lundi 25 novembre 2019

Le Christ, roi de l'univers / année C



24/11/19

Luc 23, 35-43

Pour la solennité du Christ, roi de l’univers, qui clôt notre année chrétienne, l’Eglise nous propose pour l’année C comme pour l’année B un extrait de la Passion du Christ. Ce choix peut paraître paradoxal car il associe la royauté à la croix. Mais il présente l’intérêt de bien nous faire comprendre que l’image du roi appliquée à Jésus exige une interprétation pour être comprise correctement. Le fait de contempler la royauté du Christ au cœur même de sa Passion indique d’emblée la différence essentielle qui existe entre les rois de la terre et le Christ. Et dans ce cas la différence est bien plus importante que la ressemblance.

Dans l’Evangile selon saint Luc que nous venons d’écouter, alors que Jésus souffre sur la croix, il est l’objet des moqueries et des insultes. Le message qui lui est adressé à trois reprises se résume en ces mots : sauve-toi toi-même ! Si tu es bien le Messie, le roi des Juifs… Or Jésus, dont le nom signifie justement Dieu sauve, n’est pas venu partager notre condition humaine pour se sauver lui-même mais bien pour nous sauver. C’est la raison pour laquelle il accepte le supplice de la croix et les injures des hommes. C’est au moment même où il apparaît comme un Messie faible et impuissant qu’il réalise notre salut. C’est le scandale de la croix. La puissance des rois terrestres (ou des chefs d’Etat pour parler un langage plus actuel) se mesure habituellement à leurs forces armées et à l’influence de leur empire économique. D’où la folle course aux armements et la guerre économique sans pitié ! C’est une puissance uniquement matérielle et brutale qui se moque bien de la puissance de Dieu, de la puissance d’ordre spirituel. La boutade de Staline adressée à Pierre Laval en 1935 illustre parfaitement le fossé qui existe entre la puissance humaine et la puissance divine : Le pape ! Combien de divisions ? Dans l’Evangile de ce dimanche un seul homme nomme Jésus par son nom, et non pas en lui donnant les titres de Messie ou de roi : c’est le bon larron. Et il le fait dans une attitude d’humilité et de prière, en confessant le règne de Jésus alors qu’il agonise sur la croix. Ce malfaiteur condamné au supplice de la croix est le seul à avoir tout compris. Il pressent que l’échec de Jésus est en fait l’annonce de sa victoire éclatante puisqu’il viendra après sa mort inaugurer son Règne. Saint Paul dans la deuxième lecture nous fait contempler l’homme-Dieu comme étant au centre de la création et de la nouvelle création. Il est à la fois  le premier-né, avant toute créature et le premier-né d’entre les morts. Tout est créé par lui et pour lui. En regard de ces vérités, que la gloire des puissants de ce monde est insignifiante ! Célébrer la fête du Christ Roi est une invitation à revoir les valeurs qui orientent et dirigent non seulement nos vies mais aussi nos sociétés et les relations internationales. L’Evangile opère dans ce domaine une véritable révolution : celle du service et de l’amour. Il n’y a finalement de véritable puissance que celle de l’Esprit Saint. Le véritable pouvoir humain ne peut être que dans la ligne de l’humilité et du service, en dépendance du pouvoir unique qui est celui de Dieu créateur et Sauveur. L’histoire nous montre comment la puissance de l’Esprit a été capable d’ébranler puis de renverser les puissances de ce monde qui mettaient leur assurance uniquement dans les armes et dans l’argent. De grands empires, des dictatures de fer se sont écroulés, mais l’Eglise, dont le Chef et la Tête est le Christ roi, subsiste faible et petite en ce monde, mais puissante de la force de l’Esprit. Contempler le Christ roi, c’est comprendre l’urgence de remplacer les fausses valeurs agressives et brutales, qu’on les nomme armements, concurrence ou compétition économique, par un esprit radicalement nouveau : celui de l’entraide, de la coopération, du partage des richesses matérielles et humaines, du service désintéressé, de la recherche du bien commun dans le dialogue. Le Christ meurt sur la croix pour tout réconcilier en sa personne et faire la paix. Cet événement du Golgotha a eu lieu il y a 2000 ans, mais force est de constater que les valeurs qui régissent notre monde sont encore celles de l’homme primitif même si nous prétendons être plus civilisés que nos ancêtres. De ce point de vue-là l’Evangile n’en est qu’à ses commencements. Il ne pourra porter tous ses fruits que si nous sommes disposés à changer notre cœur de pierre en un cœur de chair et à croire réellement en la puissance transformatrice de l’Esprit de Dieu.

dimanche 17 novembre 2019

33ème dimanche du temps ordinaire / C




Luc 21, 5-19

17/11/19

Dans l’Evangile que nous venons d’écouter Jésus répond à l’admiration de ses disciples devant le Temple par une annonce de sa destruction totale. C’est par la main du romain Titus et de son armée que cette annonce trouvera son accomplissement en l’an 70. Le Temple de l’époque de Jésus n’était pas celui de Salomon, le premier temple détruit en 587 av.JC par les babyloniens, ni le deuxième reconstruit  à la fin du 6ème siècle. Il s’agissait d’un temple presque neuf puisque construit par le roi Hérode à partir de 19 av.JC. Il n’était même pas totalement achevé à l’époque de Jésus… tellement il était grandiose. Pour bien comprendre l’importance de la destruction du Temple, il faut avoir à l’esprit que ce troisième temple était le lieu unique du culte Juif, contrairement à nos églises. Il n’y avait en effet qu’un temple, à Jérusalem, qui était le lieu de la présence divine et le lieu dans lequel on offrait les sacrifices prescrits par la Loi. Si la destruction du Temple a été un drame pour les Juifs qui l’ont vécue, nous pouvons rechercher, en tant que chrétiens, la signification spirituelle de cet événement. C’est Jésus lui-même qui nous la donne dans l’Evangile selon saint Jean pour justifier son geste lorsqu’il expulse les marchands du temple :

« Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. » Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèverais ! » Mais lui parlait du sanctuaire de son corps.

Dans la nouvelle Alliance, nous avons, nous aussi, un temple unique et véritable, c’est le corps de Jésus mort et ressuscité pour nous. Ce Temple est vivant à jamais et ne pourra jamais plus être détruit par la main des hommes comme sur la Croix, car la mort n’a plus aucun pouvoir sur le Christ glorifié et exalté à la droite du Père. A la fin du livre de l’Apocalypse, dans la vision que Jean a de la nouvelle Jérusalem, donc du Royaume de Dieu dans son achèvement, c’est le Seigneur Dieu et Jésus Agneau qui est l’unique temple :

Dans la ville, je n’ai pas vu de sanctuaire, car son sanctuaire, c’est le Seigneur Dieu, Souverain de l’univers, et l’Agneau.

Et si nous passons de cette vision du Royaume à la fin de la Bible au récit de la création au commencement de la Bible, dans le livre de la Genèse, c’est la femme qui est en quelque sorte la première image du temple construit par Dieu. Observons comment est décrite la création de la femme à partir de la côte de l’homme dans le second récit de la création :

Le Seigneur Dieu bâtit en femme la côte qu’il avait prise de l’homme.

Le vocabulaire utilisé est bien celui de la construction et de l’architecture. Il n’est pas dit explicitement que la femme originelle est un temple… mais comment ne pas penser à Marie, la nouvelle Eve, qui, dans le mystère de l’incarnation, sera véritablement le temple de la divinité, l’Arche d’Alliance !

Alors que nous parvenons à la fin de notre année liturgique, cette méditation sur la différence entre le temple de pierre destructible et le Temple vivant et éternel qu’est le Corps du Seigneur ressuscité, né de la Vierge Marie, nous invite à raviver en nous la grâce du sacrement de notre baptême et de notre confirmation. Car si Jésus, Agneau de Dieu, est bien l’unique temple de la nouvelle alliance, Dieu a voulu que nous soyons aussi, chacun pour notre part et ensemble dans la communion de l’Eglise, ses temples et ses sanctuaires. Saint Paul l’affirme clairement dans sa première lettre aux Corinthiens :

Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous.

Telle est en effet notre grande dignité. Le fait que nous percevons vivement notre faiblesse et nos péchés ne doit jamais nous empêcher de reconnaître ce grand don de Dieu et d’accomplir ainsi jour après jour notre vocation à la sainteté.


dimanche 3 novembre 2019

TOUSSAINT 2019




Le 19 mars 2018, le pape François a donné à l’Eglise une exhortation apostolique sur l’appel à la sainteté dans le monde actuel, Gaudete et exsultate. La solennité de la Toussaint est pour nous l’occasion de recevoir cet enseignement du pape. Je voudrais vous partager certains aspects de sa réflexion en me référant au chapitre IV qui traite de quelques caractéristiques de la sainteté dans le monde actuel. Le pape François énumère 5 caractéristiques de la sainteté chrétienne aujourd’hui :
Endurance, patience et douceur
Joie et sens de l’humour
Audace et ferveur
En communauté
En prière constante.

Pour chacune de ces caractéristiques, je citerai un passage de l’exhortation. Commençons donc par l’endurance, la patience et la douceur :

La première de ces grandes caractéristiques, c’est d’être centré, solidement axé sur Dieu qui aime et qui soutient. Grâce à cette force intérieure, il est possible d’endurer, de supporter les contrariétés, les vicissitudes de la vie, et aussi les agressions de la part des autres, leurs infidélités et leurs défauts : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » (Rm 8, 31). Voilà la source de la paix qui s’exprime dans les attitudes d’un saint. Grâce à cette force intérieure, le témoignage de sainteté, dans notre monde pressé, changeant et agressif, est fait de patience et de constance dans le bien. C’est la fidélité de l’amour, car celui qui s’appuie sur Dieu peut également être fidèle aux frères ; il ne les abandonne pas dans les moments difficiles, il ne se laisse pas mener par l’anxiété et reste aux côtés des autres même lorsque cela ne lui donne pas de satisfactions immédiates.

A la vertu de patience le pape unit le don de la joie spirituelle :

Ce qui a été dit jusqu’à présent n’implique pas un esprit inhibé, triste, aigri, mélancolique ou un profil bas amorphe. Le saint est capable de vivre joyeux et avec le sens de l’humour. Sans perdre le réalisme, il éclaire les autres avec un esprit positif et rempli d’espérance. Être chrétien est « joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14, 17), parce que « l’amour de charité entraîne nécessairement la joie. Toujours celui qui aime se réjouit d’être uni à l’aimé […]. C’est pourquoi la joie est conséquence de la charité »… Il y a des moments difficiles, des temps de croix, mais rien ne peut détruire la joie surnaturelle qui « s’adapte et se transforme, et elle demeure toujours au moins comme un rayon de lumière qui naît de la certitude personnelle d’être infiniment aimé, au-delà de tout ». C’est une assurance intérieure, une sérénité remplie d’espérance qui donne une satisfaction spirituelle incompréhensible selon les critères du monde.

La troisième caractéristique de la sainteté consiste en l’audace et la ferveur du chrétien :

L’accoutumance nous séduit et nous dit que chercher à changer quelque chose n’a pas de sens, que nous ne pouvons rien faire face à cette situation, qu’il en a toujours été ainsi et que nous avons survécu malgré cela. À cause de l’accoutumance, nous n’affrontons plus le mal et nous permettons que les choses ‘‘soient ce qu’elles sont’’, ou ce que certains ont décidé qu’elles soient. Mais laissons le Seigneur venir nous réveiller, nous secouer dans notre sommeil, nous libérer de l’inertie. Affrontons l’accoutumance, ouvrons bien les yeux et les oreilles, et surtout le cœur, pour nous laisser émouvoir par ce qui se passe autour de nous et par le cri de la Parole vivante et efficace du Ressuscité… Les saints surprennent, dérangent, parce que leurs vies nous invitent à sortir de la médiocrité tranquille et anesthésiante.

Comme quatrième caractéristique le pape propose l’appartenance à la communauté, l’importance de se sentir membre de l’Eglise. Ou pour le dire autrement nous avons besoin non seulement de Dieu mais aussi des autres pour progresser sur ce chemin de notre vocation à la sainteté.

Il est très difficile de lutter contre notre propre concupiscence ainsi que contre les embûches et les tentations du démon et du monde égoïste, si nous sommes trop isolés. Le bombardement qui nous séduit est tel que, si nous sommes trop seuls, nous perdons facilement le sens de la réalité, la clairvoyance intérieure, et nous succombons. La sanctification est un cheminement communautaire, à faire deux à deux.

Enfin la vie de prière, la vie spirituelle est une dimension fondamentale de vie des saints, donc de toute vie chrétienne.

Finalement, même si cela semble évident, souvenons-nous que la sainteté est faite d’une ouverture habituelle à la transcendance, qui s’exprime dans la prière et dans l’adoration. Le saint est une personne dotée d’un esprit de prière, qui a besoin de communiquer avec Dieu. C’est quelqu’un qui ne supporte pas d’être asphyxié dans l’immanence close de ce monde, et au milieu de ses efforts et de ses engagements, il soupire vers Dieu, il sort de lui-même dans la louange et élargit ses limites dans la contemplation du Seigneur. Je ne crois pas dans la sainteté sans prière, bien qu’il ne s’agisse pas nécessairement de longs moments ou de sentiments intenses.