dimanche 28 mars 2021

DIMANCHE DES RAMEAUX ET DE LA PASSION / Année B

 

Deux fois par an, aujourd’hui et le vendredi saint, la liturgie nous fait entendre le récit de la Passion du Seigneur. C’est une grande grâce pour nous que de pouvoir vivre cette expérience. L’Evangile ne nous est présenté par la liturgie en « petits morceaux » que pour des raisons pratiques. Mais il est de loin préférable de l’accueillir, comme nous le faisons aujourd’hui, de manière développée et longue.

L’évangéliste Marc nous rapporte le drame de la Passion, conclusion et aboutissement de la vie du Messie, sous la forme scandaleuse d’un échec apparent. Ce drame est essentiel non seulement pour notre foi chrétienne mais aussi pour l’histoire de notre humanité dans son ensemble. Il est pourtant passé quasiment inaperçu aux yeux des historiens antiques, Tacite le mentionnant brièvement dans ses Annales : L’initiateur de ce nom de chrétiens, Christus, avait été livré au supplice par le procurateur Ponce Pilate.

Ce drame implique tout un ensemble de relations humaines avec ses acteurs Juifs et Romains. Chacun de ces acteurs se situant par rapport à Jésus et à la question centrale : cet homme est-il réellement le Messie ou bien un imposteur ? Faut-il le relâcher ou bien le condamner à mort ? Est-il innocent ou coupable ? Au cœur de ce drame se joue aussi la relation unique que Jésus entretient avec celui qu’il nomme son Père. A deux moments clés du récit de la Passion, il s’adresse à Dieu. Tout d’abord au moment de l’agonie dans le jardin : « Abba… Père, tout est possible pour toi. Éloigne de moi cette coupe. Cependant, non pas ce que moi, je veux, mais ce que toi, tu veux ! » C’est le prologue de la Passion, et c’est avec le nom Abba, rempli de tendresse, d’affection et de confiance, que le Fils prie son Père. Contrairement aux scènes du baptême et de la transfiguration, aucune voix ne se fait entendre en réponse à la supplication du Fils dont l’âme est triste à en mourir. A l’autre bout du récit, au moment suprême, sur le Golgotha, Jésus prononce une unique parole qu’il emprunte au psaume 22 : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Remarquons le passage de « Père » à « Dieu », un nom générique, beaucoup plus impersonnel. Le cri de Jésus, juste avant de mourir, est un double mystère. Tout d’abord parce que normalement un crucifié mourait d’épuisement, asphyxié, et qu’il ne pouvait pas avoir la force de crier ainsi. Mais le plus grand mystère se situe ailleurs : au niveau de la relation du Fils avec son Père. Comme si le Fils ne comprenait plus son Père… A cet instant précis Jésus se présente à nous comme celui que Dieu a abandonné entre les mains des hommes pécheurs. Il souffre dans son âme de l’absence et du silence de Dieu. Comment est-ce donc possible puisqu’il participe à la divine communion trinitaire, uni au Père dans l’Esprit ? Moi et le Père, nous sommes Un… Qui me voit, voit le Père… Le Père est en moi, et moi dans le Père… Dans l’un de ses sermons sur la Passion, Bossuet commentait ainsi cette parole du Christ en croix : il fallait que, par quelque autre secret inconnu aux hommes, ou par un miracle extraordinaire, comme tout est extraordinaire en Jésus-Christ, la divinité eût trouvé le moyen d’accorder ensemble l’union étroite de Dieu et de l’homme avec cette extrême désolation où l’homme Jésus-Christ a été plongé… De quelle sorte tout cela s’est fait, ne le demandez pas à des hommes… c’est le mystère. Face à l’abime de cette parole du Sauveur en croix, saint Paul nous éclaire dans sa seconde lettre aux Corinthiens : Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu. Ou bien selon une autre traduction : Lui qui n’avait pas connu de faute, pour nous il l’a fait faute afin que nous devenions justice de Dieu en lui. Le cri de Jésus illustre au plus haut point la manière avec laquelle l’apôtre Paul comprend le mystère de l’incarnation comme un abaissement extrême de la divinité :

Ayant la condition de Dieu, il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Dans la Passion du Christ et dans sa mort, c’est un admirable échange que nous contemplons. Comme si le Fils bien-aimé devenait orphelin pour nous donner son Père et faire de nous des fils et des filles de Dieu… Il est l’Agneau de Dieu qui prend sur lui tous nos péchés pour les consumer dans le feu de son offrande d’amour. Il est celui qui accomplit parfaitement l’oracle d’Isaïe : c’est par ses blessures que nous sommes guéris.

dimanche 21 mars 2021

Cinquième dimanche de Carême / année B

 

21/03/2021

Jean 12, 20-33

Ce cinquième dimanche de Carême nous introduit déjà au mystère de la Passion du Christ. L’Evangile de Jean que nous venons d’écouter a une tonalité pascale. Jésus y parle de son heure, celle de sa glorification par la croix. Aux pèlerins de culture grecque qui veulent le voir, il annonce le mystère de sa Pâque. C’est donc dans ce mystère de rejet, de souffrance, de mort et de résurrection que nous pouvons voir Jésus et comprendre qui est le Fils de l’homme. Pour annoncer ce mystère le Seigneur utilise deux images : celle du grain de blé tombé en terre et celle de son élévation de terre. Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul… Et moi, quand j’aurai été élevé de terre…

Ces deux images nous disent la même chose. Mais remarquons le contraste entre les deux. L’une nous montre le grain qui tombe en terre dans un mouvement descendant ; l’autre, au contraire, nous montre Jésus élevé de terre, dans un mouvement ascendant, celui de sa mise en croix. Mais dans les deux cas la mort de Jésus est source de communion entre les hommes. Comme le grain, elle porte beaucoup de fruit. Elle est le signe de la victoire de Dieu sur le prince de ce monde et un signe d’attraction pour tous les hommes, un signe de salut universel : J’attirerai à moi tous les hommes.

Les Grecs qui veulent voir Jésus représentent bien tous ces hommes qui viendront vers Jésus des quatre coins du monde après Pâques et après la Pentecôte. Par sa mort en croix le Seigneur ouvrira toutes grandes les portes du salut à tous les peuples pour les rassembler dans une alliance nouvelle et éternelle, celle annoncée par Jérémie dans la première lecture. N’est-ce pas le symbolisme clair des bras de Jésus écartés sur le bois de la croix dans un geste d’accueil ? La puissance de la croix fait éclater le cadre juif de l’alliance mais surtout elle intériorise la relation entre Dieu et les hommes : Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai dans leur cœur.

C’est par le moyen de l’abaissement et de la faiblesse de son Messie et de son Fils que Dieu attirera à lui avec puissance les cœurs de ses enfants pour les rassembler dans l’amour du Christ. Ce n’est plus sur une montagne et dans la puissance d’une manifestation divine que l’alliance est donnée, mais sur l’arbre de la croix, dans la faiblesse et l’abandon du Fils de l’homme. Contrairement à Moïse, Jésus n’a rien écrit. Son message, c’est sa personne et sa vie. L’évangéliste Jean ne nous parle pas de l’agonie du Seigneur au jardin des oliviers. C’est dans l’Evangile de ce dimanche que Jésus vit déjà son agonie : Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci !

Jésus est profondément humain, comme l’indique bien ce titre de Fils de l’homme qu’il aime à utiliser pour parler de lui. Il nous sauve et nous rassemble, non pas dans une attitude stoïque d’indifférence face à sa mort toute proche, mais bien par son âme bouleversée et son cœur souffrant. Il vit de l’intérieur la faiblesse de notre condition humaine face à la souffrance et à la mort. Il souffre de la trahison, du rejet, de l’incompréhension. Nous pouvons méditer l’enseignement de Pierre, s’inspirant d’Isaïe : Par ses blessures, nous sommes guéris. Car vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos âmes. Que le Seigneur nous fasse le don d’un cœur de chair, d’un cœur sensible et vulnérable, d’un cœur capable de transformer notre faiblesse humaine en puissance de Dieu pour le salut du monde !

dimanche 14 mars 2021

Quatrième dimanche de Carême / année B

 

14/03/2021

Jean 3, 14-21

Les paroles de Jésus que nous venons d’entendre furent prononcées lors de la rencontre nocturne entre le pharisien Nicodème et le Seigneur. Après un échange entre les deux hommes, Jésus enseigne Nicodème. C’est la conclusion de cet enseignement que nous entendons en ce dimanche. Dans un premier temps Jésus annonce sa mort en croix avec l’image de l’élévation : De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé. Il insiste sur l’importance de croire en lui pour recevoir le don du salut. Nicodème est un homme de bonne volonté et il l’invite à faire un acte de foi en lui comme envoyé de Dieu. Jésus est porteur en sa personne de l’amour miséricordieux du Père. Il vient parmi nous, non pas pour nous condamner mais bien pour nous sauver.

Dans un second temps, le Seigneur utilise l’image, très fréquente dans la Bible, de la lumière et des ténèbres. Souvenons-nous que cette rencontre se déroule de nuit. Après avoir appelé Nicodème à la foi, il lui rappelle que le mouvement naturel des hommes consiste à refuser la Bonne Nouvelle du salut : La lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises.

Ce refus du Sauveur avait déjà été annoncé dès le prologue de l’Evangile de Jean : Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde. Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu.

Ce qui est intéressant dans l’enseignement donné à Nicodème, c’est que Jésus explique le pourquoi de ce refus : parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Ce qui nous empêche de venir à Jésus lumière et de le reconnaître comme notre Sauveur, ce sont nos péchés. Rappelons-nous pour illustrer cette réalité de la réaction d’Adam lorsqu’il prend conscience du péché qu’il vient de commettre dans le jardin d’Eden et que Dieu vient à sa recherche : J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché. Peur et honte éloignent de Dieu Adam et le maintiennent dans les ténèbres de sa faute. Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées. Dans le mouvement de la conversion et dans le sacrement du pardon, nous parvenons à vaincre notre honte et notre peur et nous nous précipitons dans les bras miséricordieux du Seigneur. Nous nous arrachons aux ténèbres, conséquence de nos choix mauvais, pour aspirer à la vérité, à la lumière. Le verset qui conclut notre Evangile et la rencontre avec Nicodème est riche d’une grande signification : Celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu.

Le disciple du Christ est celui qui fait la vérité. Le verbe faire est d’une grande importance ici. Jésus ne nous demande pas de connaître la vérité ou encore de la contempler, mais bien de la faire, donc de l’accomplir, de la rendre manifeste dans nos vies. L’accès à la lumière de la vérité sur Dieu et sur nous-même est d’ordre essentiellement pratique : c’est en recherchant activement le bien et la justice, en le faisant, que nous quittons les ténèbres pour la lumière. Dans ses Pensées, Blaise Pascal se situe dans la droite ligne de ce verset de l’Evangile même si c’est bien sûr avec le vocabulaire de son temps :

"J'aurais bientôt quitté les plaisirs, disent-ils, si j'avais la foi." - Et moi, je vous dis : "Vous auriez bientôt la foi, si vous aviez quitté les plaisirs." Les plaisirs dont parle Pascal correspondent en fait aux œuvres mauvaises dont parle Jésus, aux péchés. Enfin saint Jacques reprend dans sa lettre cet enseignement du Seigneur à Nicodème :

Comme le corps privé de souffle est mort, de même la foi sans les œuvres est morte.

 

dimanche 7 mars 2021

Troisième dimanche de Carême / année B

 

7/03/21

Jean 2, 13-25

Jean, contrairement aux autres évangélistes, situe la scène des marchands du temple au commencement du ministère public de Jésus, immédiatement après les noces de Cana. Ce geste du Seigneur a donc un caractère inaugural pour le quatrième évangéliste. C’est en raison de la fête de la Pâque que Jésus quitte la Galilée pour monter à Jérusalem. Rappelons que le Temple d’Hérode, encore inachevé à l’époque, était le lieu de culte unique du peuple Juif. Dans ce temple unique on offrait les sacrifices d’animaux prescrits par la loi de Moïse. De ce point de vue le culte Juif ressemblait à tous les cultes de l’antiquité. Le temple était donc le point de ralliement des croyants à l’occasion des grandes fêtes qui ponctuaient l’année et le cœur de la nation juive.

Le geste de Jésus est l’expression d’une colère intérieure et cette expression n’est pas sans une certaine violence de sa part. Fait unique dans les Evangiles, même si Jésus a aussi été violent dans ses paroles en particulier dans sa dénonciation de l’hypocrisie des pharisiens et des docteurs de la Loi (serpents, race de vipères). Je vous renvoie au chapitre 23 de saint Matthieu. En chassant du Temple non seulement les vendeurs mais aussi les animaux destinés aux sacrifices, Jésus annonce la fin du culte selon la loi de Moïse et le culte nouveau. Fin qui se réalisera effectivement lorsque Titus détruira le temple en 70. Dans la nouvelle alliance pas d’autre temple que le corps du Christ ressuscité : Mais lui parlait du sanctuaire de son corps. Chaque chrétien, chaque disciple du Christ étant lui-même un temple comme l’enseigne Paul, sans oublier la très belle image des pierres vivantes utilisée par Pierre. C’est l’occasion de rappeler que nos églises, fussent-elles des cathédrales et des basiliques, n’ont pas la même fonction que l’unique temple de Jérusalem, et qu’en christianisme ce sont les pierres vivantes qui sont les plus importantes. Une église-bâtiment dans laquelle on ne célèbre plus les sacrements, une église sans fidèles devient très vite un musée si elle abrite des œuvres d’art ou bien finit par être transformée ou détruite, car elle a perdu sa raison d’être.

Jésus explique son geste de la manière suivante : Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. Le caractère sacré du temple, maison du Père, exclut aux yeux du Seigneur toute activité commerciale, tout échange d’argent. L’appât du gain, la cupidité humaine, peuvent en effet dégrader les réalités les plus belles, pensons par exemple au sport. D’où les mises en garde fréquentes de Jésus contre la cupidité. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent ! Donc la maison de la prière ne peut pas être aussi une maison de commerce. Dans sa diatribe contre les pharisiens, déjà citée, Jésus donne un exemple de la corruption produite par la cupidité dans des esprits pourtant religieux : Malheureux êtes-vous, guides aveugles, vous qui dites : “Si l’on fait un serment par le Sanctuaire, il est nul ; mais si l’on fait un serment par l’or du Sanctuaire, on doit s’en acquitter.” Insensés et aveugles ! Qu’est-ce qui est le plus important : l’or ? ou bien le Sanctuaire qui consacre cet or ? De la même manière que l’or des offrandes avait pris le pas sur le sanctuaire dans l’esprit des pharisiens, le commerce lucratif du temple pouvait l’emporter dans l’esprit des prêtres sur le culte divin, d’où l’intransigeance de Jésus et sa colère.

L’épisode des marchands et des animaux chassés hors du temple est vraiment l’annonce du culte nouveau. Il peut être mis en relation avec le très bel enseignement que Jésus donne à la femme de Samarie, deux chapitres plus loin dans le même Evangile :

Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père… L’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer.