30/01/2022
Luc 4,
21-30
Dimanche
dernier nous avons entendu la première partie de l’Evangile selon saint Luc qui
nous rapporte la première prédication de Jésus dans la synagogue de son
village. Aujourd’hui nous voyons comment les auditeurs ont réagi à cette
proclamation : Aujourd’hui
s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre.
Dans
cette seconde partie du récit de saint Luc, nous trouvons une affirmation de
Jésus qui est devenu un proverbe connu de tous : Aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays.
C’est à
propos d’une citation d’un prophète, Isaïe, que Jésus déclare l’accomplissement
de cette prophétie. Il confirme par ce proverbe son identification aux
prophètes. Il se présente lui-même comme un prophète, comme le prophète par
lequel toutes les prophéties s’accomplissent.
La
réaction des auditeurs au message de l’accomplissement des Ecritures par Jésus
se fait en trois étapes. Tout d’abord l’accueil est positif et unanime : Tous lui rendaient témoignage. Mais très
rapidement le doute s’insinue du fait qu’ils connaissent bien Jésus, qu’il est,
comme eux, un habitant de la bourgade de Nazareth : ils s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. Ils
se disaient : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » Ou pour le dire
autrement : comment l’un de nos compatriotes peut-il proférer de telles
paroles de grâce ? L’intervention de Jésus fera passer ses auditeurs de
l’étonnement, du doute, à la fureur remplie de violence, une violence homicide.
C’est à ce moment précis que nous touchons au cœur du récit. Il s’agit bien de
l’ouverture universelle de la religion juive à tous les peuples. Théoriquement
un monothéisme comme celui d’Israël devrait être ouvert à tous les peuples. Car
si Dieu est unique, Père et créateur de tous les hommes, Il n’aime pas
seulement un seul peuple mais bien toutes les nations. Les deux exemples cités
par Jésus le montrent bien. Ce qui est en jeu ici c’est la compréhension du
peuple élu ou choisi. Deux possibilités s’offrent alors. Soit le peuple Juif
fait de sa foi le marqueur d’une identité ethnique et se considère comme le
destinataire exclusif des promesses divines. Ce qui revient à mettre la
religion au service d’un idéal national et politique. La foi constituant l’unité
du peuple. C’est la tentation d’une religion nationaliste ou patriotique. Soit
le peuple d’Israël comprend sa mission particulière comme une ouverture vers
les autres peuples, eux aussi objets de la providence divine. Dès l’Ancien
Testament cette ouverture vers les autres et vers l’universel est bien présente,
par exemple au chapitre 19 d’Isaïe : Le
Seigneur se fera connaître de l’Égypte et l’Égypte connaîtra le Seigneur, ce
jour-là… et l’Égypte avec Assour servira le Seigneur. Ce jour-là, entre l’Égypte
et Assour, Israël viendra en troisième, bénédiction au milieu de la terre, que
bénira le Seigneur Dieu de l’univers en disant : « Bénis soient l’Égypte, mon
peuple, Assour, l’ouvrage de mes mains, et Israël, mon héritage. » Nous la
retrouvons dans la prière de Syméon lors de la présentation de Jésus au
temple : Mes yeux ont vu le salut
que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et
donne gloire à ton peuple Israël.
L’Eglise
catholique, même si elle a commencé son existence comme un groupe
judéo-chrétien, un groupe de Juifs ayant accepté Jésus comme le Messie, est par
définition une Eglise universelle composée de peuples variés et dont le message
s’adresse à tous les hommes sans exception. L’Eglise ne peut jamais être
réduite à une culture particulière ou une nation. La tentation qui avait saisi
autrefois les compatriotes de Jésus à Nazareth peut de manière étonnante se
retrouver chez certains catholiques. On constate aujourd’hui que l’on peut
utiliser la foi chrétienne pour la mettre au service d’une identité culturelle
et politique qu’elle soit française, européenne ou nord-américaine. Par exemple
on ne peut pas comprendre la religiosité propre à beaucoup d’américains si on
ne la met pas en rapport avec la notion de peuple élu dans la Bible. C’est la
fameuse « destinée manifeste » : une expression apparue en 1845
pour désigner cette croyance messianique en une élection divine
(prédestination). Beaucoup d’américains se considèrent comme faisant partie du
nouveau peuple élu et il est fréquent aux Etats-Unis de dire God bless America. Et l’on pourrait
ajouter : et les autres peuples, alors ? Il en va de même avec la
notion de France fille aînée de l’Eglise pour donner un autre exemple. Ces
notions peuvent se révéler dangereuses pour la foi chrétienne si elles sont
comprises comme la marque d’une supériorité culturelle et nationale constituant
une forteresse en opposition aux autres peuples et aux hommes qui sont
étrangers à ma culture et à ma nation. De la même manière que les compatriotes
de Jésus furent animés d’une fureur homicide face à l’universalité de son
message de grâce, ainsi un christianisme mis au service d’une idéologie
patriotique ou culturelle peut être à l’origine d’un fanatisme conduisant à
bien des conflits et des guerres, oubliant au passage le commandement
fondamental : tu ne tueras pas.
Dieu et la foi ne sont la propriété exclusive de personne, d’aucun peuple ni
d’aucune nation, fut-ce la plus puissante. Chaque fois que nous prions le Notre
Père, imprégnons-nous de cette vérité fondamentale qui fait de nous les frères
de tous les hommes, car tous ont un unique Créateur et un unique Sauveur,
Jésus. Tandis que les religions patriotiques exacerbent l’orgueil et le mépris
des autres, le message universel de Jésus demande de notre part l’humilité. Si
nous ne sommes pas humbles en tant que catholiques, nous ne pourrons pas être
sel de la terre et lumière du monde.