jeudi 28 juin 2007

Nativité de Jean le Baptiste

Nativité de Jean Baptiste
24/06/07
Luc 1, 57-80 (page 1346)

Nous célébrons en ce dimanche la solennité de la nativité de saint Jean Baptiste. La liturgie donne à Jean un grand privilège puisque en dehors de Jésus et de la Vierge Marie, c’est le seul saint dont nous fêtons la naissance. La nativité de Jean est même liturgiquement une célébration plus importante que la nativité de Marie. Cette dernière est seulement une fête, célébrée le 8 septembre, et non pas une solennité. Et pour être complet signalons la mémoire du martyre de Jean le 29 août. C’est dire l’importance du précurseur dans la liturgie catholique. Le Seigneur Jésus lui-même a célébré la grandeur de Jean : « Oui, je vous le dis, on n’a pas vu se lever plus grand que Jean parmi les fils de la femme. » Cependant la grandeur de Jean nous renvoie à notre propre dignité de baptisés : « Et pourtant le plus petit dans le Royaume des Cieux est plus grand que Jean. »
La liturgie de la Parole nous invite à saisir quelle est l’identité profonde de Jean. Et par-delà la figure du précurseur à contempler notre propre identité avec le regard même de Dieu.
La question qui résonne dans l’Evangile de Luc est posée au futur : « Que sera donc cet enfant ? » Mais la Parole de Dieu nous ramène aux origines de Jean, et par conséquent à nos propres origines. Notre identité réelle résulte de cette tension entre nos origines et notre avenir.
La magnifique première lecture ainsi que le psaume nous montre d’une manière poétique que nous existons dans le cœur de Dieu avant même notre naissance : « J’étais encore dans le sein maternel quand le Seigneur m’a appelé ; j’étais encore dans les entrailles de ma mère quand il a prononcé mon nom.[…] Maintenant le Seigneur parle, lui qui m’a formé dès le sein de ma mère pour que je sois son serviteur. » Les paroles du Psaume confirment cette vision d’Isaïe : « C’est toi qui as créé mes reins, qui m’a tissé dans le sein de ma mère. Je reconnais devant toi le prodige, l’être étonnant que je suis. » La nativité de Jean provoque, elle aussi, l’étonnement dans sa famille et parmi ses voisins… Ce qui est étonnant, c’est bien la manière qu’a Dieu notre Père de nous créer, de nous donner la vie. Avant même notre naissance, Dieu notre Père, en nous créant dans le sein de notre mère, nous donne aussi notre vocation, donc notre avenir de bonheur et d’accomplissement. Pour Dieu créer c’est toujours appeler. Créer c’est donner un sens. Et c’est dans la découverte de cette vérité que se trouve la clef de notre bonheur. Beaucoup sont malheureux et désespérés tout simplement parce qu’ils ne savent pas d’où ils viennent ni où ils vont. Ils se sentent inutiles parce qu’ils n’ont pas découvert leur divine vocation, le plan de Dieu pour eux. Ignorer la paternité de Dieu à notre égard, c’est ignorer notre identité la plus profonde : nous sommes en effet des créatures bien-aimées du Père. Nous avons du prix à ses yeux. Tellement de prix que cette histoire d’amour éternel a abouti au scandale de la croix… Ignorer Dieu, c’est prendre le risque de ne pas voir quelle est notre mission unique et irremplaçable dans notre monde et pour notre temps, c’est peut-être passer à côté de notre véritable vocation…
Dès sa naissance, le petit Jean reçoit son identité de Dieu. Tel est le sens de la discussion à propos de son prénom. On veut l’appeler Zacharie comme son père. Mais sa mère puis son père choisissent un prénom inhabituel dans la famille, celui de Jean. Prénom révélé par l’ange à Zacharie alors qu’il officiait dans le sanctuaire… Au jour de sa circoncision l’enfant reçoit donc son nom de Dieu lui-même. Et ce nom est nouveau par rapport aux traditions familiales. Si Dieu nous crée, si Dieu nous donne une famille, jamais il ne nous enferme dans les limites de notre famille. Car il nous crée libres. Les parents ne sont pas créateurs. Ils ne font que transmettre la vie. Aujourd’hui nous parlons beaucoup, et avec raison, des nombreux conditionnements qui façonnent notre personnalité : les gènes, la famille, l’éducation, le milieu social etc. Il ne faudrait pas oublier notre liberté profonde, celle qui nous vient de notre condition d’enfants de Dieu.
Si la famille et les voisins du petit Jean ont voulu l’enfermer dans le passé familial en oubliant sa nouveauté dans le plan de Dieu, plus tard Jean devra aussi s’affirmer pour vivre selon son identité profonde. La deuxième lecture en témoigne, je la cite ici dans la traduction de la Bible des peuples : « Et lorsque Jean était sur le point de terminer sa propre course, il disait : ‘Je ne suis pas ce que vous voudriez que je sois. Mais après moi vient un autre à qui je ne suis pas digne de retirer la sandale. » Notre famille, notre entourage, notre milieu ont souvent tendance à nous dicter ce que nous devons être. Comme Jean, nous puisons en Dieu et en son appel notre liberté authentique. De ce point de vue là, il est toujours plus libérateur de faire la volonté de Dieu que de se conformer aux attentes des hommes. C’est en effet uniquement dans la vérité de notre condition de créatures et d’enfants de Dieu que nous découvrirons avec émerveillement notre identité profonde ainsi que le sens de notre course ici-bas.
Amen

lundi 18 juin 2007

11ème dimanche du temps ordinaire

11ème dimanche du TO/C
17 juin 07
Luc 7,36-8,3 (page 1065)

Pendant les trois années de son ministère public, le Seigneur Jésus a participé à de nombreux repas. Saint Luc nous rapporte au chapitre 5 de son Evangile le repas chez Lévi. Le collecteur d’impôts a entendu l’appel du Maître et l’a immédiatement suivi pour être son disciple. Ce repas avec les collecteurs d’impôts va susciter une vive réaction de la part des pharisiens et des maîtres de la Loi : « Comment pouvez-vous manger et boire avec les collecteurs de l’impôt et les pécheurs ? » Au regard de la loi juive, l’attitude de Jésus est proprement scandaleuse, car on ne mélange pas les torchons et les serviettes, le pur et l’impur. Manger avec quelqu’un, c’est en quelque sorte communier avec lui. Si Jésus mange avec les pécheurs et les publicains, il se rend impur car il approuve alors leur vie et leur attitude… Nous connaissons bien la réponse du Seigneur : « Les biens portants n’ont pas besoin du médecin, il est pour les malades. Ce ne sont pas les justes que je viens appeler à la conversion, mais les pécheurs ». Deux logiques s’affrontent ici : celle de la Parole de Dieu faite chair en Jésus, celle de l’incarnation d’une part, et d’autre part celle de la pureté légale. Les repas sont pour Jésus des lieux d’évangélisation. Lui qui a rappelé au Tentateur que l’homme ne vit pas seulement de pain, il mange, certes, parce qu’il est vraiment homme et qu’il en a besoin pour vivre. Il mange aussi pour, au cours de ces repas, partager aux hommes le pain de la Parole de Dieu. Juste avant notre Evangile de ce dimanche, ce débat sur les repas du Christ revient. Et c’est le Seigneur lui-même qui y fait allusion : « Rappelez-vous Jean : il ne mangeait pas de pain, il ne buvait pas de vin, et quand il est venu on a dit : ‘Il a un démon’. Et puis vient le Fils de l’homme qui mange et qui boit, et l’on dit : ‘Voilà un mangeur et un buveur de vin, un ami des collecteurs de l’impôt et des pécheurs !’ » Toujours dans la logique de l’incarnation, le Seigneur choisira, au cours du dernier repas, le pain et le vin pour en faire les signes sacramentels de sa présence parmi nous, les moyens de notre communion avec lui. Et notons bien que le repas sacré du jeudi saint est étroitement lié au pardon des péchés : « Buvez-en tous ; ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui est versé pour une multitude, pour le pardon des péchés . » Ce qui nous conduit directement à l’évangile de cette liturgie.
Jésus n’a pas mangé que chez les pécheurs et les publicains… Dans notre page évangélique, il accepte l’invitation de Simon le pharisien. Et chez saint Luc nous avons deux autres épisodes où nous voyons Jésus manger à la table des pharisiens. Jésus est vraiment venu pour tous, sans aucune exception, et il le montre par son attitude très ouverte et très libre. Tous, d’une manière ou d’une autre, nous sommes malades du péché, même le pharisien Simon qui s’estime juste. C’est le premier enseignement de notre Evangile, éclairé par la deuxième lecture. Et c’est l’apparition inattendue de la femme, son attitude envers Jésus, qui va révéler le péché de Simon. Sa réflexion intérieure en dit long sur le chemin qu’il a encore à parcourir pour passer de la justice de la loi à la miséricorde du Seigneur : « Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse. » La religion de Simon est manichéenne : d’un côté il y a les bons, de l’autre les méchants. Son péché, c’est le jugement qui enferme une personne, une créature de Dieu dans son attitude extérieure contraire à la loi. C’est une pécheresse ! Il n’y a aucun appel possible dans ce jugement qui est déjà une condamnation. Au chapitre 6 de son évangile, Luc nous rapporte des paroles du Seigneur très importantes et que nous devons réentendre dans ce contexte : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés. Ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et l’on vous pardonnera. Donnez, et l’on vous donnera. […] Car on utilisera pour vous la même mesure que vous utilisez. » Ces derniers jours, j’ai lu la biographie d’un prêtre suisse, un grand auteur spirituel, Maurice Zundel. Ceux qui l’on fréquenté s’accordent tous pour dire que jamais ils ne l’ont entendu émettre une parole de médisance ou de jugement sur son prochain. C’est là le signe certain de sa sainteté de vie ! Nous ressemblons bien souvent à Simon, car c’est notre pente naturelle de critiquer autrui au lieu de l’aimer. Cet amour du prochain inclue la compréhension et le pardon. Et surtout la capacité de voir d’abord ce qu’il y a de bon en chaque personne.
Le deuxième grand enseignement de cet Evangile, c’est le lien entre amour et pardon, foi et salut. Cette femme, dont nous ne connaissons pas le nom, en est l’icône vivante. « Si ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, c’est à cause de son grand amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour. » Entre l’amour et le pardon, c’est un peu l’histoire de la poule et de l’œuf… On ne sait jamais ce qui vient en premier. Une chose est certaine : pour faire intérieurement l’expérience de l’amour de Dieu et de l’amour pour Dieu, nous devons faire l’expérience de sa miséricorde et de son pardon. De ce point de vue là, la femme pécheresse est plus avancée que Simon le pharisien. Même les grands saints qui ne commettaient que des péchés très véniels ont reconnu leurs péchés, c’est-à-dire leur besoin d’être sauvés. Nous avons, nous aussi, à entendre dans notre vie ces paroles de Jésus : « Ta foi t’a sauvé. Va en paix ! » Nous les entendons chaque fois que nous nous confessons avec une véritable contrition, contrition représentée par les larmes de la femme. Nous les entendons chaque fois que nous nous engageons à réparer nos fautes par le don de nous-mêmes, réparation représentée par le vase précieux plein de parfum, répandu sur les pieds du Seigneur.
Amen

dimanche 10 juin 2007

Le Saint Sacrement

Le Saint Sacrement / C
10 juin 2007
Luc 9, 11-17 (page 1190)

En partant du rituel de la messe et du concile Vatican II, je voudrais mettre en lumière certains aspects du sacrement de l’eucharistie que nous fêtons en ce dimanche.
Le soir du jeudi saint, le Seigneur Jésus a choisi le pain et le vin pour être la matière du saint sacrement. Lors de la préparation des dons, rite qui sert de transition entre la liturgie de la parole et la liturgie eucharistique, le prêtre prononce des paroles significatives, paroles qu’il peut aussi dire à voix basse ou intérieurement. La préparation des dons peut passer inaperçue dans le déroulement de la messe car elle correspond au moment de la quête, ce qui ne favorise guère l’attention des fidèles… « Tu es béni, Dieu de l’univers, toi qui nous donnes ce pain, fruit de la terre et du travail des hommes ; nous te le présentons : il deviendra le pain de la vie. » Cette prière enracine le sacrement de l’eucharistie dans la création. Le pain comme le vin sont des dons de Dieu. Ils sont en même temps le fruit du labeur humain. Lorsque vous donnez votre offrande à la quête, c’est votre travail que vous présentez au Seigneur avec toute votre vie et toute votre personne. Dans les simples signes du pain et du vin nous devons voir toute la création, nous devons percevoir tout l’immense effort de l’activité humaine. Le concile Vatican II a parlé de manière admirable du sens de cette activité humaine dans l’univers. Je le citerai ici un peu longuement : « De même qu’elle procède de l’homme, l’activité humaine lui est ordonnée. De fait, par son action, l’homme ne transforme pas seulement les choses et la société, il se parfait lui-même. Il apprend bien des choses, il développe ses facultés, il sort de lui-même et se dépasse. Cet essor, bien conduit, est d’un tout autre prix que l’accumulation possible de richesses extérieures. L’homme vaut plus par ce qu’il est que par ce qu’il a. De même, tout ce que font les hommes pour faire régner plus de justice, une fraternité plus étendue, un ordre plus humain dans les rapports sociaux, dépasse en valeur les progrès techniques. Car ceux-ci peuvent bien fournir la base matérielle de la promotion humaine, mais ils sont tout à fait impuissants, par eux seuls, à la réaliser. » Célébrer l’eucharistie avec le pain et le vin, c’est faire entrer toute la création dans le salut du Christ par la force de l’Esprit. Célébrer l’eucharistie, c’est reconnaître la valeur spirituelle de notre travail et de notre vocation. Le concile dit plus loin que l’Esprit appelle les hommes « à se vouer au service terrestre des hommes, préparant par ce ministère la matière du royaume des cieux. » De la même manière que le pain et le vin sont la matière du sacrement, notre travail accompli selon l’Esprit du Christ est la matière du royaume des cieux.
C’est par la prière à l’Esprit Saint, prière nommée épiclèse, et par les paroles de la consécration, que la substance du pain et du vin se transforme en la substance du corps et du sang du Christ : « Sanctifie ces offrandes par ton Esprit pour qu’elles deviennent le corps et le sang de ton Fils, Jésus Christ, notre Seigneur, qui nous a dit de célébrer ce mystère. » Chaque fois qu’une messe est célébrée, c’est toute la création divine et l’activité humaine qui sont assumées dans le corps et le sang du Ressuscité. L’eucharistie est une anticipation du banquet céleste, elle est le royaume de Dieu déjà présent au milieu de nous. Dans l’eucharistie la création, « livrée au pouvoir du néant », commence à être libérée, transfigurée.
Lorsque nous communions au corps du Christ, nous nous unissons bien sûr à son mystère pascal de mort et de résurrection. Nous vivons alors une profonde intimité avec le Ressuscité. Nous sommes dans son amour et dans sa paix. Avec lui, par lui et en lui, nous sommes déjà victorieux de la mort et du péché. Nous devenons véritablement des vivants. Mais n’oublions pas la deuxième épiclèse, celle qui se situe après la consécration : « Regarde, Seigneur, le sacrifice de ton Eglise, et daigne y reconnaître celui de ton Fils qui nous a rétablis dans ton Alliance ; quand nous serons nourris de son corps et de son sang et remplis de l’Esprit Saint, accorde-nous d’être un seul corps et un seul esprit dans le Christ. Que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire. » Toute la création est comme rassemblée dans le pain et le vin. La matière est spiritualisée en étant offerte au Père. En communiant au sacrement de l’eucharistie nous sommes appelés à être et à devenir, dans la communion de l’Eglise, « une éternelle offrande » à la gloire du Père. En communiant nous nous engageons à vivre la consécration de notre baptême, nous nous engageons à vivre en étant tournés vers Dieu et vers nos frères. Communier, c’est donc recevoir le plus grand don, Dieu lui-même qui se donne en nourriture, pour nous donner à notre tour selon notre vocation.
En conclusion, je citerai encore un merveilleux passage du dernier Concile :
« De tous l’Esprit fait des hommes libres pour que, renonçant à l’amour-propre et rassemblant toutes les énergies terrestres pour la vie humaine, ils s’élancent vers l’avenir, vers ce temps où l’humanité elle-même deviendra une offrande agréable à Dieu. […] Mystérieusement, le royaume est déjà présent sur cette terre ; il atteindra sa perfection quand le Seigneur reviendra. »
« Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne » (2ème lecture).

dimanche 3 juin 2007

Dimanche de la sainte Trinité

La Sainte Trinité / C
3 juin 2007
Jean 16, 12-15 (page 1168)

Le livre des Proverbes dans l’Ancien Testament appartient aux livres sapientiaux. C’est-à-dire à cette littérature de sagesse qui prépare plus directement l’avènement du Christ. Et cela après la Torah et les livres prophétiques. Dans cet ensemble de sept livres nous avons même un livre qui porte le nom de la Sagesse. Cette littérature de sagesse témoigne de la communication entre la foi juive et la culture hellénistique. Dans le livre des Proverbes nous trouvons un long discours de la Sagesse qui commence au début du chapitre 8. Notre première lecture est extraite de ce discours. Notons tout de suite que la Sagesse est personnifiée. Elle n’existe pas seulement comme une idée, une théorie ou une contemplation comme chez les philosophes grecs. La Sagesse est une réalité bien vivante, c’est un être en lien très étroit avec Dieu, existant avant toute la création. Je cite ici la fin de notre première lecture dans la traduction de la Bible Osty :
« J’étais aux côtés du Seigneur comme un enfant chéri et je faisais ses délices chaque jour, jouant devant lui en tout temps, jouant sur le sol de sa terre et trouvant mes délices avec les fils d’homme. »
Ce texte est pour nous plus que surprenant. Spontanément lorsque nous pensons à la sagesse, nous pensons à quelque chose de sérieux, de solennel, voire d’un peu lointain et compliqué. Nous assimilons généralement la sagesse à l’intelligence et à la raison. Rien de tel dans la présentation que la Sagesse divine fait ici d’elle-même : enfant chéri de Dieu, elle se plaît à jouer et trouve ses délices autant auprès du Seigneur que des créatures humaines. On comprend pourquoi les théologiens chrétiens ont vu dans ce portrait de la Sagesse une annonce du Christ dans le mystère de son Incarnation. Le Christ est à la fois du côté de Dieu et du côté des hommes, vrai Dieu et vrai homme. Et comme le dit saint Jean dans son prologue c’est bien par le Verbe, la Parole, le Logos en grec, que Dieu a créé toutes choses. Ce qui implique que ce Logos existe avant même la création, comme la Sagesse ici préexiste aux œuvres de Dieu.
Pourquoi tant insister sur cette première lecture alors que nous fêtons le mystère central de notre foi, celui de la Sainte Trinité ?
Pour montrer que nous ne devons surtout pas nous limiter à une approche théologique de ce mystère, puisqu’en Dieu il y a le jeu et les délices, puisqu’en Dieu il y a l’enfant.
Les plus grands théologiens chrétiens, je pense à saint Augustin et à saint Thomas d’Aquin, ont consacré toutes les ressources de leur foi et de leur intelligence à mettre en lumière Dieu Trinité. Ils nous ont laissé des œuvres stimulantes et magnifiques. Mais ils sont restés très humbles dans leur approche de ce grand mystère. Augustin avait passé de longues journées et de longues nuits à essayer de comprendre ce mystère d'un Dieu en trois personnes. Puis un jour, alors qu'il se promenait sur une plage, il aperçut un enfant qui avait creusé un trou dans le sable et qui cherchait à y transvaser la mer à l'aide d'un coquillage. Augustin sourit et lui dit : "Comment veux-tu vider cette mer sans fin dans un si petit trou ?" et l'enfant lui répondit alors : "Et toi, comment veux-tu comprendre ce Dieu éternel avec ta si petite raison ?" À son secrétaire qui le pressait de reprendre la dictée, Thomas répondit : « Réginald, je ne peux plus. Devant ce que j'ai vu et qui m'a été révélé, tout ce que j'ai écrit me semble de la paille. » Quant à Boèce, un autre théologien, il affirmait ceci : « Au bout de notre connaissance, nous connaissons Dieu comme inconnu ».
La deuxième lecture nous donne une autre voie pour connaître Dieu Trinité. Cette voie ne s’oppose pas à la réflexion théologique. Elle est simplement plus directe et plus vivante : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. » Nous connaissons mieux le mystère trinitaire par l’amour que par la seule intelligence théologique. Car Dieu est Amour, Dieu est communion d’amour, circulation d’amour et de vie entre le Père, le Fils et le Saint Esprit. La sainte Trinité est un mystère d’amour, et c’est uniquement dans l’amour, donc dans l’expérience vivante de la foi et de la prière, que nous en vivrons. Il ne nous servira à rien de connaître et de comprendre toutes les œuvres de saint Thomas d’Aquin si nous ne sommes pas des mystiques, c’est-à-dire des chrétiens unis à Dieu par la foi, la prière et les sacrements. En Dieu Trinité, c’est la Personne Amour, l’Esprit Saint qui nous initie au mystère même de Dieu, et cela bien mieux que les concepts des grands théologiens.
Le Verbe éternel de Dieu est aussi cette Sagesse enfant jouant en présence de Dieu, jouant sur notre terre. Le Verbe éternel de Dieu réjouit le cœur de Dieu et est attiré depuis toujours par notre humanité, trouvant en nous ses délices. Nous comprenons alors peut-être mieux pourquoi Jésus donne à ses apôtres les enfants en exemple :
« Laissez les enfants venir vers moi, ne les empêchez pas ; car c’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume de Dieu. Quiconque n’accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera pas. » Il est frappant de constater que des siècles plus tard, le philosophe athée Nietzsche reprend ces images bibliques du jeu et de l’enfant : « L’enfant est innocence et oubli, un nouveau commencement et un jeu, une roue qui roule sur elle-même, une premier mouvement, un oui sacré. »
Demandons à l’Esprit Saint la force de devenir comme des enfants en présence du mystère de Dieu Trinité ! Que toute notre personne et notre vie soit un « oui sacré » au Père, au Fils et à l’Esprit Saint ! Amen