'un seul maître, le Christ. Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Qui s'élèvera sera abaissé, qui s'abaissera sera élevé. » 
A mettre en parallèle avec les titres ronflants venus d'un autre âge utilisés dans la directive du cardinal Bertone…
Éminence / Excellence Révérendissime, qu’il serait bon pour notre Eglise de retrouver la simplicité évangélique ! 
 Et comment ne pas se souvenir des pensées de Blaise Pascal, l'un des plus grands mystiques chrétiens de l'histoire de France : 
« Nos magistrats ont bien connu ce mystère. Leurs robes rouges, leurs hermines dont ils s’emmaillotent en chats-fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lys, tout cet appareil auguste était fort nécessaire ; et si les médecins n’avaient des soutanes et des mules, et que les docteurs n’eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n’auraient dupé le monde qui ne peut résister à cette montre si authentique. S’ils avaient la véritable justice et si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n’auraient que faire de bonnets carrés : la majesté de ces sciences serait assez vénérable d’elle-même, mais n’ayant que des sciences imaginaires, il faut qu’ils prennent ces vains instruments qui frappent l’imagination à laquelle ils ont à faire et par là en effet ils s’attirent le respect ».  
 
La sagesse populaire selon laquelle « L’habit ne fait pas le moine » rejoint l’enseignement de Jésus dans les Evangiles, enseignement qui ne cesse de nous demander de quitter le monde des apparences et du prestige mondain pour devenir des êtres libres parce que vrais et authentiques. Sincèrement il devrait y avoir d’autre urgences et d’autres priorités dans notre Eglise que d’imposer le port de la soutane aux membres de la Curie !


Je terminerai ce billet par un rappel historique qui ne pourra que faire du bien. La soutane en tant qu'habit sacerdotal remonte à la fin du 16ème siècle et son usage ne s'est généralisé que bien plus tard. Autant dire que cet habit n'a rien de traditionnel dans l'Eglise. Idem pour la soutane blanche du pape qui remonte au pape saint Pie V. L'une des premières interventions d'un pape à propos d'un habit spécifique pour le clergé remonte au 5ème siècle. Le pape Célestin 1er adresse alors une lettre de remontrances aux évêques des provinces de Vienne et de Narbonne et il met en cause l'évêque d'Arles, Honorat, pour avoir adopté un habit ecclésiastique spécifique... en tant qu'ancien moine:

"Nous avons appris que certains prêtres du Seigneur (expression qui désigne alors le plus souvent les évêques) sont plus attachés à des pratiques superstitieuses qu'à la pureté de la foi ou de l'esprit... Vêtus d'un manteau et d'une ceinture autour des reins, ils croient obéir à l'Ecriture, non pas selon l'esprit, mais selon la lettre... Nous devons nous distinguer des fidèles ou des autres par la doctrine et non par l'habillement, par la conduite et non par la tenue extérieure, par la rectitude de notre esprit et non par la parure... Si nous nous lançons dans les nouveautés, nous foulerons aux pieds l'ordre transmis par les Pères pour laisser la place à des superstitions vides de sens".
 
 
 
 
 
 

lundi 12 novembre 2012

Messe de Requiem pour les victimes des guerres


Messe de Requiem pour les défunts des deux guerres mondiales

St. Ansgar, 12 novembre 2012

Nous voici rassemblés dans la prière en cette cathédrale saint Ansgar pour faire mémoire de toutes les victimes militaires et civiles des deux guerres mondiales qui ont ensanglanté le siècle dernier. Nous le faisons en célébrant la messe qui est le mémorial du don que Jésus a fait de sa propre vie pour nous réconcilier avec Dieu notre Père et entre nous. Pour un chrétien les guerres sont la conséquence du péché originel et de nos péchés personnels. L’orgueil et la cupidité sont à l’origine de la plupart de nos conflits. En cette année au cours de laquelle l’Eglise catholique célèbre le 50ème anniversaire du concile Vatican II comment ne pas rappeler l’enseignement de ce concile sur la sauvegarde de la paix et la construction de la communauté des nations ? Déjà en 1963 le bienheureux pape Jean XXIII s’était adressé à tous les hommes de bonne volonté dans son encyclique Pacem in terris afin de promouvoir en pleine guerre froide la paix véritable. Dans la constitution sur l’Eglise dans le monde de ce temps le concile aborde cette partie de la doctrine sociale de l’Eglise qui sera sans cesse reprise ultérieurement, en particulier dans le compendium de la doctrine sociale de l’Eglise publié en 2005. Je relèverai deux points de cet enseignement. Le premier concerne la condamnation sévère de la guerre totale :

Tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou de vastes régions avec leurs habitants est un crime contre Dieu et contre l’homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sans hésitation. Le risque particulier de la guerre moderne consiste en ce qu’elle fournit pour ainsi dire l’occasion à ceux qui possèdent des armes scientifiques plus récentes de commettre de tels crimes ; et, par un enchaînement en quelque sorte inexorable, elle peut pousser la volonté humaine aux plus atroces décisions. Pour que jamais plus ceci ne se produise, les évêques du monde entier, rassemblés et ne faisant qu’un, adjurent tous les hommes, tout particulièrement les chefs d’État et les autorités militaires, de peser à tout instant une responsabilité aussi immense devant Dieu et devant toute l’humanité.

Le second concerne le scandale moral de la course aux armements :

Quoi qu’il en soit de ce procédé de dissuasion, on doit néanmoins se convaincre que la course aux armements, à laquelle d’assez nombreuses nations s’en remettent, ne constitue pas une voie sûre pour le ferme maintien de la paix et que le soi-disant équilibre qui en résulte n’est ni une paix stable, ni une paix véritable. Bien loin d’éliminer ainsi les causes de guerre, on risque au contraire de les aggraver peu à peu. Tandis qu’on dépense des richesses fabuleuses dans la préparation d’armes toujours nouvelles, il devient impossible de porter suffisamment remède à tant de misères présentes de l’univers. Au lieu d’apaiser véritablement et radicalement les conflits entre nations, on en répand plutôt la contagion à d’autres parties du monde. Il faudra choisir des voies nouvelles en partant de la réforme des esprits pour en finir avec ce scandale et pour pouvoir ainsi libérer le monde de l’anxiété qui l’opprime et lui rendre une paix véritable. C’est pourquoi il faut derechef déclarer : la course aux armements est une plaie extrêmement grave de l’humanité et lèse les pauvres d’une manière intolérable. Et il est bien à craindre que, si elle persiste, elle n’enfante un jour les désastres mortels dont elle préparer déjà les moyens.

Comment ne pas évoquer aussi la visite du pape Paul VI le 4 octobre 1965 au siège des Nations Unies à New-York et le discours qu’il fit en français devant les représentants des Nations ? Le cri du pape est resté dans les mémoires : « jamais plus la guerre, jamais plus la guerre ! » Paul VI a alors réaffirmé l’importance d’un organisme comme l’Organisation des Nations Unies en vue de l’affermissement de la paix et de la coopération entre les Nations. En terminant son allocution il affirmé avec force l’importance de la conscience morale de chaque homme : « Oui, le moment est venu de la conversion, de la transformation personnelle, du renouvellement intérieur… Le vrai péril se tient dans l’homme, qui dispose d’instruments toujours plus puissants, aptes aussi bien à la ruine qu’aux plus hautes conquêtes ». Je terminerai en citant un philosophe, Fabrice Hadjadj, né dans le Judaïsme et converti à la foi catholique. Sa réflexion nous appelle à tirer des leçons pour aujourd’hui de la barbarie des deux guerres mondiales : « Le 20ème siècle, qui crut si peu au diable, les plus mécréants confessent son diabolisme aigu, mais ils ne parviennent pas à faire le rapprochement, et ils en restent à une vision grossière qui leur blanchit les mains. Parce qu’il y eut Hitler et Staline, bien sûr. Mais il y eut aussi les Alliés, et cette date merveilleuse qui conviendrait parfaitement à une journée mondiale du Démon : le 8 août 1945. C’est le jour où le tribunal militaire de Nuremberg a juridiquement codifié la notion de crime contre l’humanité. Le surlendemain d’Hiroshima. La veille de Nagasaki. En sorte que ceux-là qui dénonçaient le grand crime étaient aussi ceux qui, ayant sous les yeux les effets de la première, larguaient la deuxième bombe… ». Ce à quoi il faut ajouter, scandale suprême, qu’un aumônier militaire américain, le père George Zabelka, a béni l’équipage qui allait lancer sur Hiroshima la première bombe atomique de notre histoire.

 

dimanche 11 novembre 2012

32ème dimanche du temps ordinaire


 

Nous sommes dans la dernière partie du ministère public de Jésus, dans les jours qui précèdent sa Passion. A Jérusalem le Seigneur observe ses contemporains. Saint Marc nous invite à faire un lien entre son jugement sévère sur les scribes et son admiration émue pour la pauvre veuve. Le Seigneur s’intéresse à la vérité de nos attitudes. L’Evangile de ce dimanche nous parle d’authenticité. La mise en garde de Jésus envers les scribes vient du fait qu’ils vivent dans le monde des apparences. Des siècles plus tard le Tartuffe de Molière actualisera cette critique du faux dévot. Les scribes jouent en fait une comédie religieuse. Mais s’ils peuvent tromper les hommes, ils ne peuvent pas tromper le Fils de Dieu. Dans leur comédie l’apparence tient une grande place avec le goût de se montrer en public habillés « en robes solennelles ». Pascal avait déjà analysé en son temps le détournement de l’habit pour couvrir le manque d’autorité morale ou de compétence et s’attirer ainsi le respect des masses : « Nos magistrats ont bien connu ce mystère. Leurs robes rouges, leurs hermines dont ils s’emmaillotent en chats-fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lys, tout cet appareil auguste était fort nécessaire ; et si les médecins n’avaient des soutanes et des mules, et que les docteurs n’eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n’auraient dupé le monde qui ne peut résister à cette montre si authentique. S’ils avaient la véritable justice et si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n’auraient que faire de bonnets carrés : la majesté de ces sciences serait assez vénérable d’elle-même, mais n’ayant que des sciences imaginaires, il faut qu’ils prennent ces vains instruments qui frappent l’imagination à laquelle ils ont à faire et par là en effet ils s’attirent le respect ». Parmi certains membres de la hiérarchie de l’Eglise la tentation des pompes extérieures et donc le manque de simplicité dans l’habillement ont été fréquents. Le concile Vatican II et le pape Paul VI ont voulu, en fidélité avec l’Evangile, plus de simplicité. Nous savons bien, par exemple, que l’autorité du pape ne vient pas de sa soutane blanche, soutane qui remonte au pape saint Pie V au 16ème siècle ! Donc si un pape décidait d’abandonner cet habit il n’en serait pas moins pape. Mais comme les Juifs de l’époque de Jésus nous restons sensibles aux apparences et notre imagination joue souvent un plus grand rôle que notre raison dans nos jugements. En contraste avec l’arrogance des scribes profiteurs Jésus nous donne en exemple la pauvre veuve et son offrande. Jésus voit les cœurs et ne se fie pas aux apparences, il voit l’intention. Il admire la foi absolue de cette pauvre femme qui donne tout ce qu’elle a pour vivre. Il faut en effet avoir une confiance totale en la providence divine pour agir de cette sorte. Je me sens bien incapable d’imiter pour ma part la pauvre veuve. Avec Jésus je l’admire. La distinction entre le superflu et le nécessaire peut toutefois nous faire réfléchir. Nous savons bien que ces notions sont relatives : ce qui relève du nécessaire dans un pays pauvre ne correspond pas forcément au nécessaire chez nous. L’admiration de Jésus pour l’offrande de cette femme nous invite certainement à une plus grande générosité, à un détachement plus grand. Dans les pays développés tout est fait pour rendre le superflu nécessaire. Du coup nous vivons dans une ambiance de gaspillage programmé au nom de la croissance. On nous fait croire que si nous ne changeons pas d’I-Phone chaque fois qu’un nouveau modèle sort nous serons malheureux. Par rapport à cette situation notre foi chrétienne exige de nous une ferme résistance. Il est urgent de revoir nos modes de vie et de nous désencombrer des gadgets technologiques que l’on nous incite à considérer nécessaires. Oui, l’Evangile nous invite à la sobriété qui est le nom contemporain de la pauvreté évangélique. Une sobriété librement choisie, en connaissance de cause, et donc une sobriété joyeuse qui nous ouvre au don et au partage. Nous pouvons alors faire notre la question suivante trouvée dans un article de presse :

A quand la fin des adorations nocturnes devant les Apple Stores à chaque nouvel accouchement d'un objet mort-né ?

dimanche 4 novembre 2012

Toussaint 2012


 
En cette année de la foi voulue par Benoît XVI à l’occasion du 50ème anniversaire de l’ouverture du concile Vatican II nous sommes invités à approfondir le contenu de notre foi. Le concile Vatican II a longuement médité le mystère de l’Eglise dans sa relation à Dieu Trinité et au monde. Les textes du concile sont le fruit de cette méditation inspirée par l’Esprit Saint. Dans la constitution traitant de l’Eglise les pères conciliaires ont voulu consacrer un chapitre entier à l’appel universel à la sainteté dans l’Eglise. En cette fête de la Toussaint il est important de rappeler cet enseignement du concile, un enseignement qui pouvait paraître nouveau alors qu’il est traditionnel. Même si des docteurs de l’Eglise comme saint François de Sales ont toujours enseigné que la sainteté était la vocation de tous les fidèles chrétiens, on avait eu tendance à en faire un domaine réservé aux religieux, éventuellement au clergé. Le concile qui a beaucoup parlé de la place des laïcs dans l’Eglise leur rappelle aussi leur vocation à la sainteté : « Tous les fidèles du Christ sont donc invités et obligés à poursuivre la sainteté et la perfection de leur état. Qu’ils veillent tous à régler comme il faut leurs affections pour que l’usage des choses du monde et un attachement aux richesses contraire à l’esprit de pauvreté évangélique ne les détournent pas de poursuivre la perfection de la charité ».

Qu’est-ce qui peut nous encourager à avancer jour après jour sur ce chemin de la sainteté chrétienne ? Il me semble que c’est le rappel constant d’une grande vérité de notre foi : Dieu est Amour. Dieu notre Père nous aime d’un amour infini. Pour nous le prouver il nous a envoyé son Fils, né de la Vierge Marie. Nous trouvons dans la 2ème lecture une belle expression de cette vérité fondamentale de notre foi : Voyez comme il est grand, l'amour dont le Père nous a comblés : il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu- et nous le sommes. Dans sa lettre aux Romains saint Paul exprime lui aussi d’une manière particulièrement forte cette vérité : Oui, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. J'en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les esprits ni les puissances, ni le présent ni l'avenir, ni les astres, ni les cieux, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est en Jésus Christ notre Seigneur. Nous connaissons tous ces affirmations de notre foi. Mais pour que la considération de cette vérité nous aide à avancer sur le chemin de la sainteté il faut qu’elle passe du domaine de la simple connaissance à celui de l’expérience. Si une seule fois dans ma vie j’ai fait l’expérience concrète de l’amour de Dieu à mon égard alors je peux avancer sans crainte sur le chemin de la perfection chrétienne. Si Dieu m’aime vraiment, il veut mon bonheur véritable, donc je peux lui faire confiance. Et cette expérience de l’amour de Dieu à mon égard je dois être capable de la vivre aussi dans les moments d’épreuve et de doute, dans la maladie, la solitude, le chômage, le deuil etc. C’est la force de ma foi qui, au-delà des apparences contraires, me maintient dans cette certitude : Dieu continue à m’aimer. Les saints et les saintes ont tous vécu des moments d’épreuves, à la suite du Christ. En considérant la porte étroite de la sainteté chrétienne, à laquelle pourtant tous sont appelés, je pourrais être tenté par penser que cela n’est pas un chemin possible pour moi et donc me décourager. C’est à ce moment qu’il faut me rappeler pourquoi Jésus est venu : pour donner son amour divin et communiquer sa sainteté de Fils non pas à des hommes parfaits, arrivés au but, mais bien à des hommes faibles et pécheurs. Nous avancerons peu à peu, chacun selon son rythme, sur le chemin de la sainteté si nous évitons deux écueils : l’orgueil et le désespoir. Comme l’a si bien dit Pascal dans ses Pensées, « la connaissance de Dieu sans celle de sa misère fait l’orgueil. La connaissance de sa misère sans celle de Dieu fait le désespoir. La connaissance de Jésus-Christ fait le milieu parce que nous y trouvons, et Dieu, et notre misère ».

dimanche 28 octobre 2012

30ème dimanche du temps ordinaire


 
Le premier verset de notre Evangile campe un décor sur lequel il est intéressant de jeter un œil attentif. Comme saint Ignace de Loyola le recommande dans ses Exercices spirituels il est bon de contempler une scène évangélique avec notre imagination et pas seulement avec notre raison. Regardons les acteurs de cette scène située sur la route à la sortie de Jéricho. Seules deux personnes sont nommées : Jésus et Bartimée. Les autres, ce sont les disciples et une foule nombreuse. Eux demeurent dans l’anonymat des masses. Dès le départ nous pressentons que ce récit va plus loin que la guérison physique de Bartimée. Car entre lui et Jésus la foule fait obstacle : « Beaucoup de gens l’interpellaient vivement pour le faire taire ». La traduction de la Bible Osty est plus directe : « Beaucoup le menaçaient pour qu’il se taise ». La relation avec Jésus est toujours une relation personnelle même si elle se vit au sein de la communauté Eglise. Tout simplement parce que ce n’est pas la communauté qui peut faire à notre place l’acte de foi en Jésus Sauveur. Et il a bien fallu au mendiant aveugle une grande foi pour crier de plus belle malgré les menaces de la foule. Son cri et sa prière parviennent aux oreilles du Seigneur qui le fait appeler. Ce verbe ne doit pas être compris de manière banale. Un peu comme dans l’histoire de Zachée, Jésus, en faisant venir Bartimée à lui, lui donne une véritable vocation, il l’appelle à le suivre et à devenir ainsi son disciple. La réponse de l’aveugle est immédiate et, note Marc, il jette même son manteau pour courir plus vite vers Jésus. Pour le mendiant qu’il était ce manteau représentait certainement un objet de grande valeur, probablement le seul qu’il possédait. Contrairement à l’homme riche qui ne put suivre Jésus parce qu’il avait de grands biens, le pauvre Bartimée sacrifie même le peu qu’il a pour répondre sans tarder à l’appel de Jésus. Bien sûr son désir premier est de retrouver la vue. Et le Seigneur va exaucer ce désir en lui disant : « Va, ta foi t’a sauvé ». C’est alors qu’en retrouvant sa vue Bartimée va aussi trouver sa vocation de disciple : « Il suivait Jésus sur la route ». Nous voyons comment, à partir de notre foi et de nos désirs tels qu’ils sont, Dieu peut nous faire avancer sur le chemin de la vie spirituelle et dans la communion personnelle avec lui. Il n’est pas rare que l’on prie pour obtenir un bienfait matériel comme une guérison par exemple et que l’on obtienne un bienfait spirituel avec ou sans la guérison qui l’accompagne. En cette année de la foi voulue par Benoît XVI, cet Evangile peut nous amener à réfléchir à la crise de la foi chrétienne dans nos pays de vieille tradition chrétienne. Comment expliquer cette indifférence massive vis-à-vis de l’Evangile de Jésus-Christ ? Chacun, qu’il soit historien, sociologue ou théologien, peut tenter de trouver des explications à la déchristianisation de nos sociétés européennes. Cet Evangile nous indique peut-être un élément de réponse intéressant. Pendant des siècles, dans un contexte de chrétienté, on a pensé que la foi se transmettait en famille et dans la société comme on transmet une tradition ou une habitude. L’aspect communautaire de la foi a souvent primé sur l’adhésion personnelle. C’est encore dans cette optique que la plupart des musulmans vivent leur foi. Aujourd’hui force est de constater que l’on ne naît pas chrétien mais qu’on le devient. La foi ne peut intéresser les jeunes générations que si elle a ce pouvoir de mettre chacun et chacune personnellement en relation avec Jésus Ressuscité. La foi en Jésus est attractive dans la mesure où elle permet de faire une expérience de changement, de conversion. Si la foi est perçue comme une force, comme une source de paix, de lumière et de joie, alors sans aucun doute elle attirera. Mais si la foi chrétienne est d’abord associée au cadre moral de la société, à une tradition identitaire tournée vers le passé, elle a peu de chances de toucher les cœurs.

dimanche 21 octobre 2012

29ème dimanche du temps ordinaire


L’Evangile de ce dimanche nous parle du Royaume des cieux et du chemin pour y parvenir. Tout part d’une demande des apôtres Jacques et Jean alors que Jésus vient d’annoncer pour la troisième fois sa mort sur le bois de la croix. « Accorde-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire ». Il semble bien que Jacques et Jean aient une conception bien trop humaine du paradis. Leur désir correspond en fait à la mentalité courante de leur temps, tellement courante que Jésus lui-même utilise ce vocabulaire dans l’Evangile selon saint Matthieu : Jésus leur déclara : « Amen, je vous le dis : quand viendra le monde nouveau, et que le Fils de l'homme siégera sur son trône de gloire, vous qui m'avez suivi, vous siégerez vous-mêmes sur douze trônes pour juger les douze tribus d'Israël. Dimanche dernier Jésus nous avait déjà parlé de la vie éternelle : « Amen, je vous le dis : personne n'aura quitté, à cause de moi et de l'Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre, sans qu'il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. Beaucoup de premiers seront derniers, et les derniers seront les premiers. » Contrairement à Jacques et Jean nous bénéficions de toute la richesse de la tradition chrétienne et nous savons que le paradis ne consiste pas à avoir une place privilégiée ou d’honneur auprès du Christ dans sa gloire. Le Royaume des cieux n’est pas la reproduction des royaumes de cette terre. Il ne s’inspire pas des règles de préséance dans les grandes réceptions données par les puissants de ce monde ou encore des podiums olympiques. En tant que chrétiens nous ne demandons pas au Christ notre Maître un fauteuil confortable à sa droite ou à sa gauche. Nous lui demandons de vivre en communion avec lui, dès ici-bas et pour toujours dans la vie éternelle. Il faudrait se représenter le paradis comme un lieu avec de l’espace et donc des distances pour imaginer que certains pourraient avoir une place privilégiée par rapport à d’autres. Le paradis n’est pas un lieu, il est un état. Dans l’état de la béatitude nous n’aurons plus un corps tel que le nôtre, un corps qui se situe dans l’espace, mais un corps ressuscité et glorieux, d’où l’inutilité des fauteuils et des premiers rangs… Dans l’Evangile selon saint Jean le Seigneur nous donne une représentation plus juste parce que plus spirituelle de notre vocation à la béatitude : Dans la maison de mon Père, beaucoup peuvent trouver leur demeure ; sinon, est-ce que je vous aurais dit : Je pars vous préparer une place ? Quand je serai allé vous la préparer, je reviendrai vous prendre avec moi ; et là où je suis, vous y serez aussi…Père, ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, et qu'ils contemplent ma gloire, celle que tu m'as donnée parce que tu m'as aimé avant même la création du monde. Le Paradis, c’est donc tout simplement être avec Jésus dans la gloire de la Sainte Trinité. Souvenons-nous de la promesse du Christ en croix au bon larron : « Aujourd’hui même tu seras avec moi dans le paradis ». Le chemin qui nous mène à cet accomplissement de notre vie humaine et de notre vie de baptisés n’est pas celui de la gloire humaine. Vous le savez : ceux que l'on regarde comme chefs des nations païennes commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Si notre idéal de vie consiste à exercer une domination sur les autres ou encore à avoir un grand pouvoir, il est logique que nous ayons une vision du paradis bien trop humaine. Un paradis où nous pourrions fanfaronner aux côtés de Jésus et juger les impies et les pécheurs. Par contre si le paradis c’est être parfaitement unis à Jésus dans une charité divine et universelle alors nous n’avons pas d’autre chemin que Lui pour y parvenir. Ce qui signifie que c’est en imitant notre Maître que nous serons un jour capables de vivre pour toujours avec Lui. Si nous voulons régner dans le sens chrétien du terme nous devons être prêts à servir comme Lui, Jésus, a servi. Parce que l’on ne peut régner dans le Royaume de l’amour divin sans d’abord s’exercer à aimer ici-bas. Et aimer signifie toujours se faire le serviteur du bien et du bonheur de notre prochain. Aimer signifie enfin non seulement désirer de tout notre cœur le bien mais aussi supporter le mal avec patience, et d’abord notre propre péché, sans jamais perdre notre espérance.
Ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans les cieux.
 
 
 

dimanche 30 septembre 2012

26ème dimanche du temps ordinaire



L'Évangile de ce dimanche nous présente trois enseignements du Seigneur Jésus. Le premier est donné à partir d’une réflexion de Jean. Un homme chasse des esprits mauvais au nom de Jésus mais il ne fait pas partie du groupe des disciples : « Nous avons voulu l’en empêcher ». La réponse du Maître à son disciple est toujours d’actualité. Elle nous rappelle que si Dieu agit dans et par son Eglise, son action et bien sûr sa présence dépassent les frontières de l’Eglise catholique. L’Esprit de Dieu est libre d’agir comme il le veut et quand il le veut : « Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va : c’est la même chose pour celui qui est né de l’Esprit ». En tant que catholiques nous ne sommes pas les propriétaires exclusifs de Dieu ni les propriétaires de sa grâce et de sa vérité. Nous sommes plutôt les serviteurs de son projet d’amour et de réconciliation pour tous les hommes. Ainsi le qualificatif de catholique a deux sens que nous devons nous garder de séparer. Le catholique c’est bien celui qui a reçu la plénitude de la révélation divine, donc la vérité sur Dieu et sur l’homme. Et en même temps c’est celui qui est ouvert à l’universel : il sait que le Christ ressuscité, par son Esprit, permet à des non-catholiques de participer à la vérité et à la grâce divines. Au lieu d’en être jaloux, il s’en réjouit.
Le deuxième enseignement sur le don du verre d’eau nous rappelle la solidarité qui doit exister entre chrétiens. Nous sommes les membres d’un même corps. Cette solidarité, comme l’exemple du verre d’eau nous le montre, ne consiste pas forcément à faire des choses extraordinaires. Elle nous invite jour après jours à être attentifs les uns aux autres et à savoir reconnaître dans tout chrétien une image du Christ lui-même. Cela n’est pas une tache facile car nous sommes parfois très différents les uns des autres, et cela pour de multiples raisons. C’est dans la famille, la petite Eglise, que cet apprentissage doit commencer pour s’étendre ensuite au corps de toute l’Eglise en passant par la communauté paroissiale. En notre temps il est une solidarité que nous ne devons pas oublier, celle avec les chrétiens d’Orient qui vivent dans des conditions difficiles et sont parfois persécutés à cause de leur foi. Nous pouvons exercer notre solidarité par des organismes comme L’œuvre d’Orient ou encore L’Aide à l’Eglise en détresse.
 
Le troisième enseignement est sévère et il concerne le scandale ainsi que ce qui nous conduit au péché. Il y a bien des manières d’entraîner la chute d’un de nos frères dans la foi. Mais bien souvent c’est à cause de notre manque de charité envers le prochain que nous pouvons donner un contre-témoignage. Nous sommes en quelque sorte les porteurs de Dieu, d’où l’importance de nos paroles et de nos actions. Il est nécessaire de demander au Seigneur cette grâce de pouvoir refléter autour de nous sa bonté et sa miséricorde tout en témoignant de sa vérité. « Si ta main t’entraîne au péché, coupe-la… ». Bien sûr Jésus ne nous invite pas à l’automutilation. Derrière ces images comprenons bien l’essentiel. Il est important de nous connaître, de savoir où se trouvent nos faiblesses, nos tentations. Et ensuite de nous séparer ou de nous éloigner de ce qui nous entraîne à commettre le mal. C’est cela couper sa main, son pied ou arracher son œil. Heureusement nous pouvons toujours compter sur la miséricorde du Seigneur quand nous regrettons sincèrement nos péchés. Nous pouvons recevoir cette miséricorde dans le sacrement de la confession et du pardon. Nos fautes peuvent donc être l’occasion pour nous de progresser spirituellement. Elles nous aident à mieux nous connaître ainsi que nos points faibles. C’est à l’Esprit Saint que nous pouvons demander avec confiance la force et le courage nécessaires pour nous séparer de ce qui nous entraîne dans la tentation. Par-dessus-tout c’est en étant des chrétiens unis à Jésus par la prière et les sacrements que nous garderons toujours vivante en nous l’espérance de devenir meilleurs.

dimanche 23 septembre 2012

25ème dimanche du temps ordinaire



Dimanche dernier nous avons entendu la profession de foi de Pierre. Et c’est à l’occasion de cette profession de foi que Jésus a révélé pour la première fois à ses disciples le destin tragique qui l’attend à Jérusalem. Et voilà qu’il recommence à leur donner cet enseignement. Il le fait dans le secret de l’intimité qui est celle existant entre le Maître et ceux qu’il a choisis pour être ses collaborateurs dans l’annonce de l’Evangile. Déjà Pierre, le premier parmi les Douze, s’était révolté contre l’annonce de la Passion et de la mort du Christ. Les intimes de Jésus ne comprennent toujours pas la signification de cette annonce. C’est seulement après la Pentecôte, avec l’aide de l’Esprit Saint, que leurs cœurs et leur intelligence pourront s’ouvrir et recevoir la lumière de Pâques. Pour le moment la perspective évoquée par le Christ les paralyse si bien qu’ils ont même peur de l’interroger sur ce point.
Pierre s’était déjà fait reprocher de penser de manière trop humaine. C’est-à-dire d’une manière qui ignore la lumière de la foi. Cette fois ce sont tous les disciples qui vont se retrouver dans cette situation car ils ont discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. Jésus le sait. Et à la question qu’il leur pose ils ne répondent pas. Leur silence est celui de la honte. Ils ont bien conscience que leurs pensées ne sont pas à la hauteur de l’enseignement de Jésus. Ils ressemblent à des enfants se sentant coupables d’avoir mal agi, remplis de honte devant leurs parents. Dans l’histoire de notre humanité le désir d’être grand a été le moteur puissant de bien des aventures politiques et militaires, sans parler de la gloire recherchée par certains artistes ou certains scientifiques, sans oublier non plus le domaine de la compétition sportive. Ce désir est inscrit au plus profond de notre nature humaine. Jésus ne vient pas le détruire, il vient l’orienter pour nous éviter de tomber dans le grand péché d’orgueil. En christianisme nous savons bien que la véritable grandeur c’est la sainteté, c’est notre condition de baptisés et de fils de Dieu. Où se situe la différence essentielle entre les grandeurs humaines et la grandeur évangélique ? Probablement dans le fait que la grandeur évangélique n’est pas d’abord une conquête de l’homme mais un don de Dieu, une grâce. Naturellement nous sommes incapables, comme les apôtres, d’accepter ce renversement des valeurs humaines opéré par l’Evangile : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous ». Cela nous rappelle de nombreux autres passages des Evangiles : « Qui s’abaisse sera élevé », par exemple. Cela nous rappelle surtout un geste symbolique fait par le Christ lui-même à la veille de sa mort : le lavement des pieds. Une fois de plus Pierre refusera dans un premier temps que son Maître s’abaisse devant lui afin de lui laver les pieds. En enseignant à ses disciples la grandeur du service Jésus leur donne un moyen concret de comprendre et d’accepter ce qu’il leur annonce : sa Passion et sa mort. En changeant peu à peu de mentalité, en comprenant leur mission d’abord comme un humble service, ils comprendront aussi que l’abaissement de Jésus dans sa Passion et dans sa mort est en fait son élévation, sa véritable gloire, puisqu’à ce moment-là il est le parfait serviteur de Dieu et du salut des hommes. Pour reprendre une belle expression du cardinal Ratzinger les évêques et les prêtres sont les serviteurs de la joie des hommes. La grandeur évangélique, en nous préservant du poison de l’orgueil et du carriérisme, nous fait vivre de la vraie joie et nous donne une paix profonde. Nous nous rendons alors compte par expérience que chaque fois que nous servons dans l’esprit de Jésus nous recevons sa joie. C’est en désirant le bien et le bonheur des autres, c’est en agissant dans ce sens, que nous sommes comblés de joie. La grandeur évangélique comporte toujours une participation à la croix du Christ mais aussi à sa joie.
 

dimanche 16 septembre 2012

24ème dimanche du temps ordinaire



La profession de foi de Pierre est au centre de l’évangile selon saint Marc. C’est donc une étape décisive dans le ministère public du Seigneur Jésus. Cet événement est bien plus qu’une simple profession de foi. Il pose en effet la question de l’identité de Jésus. Et c’est le Seigneur lui-même qui provoque cette question en commençant par un sondage d’opinion auprès de ses disciples : « Pour les gens, qui suis-je ? » Nous comprenons immédiatement que la question importante n’est pas la première. Cette question de type sondage est tellement générale qu’elle n’engage pas. Or la profession de foi chrétienne est toujours un engagement personnel parce qu’elle suppose la suite du Christ. Le disciple ce n’est pas seulement celui qui affirme des choses vraies sur son maître mais c’est celui qui le suit, celui qui s’efforce de l’imiter. D’où la seconde question, beaucoup plus personnelle : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » La réponse de Pierre, « tu es le Messie », est juste. Mais la suite du récit nous montre qu’il a encore besoin de se convertir car ses pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes. En tant que croyants nous pouvons en effet affirmer des choses vraies sur Dieu, conformes au catéchisme, et ne pas être fidèles au Christ dans notre vie. Etre chrétien c’est en effet marcher derrière le Christ dans son mystère de mort et de résurrection. Ou pour le dire autrement notre engagement personnel est tout aussi important que notre profession de foi.
 
Il est remarquable que dans l’évangile de Marc le Seigneur ne commente pas la bonne réponse du premier de ses apôtres si ce n’est pour interdire à ses disciples de propager cette réponse ! « Il leur défendit alors vivement de parler de lui à personne ». Consigne surprenante puisque la mission même des apôtres c’est d’annoncer le Nom de Jésus Sauveur. Ce secret messianique, comme le nomment les spécialistes de saint Marc, est valable pour un temps, celui qui précède la Passion, la mort et la résurrection du Christ. Après Pâques et la Pentecôte les disciples pourront proclamer que Jésus est le Messie. Si d’un côté le Seigneur interdit que l’on parle de lui comme Messie, de l’autre il leur annonce « ouvertement » les souffrances et la mort qu’il devra bientôt endurer. Jésus, nous le savons, vient accomplir tout l’Ancien Testament. Et aussi par conséquent les prophéties d’Isaïe sur le serviteur souffrant du Seigneur. Notre première lecture nous en a donné un extrait. Jésus connaît bien ses apôtres et il connaît ce qu’il y a dans le cœur de l’homme en général. Il sait qu’ils n’ont retenu de la figure du Messie que l’aspect triomphant et glorieux. Il sait que le cœur de l’homme répugne naturellement à la souffrance et à l’humiliation. C’est la raison pour laquelle il met d’abord en avant l’aspect tragique de sa mission. Pour qu’il n’y ait pas d’équivoque sur son identité de Messie. Il sera d’abord un Messie souffrant et humilié pour ensuite entrer dans sa gloire de Fils de Dieu et de Sauveur. C’est pour cela que la belle profession de foi de Pierre n’est pas suffisante si elle n’est pas suivie de son engagement à la suite de son Maître. Ce n’est pas avec notre raison que nous sommes capables d’accepter ce mystère de souffrance et de mort. Mais c’est en « perdant » notre vie pour le Christ et pour l’Evangile. Seule la logique du don de nous-mêmes peut nous faire découvrir la fécondité cachée de ce qui semble intolérable : un Messie crucifié. Jésus ne nous demande pas d’aimer la souffrance ou de la rechercher. Par son exemple il nous enseigne que le chemin qui conduit à la vie en plénitude comporte inévitablement cette dimension de l’échec, de la finitude et finalement de la mort. La vraie liberté nous permet d’assumer tout cela en communion avec le Christ. Seule la grâce du Christ peut nous apprendre à nous détacher de notre vie pour en faire un don jour après jour. Notre amour passionné de la vie est bon dans la mesure où il comprend que nos petites morts quotidiennes peuvent devenir semences de vie.

dimanche 9 septembre 2012

23ème dimanche du temps ordinaire


Tout au long de l’été, de dimanche en dimanche, nous avons médité sur l’eucharistie en lisant le chapitre 6 de saint Jean. Depuis dimanche dernier la liturgie nous fait entendre à nouveau l’évangile selon saint Marc. Aujourd’hui Jésus guérit un sourd-muet. Cette guérison a été interprétée tout au long de l’histoire de l’Eglise de manière spirituelle. Jésus est celui qui nous permet d’écouter la Parole de Dieu et d’annoncer la bonne nouvelle. Jésus, en nous faisant le don de sa vie et le don de la foi, nous permet de prier Dieu notre Père et de chanter ses louanges. Ce n’est pas sur cet aspect du récit que j’insisterai en ce dimanche. Marc note que cette guérison a été accomplie « en plein territoire de la Décapole », donc en dehors d’Israël. En plus notre récit est précédé par celui de la guérison d’une petite fille  étrangère. Le sourd-muet de notre Evangile est très probablement un païen lui aussi, un étranger, et pourtant Jésus le guérit. Cela nous semble tout à fait naturel après 2000 ans de christianisme. Cette attitude du Seigneur est pourtant annonciatrice d’une nouvelle manière de vivre et de comprendre le judaïsme, manière qui deviendra le christianisme en grande partie grâce à l’apôtre Paul. La notion de peuple élu est ambigüe dans la mesure où elle pouvait être mal comprise. Dans le projet de Dieu se choisir un peuple ne voulait pas dire exclure les autres. Certains passages de l’Ancien Testament montrent en effet la dimension universelle de la mission confiée à ce petit peuple, choisi par Dieu non pas parce qu’il était meilleur que les autres, mais par pure grâce. A certains moments de son histoire Israël n’a pas vécu sa mission selon le plan de Dieu. Le peuple élu a ainsi été tenté par l’orgueil religieux et nationaliste et a fini par bien souvent mépriser les autres, c’est-à-dire les païens. En guérissant le sourd-muet Jésus renverse donc une barrière, un mur entre les Juifs et les païens. Cela m’amène à faire un lien avec la deuxième lecture. Saint Jacques est le témoin d’autres barrières, cette fois au sein de la première Eglise. Non plus un mur entre les races et les religions, mais un mur entre les pauvres et les riches. Le Seigneur Jésus n’a cessé d’enseigner à ses disciples qu’ils étaient tous frères, jouissant de la même dignité d’enfants de Dieu dans l’Eglise. Mais c’est bien une tendance humaine que de vouloir séparer, diviser, plutôt que d’unir et de rassembler. Saint Jacques critique vivement ceux qui oublient la fraternité dans la communauté et qui, en raison de considérations de personnes, créent différentes classes de chrétien, ici en fonction de la richesse. Il n’est pas si éloigné que cela le temps où dans l’Eglise de France il y avait des enterrements de première classe et de deuxième classe comme dans le TGV il y a la première classe et la seconde… Les catholiques qui avaient les moyens pouvaient ainsi payer pour leurs défunts un enterrement de première classe ! Le concile Vatican II avait bien conscience de ce problème puisqu’il l’aborde dans la constitution sur la liturgie en ramenant la pratique de l’Eglise à l’idéal évangélique :
« Dans la liturgie, en dehors de la distinction qui découle de la fonction liturgique de l’ordre sacré, et en dehors des honneurs dus aux autorités civiles conformément aux lois liturgiques, on ne fera aucunement acception des personnes privées ou du rang social, soit dans les cérémonies soit dans les pompes extérieures. »
Si saint Jacques veut rectifier de mauvaises attitudes dans la communauté, c’est saint Paul, l’apôtre des païens, qui a le mieux exprimé dans ses lettres le fondement théologique d’une Eglise comprise comme une société sans classes. Je me limiterai à citer ici deux passages qui sont très proches, le premier dans la lettre aux Galates, le second dans celle aux Colossiens :
« Vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ; il n'y a plus ni juif ni païen, il n'y a plus ni esclave ni homme libre, il n'y a plus l'homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu'un dans le Christ Jésus. »
« Revêtez l'homme nouveau, celui que le Créateur refait toujours neuf à son image pour le conduire à la vraie connaissance. Alors, il n'y a plus de Grec et de Juif, d'Israélite et de païen, il n'y a pas de barbare, de sauvage, d'esclave, d'homme libre, il n'y a que le Christ : en tous, il est tout. » C’est bien le Christ, et lui seul, qui est le principe de notre unité et donc de notre fraternité.