dimanche 25 décembre 2022

NOEL 2022 / Messe du jour


Jean 1, 1-18

Hier, pour la messe de la nuit de Noël nous avons contemplé l’enfant de la crèche avec saint Luc : Marie mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. Aujourd’hui, nous contemplons le même mystère avec les yeux d’aigle de saint Jean le théologien : Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité.

La vision de Luc est humble, celle de Jean grandiose, mais elles nous donnent accès au même mystère, celui de l’incarnation par lequel non seulement Dieu se fait homme mais aussi notre frère. Et c’est à Noël qu’il inaugure ce chemin de fraternité avec nous en commençant sa vie au milieu de nous comme un nouveau-né. Ce nouveau-né, c’est bien le Verbe, la Parole éternelle de Dieu. Jésus, Fils de Dieu, devra attendre de grandir pour faire sien le langage des hommes. Il commence comme tous les bébés de la terre sans cette capacité du langage et pourtant il est bien la Parole de Dieu faite chair. C’est d’ailleurs l’origine latine de notre mot enfant qui nous le rappelle : infans, désignant le très jeune enfant qui ne parle pas. Sur ses 33 années de vie parmi nous Jésus n’a enseigné par sa parole que pendant les trois dernières années de sa vie, ce que l’on appelle son ministère public. La plus grande partie de sa vie a été une vie humble et cachée à Nazareth. Entre sa naissance dans la crèche et le jour de son baptême, Jésus, le Verbe, nous a parlé, nous a enseigné par son silence. Il nous a parlé en choisissant une vie humble et ordinaire au milieu des siens. Chez saint Luc et saint Jean deux lieux sont liés à la manifestation du Fils de Dieu dans notre humanité : la mangeoire et la tente. Car la traduction littérale du verset 14 du magnifique prologue est la suivante : Et le Verbe s’est fait chair, il a planté sa tente parmi nous. Si Dieu choisit comme lieu de sa naissance une mangeoire, il se présente aussi à nous comme celui qui séjourne parmi nous sous une tente. C’était déjà le cas lors des 40 années passées dans le désert par le peuple d’Israël après sa libération de l’esclavage en Egypte. L’image de la tente évoque un Dieu voyageur, un Dieu en mouvement, un Dieu qui nous accompagne là où nous sommes, là où nous en sommes dans notre chemin de vie. Le tabernacle de nos églises, accueillant le trésor du pain eucharistique, est une image de la tente de l’incarnation. Dans le prologue de saint Jean, l’évangéliste nous présente Jésus comme la vraie lumière : En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes… Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde. Oui, Jésus dans le mystère de son enfance et de toute sa vie, illumine nos cœurs par sa présence. Il nous parle en donnant une signification à notre vie, une direction.  Une phrase sans verbe ne signifie rien, en effet. Jésus infiltre sa douce lumière dans nos ténèbres, celles de nos échecs et de nos péchés, de nos souffrances et de nos deuils. Il vient nous enseigner le chemin de la véritable joie avec Dieu et entre nous, si nous le voulons bien, dans la mesure où nous l’accueillons et l’acceptons dans le mystère de la foi. Noël est toujours un appel à faire confiance dans le triomphe de la lumière sur nos ténèbres intérieures et celles de notre monde.

Nous ne connaissons pas la date de naissance de Jésus. Lorsqu’au 4ème siècle les chrétiens ressentent le besoin d’instituer cette fête, ils choisissent une date proche de celle du solstice d’hiver, le moment où le jour regagne du terrain sur la nuit… Depuis l’année 274, les Romains fêtaient le 25 décembre le soleil invaincu. Les chrétiens ayant saisi le mystère de l’incarnation choisirent de christianiser la fête païenne de la naissance du soleil invaincu. Bien avant l’institution de la fête de Noël, saint Jean affirmait dans son prologue : La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée. Noël est bien cette fête lumineuse au sein des ténèbres de l’hiver. C’est à chacun d’entre nous que Jésus confie sa divine lumière pour que nous la fassions rayonner en aimant comme lui nous a aimés, davantage par nos actes que par nos paroles.


 

NOEL 2022 / Messe de la nuit

 


Luc 2, 1-14

Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli. Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. C’est avec ces mots d’une grande simplicité que saint Luc nous parle de l’événement le plus important de notre histoire humaine : le mystère de l’incarnation par lequel Dieu se fait homme en naissant du sein de la Vierge Marie, l’épouse de Joseph. L’évangéliste est bref et sobre. Lorsque nous écoutons le récit qu’il nous donne de la Nativité de Jésus nous sommes frappés par le contraste entre la grandiose introduction et la simplicité extrême de cette naissance. D’un côté nous avons en effet l’empereur Auguste, le maître du plus grand Empire de l’époque, qui ordonne un recensement, de l’autre nous avons un bébé couché dans une mangeoire, naissant dans une ville illustre pour le petit peuple Juif mais obscure pour le grand peuple romain. Jésus naît à la marge de cet immense Empire romain, dans une petite province orientale. Il naît pour reprendre un mot cher au pape François dans les périphéries du monde romain. Dieu, par fidélité à son peuple, choisit le territoire de l’ancien Israël pour donner au monde son Fils. Mais de manière plus profonde encore Dieu choisit de manifester son Fils dans l’humilité, la simplicité et la pauvreté, très loin de la demeure d’Auguste à Rome.

Dans la nuit de Noël, en Palestine, Dieu se fait notre frère en nous donnant son Fils. Dieu se fait notre compagnon dans l’expérience de la condition humaine, sur la route de l’histoire de notre humanité. Dans les lectures de la nuit de Noël nous percevons le contraste entre le signe donné aux bergers, un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire, et l’identité de l’enfant qui vient de naître : oui, ce bébé, est réellement le Sauveur, le Christ, le Seigneur. Il est d’après la prophétie messianique d’Isaïe Conseiller-merveilleux, Dieu-Fort, Père-à-jamais, Prince-de-la-Paix. En contemplant la crèche nous comprenons que le Dieu fort choisit de se manifester à nous dans la faiblesse et l’humilité. Sa force divine est cachée, et c’est en étant cachée qu’elle est capable de nous sauver et de nous attirer à Lui. C’est l’un des grands enseignements du mystère de Noël : le chemin du salut, donc de la vie, est celui de l’abaissement de Dieu, celui de l’humilité et de la pauvreté de Dieu. Dieu se fait notre frère, non pas en naissant dans la splendeur du palais d’Auguste à Rome, au centre du monde, mais en naissant dans la mangeoire d’une ville oubliée à la périphérie du grand Empire. Auguste avait apporté à cet Empire la paix après un siècle de guerres civiles. Ce n’est pas un hasard si Dieu fait concorder la naissance du Prince de la paix avec l’avènement de la paix civile, l’âge d’or augustéen. La paix de Dieu rejoint ainsi la paix des hommes célébrée par l’autel de la paix à Rome.

A Noël Dieu se fait notre frère et notre nourriture. Il vient au monde dans la mangeoire destinée à nourrir les animaux de l’étable. Il vient au monde dans la cité du roi David, Bethléem, ce nom signifiant la maison du pain. Dès sa naissance Jésus se fait pain pour nous nourrir de la Parole de Dieu. Lui qui ne parle pas encore nous parle en silence par l’humilité de sa naissance. Remarquons bien qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune… d’où cette naissance à l’écart, dans une étable au milieu des animaux. En cette sainte nuit de Noël, Dieu, une fois de plus, nous invite à donner une place dans notre cœur, dans notre vie, dans nos actions, dans nos pensées, à la manifestation de son Fils au milieu de nous. Dieu nous invite à la prière et à la communion. Fortifiés par le pain du Prince de la paix, soyons artisans de paix. Goûtons cette joie que Dieu nous offre en abondance et soyons dans l’action de grâce !


dimanche 11 décembre 2022

Troisième dimanche de l'Avent / année A

 

Desiderio desideravi, lettre apostolique du pape François (3)

11/12/2022

En ce troisième dimanche de l’Avent j’achève ma présentation de la lettre du pape François consacrée à la formation liturgique du peuple de Dieu avec le dernier chapitre intitulé ars celebrandi. Au n°48 le pape fait le lien entre l’art de célébrer et l’univers symbolique propre à la liturgie :

L’ars celebrandi, l’art de célébrer, est certainement l’une des façons de prendre soin des symboles de la liturgie et de croître dans une compréhension vitale de ceux-ci… L’ars celebrandi ne peut être réduit à la simple observation d’un système de rubriques, et il faut encore moins le considérer comme une créativité imaginative – parfois sauvage – sans règles. Le rite est en soi une norme, et la norme n’est jamais une fin en soi, mais elle est toujours au service d’une réalité supérieure qu’elle entend protéger.

Le mot art permet au pape de développer la métaphore selon laquelle les sujets de la célébration chrétienne sont comparables à des artistes. De la même manière que les chrétiens sont formés par la liturgie, ainsi le véritable artiste ne possède pas un art, mais il est possédé par lui (50). Au n°51 le pape nous met en garde contre une tentation quand on aborde l’art de célébrer :

En parlant de ce thème, nous sommes enclins à penser qu’il ne concerne que les ministres ordonnés qui exercent le service de la présidence. Mais en fait, il s’agit d’une attitude que tous les baptisés sont appelés à vivre. Je pense à tous les gestes et à toutes les paroles qui appartiennent à l’assemblée : se rassembler, marcher en procession, s’asseoir, se tenir debout, s’agenouiller, chanter, se taire, acclamer, regarder, écouter.

A propos des gestes des membres de l’assemblée eucharistique le pape montre leur importance pour notre intériorité, les gestes extérieurs du corps façonnant notre spiritualité :

Ce sont des gestes et des paroles qui mettent de l’ordre dans notre monde intérieur en nous faisant vivre certains sentiments, attitudes, comportements (51).

Au n°52 le pape François place le silence parmi les gestes rituels et en souligne l’importance :

Parmi les gestes rituels qui appartiennent à l’ensemble de l’assemblée, le silence occupe une place d’importance absolue. Bien souvent, il est expressément prescrit dans les rubriques. Toute la célébration eucharistique est immergée dans le silence qui précède son début et qui marque chaque moment de son déroulement rituel…Le silence liturgique est le symbole de la présence et de l’action de l’Esprit Saint qui anime toute l’action de la célébration. C’est pourquoi il constitue un point d’arrivée dans une séquence liturgique… Nous sommes appelés à accomplir avec un soin extrême le geste symbolique du silence. À travers lui, l’Esprit nous donne forme.

Au n°53 le pape revient sur l’importance des gestes avec l’exemple de l’agenouillement :

Aussi l’agenouillement doit être fait avec art, c’est-à-dire avec une pleine conscience de son sens symbolique et du besoin que nous avons de ce geste pour exprimer notre manière d’être en présence du Seigneur.

Si l’ars celebrandi concerne toute l’assemblée, il est également vrai que les ministres ordonnés doivent y porter une attention toute particulière (54)… Il y aurait beaucoup à dire sur l’importance et la délicatesse de la présidence de la célébration eucharistique (55). Au n°56 le pape introduit ainsi le rôle de président de l’assemblée que le prêtre assume dans la célébration :

Le prêtre vit sa participation caractéristique à la célébration en vertu du don reçu dans le sacrement de l’Ordre, et celle-ci s’exprime précisément dans la présidence. Comme tous les rôles qu’il est appelé à remplir, il ne s’agit pas en premier lieu d’un devoir qui lui est assigné par la communauté, mais plutôt d’une conséquence de l’effusion de l’Esprit Saint reçue lors de l’ordination, qui le rend apte à une telle tâche. Le prêtre aussi est formé par le fait qu’il préside l’assemblée qui célèbre.

 

Le prêtre rend présent le Seigneur ressuscité au milieu de l’assemblée réunie au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit :

 

Pour que ce service soit bien fait – et même avec art ! – il est d’une importance fondamentale que le prêtre ait tout d’abord une conscience aiguë d’être, par la miséricorde de Dieu, une présence particulière du Seigneur ressuscité. Le ministre ordonné est lui-même l’un des modes de présence du Seigneur qui rendent l’assemblée chrétienne unique, différente de toute autre assemblée (cf. Sacrosanctum Concilium, n.7). Ce fait donne une profondeur sacramentelle – au sens large – à tous les gestes et paroles de celui qui préside (57).

 

Au n°57, le pape utilise une magnifique expression pour caractériser le rôle de médiateur du prêtre dans la célébration :

 

C’est comme s’il était placé au milieu entre le cœur brûlant de l’amour de Jésus et le cœur de chaque croyant, objet de son amour. Présider l’Eucharistie, c’est être plongé dans la fournaise de l’amour de Dieu.

 

La norme liturgique ultime, la règle suprême, ne provient pas de l’extérieur, ou même de l’autorité de l’Eglise, mais bien de la réalité même du sacrement de l’eucharistie, réalité assimilée et intériorisée autant par les membres de l’assemblée que par celui qui la préside au nom du Seigneur :

La norme la plus élevée, et donc la plus exigeante, est la réalité même de la célébration eucharistique, qui sélectionne les mots, les gestes, les sentiments qui nous feront comprendre si notre usage de ceux-ci est ou non à la hauteur de la réalité qu’ils servent. Il est évident que cela ne s’improvise pas. C’est un art. Cela demande de la part du prêtre de l’application, un entretien assidu du feu de l’amour du Seigneur qu’il est venu allumer sur la terre (cf. Luc 12,49).

 

Au n°60 le pape dessine les contours de la spiritualité sacerdotale s’incarnant dans la célébration de la messe :

 

C’est la célébration elle-même qui éduque le prêtre à ce niveau et à cette qualité de présidence. Il ne s’agit pas, je le répète, d’une adhésion mentale, même si tout notre esprit ainsi que toute notre sensibilité doivent y être engagés. Ainsi, le prêtre se forme en présidant les paroles et les gestes que la liturgie met sur ses lèvres et dans ses mains.

Il n’est pas assis sur un trône car le Seigneur règne avec l’humilité de celui qui sert.

Il ne détourne pas l’attention de la centralité de l’autel, symbole du Christ, car c’est de son côté transpercé qu’il laissa couler l’eau et le sang, source des sacrements de l’Église et le centre de notre louange et de notre action de grâce

En s’approchant de l’autel pour l’offrande, le prêtre est éduqué à l’humilité et à la contrition par les paroles : « Le cœur humble et contrit, nous te supplions, Seigneur, accueille-nous : que notre sacrifice, en ce jour, trouve grâce devant toi, Seigneur notre Dieu ». 

Il ne peut pas compter sur lui-même pour le ministère qui lui est confié, car la liturgie l’invite à prier pour être purifié par le signe de l’eau, lorsqu’il dit : « Lave-moi de mes fautes, Seigneur, et purifie-moi de mon péché »…

À cette offrande, il participe par l’offrande de lui-même. Le prêtre ne peut pas raconter la Cène au Père sans y participer lui-même. Il ne peut pas dire : « Prenez, et mangez-en tous : ceci est mon Corps livré pour vous », et ne pas vivre le même désir d’offrir son propre corps, sa propre vie, pour le peuple qui lui est confié. C’est ce qui se passe dans l’exercice de son ministère.

De tout cela et de beaucoup d’autres choses, le prêtre est continuellement formé par l’action célébrative.

 

Ecoutons maintenant la conclusion que le pape donne à sa lettre :

 

De dimanche en dimanche, la parole du Seigneur ressuscité illumine notre existence, en voulant atteindre en nous la fin pour laquelle elle a été envoyée. (Cf. Isaïe 55,10-11) De dimanche en dimanche, la communion au Corps et au Sang du Christ veut faire de notre vie aussi un sacrifice agréable au Père, dans la communion fraternelle du partage, de l’hospitalité, du service. De dimanche en dimanche, l’énergie du Pain rompu nous soutient dans l’annonce de l’Évangile dans lequel se manifeste l’authenticité de notre célébration

Abandonnons nos polémiques pour écouter ensemble ce que l’Esprit dit à l’Eglise. Sauvegardons notre communion. Continuons à nous émerveiller de la beauté de la liturgie. La Pâque nous a été donnée. Laissons-nous protéger par le désir que le Seigneur continue d’avoir de manger sa Pâque avec nous. Sous le regard de Marie, Mère de l’Eglise (65).

dimanche 4 décembre 2022

Deuxième dimanche de l'Avent / année A

 

Desiderio desideravi, lettre apostolique du pape François (2)

4/12/2022

En ce deuxième dimanche de l’Avent je poursuis la présentation de la lettre du pape François sur la formation liturgique du peuple de Dieu à partir des chapitres 6, 7 et 8 :

6. Redécouvrir à chaque jour la beauté de la vérité de la célébration chrétienne. 7. L’émerveillement devant le mystère pascal : élément essentiel de l’acte liturgique. 8. La nécessité d’une formation liturgique sérieuse et vitale.

Tout d’abord je citerai la définition que le pape donne de la liturgie au n°21 : La liturgie est le sacerdoce du Christ révélé et donné dans son mystère pascal, rendu présent et actif aujourd’hui par des signes sensibles (eau, huile, pain, vin, gestes, paroles) afin que l’Esprit, en nous plongeant dans le mystère pascal, transforme toute notre vie, nous conformant toujours plus au Christ. La célébration liturgique n’est pas un moment séparé du reste de notre vie. En nous faisant participer au mystère pascal du Christ elle a la capacité de transformer notre vie et notre personne. Ce que nous vivons le dimanche ne s’arrête donc pas à la sortie de la messe. Ou pour le dire autrement nous ne sommes pas chrétiens une heure par semaine et athées, indifférents ou païens le reste du temps. En insistant sur l’émerveillement du chrétien devant le mystère pascal, le pape le distingue du « sens du mystère ». Il fait allusion à l’accusation faite à la réforme liturgique d’avoir supprimé de la célébration ce sens du mystère. Voici comment il répond à cette accusation au n°25 : L’émerveillement dont je parle n’est pas une sorte de désarroi devant une réalité obscure ou un rite énigmatique, mais c’est, au contraire, l’émerveillement devant le fait que le dessein salvifique de Dieu nous a été révélé dans la Pâque de Jésus (cf. Ep 1, 3-14) dont l’efficacité continue à nous atteindre dans la célébration des « mystères », c’est-à-dire des sacrements. Il n’en reste pas moins vrai que la plénitude de la révélation a, par rapport à notre finitude humaine, une abondance qui nous transcende et qui aura son accomplissement à la fin des temps, lorsque le Seigneur reviendra. Si l’émerveillement est vrai, il n’y a aucun risque que nous ne percevions pas, même dans la proximité voulue par l’Incarnation, l’altérité de la présence de Dieu. Si la réforme avait éliminé ce vague « sens du mystère », ce serait une note de mérite plutôt qu’un acte d’accusation. La beauté, tout comme la vérité, suscite toujours l’admiration et lorsqu’elle est rapportée au mystère de Dieu, elle conduit à l’adoration.

Au chapitre 8 de sa lettre le pape traite de la formation liturgique du peuple de Dieu en distinguant la formation pour la liturgie de la formation par la liturgie : La première est fonctionnelle par rapport à la seconde qui est essentielle (n°34). Cela signifie que la formation liturgique n’est pas d’abord une affaire de connaissance, une étude sur la liturgie, mais surtout une affaire d’expérience spirituelle. Il est bon de se former pour mieux comprendre la signification théologique de la liturgie, mais il est encore meilleur de se laisser former par la liturgie elle-même en la vivant avec intensité. Concernant le premier aspect le pape écrit : Il est nécessaire de trouver les canaux d’une formation à l’étude de la liturgie. Dans cette formation les prêtres ont une responsabilité particulière au sein même de la célébration dominicale de l’eucharistie : Les ministres ordonnés accomplissent une action pastorale de première importance lorsqu’ils prennent les fidèles baptisés par la main pour les conduire dans l’expérience répétée de la Pâque. Rappelons-nous toujours que c’est l’Église, le Corps du Christ, qui est le sujet célébrant et non pas seulement le prêtre.

 

Le plus important réside dans le second aspect de la formation liturgique résumé de la manière suivante par le pape : Nous sommes formés, chacun selon sa vocation, à partir de la participation à la célébration liturgique (40)… La connaissance du mystère du Christ, question décisive pour notre vie, ne consiste pas en une assimilation mentale d’une idée quelconque, mais en un engagement existentiel réel avec sa personne (41). C’est à ce moment de sa réflexion que le pape revient sur le lien essentiel entre la liturgie et le mystère de l’incarnation : Cet engagement existentiel se produit – en continuité et en cohérence avec la méthode de l’Incarnation – de manière sacramentelle. La liturgie se fait avec des choses qui sont l’exact opposé des abstractions spirituelles : le pain, le vin, l’huile, l’eau, les parfums, le feu, les cendres, la pierre, les tissus, les couleurs, le corps, les mots, les sons, les silences, les gestes, l’espace, le mouvement, l’action, l’ordre, le temps, la lumière. Toute la création est une manifestation de l’amour de Dieu, et à partir du moment où ce même amour s’est manifesté dans sa plénitude dans la croix de Jésus, toute la création a été attirée vers lui. C’est toute la création qui est assumée pour être mise au service de la rencontre avec le Verbe : incarné, crucifié, mort, ressuscité, monté vers le Père…Dès le début, les choses créées contiennent le germe de la grâce sanctifiante des sacrements.

 

En développant sa réflexion, le pape insiste sur l’importance d’une lecture symbolique de la liturgie qui n’est pas une connaissance mentale, ni l’acquisition de concepts, mais plutôt une expérience vitale (45). Il cite Guardini selon lequel l’homme doit retrouver sa puissance symbolique. Ensuite le pape fait un constat : La tâche n’est pas facile car l’homme moderne est devenu analphabète, il ne sait plus lire les symboles, il en soupçonne à peine l’existence. Cela se produit également avec le symbole de notre corps. Il est un symbole parce qu’il est une union intime de l’âme et du corps ; il est la visibilité de l’âme spirituelle dans l’ordre corporel ; et en cela consiste l’unicité humaine, la spécificité de la personne irréductible à toute autre forme d’être vivant. Notre ouverture au transcendant, à Dieu, est constitutive : ne pas la reconnaître nous conduit inévitablement non seulement à une méconnaissance de Dieu mais aussi à une méconnaissance de nous-mêmes (44). A partir de ce constat à propos de notre difficulté à percevoir l’univers symbolique, et en particulier au sujet de notre propre corps, le pape tire les conséquences que cela peut avoir pour notre perception de la liturgie chrétienne : Le fait d’avoir perdu la capacité de saisir la valeur symbolique du corps et de toute créature rend le langage symbolique de la liturgie presque inaccessible à la mentalité moderne. Et pourtant, il ne peut être question de renoncer à ce langage. On ne peut y renoncer parce que c’est ainsi que la Sainte Trinité a choisi de nous atteindre à travers la chair du Verbe. Il s’agit plutôt de retrouver la capacité d’utiliser et de comprendre les symboles de la liturgie. Nous ne devons pas perdre espoir car cette dimension en nous, comme je viens de le dire, est constitutive ; et malgré les méfaits du matérialisme et du spiritualisme – tous deux négateurs de l’unité de l’âme et du corps – elle est toujours prête à resurgir, comme toute vérité.

dimanche 27 novembre 2022

Premier dimanche de l'Avent / année A

 

Desiderio desideravi, lettre apostolique du pape François (1)

27/11/2022

C’est avec le temps de l’Avent que, chaque année, nous commençons une nouvelle année liturgique. C’est l’occasion idéale pour moi de vous présenter la lettre apostolique du pape François, Desiderio desideravi, sur la formation liturgique du peuple de Dieu. Ce document divisé en 9 parties a été publié le 29 juin 2022. Je ferai donc trois enseignements pour vous faire connaître le contenu de cette lettre et ce jusqu’au troisième dimanche de l’Avent, en citant le plus possible le pape. Je vous invite à lire personnellement pendant l’Avent cette brève lettre qui est un véritable trésor sur notre vie liturgique. En ce dimanche je commencerai avec les 5 premières parties intitulées :

1. La Liturgie : « l’aujourd’hui » de l’histoire du salut

2. La Liturgie : lieu de la rencontre avec le Christ

3. L’Eglise : sacrement du Corps du Christ

4. Le sens théologique de la Liturgie

5. La Liturgie : un antidote contre le venin de la mondanité spirituelle.

Le titre de la lettre du pape, J’ai désiré d’un grand désir, est une citation de Luc 22, 15 : J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ! Nous sommes dans le contexte de la dernière Cène. Le repas pascal du jeudi soir est l’aboutissement de toute l’histoire du salut comme le note le pape : Toute la création, toute l’histoire – qui allait finalement se révéler comme l’histoire du salut – est une grande préparation à ce repas (3). Personne n’avait gagné sa place à ce repas. Tout le monde a été invité. Ou plutôt, tous ont été attirés par le désir ardent que Jésus avait de manger cette Pâque avec eux (4). Le fondement de la liturgie chrétienne est donc établi par le Seigneur lors de ce dernier repas qui est non seulement l’aboutissement du projet de Dieu pour notre humanité mais aussi un événement unique et nouveau : Jésus sait qu’il est l’Agneau de ce repas de Pâque, il sait qu’il est la Pâque. C’est la nouveauté absolue de ce repas, la seule vraie nouveauté de l’histoire, qui rend ce repas unique et, pour cette raison, ultime, non reproductible : « la Dernière Cène ». Cependant, son désir infini de rétablir cette communion avec nous, qui était et reste son projet initial, ne sera pas satisfait tant que tout homme, de toute tribu, langue, peuple et nation (Ap 5,9) n’aura pas mangé son Corps et bu son Sang. C’est pourquoi ce même repas sera rendu présent, jusqu’à son retour, dans la célébration de l’Eucharistie (4). Ce que le Seigneur réalise à l’occasion de ce repas éclaire la signification profonde de sa mort en croix le lendemain : Si nous n’avions pas eu la dernière Cène, c’est-à-dire si nous n’avions pas eu l’anticipation rituelle de sa mort, nous n’aurions jamais pu saisir comment l’exécution de sa condamnation à mort a pu être l’acte de culte parfait, agréable au Père, le seul véritable acte de culte (7). Le pape souligne de nombreuses fois le lien indissoluble et vital entre le mystère de l’incarnation et la liturgie. La liturgie et les sacrements sont comme le prolongement de la réalité de l’incarnation dans le mystère de l’Eglise. L’Incarnation, en plus d’être le seul événement nouveau que l’histoire connaisse, est aussi la méthode même que la Sainte Trinité a choisie pour nous ouvrir le chemin de la communion. La foi chrétienne est soit une rencontre avec Lui vivant, soit elle n’existe pas (10). La Liturgie ne nous laisse pas seuls à la recherche d’une connaissance individuelle présumée du mystère de Dieu, mais nous prend par la main, ensemble, en assemblée, pour nous conduire dans le mystère que la Parole et les signes sacramentels nous révèlent. Et elle le fait en cohérence avec l’action de Dieu, en suivant le chemin de l’incarnation, à travers le langage symbolique du corps qui se prolonge dans les choses, l’espace et le temps (19). Le pape souligne le caractère fortement ecclésial de toute célébration chrétienne : L’action célébrative n’appartient pas à l’individu mais au Christ-Eglise, à la totalité des fidèles unis dans le Christ. La liturgie ne dit pas « je » mais « nous » et toute limitation de l’étendue de ce « nous » est toujours démoniaque (19). La liturgie est toujours le signe du désir de Dieu pour nous, bien avant notre réponse à son invitation (6). Elle est donc une grâce : La célébration liturgique nous purifie en proclamant la gratuité du don du salut reçu dans la foi. Participer au sacrifice eucharistique n’est pas un exploit personnel, comme si nous pouvions nous en vanter devant Dieu ou devant nos frères et sœurs… Nous ne sommes certainement pas dignes d’entrer dans sa maison, nous avons besoin de sa parole pour être sauvés (cf. Mt 8,8). Nous n’avons pas d’autre fierté que celle de la croix de notre Seigneur Jésus-Christ (cf. Ga 6,14). La Liturgie n’a rien à voir avec un moralisme ascétique : c’est le don de la Pâque du Seigneur qui, accueilli avec docilité, rend notre vie nouvelle. On n’entre dans le cénacle que par la force d’attraction de son désir de manger la Pâque avec nous (20).

dimanche 13 novembre 2022

33ème dimanche du temps ordinaire / année C

 

13/11/2022

Luc 21, 5-19

A la fin de notre année liturgique, Jésus nous parle de la fin, sans préciser s’il s’agit de la fin de Jérusalem ou de l’univers tel que nous le connaissons. Rien sur cette terre n’est éternel, pas même le Temple de Jérusalem :

Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit.

Les disciples admirent la beauté du Temple. Le génie technique et artistique de l’homme est capable en effet de créer des chefs-d’œuvre, des monuments qui nous semblent immortels. Toutes les civilisations ont édifié de tels monuments à la gloire de leurs dieux, de leurs rois ou pour l’ornement et l’utilité de la vie en société. Israël n’échappe pas à cette règle. De ces monuments de l’antiquité il ne reste souvent que quelques ruines, capables pourtant de nous impressionner et de nous toucher, parfois il ne reste que quelques pierres ou encore rien du tout. C’est en 70 que les paroles de Jésus s’accompliront avec la destruction du temple par Titus. On a parlé avec raison de la poésie des ruines. Les ruines des monuments antiques nous émeuvent profondément, pas seulement à cause de leur beauté, mais parce qu’elles nous font percevoir le caractère éphémère et fragile des civilisations humaines et nous rappellent ainsi notre condition humaine de mortels. Ce n’est pas par hasard que Paul applique à notre corps une image empruntée au domaine de la construction en utilisant le vocabulaire de la ruine :

C’est pourquoi nous ne perdons pas courage, et même si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour… Nous le savons, en effet, même si notre corps, cette tente qui est notre demeure sur la terre, est détruit, nous avons un édifice construit par Dieu, une demeure éternelle dans les cieux qui n’est pas l’œuvre des hommes. (2 Corinthiens)

Notre corps, notre être de créature, de la même manière que le Temple, se ruine avec les maladies et la vieillesse, et cette évolution nous conduit vers notre fin terrestre. Au cœur de notre finitude et de notre condition mortelle, Paul fait briller une espérance, se faisant l’écho de Malachie dans la première lecture : Pour vous qui craignez mon nom, le Soleil de justice se lèvera : il apportera la guérison dans son rayonnement. Nous avons donc, selon Paul, un édifice construit par Dieu, une demeure éternelle dans les cieux qui n’est pas l’œuvre des hommes. Ce qui permet en nous le renouvellement de l’homme intérieur, c’est bien notre enracinement dans le Christ Sauveur, notre attachement par la foi à celui qui est vainqueur de tout mal et de toute mort. Jésus en parlant à ses disciples de la fin, donc du caractère éphémère des créatures et des créations du génie de l’homme, associe à cette fin une vertu qui est la persévérance : C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie. Ou dans la traduction de Chouraqui : Maîtrisez vos êtres par votre endurance.

La fin des temps peut être associée à l’apostasie générale. Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? Il s’agit donc pour chacun d’entre nous, au cœur de notre finitude et de celles de nos œuvres, de demander la grâce de la persévérance et de l’endurance, particulièrement dans les épreuves de notre monde, dans les souffrances du corps et de l’âme. Jésus nous demande de ne jamais nous décourager et de maintenir le cap de la foi en lui. Cet Evangile est un appel pressant à renouveler notre confiance dans le Christ Sauveur pour que sa puissance se déploie dans notre faiblesse.


samedi 12 novembre 2022

Messe de Requiem du 11 novembre 2022

 



Nous sommes rassemblés en ce jour dans la prière pour faire mémoire de toutes les victimes civiles et militaires des guerres. Nous offrons le sacrifice du Christ pour le repos de leur âme, le sacrifice de celui qui a proclamé heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu. Cette commémoration de l’armistice est pour nous l’occasion de réfléchir à la guerre et à la paix. Ce thème est important dans la doctrine sociale de l’Eglise puisqu’elle y consacre un chapitre entier de son Compendium, chapitre intitulé La promotion de la paix.

Tout d’abord la guerre est toujours un péché grave car elle implique une désobéissance préméditée et planifiée au commandement de Dieu : Tu ne tueras pas. Dans le sillage de la guerre on trouve souvent la famine, le vol, le viol et des destructions de villes et d’infrastructures qui sont, on l’oublie trop souvent, des catastrophes du point de vue écologique. Si la reconstruction qui suit les guerres est « bonne » pour l’économie, elle est en premier lieu un énorme gaspillage écologique. Sans parler des résidus polluants d’armes et de munitions répandus dans l’environnement… Sans parler de la perversion absolue que constitue la guerre chimique et biologique qui consiste à polluer volontairement l’environnement et à répandre des virus dans le camp des ennemis. L’un des premiers exemples de guerre biologique remonte en 1763 : Jeffrey Amherst, commandant en chef des troupes britanniques, et Henri Bouquet[1] eurent recours à la transmission volontaire de la variole à l’aide de couvertures distribuées aux Amérindiens. Plus récemment entre 1961 et 1971, dans le contexte de la guerre du Vietnam, 80 millions de litres de produits chimiques ont été déversés par l'armée des États-Unis dont 61 % d'agent orange.

Si la guerre est toujours un péché, il est important d’en connaître les causes. La cause principale des guerres est précisément le péché qui habite le cœur de l’homme et le pousse à faire le mal en désobéissant aux commandements de Dieu. Ce péché se repère dans des attitudes et des idéologies opposées au message de l’Evangile. Tout d’abord l’orgueil du cœur humain, péché capital par excellence. On fait la guerre à des frères humains parce que l’on se croit supérieurs à eux, meilleurs ou encore plus civilisés. Ce fut le cas, par exemple, des espagnols et des américains par rapport aux populations indiennes qui furent réduites en esclavage puis exterminées. On fait aussi la guerre parce que l’on se croit investi d’une mission supérieure à l’égard des autres peuples : c’est l’impérialisme. On envahit et on exploite sous le prétexte de civiliser ou d’apporter la démocratie. Mais bien souvent les guerres s’enracinent dans le péché de cupidité, c’est-à-dire dans la volonté de s’approprier par la force les ressources et les richesses d’autres nations. Dans ce cas la guerre est un vol à grande échelle. Comme l’affirme Saint Jacques dans sa lettre :

D’où viennent les guerres, d’où viennent les conflits entre vous ? N’est-ce pas justement de tous ces désirs qui mènent leur combat en vous-mêmes ? Vous êtes pleins de convoitises et vous n’obtenez rien, alors vous tuez ; vous êtes jaloux et vous n’arrivez pas à vos fins, alors vous entrez en conflit et vous faites la guerre.

Paul Valéry affirmait avec clairvoyance : La guerre, c'est un massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent, mais ne se massacrent pas. En effet ceux qui déclarent les guerres, les gouvernants, portent une très lourde responsabilité devant Dieu. Il est tellement facile de faire faire la guerre aux autres alors que l’on demeure en sécurité ainsi que sa famille. L’histoire du 20ème siècle et de ses nombreuses guerres nous montre que si les gouvernants ont pu entraîner leur peuple dans des guerres, c’était à cause de la complicité active de la plupart des journalistes qui relayaient la propagande en faveur de la guerre et grâce au silence ou à l’approbation des intellectuels de leurs nations… Les exceptions furent rarissimes : un Romain Rolland en France, un Hermann Hesse en Allemagne. La propagande en faveur de la guerre repose toujours sur le même principe : nous sommes le camp du bien et en face se trouve le camp du mal. Ce qui ne correspond pas, la plupart du temps, à la réalité car la réalité est toujours bien plus complexe que ce type de raisonnement simpliste.

Dans sa lettre encyclique Tous frères de 2020, le pape François aborde la question de la guerre et de la paix. Je lui laisse la parole en guise de conclusion à cette réflexion :

On fait facilement le choix de la guerre sous couvert de toutes sortes de raisons, supposées humanitaires, défensives, ou préventives, même en recourant à la manipulation de l’information. De fait, ces dernières décennies, toutes les guerres ont été prétendument “justifiées”… On veut ainsi justifier indument même des attaques ‘‘préventives’’ ou des actions guerrières qui difficilement n’entraînent pas « des maux et des désordres plus graves que le mal à éliminer ». Le problème, c’est que depuis le développement des armes nucléaires, chimiques ou biologiques, sans oublier les possibilités énormes et croissantes qu’offrent les nouvelles technologies, la guerre a acquis un pouvoir destructif incontrôlé qui affecte beaucoup de victimes civiles innocentes… Nous ne pouvons donc plus penser à la guerre comme une solution, du fait que les risques seront probablement toujours plus grands que l’utilité hypothétique qu’on lui attribue. Face à cette réalité, il est très difficile aujourd’hui de défendre les critères rationnels, mûris en d’autres temps, pour parler d’une possible “guerre juste”. (n°258)

Toute guerre laisse le monde pire que dans l’état où elle l’a trouvé. La guerre est toujours un échec de la politique et de l’humanité, une capitulation honteuse, une déroute devant les forces du mal. N’en restons pas aux discussions théoriques, touchons les blessures, palpons la chair des personnes affectées. Retournons contempler les nombreux civils massacrés, considérés comme des “dommages collatéraux”. Interrogeons les victimes. Prêtons attention aux réfugiés, à ceux qui souffrent des radiations atomiques ou des attaques chimiques, aux femmes qui ont perdu leurs enfants, à ces enfants mutilés ou privés de leur jeunesse. Prêtons attention à la vérité de ces victimes de la violence, regardons la réalité avec leurs yeux et écoutons leurs récits le cœur ouvert. Nous pourrons ainsi reconnaître l’abîme de mal qui se trouve au cœur de la guerre, et nous ne serons pas perturbés d’être traités de naïfs pour avoir fait le choix de la paix. (n°261)

 



[1] Un mercenaire suisse, entré au service de l’armée britannique en 1756 avec le grade de lieutenant-colonel. 


dimanche 6 novembre 2022

32ème dimanche du temps ordinaire / année C

 

6/11/2022

Luc 20, 27-38

L’Evangile de ce dimanche nous fait entendre l’une de ces nombreuses discussions par lesquelles les pharisiens, les docteurs de la Loi ou les sadducéens voulaient tendre un piège à Jésus et le mettre à l’épreuve. Nous sommes à Jérusalem dans les derniers jours de la vie de Jésus et les autorités du Temple cherchent à mettre la main sur lui. L’objet de la discussion porte sur la vie après la mort et sur la résurrection. Pour prouver la stupidité de la foi en la résurrection les sadducéens inventent une histoire invraisemblable à partir d’une loi de la Torah, un cas d’école comme certains théologiens en raffolent. La réponse que leur donne Jésus en saint Luc est en partie différente de celle que nous trouvons chez Matthieu et Marc : Les enfants de ce monde prennent femme et mari. Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection.

Cette réponse met en avant l’une des significations du mariage et de la procréation : l’homme et la femme dans leur désir d’immortalité font des enfants, enfants qu’ils perçoivent comme le prolongement de leur personnalité et de leur vie bornée par la mort. Inconsciemment en faisant des enfants le couple recherche une certaine forme de résurrection. Jésus précise aussi la signification du célibat : il est un témoignage de la foi en la vie éternelle. Enfin nous comprenons que le mariage est une réalité terrestre et que dans le Royaume de Dieu il perd son utilité et sa raison d’être car nous serons semblables aux anges, créatures spirituelles qui n’ont pas de sexe et ne se reproduisent pas.

Regardons maintenant la réponse de Jésus en saint Matthieu et en saint Marc : Vous vous égarez, en méconnaissant les Écritures et la puissance de Dieu. À la résurrection, en effet, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme les anges dans le ciel.

N’êtes-vous pas en train de vous égarer, en méconnaissant les Écritures et la puissance de Dieu ? Lorsqu’on ressuscite d’entre les morts, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme les anges dans les cieux.

Les deux autres évangélistes soulignent l’erreur des sadducéens parce qu’ils méconnaissent les Ecritures et la puissance de Dieu. Notre foi en la résurrection s’appuie en effet sur l’affirmation de la puissance de Dieu. Si Dieu a donné la vie, s’il est le créateur de tout ce qui est, alors pourquoi n’aurait-il pas la puissance de redonner la vie par la résurrection ? Refuser l’espérance de la résurrection, c’est donc manquer de foi en Dieu. Ce qui peut nous interroger dans la réponse de Jésus c’est sa mention des anges, créatures spirituelles qui n’ont pas de corps. Pour prouver la résurrection qui nous est promise à nous les humains, résurrection de la chair, Jésus nous dit que nous serons semblables aux anges dans les cieux qui n’ont pas de corps ! Est-ce pour Jésus une manière de nous faire comprendre que notre corps de ressuscité sera bien différent de celui que nous sommes sur cette terre ? Car nous sommes bien corps et âme dans l’unité de notre personne. Peut-être Jésus à travers la référence aux anges veut-il nous faire comprendre ce que saint Paul plus tard tentera de faire comprendre aux Corinthiens ? Il y a des corps célestes et des corps terrestres, mais autre est l’éclat des célestes, autre celui des terrestres… ce qui est semé corps physique ressuscite corps spirituel ; car s’il existe un corps physique, il existe aussi un corps spirituel.

dimanche 23 octobre 2022

30ème dimanche du temps ordinaire / année C

 

23/10/2022

Luc 18, 9-14

Saint Luc en ce dimanche nous présente un enseignement de Jésus en parabole, il nous peint un petit tableau très vivant en donnant l’intention de cet enseignement : À l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres… La scène prend place dans le Temple et nous montre deux hommes en prière. Leur attitude physique et mentale est présentée en contraste. L’un debout, l’autre à distance et se frappant la poitrine. La prière du pharisien est une prière d’action de grâce et elle commence très bien : Mon Dieu, je te rends grâce… Malheureusement ce croyant ne remercie pas Dieu pour ses dons ou pour sa bonté mais parce qu’il s’estime supérieur aux autres, meilleur qu’eux : parce que je ne suis pas comme les autres hommes. Lui est saint, les autres sont pécheurs. Il se vante aussi devant Dieu de ses œuvres : Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne. Oubliant la mise en garde de Jésus dans le sermon sur la montagne : Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux. La prière de cet homme témoigne du sentiment de supériorité qui l’habite et de l’orgueil qui a pris possession de son cœur. Il n’est pas rendu juste par l’amour de Dieu mais il conquiert sa justice par ce qu’il fait de bon. Et c’est bien cet orgueil qui l’amène pernicieusement à mépriser ceux qu’il nomme les autres hommes… oubliant par-là la fraternité dans laquelle Dieu nous place en nous créant et en nous sauvant dans le Christ. Sa prière a donc l’effet inverse d’une prière authentique : au lieu de créer de la communion, elle sépare cet homme et de Dieu et de ses frères. A l’opposé de l’orgueil du pharisien Jésus nous montre l’humilité du publicain : Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis ! La conclusion de l’enseignement est claire : Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé.

Jésus lui-même a choisi cette voie de l’abaissement pour se faire le frère de tous les hommes qui sont tous pécheurs, qui ont tous besoin du pardon et de la réconciliation. Et il l’a fait dès le commencement de son ministère en se soumettant au baptême de pénitence donné par Jean : Avec tout le peuple qui recevait le baptême, Jésus aussi se fit baptiser. D’un côté le pharisien se sépare des autres, de l’autre le Seigneur se tient au milieu d’eux.

En cette journée mondiale des missions, nous comprenons que l’évangélisation exige cette fraternité. Il est impossible d’être témoin du Christ en méprisant les autres ou en se croyant supérieur ou meilleur. Le catholique qui évangélise et témoigne de sa foi ne considère pas les incroyants ou les fidèles des autres religions avec dédain et de haut. Il sait qu’il n’est pas meilleur qu’eux et que parfois ce sont ces frères en humanité, en dehors de l’Eglise visible, qui peuvent nous édifier. Le bien, fort heureusement, n’est pas notre propriété. Etre missionnaire implique donc de cultiver la vertu du publicain, celle de l’humilité. On ne propose pas la vérité de l’Evangile en dominant mais bien en s’abaissant, en se faisant petit et en désirant être frère et sœur de tous nos semblables.

En guise d’ouverture, pour prolonger notre méditation, écoutons ce passage du message du pape François à l’occasion de la journée missionnaire mondiale : L’exemple de la vie chrétienne et l’annonce du Christ vont ensemble dans l’évangélisation. L’un sert l’autre. Ce sont les deux poumons avec lesquels toute communauté doit respirer pour être missionnaire.