samedi 26 décembre 2020

Messe du jour de Noël / 25 décembre 2020

 


Jean 1, 1-18

L’Evangile du jour de Noël a une tonalité bien différente du récit de saint Luc que la liturgie nous propose pour la messe de la nuit. Ici plus de nouveau-né couché dans une mangeoire de Bethléem, mais la contemplation du Verbe éternel de Dieu. Le prologue de l’Evangile selon saint Jean est à la fois un texte magnifique et grandiose. Jean mérite ici pleinement son surnom de théologien. Le mot grec Logos est traduit par Verbe. Le Verbe, c’est la Parole de Dieu. Mais le logos signifie aussi la raison, la qualité de ce qui est selon la raison. Jean, dans son prologue, fait en quelque sorte un clin d’œil en direction de la page qui ouvre toutes les Ecritures. AU COMMENCEMENT était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Comment ne pas penser au commencement même de la révélation biblique ? AU COMMENCEMENT, Dieu créa le ciel et la terre. Justement le texte de Genèse 1 nous dit que Dieu crée toutes choses par sa Parole, par son Logos : Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut. Dieu donne existence à tout ce qui est par sa Parole qui est Raison, c’est-à-dire l’exact contraire du chaos initial décrit lui aussi par la Genèse : La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme. La Raison divine, celle du Logos, celle du Fils, n’a rien à voir avec une froide abstraction philosophique. Cette raison est pleine de grâce et de vérité. C’est une raison inséparable de l’amour, car toujours selon saint Jean Dieu est amour. C’est sur ce fond du projet créateur de Dieu que l’incarnation du Verbe nous est présentée. Dans la traduction de Chouraqui cela donne : Le Logos est devenu chair. Il a planté sa tente parmi nous. Cette traduction a l’avantage de situer Noël dans la continuité de la présence de Dieu au milieu de son peuple, sous la tente et sous la figure de l’arche d’alliance, pendant sa longue marche dans le désert. Le mystère de l’incarnation unit en Jésus ce que les philosophes ont eu tendance à séparer, voire à opposer : l’Esprit et la chair, la Raison et le sensible. Jésus, homme parfait, unit en lui toutes les dimensions de notre être, le corps et l’âme, la sensibilité et la raison. Avant le verset du prologue que je viens de citer, Jean affirme la présence du Verbe dans sa création : Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde. Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. Le credo de Nicée en utilisant une image spatiale pour parler de l’incarnation pourrait nous conduire dans une fausse compréhension de ce grand mystère : Pour nous les hommes, et pour notre salut, il descendit du ciel. Par l’Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie, et s’est fait homme. Le prêtre suisse Maurice Zundel, mort en 1975, nous aide à ne pas comprendre Noël comme une descente sur terre d’un Dieu qui jusque-là aurait été absent : Il n’est pas question d’imaginer que Dieu soit descendu du Ciel parce que le Ciel, c’est lui-même et que ce Ciel, nous devons le découvrir au plus intime de nous-mêmes. Ce que le mystère de Noël nous permet, parce que Dieu en son Fils se fait notre frère, c’est bien de le recevoir, de reconnaître enfin sa présence au milieu de nous. Pour le dire autrement le changement n’est pas du côté de Dieu, mais de notre côté. Zundel écrit : L’incarnation consistera à rendre l’homme présent à Dieu, ce qu’exprime le symbole de saint Athanase qui nous parle de l’assomption de l’humanité à Dieu. L’incarnation rend visible la présence de Dieu aux yeux de la foi : Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître. Depuis Noël nous savons que le chemin qui conduit à l’union avec Dieu passe par l’homme, par l’homme parfait qu’est Jésus, le nouvel Adam, et par tout homme, tous les hommes nos frères, que nous sommes appelés à aimer. Chaque fois que nous progressons sur ce chemin de l’amour nous devenons peu à peu le Ciel, ce Ciel que nous devons découvrir au plus intime de nous-mêmes par la grâce du Christ. Dans sa première lettre saint Jean complète le prologue de son Evangile en nous indiquant comment le mystère de l’incarnation nous sauve et finalement nous transforme intérieurement : Dieu, personne ne l’a jamais vu. Mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et, en nous, son amour atteint la perfection.


Messe de la nuit de Noël / 24 décembre 2020

 


Luc 2, 1-14

Nous ne connaissons pas la date de la naissance de Jésus. Les premiers chrétiens ne célébraient pas Noël mais seulement Pâques. La première mention d'une célébration chrétienne un 25 décembre date de l'an 336 à Rome à la fin du règne de Constantin, le premier empereur chrétien. Les chrétiens de Rome ont choisi la date du 25 pour deux raisons : elle correspondait au moment du solstice d’hiver et à la fête païenne du Soleil invaincu et immortel. Nous comprenons facilement la symbolique de ce choix : de la même manière que le soleil recommence à partir de Noël à faire triompher la lumière du jour sur les ténèbres de la nuit, la naissance du Christ inaugure une ère dans laquelle sa lumière triomphera des ténèbres du mal et du péché. Noël, c’est donc la naissance du Christ notre lumière : Moi, je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, il aura la lumière de la vie.

Si nous ne connaissons pas le jour de la naissance du Christ, l’Evangile selon saint Luc précise qu’elle eut lieu sous le règne du premier empereur de Rome, Auguste. Et ce n’est probablement pas par hasard que le Père a choisi ce moment historique particulier pour l’incarnation de son Fils bien-aimé. La Providence a en effet voulu que le Prince de la paix dont nous parle Isaïe naisse dans le temps sous le règne d’Auguste, celui qui a rendu la paix, après un siècle de guerres civiles, aux habitants de l’Empire romain.

Les parents de Jésus habitaient Nazareth en Galilée, mais à l’occasion d’un recensement, ils descendirent en Judée dans la ville du roi David, Bethléem, car Joseph était originaire de cette ville. Là encore ce n’est pas par hasard que Jésus naît à Bethléem au lieu de naître à Nazareth. Non seulement parce qu’il accomplit ainsi la promesse faite par Dieu à son ancêtre David, il est en effet le Fils de David, mais aussi parce que le nom de Bethléem signifie en hébreu la maison du pain. L’Evangile de Luc est d’une sobriété extraordinaire. Un seul verset du chapitre 2 est en effet consacré à la naissance de l’enfant :

Et Marie mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune.

C’est ce verset qui nous parle de la mangeoire qui est à l’origine de nos crèches. Si on met ensemble Bethléem et la mangeoire, on ne peut pas s’empêcher de penser immédiatement au sacrement de l’eucharistie et au mystère de la Pâque du Seigneur au cours duquel ce sacrement fut institué. Le Fils de Dieu naît dans une mangeoire, dans la ville du pain, parce qu’il veut se donner en nourriture spirituelle à chacun d’entre nous et réaliser ainsi le but de l’incarnation : la réconciliation et l’union d’amour, la communion, entre l’humanité et la divinité, entre les créatures et leur Créateur. Un verset du chapitre 6 de l’Evangile selon saint Jean prend une signification merveilleuse lorsque nous le méditons en ayant à l’esprit la mangeoire de l’enfant Jésus : Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel. Qui dit mangeoire dit animaux de ferme. Nos crèches comportent toujours le bœuf et l’âne, proches de l’enfant qui vient de naître du sein de Marie. D’où vient cette tradition puisque Luc ne mentionne pas ces animaux dans son récit ? D’un verset du chapitre premier d’Isaïe : Cieux, écoutez ; terre, prête l’oreille, car le Seigneur a parlé. J’ai fait grandir des enfants, je les ai élevés, mais ils se sont révoltés contre moi. Le bœuf connaît son propriétaire, et l’âne, la crèche de son maître. Israël ne le connaît pas, mon peuple ne comprend pas. Ainsi dès le début se profile à l’horizon le drame du refus de Jésus par les hommes. Il naît parmi les animaux, en dehors de la salle commune.

C’est avec le chant des anges que se termine l’Evangile de la Nativité : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. Autour de l’enfant qui vient de naître, Dieu rassemble par son amour toute la création : non seulement les hommes mais aussi les animaux et les anges. Le message des anges chante le don de la paix de Dieu. En célébrant cette nuit le mystère de l’incarnation, ouvrons largement nos cœurs à ce grand don. Ce cadeau de la réconciliation avec nous-mêmes, avec les autres, avec Dieu, avec toute la création, nous est donné pour que nous le partagions. Surtout si nous avons la grâce de pouvoir communier, de recevoir en nos âmes le pain de vie descendu du ciel, soyons toujours davantage, en quittant cette église, des artisans de paix. La paix de Noël promise à notre terre et aux hommes bien-aimés du Père passe par nos cœurs, nos pensées, nos paroles, nos actes et nos choix de vie. L’enfant de la crèche nous délivre déjà son message sans pouvoir parler mais simplement en étant là, offert à nos regards : Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.


dimanche 20 décembre 2020

Quatrième dimanche de l'Avent / année B

 


Luc 1, 26-38

20/12/20

Le dernier dimanche de l’Avent nous introduit toujours directement à la célébration de Noël, cette année avec le récit de l’annonciation et la figure de Marie, une jeune fille vierge, accordée en mariage à un homme de la maison de David, appelé Joseph.

La première lecture nous parle justement de la maison de David. Le roi vit enfin dans la paix et il exprime à Nathan son désir de construire un temple pour abriter l’arche du Seigneur : Regarde ! J’habite dans une maison de cèdre, et l’arche de Dieu habite sous un abri de toile ! Nathan approuve alors l’intention du roi en lui disant : Le Seigneur est avec toi. Mais le projet de Dieu est différent et il le fait savoir à David par l’entremise du prophète : Est-ce toi qui me bâtiras une maison pour que j’y habite ? […] Le Seigneur t’annonce qu’il te fera lui-même une maison. Quand tes jours seront accomplis et que tu reposeras auprès de tes pères, je te susciterai dans ta descendance un successeur, qui naîtra de toi, et je rendrai stable sa royauté. C’est lui qui bâtira une maison pour mon nom, et je rendrai stable pour toujours son trône royal. Moi, je serai pour lui un père ; et lui sera pour moi un fils. […] Ta maison et ta royauté subsisteront toujours devant moi, ton trône sera stable pour toujours. » La réponse du Seigneur au projet de David est double : il lui promet un fils, ce sera lui, Salomon, qui bâtira le temple de pierre et il lui promet aussi une maison qui subsistera pour toujours. Au-delà du temple de Salomon, le Seigneur annonce que c’est lui-même qui se bâtira un temple dans la descendance de David. L’ange Gabriel reprend en partie cette promesse dans la salutation qu’il adresse à Marie. Ce qui nous est décrit dans le second livre de Samuel non seulement nous introduit au grand mystère de l’incarnation mais nous fournit aussi un élément essentiel de la spiritualité chrétienne. D’un côté nous avons David, un homme de bonne volonté, rempli de bonnes intentions, et qui veut faire quelque chose de grand et de beau pour le Seigneur : un temple. De l’autre nous avons Dieu qui veut faire quelque chose d’infiniment plus grand et plus beau pour son serviteur David : lui bâtir une maison éternelle dans laquelle naitra le Messie. Souvent nous voulons faire au nom de notre foi de grandes et belles choses pour Dieu parce que nous l’aimons. Nous oublions cependant d’être attentifs à l’essentiel, à ce que Dieu veut faire pour nous. Dans le récit de l’annonciation, ce n’est pas Marie qui prend l’initiative d’être la mère de Jésus. Ce qui est mis en valeur, c’est bien le choix de Dieu, son action qui rendra mère une vierge : L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre. Cette priorité de l’initiative et de l’action de Dieu sur tous nos projets nous introduit bien au mystère de Noël. La grandeur de Marie consiste à répondre « oui » à la volonté du Seigneur sur elle, à faire en quelque sorte un saut dans l’inconnu, un acte de foi. Elle devient alors la véritable arche d’alliance, non plus celle qui abritait les tables de la loi dans le temple, mais celle qui porte en son sein le Saint des Saints, et pour reprendre les paroles de Gabriel, le Fils du Très-Haut et le Fils de Dieu. Toute la révélation de l’Ancien comme du Nouveau Testament insiste sur la grâce de Dieu, sur le fait que c’est Lui le premier qui nous a aimés, Lui le premier qui agit toujours en notre faveur. Marie l’a parfaitement compris lorsqu’elle chante dans son Magnificat : Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! Que le temps de Noël, désormais tout proche, nous apprenne à reconnaître et à contempler avec gratitude tous les cadeaux de Dieu dans nos vies, tout ce qu’Il a fait pour nous et ce qu’Il fait pour nous dans l’aujourd’hui de nos vies, lui qui est toujours fidèle à ses promesses et qui n’attend de nous que le consentement de notre foi.


dimanche 13 décembre 2020

Troisième dimanche de l'Avent / année B

 

Isaïe 61

13/12/20

L’antienne d’ouverture de cette messe est une invitation à la joie : Soyez dans la joie du Seigneur, soyez toujours dans la joie, le Seigneur est proche. Ces paroles de l’apôtre Paul aux Philippiens sont dans la même tonalité que celles qu’il adresse aux Thessaloniciens dans la deuxième lecture : soyez toujours dans la joie. Et c’est encore la joie que nous retrouvons dans la première lecture du prophète Isaïe : Je tressaille de joie dans le Seigneur, mon âme exulte en mon Dieu.

La première lecture de cette liturgie correspond presque au chapitre 61 du livre d’Isaïe. Seuls les versets 3 à 9 manquent. Le commencement de ce chapitre est bien connu car Jésus a affirmé avoir accompli cette prophétie dans la synagogue de Nazareth. Dans le mystère de son incarnation, il s’identifie à cet homme sur lequel repose l’Esprit du Seigneur. Il est consacré par l’onction et envoyé par le Père pour annoncer la bonne nouvelle aux humbles. Son ministère messianique est à la fois un ministère de libération et de consolation comme le montre ce passage non retenu pour notre première lecture : le Messie vient pour consoler tous ceux qui sont en deuil, ceux qui sont en deuil dans Sion, mettre le diadème sur leur tête au lieu de la cendre, l’huile de joie au lieu du deuil, un habit de fête au lieu d’un esprit abattu. Ils seront appelés « Térébinthes de justice », « Plantation du Seigneur qui manifeste sa splendeur ». Cela nous rappelle les paroles de consolation adressées par Dieu à son peuple dans le passage d’Isaïe entendu dimanche dernier. Dans la suite du chapitre 61, nous trouvons l’annonce de l’alliance qui sera instaurée par le Messie : Parce que moi, le Seigneur, j’aime le bon droit, parce que je hais le vol et l’injustice, loyalement, je leur donnerai la récompense, je conclurai avec eux une alliance éternelle.

A partir du verset 10 nous retrouvons notre première lecture avec un chant de joie qui sera repris dans le Magnificat de la Vierge Marie. On peut aussi penser que ce chant de joie concerne d’abord le Messie lui-même, c’est-à-dire Jésus, celui sur lequel repose l’Esprit du Seigneur. Pour exprimer l’intensité de cette joie messianique, Isaïe utilise la belle image des noces : comme le jeune marié orné du diadème, la jeune mariée que parent ses joyaux.

Et c’est avec une autre image que le chapitre 61 se termine : Comme la terre fait éclore son germe, et le jardin, germer ses semences, le Seigneur Dieu fera germer la justice et la louange devant toutes les nations. L’image cette fois se réfère à un jardin, à des semences qui germent, symboles de justice et de louange pour tous les peuples. Cela nous rappelle un verset bien connu du chapitre 45 : Cieux, distillez d’en haut votre rosée, que, des nuages, pleuve la justice, que la terre s’ouvre, produise le salut, et qu’alors germe aussi la justice. Moi, le Seigneur, je crée tout cela. Sans oublier les magnifiques versets du psaume 84 : Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s'embrassent ; la vérité germera de la terre et du ciel se penchera la justice. Le Seigneur donnera ses bienfaits, et notre terre donnera son fruit. La justice marchera devant lui, et ses pas traceront le chemin.

Ces textes nous font entendre la symphonie du salut. Si Jésus le Messie est l’auteur du véritable salut, du salut définitif, c’est en raison du mystère de son incarnation. Pourquoi donc ces appels répétés à la joie spirituelle ? Parce qu’en Jésus et en lui seul nous contemplons le mariage de la divinité avec notre humanité, l’alliance du ciel et de la terre afin que germe la justice de Dieu pour toutes les nations. De ce mystère nous sommes partie prenante. Nous ne le recevons pas de manière passive mais nous y participons :

La vérité germera de la terre et du ciel se penchera la justice.

En ce troisième dimanche de l’Avent, nous pouvons nous réjouir avec Isaïe, avec Marie, car nous contemplons déjà cette très belle rencontre entre la terre et le ciel, rencontre qui germera dans le sein de Marie et la crèche de Bethléem pour atteindre toutes les nations après la Pentecôte et les inviter à entrer dans la joie de cette alliance éternelle et définitive. De la même manière que le Père a eu besoin de Marie pour réaliser son salut, il a encore aujourd’hui besoin de la participation de notre terre, de la terre de notre cœur, de nos désirs et de nos aspirations, pour que germe sa justice au milieu de nous.

dimanche 6 décembre 2020

Deuxième dimanche de l'Avent / année B

 

Isaïe 40, 1-11

6/12/2020

La première lecture de ce dimanche nous fait entendre le début de la deuxième partie du livre d’Isaïe. Dans cette partie un prophète anonyme que l’on a placé sous le patronage d’Isaïe s’adresse aux Juifs exilés à Babylone. Cette deuxième partie d’Isaïe est traditionnellement appelée le livre de la consolation, en raison des premières paroles de ce livre et de son ton général.

Consolez, consolez mon peuple, – dit votre Dieu – parlez au cœur de Jérusalem.

Dieu veut faire entendre à son peuple un message de consolation. Ce message doit toucher le cœur de Jérusalem. La consolation est une expression de l’amour et de la compassion. Quand on aime réellement une personne, on ne peut rester indifférent lorsqu’elle se trouve dans l’épreuve ou bien lorsqu’elle souffre dans son corps ou dans son cœur. D’où l’exhortation de Paul aux disciples de Rome : Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent; pleurez avec ceux qui pleurent. De la même manière, Dieu n’est pas indifférent à nos épreuves et à nos souffrances. A tel point que l’Esprit Saint est appelé le Consolateur, l’Hôte apaisant de l’âme. Si Dieu vient nous consoler, en parlant à notre cœur, ce n’est certainement pas pour nous pousser à la résignation, à tout accepter passivement dans l’attente de jours meilleurs ou encore dans l’attente de la vie éternelle. Le Dieu qui nous console le fait pour nous rendre forts et nous redonner courage. La consolation divine n’est pas une drogue qui endort, l’opium du peuple pour reprendre l’expression de Marx, mais au contraire une force qui remet debout et qui pousse à l’action selon la justice.

A ce message de consolation correspond l’annonce d’une bonne nouvelle :

Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem. Élève la voix, ne crains pas. Dis aux villes de Juda : « Voici votre Dieu ! »

Ce passage est le premier dans la Bible à mentionner l’annonce de la bonne nouvelle, c’est-à-dire de l’Evangile. Nous comprenons ainsi que la véritable consolation de Dieu prendra le visage d’un homme, Jésus, le fils de Marie. Il est lui-même l’Evangile de Dieu et il nous donne l’Esprit consolateur. Lorsque Jésus inaugure sa mission dans la synagogue de la ville où il a grandi, Nazareth, il déclare accomplir en sa personne une  prophétie d’Isaïe au chapitre 61 :

L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur.

L’évangélisation mise en œuvre par le Seigneur, rendue possible par le mystère de son incarnation, est à la fois un message de consolation et de libération.

Enfin la première lecture de cette liturgie reprend l’image du berger, très utilisée dans la Bible, une image que Jésus fera sienne :

Comme un berger, il fait paître son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur, il mène les brebis qui allaitent.

Un geste retient particulièrement notre attention : Jésus, bon berger, nous porte sur son cœur. C’est l’expérience que Jean fera lors de la dernière Cène, l’expérience de la tendresse du Fils bien-aimé. Celui qui nous console et nous libère est l’homme au cœur doux et humble. Son appel ne cesse de résonner à la porte de notre cœur pour que nous reprenions auprès de lui force et courage dans notre chemin de foi :

« Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos… vous trouverez le repos pour votre âme. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger. »

 

 

dimanche 29 novembre 2020

Premier dimanche de l'Avent / année B


Isaïe 63, 16-19- 64, 2-7

29/11/20

Le mot Avent signifie « venue », « avènement ». Il vient du latin adventus qui désignait dans l’Empire romain la cérémonie d’accueil d’un empereur lors d’une visite officielle d’une ville. Pour nous chrétiens le sens de l’Avent consiste bien à accueillir dans nos vies la venue du Christ roi. Si l’on pouvait préparer à l’avance la venue de l’empereur, il n’en va pas de même pour l’avènement du Christ à la fin des temps, car nul ne connaît ni le jour ni l’heure. Il est important de comprendre que c’est chaque jour que le Christ vient à notre rencontre. L’attitude d’accueil et de vigilance que nous recommande le temps liturgique de l’Avent est en fait valable pour chaque jour de notre vie humaine.

C’est à partir de la première lecture tirée du prophète Isaïe que je voudrais décrire cette attitude d’accueil et d’ouverture du cœur. Je commencerai par le magnifique verset que nous trouvons à la fin de notre première lecture : Maintenant, Seigneur, c’est toi notre père. Nous sommes l’argile, c’est toi qui nous façonnes : nous sommes tous l’ouvrage de ta main. Avec la belle image du potier et de l’argile, Isaïe nous rappelle notre condition de créatures. Notre vie vient du Père, elle est entre ses mains ainsi que toute notre personne. Se laisser façonner par le Père pour devenir de plus en plus des créatures à son image, c’est une voie pour vivre ce temps de l’Avent. Cela signifie concrètement laisser plus de place à Dieu dans notre vie non seulement par la prière et la méditation, mais aussi en valorisant le silence, condition privilégiée de l’expérience de Dieu.

Dans le texte d’Isaïe un verset me semble particulièrement inspirant pour cet Avent : Tu viens rencontrer celui qui pratique avec joie la justice, qui se souvient de toi en suivant tes chemins. Le beau verbe « rencontrer », si riche de signification en ces temps de confinement, nous parle de ce désir de Dieu de faire alliance avec nous, d’entrer dans une relation personnelle avec chacun d’entre nous. Il nous parle du grand mystère de l’incarnation, rencontre et union entre le ciel et la terre, que nous célébrerons à Noël.

Comment accueillir ce Dieu qui veut nous rencontrer ? En pratiquant avec joie la justice, nous dit Isaïe. Avec joie, comme ce détail est important ! La justice, c’est la sainteté, c’est vivre pleinement le commandement de l’amour envers Dieu et envers le prochain. C’est prendre à nouveau une vive conscience de la fraternité universelle dont nous parle le pape François dans Fratelli tutti. C’est se sentir solidaires les uns des autres. C’est aussi refuser avec force et fermeté toutes les formes d’injustice. Tout cela doit être vécu avec joie, même si les temps peuvent nous pousser à la tristesse, à la résignation, au repli sur soi, au dégoût face à un horizon qui semble bouché. La joie chrétienne, celle de l’Esprit Saint, est une force dont nous avons tant besoin pour à la fois être capable de regarder la réalité de notre société telle qu’elle est, sans pour autant se décourager. Se souvenir de Dieu en suivant ses chemins, telle est la seconde partie du verset d’Isaïe. En ce temps de l’Avent cultivons le souvenir de Dieu. Pour le dire plus simplement pensons souvent à notre créateur, à Jésus et à l’Esprit Saint. La pensée de Dieu ne se réduit pas aux moments que nous consacrons à la prière. Il est possible avec l’aide de l’Esprit Saint de faire de chaque événement de notre journée, agréable ou désagréable, une occasion de penser à Dieu, une occasion de prière intérieure. Et d’accueillir ainsi ce Dieu qui vient à notre rencontre chaque jour par Jésus-Christ notre Seigneur.


 

dimanche 22 novembre 2020

Le Christ, roi de l'univers / année A


Matthieu 25, 31-46

22/11/20

En ce dernier dimanche de notre année liturgique, nous terminons la lecture du chapitre 25 de l’Evangile selon saint Matthieu. Après les paraboles des dix jeunes filles et des talents, l’évangéliste nous fait contempler la scène grandiose du jugement final, rendue célèbre par l’interprétation artistique qu’en fit Michel-Ange sur la paroi de la chapelle Sixtine.

Le cœur du message est clair. J’y reviendrai brièvement en conclusion. Je voudrais d’abord mettre en valeur certains détails de cet Evangile qui pourraient nous échapper lors d’une lecture trop rapide.

Toutes les nations seront rassemblées devant lui.

Ce jugement est bien universel. Il ne concerne pas seulement le peuple Juif ou encore les chrétiens mais bien toutes les nations, donc chaque homme. Ce jugement embrasse tous les temps de l’histoire humaine et tous les lieux, tous les continents. Et cela depuis la fondation du monde, donc depuis l’acte créateur.

Il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs.

Dans la parabole des dix jeunes filles sages et folles, il y avait déjà une séparation entre ces deux groupes. De la même manière qu’au commencement Dieu sépara la lumière d’avec les ténèbres, à la fin des temps il séparera les bénis des maudits. Cela nous rappelle la parabole du bon grain et de l’ivraie au chapitre 13 du même Evangile. La conclusion de cette parabole mérite d’être ici mentionnée :

Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson ; et, au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Enlevez d’abord l’ivraie, liez-la en bottes pour la brûler ; quant au blé, ramassez-le pour le rentrer dans mon grenier.

Le jugement universel correspond à l’image de la moisson dans la parabole du bon grain et de l’ivraie.

Enfin remarquons bien que le Christ roi que nous célébrons en ce dimanche se présente à nous sous le titre de Fils de l’homme et son acte de jugement est assimilé à celui d’un berger qui sépare les brebis des boucs. Le Christ roi est juge, revêtu de gloire et d’autorité, mais il se présente simplement comme un juge humain, comme le fils de Marie, et surtout comme le bon pasteur.

Ces détails étant relevés, nous pouvons maintenant revenir au cœur de ce qui constitue le jugement, c’est-à-dire le critère d’après lequel le Christ sépare les bénis des maudits. Etant donné que ce jugement est universel, le critère du jugement l’est aussi. Le Christ ne reproche pas aux maudits leur athéisme, leur manque de foi ou encore le fait de ne pas être circoncis ou baptisés. Il se situe au niveau d’une morale universelle compréhensible par tous. Les actes concrets qu’il prend comme critères du jugement sont valables pour toutes les époques et tous les lieux. De partout et toujours, il y a eu et il y aura malheureusement encore des êtres humains souffrant de la faim, de la soif, du froid, de la maladie etc. D’ailleurs la réaction teintée de surprise des justes montre bien qu’ils ont simplement agi en suivant leur conscience d’hommes, gratuitement, et non en vue d’obtenir une récompense céleste. Ils n’ont fait que leur devoir :

Alors les justes lui répondront : “Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ?... Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?”

Le critère du jugement dernier est donc universel. Il est aussi humain : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.

Remarquons comment le juge se présente à nous dans son humanité en tant que Fils de l’homme et berger. Ici il parle clairement des hommes dans le besoin, la solitude et la souffrance comme de ses frères en humanité. Le Christ roi et juge s’identifie aux plus petits, aux plus faibles d’entre nous. Il ne loue pas les justes parce qu’ils auraient fait du bien à ses disciples comme dans d’autres passages de l’Evangile. Il les loue parce qu’ils ont eu de la compassion pour ceux qui sont ses frères en humanité. La compassion, la capacité de se laisser toucher par un être humain, l’amour capable de se transformer en actes, tout cela n’est pas le propre des chrétiens ou encore des croyants. Ce sont des attitudes humaines, donc universelles. Cet Evangile est probablement celui qui met le plus en avant et de la manière la plus claire la réalité de la fraternité universelle. Nous sommes tous membres de la même famille humaine, tous fils et filles d’un même Père créateur, donc tous frères et sœurs. Le jugement de la fin des temps nous ramène en quelque sorte aux origines et à l’acte créateur de Dieu. En raison de la blessure du péché originel et de nos propres péchés, cette fraternité universelle représente une grande exigence pour nous. Saint Jean nous encourage à la vivre dans sa première lettre :

Si quelqu’un dit : « J’aime Dieu », alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas.


 

dimanche 15 novembre 2020

33ème dimanche du temps ordinaire / année A

 


Matthieu 25, 14-30

15/11/20

La parabole de ce dimanche suit dans l’Evangile selon saint Matthieu celle entendue dimanche dernier : les vierges sages et les vierges folles. Le contexte est le même : celui de la fin des temps et de la venue du Christ en gloire appelée parousie. A la place des vierges nous avons trois serviteurs représentant en fait des groupes de personnes. Le maître de la parabole, c’est Jésus.

C’est comme un homme qui partait en voyage : il appela ses serviteurs et leur confia ses biens.

Au jour de l’Ascension on peut dire que Jésus « est parti en voyage » et qu’à la Pentecôte il nous a confié ses biens : l’Eglise, les sacrements et surtout le bien le plus précieux l’Esprit Saint. Nul ne connaît la date du retour du Christ. La parabole signale simplement :

Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint et il leur demanda des comptes.

Le temps de l’Eglise, entre l’Ascension et la parousie, celui dans lequel nous vivons notre existence humaine, est celui d’un Dieu discret, d’un Dieu qui n’intervient pas de manière visible dans le cours de l’histoire humaine. Bien souvent, nous qui sommes croyants, vivons ce temps comme celui de l’absence de Dieu, comme un temps d’épreuve pour notre foi. La parabole nous enseigne que ce « long voyage » du Seigneur n’est pas de sa part un abandon puisqu’il nous confie ses biens. Depuis le jour de l’Ascension le Seigneur s’est en quelque sorte retiré pour nous donner un espace de liberté. Il est présent avec nous chaque jour, mais sa présence n’est ni écrasante ni d’ordre sensible. Le Ressuscité monté aux cieux nous fait confiance et nous laisse libres d’agir en nous confiant ses dons. Deux serviteurs sur trois ont fait fructifier les talents reçus. Leur foi s’est montrée active par la charité et ses œuvres. Pour eux le retour de leur maître est un jour de joie, ils n’ont rien à craindre de lui car ils ont fait leur devoir malgré son absence : entre dans la joie de ton seigneur.

Par contre le troisième serviteur n’est pas prêt lors du retour de son maître. Il n’a pas travaillé. Il n’a pas su bien utiliser les dons de son maître. Quelle est donc la différence essentielle entre ce serviteur mauvais, paresseux, et les autres ? L’idée qu’il se fait de son maître :

Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient.

Combien de chrétiens se font une fausse représentation de Dieu ? Au lieu de voir en lui un bon maître et un Père miséricordieux, ils se représentent un juge dur, impitoyable et exigeant. Jésus est tout sauf un maître dur. La fausse conception de Dieu du troisième serviteur l’a conduit très logiquement à la peur. Et il est bien connu que la peur paralyse et empêche d’agir. Ce mauvais serviteur nous rappelle par bien des aspects Adam dans le jardin d’Eden, Adam qui avec Eve a intériorisé l’image de Dieu que le serpent avait mise dans le cœur de la première femme : un Dieu jaloux de ses privilèges qui veut maintenir ses créatures dans l’ignorance, Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. Ce Dieu terrible fait en effet peur et n’inspire pas la confiance : J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché.

Cette parabole nous demande donc de purifier, d’évangéliser la représentation que nous nous faisons de Dieu et de Jésus afin d’être vraiment libres et de pouvoir agir selon le bien. Il ne suffit pas en effet de croire en Dieu, encore faut-il lui faire confiance et nous abandonner à lui en disant de tout notre cœur : que ton règne vienne, que ta volonté soit faite. Tant que Dieu nous fera peur et nous apparaitra comme un mauvais maître nous ne pourrons pas être de bons serviteurs. Les serviteurs sont le plus souvent à l’image de leur maître. Pour pouvoir accueillir le Christ lors de sa parousie et travailler selon sa volonté, nous avons besoin de voir en lui l’homme au cœur humble et doux, nous avons besoin de l’amour qui seul peut nous unir à lui. Ce qui manquait à ce serviteur, c’est la conviction libératrice de saint Jean :

Voici comment l’amour atteint, chez nous, sa perfection : avoir de l’assurance au jour du jugement ; comme Jésus, en effet, nous ne manquons pas d’assurance en ce monde. Il n’y a pas de crainte dans l’amour, l’amour parfait bannit la crainte ; car la crainte implique un châtiment, et celui qui reste dans la crainte n’a pas atteint la perfection de l’amour.


samedi 7 novembre 2020

32ème dimanche du temps ordinaire / année A

 


Matthieu 25, 1-13

8/11/20

Nous parvenons peu à peu vers le terme de notre année liturgique et l’Evangile de ce dimanche est bien dans la tonalité des derniers dimanches du temps ordinaire. Il nous fait contempler l’accomplissement du Royaume des cieux et nous parle de la vigilance spirituelle : Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. Déjà, dans le chapitre précédent, Jésus avait demandé à ses disciples de savoir veiller pour pouvoir accueillir le don du Royaume des cieux : Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur vient.

C’est à l’aide de la parabole des dix jeunes filles que Jésus veut nous inviter à la vigilance du cœur. Dans la traduction liturgique, cinq d’entre elles sont qualifiées d’insouciantes et les cinq autres de prévoyantes. Chouraqui propose une autre traduction qui me semble intéressante et qui nous permet de faire le lien avec la première lecture consacrée au thème de la recherche de la sagesse : cinq d’entre elles sont folles et cinq sages. Jésus, revenant à la fin des temps pour inaugurer le Royaume, nous est présenté comme un époux. Ces jeunes filles se rassemblent dans l’attente de l’époux afin de pouvoir célébrer avec lui la fête des noces. Mais voici que l’époux tarde… ce détail de la parabole répond probablement à une interrogation des premiers chrétiens qui pensaient, comme Paul en témoigne, voir le retour du Christ de leur vivant et qui étaient déçus de constater que des années après l’Ascension et la Pentecôte il n’était toujours pas revenu… Quant à nous, nous sommes tentés par l’attitude inverse : ne jamais penser au retour du Christ en gloire ni au fait que notre monde tel qu’il est passera lors de sa manifestation. Il est important de dire que cette attitude de vigilance ne vaut pas seulement pour accueillir le Royaume à la fin des temps mais qu’elle est utile chaque jour de notre existence chrétienne, car, comme le dit Jésus en saint Luc, voici que le règne de Dieu est au milieu de vous. Même certains païens, comme le stoïcien Sénèque, avait déjà compris ce mystère dans leur quête de la sagesse : le dieu est près de toi ; il est avec toi ; il est en toi (Lettre à Lucilius 41).

Que peut bien représenter cette huile dont manquent les jeunes filles folles ? Une huile que l’on ne peut pas acheter chez les marchands… La fin de la parabole nous donne une indication pour trouver la réponse dans le même Evangile selon saint Matthieu :

Plus tard, les autres jeunes filles arrivèrent à leur tour et dirent : “Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !” Il leur répondit : “Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas.”

Au chapitre 7 nous trouvons une situation très semblable, mais, cette fois, il ne s’agit pas d’une parabole :

Ce n’est pas en me disant : “Seigneur, Seigneur !” qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux. Ce jour-là, beaucoup me diront : “Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé, en ton nom que nous avons expulsé les démons, en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ?” Alors je leur déclarerai : “Je ne vous ai jamais connus. Écartez-vous de moi, vous qui commettez le mal !”

Nous retrouvons le « Seigneur, Seigneur » des jeunes filles folles et la réponse de Jésus, presque identique : Je ne vous ai jamais connus. Et quel est le reproche du Christ ? Vous qui commettez le mal ! Nous pouvons ainsi comprendre que l’huile représente notre fidélité aux commandements, notre mise en pratique du double commandement de l’amour, nos actions conformes au bien. Seul un cœur sage et vigilant, ouvert en permanence à la présence de Dieu et à l’action de l’Esprit Saint est capable de comprendre et de vivre ce que saint Jacques enseigne :

Ainsi, comme le corps privé de souffle est mort, de même la foi sans les œuvres est morte.


dimanche 1 novembre 2020

TOUSSAINT 2020

 


Matthieu 5, 4

Chaque année pour la solennité de la Toussaint l’Eglise fait résonner à nos oreilles l’Evangile des Béatitudes. Cette proclamation de bonheur qui ouvre le discours sur la montagne en saint Matthieu nous parle d’abord du Christ lui-même. C’est lui qui a un cœur de pauvre, qui est doux etc. Le chemin de la sainteté consiste donc à ressembler au Christ, à être pauvre de cœur comme lui. La multitude des saints connus et inconnus que nous célébrons en ce jour nous montre les diverses facettes de l’unique Evangile. Chaque saint et sainte incarne plus particulièrement un aspect de la richesse de l’Evangile, tel saint, tel sainte, ressemble à Jésus, participe à sa sainteté en mettant en valeur un chemin d’Evangile : celui de la pauvreté, de la compassion, de la douceur, de la recherche de la paix ou encore de la justice du Royaume etc. Saint François de Sales avait exprimé ce mystère d’une manière admirable en notant qu’il n’y a pas d’autre différence entre l’Evangile et la vie des saints qu’entre une musique notée et une musique chantée.

Je voudrais en cette solennité méditer pour vous la troisième béatitude qui me semble d’une grande actualité :

Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.

C’est la seule béatitude qui mentionne la terre, et non pas le Royaume des cieux ou Dieu. Jésus cite ici le psaume 36 : les doux posséderont la terre et jouiront d’une abondante paix. Mais il change le verbe : recevoir au lieu de posséder ! Bien sûr la terre dont il est question dans cette béatitude évoque beaucoup plus que notre simple planète terre ou que la terre promise. Comme le disait le pape François dans sa catéchèse du 19 février, il y a une «terre» — permettez-moi le jeu de mots — qui est le Ciel, c’est-à-dire la terre vers laquelle nous marchons: les nouveaux cieux et la nouvelle terre vers laquelle nous allons. Il n’en reste pas moins vrai qu’en ce temps de crise écologique et en cette année où nous célébrons le 5ème anniversaire de l’encyclique Laudato si’, la béatitude des doux a quelque chose de significatif à nous dire en mentionnant la terre comme notre héritage commun. Mais avant de l’évoquer, il convient de bien comprendre qui sont ces doux dont nous parle le Seigneur. Tout d’abord douceur et humilité sont des réalités très proches dans la Bible. Jésus se présente à nous comme celui qui est doux et humble de cœur. Dans sa catéchèse le pape François explique la signification de la douceur : Le terme «doux» ici utilisé signifie littéralement doux, docile, gentil, sans violence. Cette béatitude est donc inséparable d’une autre : Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. Pour saint Paul, la douceur fait partie du fruit multiforme de l’Esprit Saint et il l’associe à deux reprises à l’humilité et à la patience. Il existe pour nous le risque d’assimiler la douceur à de la faiblesse ou de la résignation, alors qu’elle est au contraire une force de caractère, une vertu, qui nous permet de résister à la colère et à la violence. Le pape François l’explique très bien dans sa catéchèse :

Le doux n’est pas un lâche, un «mou» qui se trouve une morale de repli pour rester en dehors des problèmes. Pas du tout! C’est une personne qui a reçu un héritage et ne veut pas le disperser. Le doux n’est pas quelqu’un d’accommodant, mais il est le disciple du Christ qui a appris à défendre une toute autre terre. Il défend sa paix, il défend sa relation avec Dieu, il défend ses dons, les dons de Dieu, en préservant la miséricorde, la fraternité, la confiance, l’espérance.

De la même manière que dans le Notre Père le mot pain peut avoir deux significations, l’une matérielle, l’autre spirituelle, il me semble que dans la troisième béatitude la terre reçue en héritage se réfère à la terre de la création et à la terre du salut. La crise écologique actuelle, c’est-à-dire la crise de notre relation de créatures avec la création, ne provient-elle pas précisément d’une civilisation qui a ridiculisé la douceur comme inutile et inefficace, tout en glorifiant la violence qu’elle soit celle des armes ou celle issue d’une utilisation orgueilleuse des sciences et des techniques ? Ne serait-il pas urgent de cultiver en nos cœurs la douceur de l’Evangile pour notre terre et pour toutes les créatures ? Une douceur qui nous permet de nous engager avec force et détermination pour le respect de la création et de la terre, notre maison commune. Dans Laudato si’, le pape François souligne la nécessité d’une éducation environnementale incluant une critique des « mythes » de la modernité (individualisme, progrès indéfini, concurrence, consumérisme, marché sans règles), fondés sur la raison instrumentale. Il nous parle des différents niveaux de l’équilibre écologique : interne avec soi-même, solidaire avec les autres, naturel avec tous les êtres vivants, spirituel avec Dieu (n°210). Dans les jeunes générations en particulier, chez les croyants comme chez les non-croyants, existe une vive conscience de la nécessité de cette conversion écologique. Et si la béatitude de la douceur, la vertu d’humilité, était ce chemin providentiel pour notre temps ? Non plus posséder ou conquérir la terre et ses merveilles, mais la recevoir avec douceur comme un don magnifique et la défendre contre un anthropocentrisme despotique et destructeur. Certains de ces jeunes ont été tués à cause de leur engagement de doux, bien plus nombreux qu’on ne peut l’imaginer de par le monde mais aussi en France. Pensons par exemple à Rémi Fraisse mort suite à un tir de grenade en 2014. C’est ici que la béatitude des doux en rejoint une autre : Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux.


dimanche 25 octobre 2020

30ème dimanche du temps ordinaire / année A

 

Matthieu 22, 34-40

25/10/20

Dans l’Evangile de ce dimanche Jésus nous livre le cœur de son enseignement, le résumé de la Loi et des Prophètes. Il s’agit du commandement de l’amour envers Dieu et le prochain. Nous recevons la grâce du baptême et de la confirmation pour nous permettre de vivre cette loi de l’amour. Toute notre vie chrétienne a pour objet de changer nos cœurs de pierre en cœurs de chair, c’est-à-dire capables d’aimer, de pardonner et de compatir. Nous savons par expérience que cela est difficile, que cela demande du temps, le temps de notre conversion progressive. Tout simplement parce que notre nature humaine, marquée par le péché originel et affaiblie par nos propres péchés et nos défauts de caractère, présente une tendance foncière à l’égoïsme. Le double commandement de l’amour veut nous inciter à sortir de notre égoïsme, à nous tourner vers Dieu source de tout amour et de toute vie et vers notre prochain. La Bible est très souvent le meilleur commentaire de la Bible. Ce qui signifie que pour éclairer l’Evangile de ce dimanche, il n’y a rien de meilleur que de se référer à d’autres textes bibliques. On pourrait bien sûr penser à la première lettre de Paul aux Corinthiens qui présente l’avantage de décrire concrètement ce qu’est l’amour de charité, le chemin par excellence

L’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil ; il ne fait rien d’inconvenant ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout.

Je voudrais cependant commenter l’Evangile de ce jour à l’aide de la première lettre de saint Jean. Pour l’apôtre Dieu est amour. La communion du Père et du Fils dans l’Esprit Saint est la source et le modèle de tout amour authentique. Le grand et premier commandement consiste donc à aimer l’Amour. Un Amour qui nous précède : Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés. Saint Jean approfondit d’une manière admirable le lien indissoluble entre l’amour pour Dieu et l’amour fraternel. Dieu est invisible, mon prochain, lui, est présent à mes côtés de manière très concrète : Dieu, personne ne l’a jamais vu. Mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et, en nous, son amour atteint la perfection. L’amour pour le prochain est loin d’être évident car le cœur de l’homme est compliqué et malade, selon Jérémie. Mais un chrétien ne peut pas être misanthrope :

Si quelqu’un dit : « J’aime Dieu », alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas. Et voici le commandement que nous tenons de lui : celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère.

La caractéristique essentielle de cet amour fraternel consiste à agir au nom de l’amour :

Petits enfants, n’aimons pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité.

Ce ne sont pas tant les déclarations d’amour qui comptent que les actes manifestant l’amour qui se trouve dans le cœur. Et c’est d’ailleurs par des actes, petits et grands, que nous élargissons l’amour qui est dans nos cœurs aux dimensions de la charité du Christ. Seuls les actes fortifient notre amour si souvent faible et hésitant.

Enfin notre volonté d’être fidèles au commandement du Seigneur nous libèrera peu à peu de toute peur et nous permettra de grandir dans la foi. Une foi qui fait confiance au Père et qui s’abandonne toujours plus totalement à lui :

Il n’y a pas de crainte dans l’amour, l’amour parfait bannit la crainte ; car la crainte implique un châtiment, et celui qui reste dans la crainte n’a pas atteint la perfection de l’amour.

dimanche 18 octobre 2020

29ème dimanche du temps ordinaire / année A

 

Matthieu 22, 15-21

18/10/20

Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Cette réponse de Jésus à la question-piège des pharisiens fait partie des versets de l’Evangile qui sont connus de tous. Avant d’approfondir le contenu de cette réponse, il est nécessaire de rappeler quelques éléments d’histoire. La question porte sur le paiement de l’impôt à Rome : Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur ? Israël, en tant que peuple, s’est perçu comme une théocratie, c’est-à-dire un peuple gouverné directement par Dieu et lui seul. L’établissement de la monarchie vers 1030 avant JC, avec le premier roi Saül, fut compris comme une trahison envers Dieu, le seul roi légitime des 12 tribus. D’où les critiques acerbes contre la monarchie dans certains textes bibliques. En 63 av.JC, Pompée s’empare de Jérusalem au nom de Rome. A partir de cette date le peuple Juif perd son indépendance politique et Israël entre dans la sphère de domination romaine. A l’époque de Jésus, les Juifs étaient divisés par rapport à l’attitude à tenir face à l’occupant romain. Comme souvent en pareil cas, il y avait ceux qui collaboraient volontiers avec Rome, en particulier les grands prêtres et les sadducéens, et il y avait ceux qui voulaient retrouver l’indépendance politique d’Israël, en utilisant la violence et le terrorisme contre l’occupant, en particulier les Zélotes. La question des pharisiens est donc explosive étant donné le contexte politico-religieux de l’époque. Ajoutons que dans certains cas l’impôt imposé par Rome pouvait être très lourd. Il était levé par les publicains, car l’Empire romain n’avait que très peu de fonctionnaires. Il passait donc par les compagnies de publicains pour prélever l’impôt. Lévi, le futur Matthieu, était l’un de ces publicains qui travaillaient pour Rome. Enfin précisons que tous les empereurs romains à partir du premier d’entre eux, Auguste, portaient le titre de César, Auguste ayant été adopté par Jules César. A l’époque de notre débat sur l’impôt, c’était Tibère, le second César, qui régnait sur l’immense empire romain.

Pour ne pas tomber dans le piège qui lui est tendu, Jésus fait faire un exercice pratique aux pharisiens : « Montrez-moi la monnaie de l’impôt ». Ils lui présentèrent une pièce d’un denier. Il leur dit : « Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles ? » Ils répondirent : « De César ». Dans la vie courante, pour le commerce, sauf à l’intérieur de l’enceinte du temple, tout juif utilisait les pièces de monnaie émises par le pouvoir romain. Si l’argent mis en circulation pour permettre le commerce portait l’effigie de Tibère-César, alors il était logique de ne pas refuser de payer l’impôt réclamé par le même César. Les Juifs, faisant partie d’un immense empire, profitaient eux aussi, comme les Gaulois ou d’autres provinciaux, de certains avantages apportés par l’organisation de cet Empire, en particulier les voies de communication et de commerce terrestres et maritimes ainsi que le maintien de l’ordre, la garantie de vivre en paix et dans une relative sécurité sous la tutelle des autorités romaines. La réponse de Jésus fonde la laïcité, c’est-à-dire la distinction entre la sphère religieuse et celle de l’organisation politique de l’Etat. Jusqu’à une époque récente de l’histoire européenne, les Etats, la plupart du temps des royaumes, ont fondé leur autorité sur Dieu. C’était l’alliance du sabre et du goupillon, le roi terrestre étant considéré comme le lieutenant de Dieu. Le pouvoir politique mettait la religion à son service et vice-versa. Cette confusion des pouvoirs est caractéristique de ce que l’on a nommé la chrétienté, à ne pas confondre avec le christianisme. Or Jésus n’a jamais proposé ce modèle, l’instauration d’une théocratie avec un roi représentant de Dieu sur terre. Au contraire, il indique combien il est important de ne pas confondre le domaine politique et le domaine spirituel. Dans cette perspective payer l’impôt à César, l’occupant païen, n’empêche absolument pas le Juif de pratiquer sa religion, de rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Il en va de même pour nous aujourd’hui. Aucun gouvernement ne peut nous empêcher d’adorer Dieu en esprit et en vérité. Aucun gouvernement, fut-il le pire, n’a de pouvoir sur notre conscience. 133 ans après la prise de Jérusalem par Pompée, Titus détruisit le temple de Jérusalem, mais il n’a pas pour autant détruit la foi du peuple Juif… En tant que citoyens d’un Etat nous devons payer l’impôt, en tant que chrétiens nous sommes libres d’aimer Dieu et de le servir en suivant l’Evangile de son Fils bien-aimé Jésus-Christ, en incarnant dans la société notre foi, car, dans le Christ Jésus, ce qui a de la valeur, selon saint Paul, c’est la foi, qui agit par la charité.

 

dimanche 11 octobre 2020

28ème dimanche du temps ordinaire / année A

 

Matthieu 22, 1-10

11/10/20

Le royaume des Cieux est comparable à un roi qui célébra les noces de son fils.

L’Evangile de ce dimanche nous propose une parabole du Royaume des cieux. Pour nous parler de la communion entre Dieu et les hommes, Jésus utilise l’image des noces. Le roi, c’est Dieu le Père, et le fils du roi, Jésus. Cette image des noces est peu fréquente dans le Nouveau Testament. On la retrouve toutefois dans le dernier livre de la Bible, l’Apocalypse :

Soyons dans la joie, exultons, et rendons gloire à Dieu ! Car elles sont venues, les Noces de l’Agneau, et pour lui son épouse a revêtu sa parure. Un vêtement de lin fin lui a été donné, splendide et pur. Car le lin, ce sont les actions justes des saints. Puis l’ange me dit : « Écris : Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau ! »

L’image des noces en appelle immédiatement une autre : celle du repas de fête, du festin. Le prêtre, avant le moment de la communion, reprend à chaque messe les paroles de l’Apocalypse. Dans ce livre il s’agit des noces de l’Agneau, c’est-à-dire de Jésus qui se sacrifie par amour sur le bois de la croix et qui abolit les sacrifices d’animaux de l’Ancienne Alliance. La vision de Jean dans l’Apocalypse nous montre le triomphe de l’Agneau de Dieu dans le Royaume de son Père. L’image des noces est très proche d’une autre image beaucoup plus fréquente, celle de l’Alliance, liée, elle aussi, au mariage. Les noces de Jésus avec l’humanité commencent dès le moment de son incarnation dans le sein de la Vierge Marie. Le Verbe de Dieu épouse en effet chaque homme, chaque femme, il s’unit à eux, à chacun d’entre nous, en se faisant chair, en prenant notre condition humaine. Les noces évoquent une union d’amour pour toujours, aussi solide que l’Alliance nouvelle et éternelle de Dieu avec l’humanité en Jésus-Christ.

La parabole insiste sur le fait que l’humanité refuse de célébrer les noces de l’Agneau :

Il envoya ses serviteurs appeler à la noce les invités, mais ceux-ci ne voulaient pas venir.

Face à ce refus d’entrer dans la joie du Royaume, le roi ne peut que constater avec amertume et déception :

Le repas de noce est prêt, mais les invités n’en étaient pas dignes.

Mais il ne renonce pas pour autant à célébrer les noces de son fils :

Allez donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous trouverez, invitez-les à la noce.

La suite de la parabole précise que la salle fut remplie de convives, les mauvais comme les bons. Chez Matthieu le regard porté sur les convives est de type moral : il y a ceux qui ont bien agi, conformément aux commandements de Dieu, et ceux qui, au contraire, ont choisi le péché et le mal. Dans la version de Luc, cette dimension morale disparaît pour laisser la place à une autre vision :

Le maître de maison dit à son serviteur : “Dépêche-toi d’aller sur les places et dans les rues de la ville ; les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux, amène-les ici.”

Cette parabole, comme celle de la vigne et des vignerons entendue dimanche dernier, nous redit que l’histoire des relations entre Dieu et nous, l’histoire de l’Alliance, est un drame dont la croix est le signe le plus absolu. Il s’agit bien du drame du refus de l’amour de Dieu, du refus de sa miséricorde. Dans l’attente de l’accomplissement du Royaume des cieux lors du second avènement du Seigneur, chaque célébration de la messe anticipe et rend déjà présent la réalité des noces de l’Agneau telle qu’elle est décrite dans l’Apocalypse. En communiant avec foi et amour au corps et au sang du Seigneur mort et ressuscité pour nous, nous participons déjà au repas de noces. Nous répondons ainsi « oui » à l’appel du Père. Nous venons tels que nous sommes : parfois bons, parfois infidèles aux commandements, avec nos misères et nos faiblesses, estropiés, aveugles et boiteux spirituels comme dans saint Luc… Mais mieux vaut venir et répondre « oui », même s’il nous reste encore beaucoup de chemin pour être vraiment chrétiens, que de refuser d’entendre l’appel de Dieu. Cette parabole nous renvoie à la facilité avec laquelle nous pouvons parfois nous trouver des excuses pour ne pas participer chaque dimanche au festin des noces de l’Agneau ou bien pour ne pas donner à Dieu la place qui lui revient chaque jour de notre existence :

Ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre à son commerce…

dimanche 4 octobre 2020

27ème dimanche du temps ordinaire, année A / Dimanche de la création (Laudato si')

 

Messe pour la création / Laudato si’

L’Eglise célèbre cette année le 5ème anniversaire de la lettre encyclique du pape François, Laudato si’, consacrée à la sauvegarde de la maison commune. Suite à cet enseignement le pape a demandé qu’une fois par an soit célébrée une messe en action de grâce pour le don de la création et ceci en lien avec la crise écologique que l’humanité vit actuellement. Le 4 octobre est aussi la fête de saint François d’Assise, le patron céleste des écologistes.

Dans le deuxième chapitre de Laudato si’, le pape aborde l’Evangile de la création et nous invite en particulier à redécouvrir la sagesse des récits bibliques. Si nous voulons méditer sur le mystère de la création, nous avons les deux premiers chapitres de la Genèse à notre disposition. Certains écologistes ont accusé ces textes d’être à l’origine de la crise écologique actuelle. Il suffit de penser au verset 28 du chapitre premier :

Dieu bénit l’homme et la femme et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre. »

Le pape reconnaît que dans le passé et encore aujourd’hui bien des chrétiens ont mal interprété ce verset :

67. Nous ne sommes pas Dieu. La terre nous précède et nous a été donnée. Cela permet de répondre à une accusation lancée contre la pensée judéo-chrétienne : il a été dit que, à partir du récit de la Genèse qui invite à « dominer » la terre (cf. Gn 1, 28), on favoriserait l’exploitation sauvage de la nature en présentant une image de l’être humain comme dominateur et destructeur. Ce n’est pas une interprétation correcte de la Bible, comme la comprend l’Église. S’il est vrai que, parfois, nous les chrétiens avons mal interprété les Écritures, nous devons rejeter aujourd’hui avec force que, du fait d’avoir été créés à l’image de Dieu et de la mission de dominer la terre, découle pour nous une domination absolue sur les autres créatures. Il est important de lire les textes bibliques dans leur contexte […], et de se souvenir qu’ils nous invitent à « cultiver et garder » le jardin du monde (cf. Gn 2, 15). Alors que « cultiver » signifie labourer, défricher ou travailler, « garder » signifie protéger, sauvegarder, préserver, soigner, surveiller. Cela implique une relation de réciprocité responsable entre l’être humain et la nature.

La terre nous précède et nous a été donnée… Les scientifiques ont réduit à une année la très longue histoire de l’univers et de la vie pour nous faire saisir plus concrètement la réalité des choses car les milliards d’années ne nous parlent pas. Dans cette année l’homme actuel (homo sapiens sapiens) apparaît le 31 décembre à 23h59, les premiers dinosaures le 12 décembre et les premiers mammifères le 15 décembre… Ce qui devrait nous encourager à cultiver une vertu essentielle pour notre foi chrétienne : l’humilité. C’est bien l’orgueil humain allié à la cupidité qui est à l’origine de la crise écologique actuelle. Une crise tellement nouvelle que les scientifiques parlent d’une nouvelle ère géologique, celle de l’anthropocène, et que nous vivons la sixième extinction de masse des espèces sur notre planète, la première de l’histoire provoquée par l’homme et ses activités.

A 5 reprises le pape mentionne l’anthropocentrisme, la pensée selon laquelle l’homme est le centre et le roi de la création. La science a depuis longtemps condamné le géocentrisme (la terre comme centre du système solaire). Si les récits de la Genèse donnent à l’homme une place unique et particulière dans le projet créateur de Dieu parce qu’il est créé à l’image de Dieu, cultivateur et gardien de la création, cela ne nous empêche pas pour autant de remettre en question la vision anthropocentrique. Le pape n’hésite pas en effet à parler d’un anthropocentrisme despotique, déviant ainsi que d’une grande démesure anthropocentrique dans la modernité. Il affirme que la Bible ne donne pas lieu à un anthropocentrisme despotique qui se désintéresserait des autres créatures… Une présentation inadéquate de l’anthropologie chrétienne a pu conduire à soutenir une conception erronée de la relation entre l’être humain et le monde. Un rêve prométhéen de domination sur le monde s’est souvent transmis, qui a donné l’impression que la sauvegarde de la nature est pour les faibles. La façon correcte d’interpréter le concept d’être humain comme « seigneur » de l’univers est plutôt celle de le considérer comme administrateur responsable.

En cohérence avec cette critique de l’anthropocentrisme despotique, le pape souligne que chaque créature a une valeur propre devant Dieu, en elle-même, pour elle-même. Les autres créatures ne sont pas créées pour nous comme nous le pensons trop souvent de manière orgueilleuse et égoïste. La Bible est davantage christocentrique, donc théocentrique, qu’anthropocentrique. Comme l’affirme saint Paul, tout est créé par le Christ et pour le Christ. Le pape affirme clairement que la fin ultime des autres créatures, ce n’est pas nous. Nous ne sommes pas séparés du reste de la création mais nous en faisons partie, nous en dépendons chaque jour. En tant que gardiens de la création et images de Dieu, nous avons à refléter l’attitude de Dieu envers toutes ses créatures. Non pas une domination despotique et arbitraire, mais une grave responsabilité qui naît de notre foi. Dans les psaumes, nous trouvons 142 références aux animaux, ce qui nous permet de retrouver une relation harmonieuse avec eux au sein de la création. Ils ne sont pas des objets exploitables selon notre bon plaisir et notre cupidité, mais bien des créatures du Père qui sauve l’homme et les bêtes (Ps.35). En ce dimanche d’action de grâce pour la création et d’engagement écologique au nom de notre foi en Dieu créateur, n’oublions jamais que, selon le psaume 144, la bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses œuvres. Soyons comme saint François d’Assise des reflets de cette bonté et de cette tendresse pour toutes les créatures avec lesquelles nous vivons sur cette terre.