mardi 29 avril 2008

6ème dimanche de Pâques

6ème dimanche de Pâques / A
27 avril 2008
Jean 14, 15-21 (page 673)
Les Evangiles du temps pascal, issus du discours de la dernière Cène en saint Jean, sont d’une rare densité de contenu.
A deux reprises dans ce passage du chapitre 14, le Seigneur Jésus met en rapport étroit l’amour que nous avons pour lui et la fidélité à ses commandements : « Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements. » « Celui qui a reçu mes commandements et y reste fidèle, c’est celui-là qui m’aime. » Ces deux enseignements du Seigneur parlent de réalités identiques mais dans un ordre différent, et c’est ce qui est intéressant pour nous. Dans le premier enseignement la fidélité aux commandements est la conséquence logique de notre amour pour le Christ. Dans le second la fidélité aux commandements est le signe, la preuve en quelque sorte, de notre amour pour le Christ. Nous avons ici le lien essentiel entre vie morale (les commandements) et vie spirituelle ou mystique (l’amour du Christ). Dans le christianisme la morale n’est jamais première. Et si elle est importante c’est uniquement dans le contexte de notre rapport vivant avec le Christ Ressuscité. En même temps notre vie spirituelle ne peut être désincarnée, d’où la juste place de la morale qui va nous permettre de faire passer dans nos actes et dans nos choix cette relation vivante que nous entretenons avec le Seigneur. Quels sont donc ces commandements ? Eh bien la morale chrétienne est simple comme Dieu lui-même est simple. Jésus a tout résumé dans le double commandement de l’amour envers Dieu et de l’amour envers le prochain. On pourrait dire que notre amour pour Dieu passe inévitablement par l’amour du prochain.
Un deuxième point d’attention dans cet Evangile concerne la promesse de l’Esprit de vérité : le Don de l’Amour du Père et du Fils. Les catéchismes issus de Vatican II ont insisté pour dire que notre vie morale est d’abord une vie dans l’Esprit et selon l’Esprit, donc une vie spirituelle. Sans l’Esprit Saint nous ne pouvons pas vivre les commandements de Jésus. Nous pouvons certes avoir une vie honnête, respecter quelques bonnes règles de conduites… Mais seul l’Esprit nous apprend à aimer comme Jésus, c’est-à-dire divinement. La vie morale du chrétien va bien au-delà de la vie selon la conscience morale. La charité exige davantage que la simple loi naturelle issue des dix commandements transmis par Moïse. Jésus promet donc à ses apôtres et à travers eux à toute l’Eglise le Don de l’Esprit de vérité. Il sera pour toujours avec nous, auprès de nous et en nous. Notons bien la progression du discours. Le Don de l’Esprit prolongera jusqu’à la fin des temps la logique de l’incarnation. A partir de l’Ascension le Seigneur sera invisible à nos yeux de chair, sa présence sera vécue sous le mode paradoxal d’une certaine absence… C’est donc l’Esprit qui, en nous, témoignera du Christ Ressuscité et nous fera communier avec lui par l’amour de charité. A Noël, Dieu se rend en quelque sorte intérieur à notre humanité en nous donnant sa Parole. A la Pentecôte, c’est le même Dieu qui se rend intérieur à nous en nous donnant son Souffle, son Esprit Saint. Cet enseignement de l’Evangile doit nous faire comprendre d’une manière nouvelle la transcendance de Dieu. Lorsque nous disons que Dieu est transcendant, nous voulons signifier par là qu’il n’est pas une créature, sa différence radicale d’avec tout ce qui existe dans la Création. Bref seul Dieu est Dieu. Seul Dieu est Saint. En même temps nous savons depuis l’incarnation que Dieu n’est pas un être lointain, un être extérieur, sur un nuage, là haut dans le Ciel, bien au-dessus de nous. Tout en étant radicalement différent de nous, notre Dieu par le Christ et dans l’Esprit se fait intérieur à chacun, à chacune d’entre nous. C’est un peu cela la grâce divine, et particulièrement la grâce sacramentelle. Si le christianisme n’est pas un moralisme nous l’avons vu, il n’est pas davantage une religion de l’extériorité… Dans notre foi chrétienne tout tend à nous ramener vers notre intériorité, lieu de la présence et de l’action des Personnes divines. D’où l’importance encore une fois de la vie spirituelle et par conséquent de la prière.
« En ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous. » Cette inhabitation réciproque entre nous et la Sainte Trinité est nourrie au plus haut point par la communion eucharistique. Elle n’est possible que par l’exercice constant et inlassable de la vertu de charité : « Celui qui m’aime sera aimé de mon Père… Moi aussi je l’aimerai. » Quel mystère étonnant que celui d’un Dieu dont le cœur est si sensible à l’amour de ses créatures ? En ces jours préparatoires à la Pentecôte, demandons à l’Esprit de Dieu de toucher nos cœurs de pierre et de désensabler en nous les sources vives de l’amour ! Que nous ayons cette joie que nul ne pourra nous ravir, cette joie d’être toujours plus présents à la présence aimante de Dieu en nous !
Amen

dimanche 13 avril 2008

Quatrième dimanche de Pâques

4ème dimanche de Pâques / A
Dimanche de prière pour les vocations
13 avril 2008 / Jean 10, 1-10 (page 580)
Une fois par an l’Eglise nous rappelle l’importance des vocations spécifiques de prêtres, religieux, religieuses et missionnaires. Elle nous demande de prier ensemble et personnellement pour que les jeunes et les moins jeunes entendent l’appel du Père à donner leur vie à la suite du Christ. Et elle le fait en proposant à notre méditation un passage du chapitre 10 de saint Jean, chapitre consacré en grande partie à la parabole du Bon Pasteur. Cette année nous entendons le début de ce chapitre.
Jésus n’a pas inventé l’image du Bon Berger comme en témoigne le psaume 22 de cette messe dominicale. Il n’a fait que reprendre une image très courante dans l’Ancien Testament, image selon laquelle Dieu lui-même est le Bon Pasteur de son peuple Israël. Il faudrait reprendre dans ce contexte tout le chapitre 34 du prophète Ezéchiel. Ce chapitre commence par une condamnation des bergers d’Israël : « Malheur aux bergers d’Israël : des bergers qui prennent soin d’eux-mêmes ! N’est-ce pas du troupeau que le berger prend soin ? […] Faute de bergers, mes brebis se sont dispersées : une proie toute prête pour les bêtes sauvages. » Par Ezéchiel, Dieu annonce qu’il sera lui-même le Berger de son peuple : « Me voici, je suis là ! Je viens rechercher les brebis et c’est moi qui m’en occuperai, comme le berger s’occupe de son troupeau le jour où il se trouve au milieu de ses brebis en liberté. » En même temps Dieu suscitera un berger fidèle pour son peuple : « J’appellerai à leur tête un berger unique pour prendre soin d’elles, mon serviteur David. Lui sera leur berger. Moi, le Seigneur, je serai leur Dieu, et mon serviteur David sera prince au milieu d’elles. » Et le chapitre s’achève sur une image d’Alliance : « Vous êtes mon troupeau, les brebis de mon pâturage, et moi je suis votre Dieu – parole du Seigneur. » Ce passage d’Ezéchiel nous montre la déception de Dieu face à des bergers indignes et infidèles. La réponse du Seigneur est radicale : c’est Lui et Lui seul qui sera le Berger de son Peuple. Cependant il suscitera parmi les descendants de David un unique Berger qui lui sera fidèle. Comment ne pas voir dans le chapitre 10 de saint jean l’accomplissement de ces paroles prophétiques ? Jésus est bien cet unique Berger fidèle pour le troupeau du Seigneur. Et lorsqu’il affirme avec sévérité que ceux qui sont intervenus avant lui « sont tous des voleurs et des bandits » il fait allusion à tous ces bergers infidèles du passé. En reprenant l’image du Berger, Jésus lui apporte aussi une nouveauté. L’Ancien Testament parlait volontiers des pâturages, Jésus introduit la bergerie avec sa porte. La bergerie est l’image du nouveau peuple de Dieu, l’Eglise, la communauté des disciples du Christ. Il y a aussi une autre nouveauté par rapport à Ezéchiel. C’est le rapport personnel qui existe entre le berger et chacune de ses brebis : elles écoutent sa voix. « Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom… Elles le suivent car elles connaissent sa voix. » Etre chrétien, ce n’est donc pas être un mouton dans un troupeau anonyme… Etre dans la communion de l’Eglise-Bergerie ne doit pas nous entraîner à renoncer à notre unicité, à tout ce qui fait notre caractère et notre personne. Il est important de le noter quand nous pensons aux vocations. Il y a place dans l’Eglise pour la diversité des charismes et des talents. Dieu n’appelle pas des clones mais des personnes uniques avec ce qu’elles sont, avec leur histoire, pour bâtir son Royaume et prêcher l’Evangile en paroles et en actes. Avec Jésus comme Bon Pasteur nous sommes assurés de trouver enfin notre véritable liberté. La bergerie-Eglise n’est pas une prison : « Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra aller et venir, et il trouvera un pâturage. » Pour être libre, il faut d’abord ne pas mourir de faim… Avec la liberté, Jésus, notre Bon Pasteur, nous offre la nourriture : son corps eucharistique. Et par-dessus toutes choses nous trouvons dans la bergerie la vraie vie, la vie en abondance. La parabole du Bon Pasteur a un aspect missionnaire dans la suite du texte : « J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie. Celles-là aussi je dois aller les chercher et elles entendront mon appel ; elles ne feront plus qu’un seul troupeau avec un seul berger. »
De cette méditation nous pouvons tirer bien des enseignements sur ce que sont les vocations spécifiques dans notre Eglise. La vocation à être bon pasteur à la suite du Christ est toujours un don merveilleux. Lorsque le Christ appelle un jeune à être prêtre ou missionnaire, il lui donne les moyens d’un accomplissement humain inespéré. La vocation ne détruit pas notre liberté, elle l’accomplit. La vocation n’appauvrit pas notre personnalité, elle l’enrichit et lui fait porter tous ses fruits. Simplement l’accomplissement que permet le « oui » à notre vocation n’est pas de type égoïste. C’est un accomplissement dans l’amour et dans le don de soi. Etre appelé par le Christ c’est toujours une grâce, un chemin de bonheur. Certes les difficultés ne manquent pas et elles peuvent décourager bien des jeunes à répondre « oui »… Mais ce n’est pas propre aux prêtres, aux religieux, religieuses et missionnaires. Qui aujourd’hui peut prétendre que fonder une famille vraiment chrétienne, c’est facile ? La croix fait en effet partie de toute vie chrétienne. Quant à nous, nous avons cette joyeuse certitude : si Dieu appelle un baptisé à une vocation spécifique dans l’Eglise, il lui donnera tous les moyens humains et surnaturels pour répondre « oui » jour après jour dans la fidélité. Prions donc pour que la peur ne l’emporte pas dans le cœur des jeunes qui sont appelés à suivre le Christ Bon Pasteur. Demandons à l’Esprit Saint d’ouvrir leur cœur et leur intelligence ! Qu’ils comprennent que leur « oui » à cet appel les engage sur un chemin de bonheur véritable pour eux-mêmes et pour les brebis qui leur seront confiées… Amen.

dimanche 6 avril 2008

Troisième dimanche de Pâques

3ème dimanche de Pâques / A
6 avril 2008
Luc 24, 13-35 (page 527)
Cette magnifique page de l’Evangile de Luc, nommée bien souvent « le récit des pèlerins d’Emmaüs », ne cessera jamais de nous émerveiller. L’évangéliste Luc, avec son grand talent d’écrivain, a choisi de mettre en relief d’une manière significative cette expérience pascale, alors que Matthieu et Jean ne la mentionnent même pas et que Marc ne lui consacre que deux versets. Ce récit, c’est une évidence de le rappeler, est d’une grande profondeur et d’une grande richesse pour notre vie chrétienne d’aujourd’hui. Ce qui nous permet de l’aborder sous des angles différents sans jamais en épuiser le sens. Je voudrais pour ma part le méditer en partant de l’attitude du Seigneur ressuscité à l’égard de ses deux disciples découragés. Contempler l’attitude du Seigneur ne peut bien sûr que nous renvoyer à notre propre attitude de disciples, j’y reviendrai en conclusion.
« Il marchait avec eux. » Jésus Vivant se fait donc le compagnon de route de ses deux disciples. Il aurait pu lever leur aveuglement de manière rapide en se présentant… « C’est moi Jésus celui que vous pleurez, je suis le Vivant ! » Or nous constatons que Jésus ne choisit pas la méthode rapide. Au contraire en choisissant de marcher au rythme des disciples, il prend le temps. La révélation de la victoire de Pâques à notre humanité a en effet besoin de temps pour naître et murir dans nos cœurs bien souvent « lents à croire ». Certains ont dit que le temps était le 8ème sacrement, et nous savons combien c’est vrai dans notre expérience spirituelle personnelle. Observons donc la pédagogie de Jésus et regardons comment il va « évangéliser » ses disciples en marchant avec eux… « De quoi causiez-vous donc tout en marchant ? » La première parole que le Seigneur adresse aux deux disciples est une question. Jésus ne commence pas par un enseignement ou une révélation. Il s’intéresse réellement à la vie de ces hommes, à leurs soucis et à leurs préoccupations du moment. Il sait que ces hommes ont une histoire et qu’il faut la respecter. En psychologie cela s’appelle l’empathie. Le Seigneur n’évangélise jamais de manière superficielle, en plaquant sur la vie des gens des affirmations toutes faites et toutes prêtes. Le Seigneur va évangéliser ses disciples en les faisant parler, en leur donnant la parole. Il sait très bien quel était le contenu de leur conversation car il lit dans les cœurs. Mais il veut leur permettre une première libération par la parole, et c’est très important. D’ailleurs sa deuxième intervention dans la discussion est encore une question : « Quels événements ? » Chemin faisant, les cœurs s’ouvrent donc et livrent à cet inconnu attentif toute leur peine et leur déception. Et ce n’est qu’une fois ce chemin parcouru que le compagnon de route va leur donner une clef de lecture de ces événements en se référant à la Parole de Dieu, l’Ecriture. Jésus, encore non reconnu, donne d’abord la parole aux hommes et ensuite illumine par la Parole de Dieu cette discussion sur la route. En utilisant encore l’interrogation : « Ne fallait-il pas que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ? » « Jésus fit semblant d’aller plus loin. » Pourquoi donc cette attitude si ce n’est pour respecter la liberté des disciples… En ne s’imposant pas, le Seigneur suscite dans leur cœur le désir de sa présence : « Reste avec nous ». A trois reprises dans le récit, Luc utilise l’expression « avec eux ». Ce Vivant de Pâques est bien l’Emmanuel, « Dieu avec nous », Dieu qui dans l’admirable mystère de l’incarnation se fait toujours le compagnon de nos routes humaines, Dieu qui sans cesse nous précède et nous attend sur les chemins de notre vie. Le moment de la révélation, de l’illumination est d’une touchante simplicité. Le Seigneur se met à table avec ces hommes et il fait le geste de rompre le pain et de le leur donner. Pour accomplir ce parcours d’évangélisation, le Ressuscité ne choisit pas la parole mais un geste. Il n’enseigne pas. Il montre quelque chose à comprendre par ce beau geste de la fraction du pain qui réveille dans la mémoire des disciples des souvenirs bien précis. C’était la même logique qui présidait au lavement des pieds : enseigner par un geste tout simple mais ô combien significatif. C’est ce que le pape Jean-Paul II avait bien compris lorsqu’il avait innové dans la manière de faire habituelle de ses prédécesseurs, par exemple en baisant la terre lorsqu’il descendait d’un avion ou en glissant une intention de prière dans le mur des lamentations à Jérusalem… Dans le récit d’Emmaüs la révélation de l’identité du compagnon de route correspond avec sa disparition : « il disparut à leurs regards ». C’est que la foi est toujours un acte libre et que le Ressuscité est bien présent à nos côtés sans jamais s’imposer. La Présence du Ressuscité est bien la plus réelle de toutes les présences, et l’Eucharistie en est le sacrement, mais c’est une présence toujours discrète.
Si nous voulons être témoins de la Bonne Nouvelle auprès de nos contemporains, particulièrement auprès de ceux qui sont sans espérance, nous avons dans l’attitude de Jésus une référence incontournable. Comme lui, nous devons être prêts à prendre le temps de marcher avec nos frères les hommes, de les écouter, de leur apporter la lumière de la Parole de Dieu et enfin de poser à leur égard des gestes qui signifient l’amour de Dieu et notre amour. L’évangélisation ne peut être une opération « marketing ». Elle implique toujours notre participation à la grande patience de Dieu qui veut la conversion des pécheurs. Amen.