Méditation
pour le vendredi saint 2024
L’évangéliste Jean nous dépeint
la Passion du Seigneur comme un drame d’une rare intensité. En particulier la
confrontation entre Pilate et les chefs des prêtres met en lumière
l’obscurcissement des consciences de la part de ceux qui veulent obtenir à tout
prix la mort de Jésus, homme juste et innocent. La Passion est le moment où
s’accomplit la prophétie de Syméon : Ainsi seront dévoilées les pensées
qui viennent du cœur d’un grand nombre. Comment ne pas penser aussi à ce
que Jésus dit à l’aveugle de naissance après lui avoir rendu la vue ? Je
suis venu en ce monde pour rendre un jugement : que ceux qui ne voient pas
puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. Au moment même
où Jésus semble jugé par les autorités religieuses et civiles, c’est lui qui,
en fait, opère un jugement en révélant au grand jour les secrets des cœurs et
des consciences. Cela avait été aussi annoncé par le commentaire que Jean donne
en conclusion de l’épisode des marchands chassés du temple : Jésus
n’avait besoin d’aucun témoignage sur l’homme ; lui-même, en effet,
connaissait ce qu’il y a dans l’homme. Jésus dans sa Passion est par sa
seule présence un révélateur de ce qu’il y a dans le cœur de l’homme. Pilate,
le païen, proclame à trois reprises l’innocence du Christ : Je ne
trouve en lui aucun motif de condamnation. Le même Pilate fait à la foule
une double présentation solennelle de l’homme qu’on lui dénonce comme méritant
le supplice de la croix : Voici l’homme / Voici votre roi. Cette
double présentation aux accents prophétiques a pour conséquence de mettre
encore davantage en lumière la violence des autorités religieuses juives et de
la foule manipulée par les grands prêtres : A mort ! A mort !
Crucifie-le ! Cette violence assoiffée de sang et de mise à mort
s’accompagne de l’hypocrisie du mensonge : Nous n’avons pas d’autre roi
que l’empereur. Jésus, dans sa Passion, est ainsi le grand révélateur de la
violence homicide qui habite le cœur de l’homme depuis le péché des origines.
L’histoire des guerres humaines nous montre malheureusement une
constante : rares sont les artisans de paix. La majorité se laisse
toujours entraîner par ceux qui ont intérêt à faire la guerre. Et les artisans
de paix sont ridiculisés et persécutés par la masse de ceux qui sont aveuglés
par l’instinct de violence. Dans sa Passion le Seigneur est véritablement
l’homme des Béatitudes, celui qui oppose une résistance ferme et non-violente
aux instincts de mort et au péché. Il est véritablement l’Agneau de Dieu qui
porte et enlève le péché du monde. Douceur et innocence de l’agneau que l’on
mène à l’abattoir. Je conclurai cette méditation en citant Denis Moreau,
professeur de philosophie, qui, dans son livre Mort, où est ta victoire ?,
propose une réflexion suggestive sur le moment de la Passion : Le salut
ne s’obtient pas dans la facilité et par les moyens (le pouvoir, la richesse,
les honneurs, le succès, la célébrité, la reconnaissance des autorités et des
puissants, les manifestations de force, la volonté de dominer les événements et
les autres hommes) à l’accoutumée promus dans le monde, ni par la violence, le
désir de punir ou de se venger. La passion manifeste la difficulté du chemin
qui conduit au salut, le caractère parfois douloureux et sacrificiel du combat
– c’est-à-dire, étymologiquement, de la composante agonique avant d’être
victorieuse- engagé contre le mal et ce qui y porte, en moi ou dans le monde,
contre la dimension oppressive et violente des pouvoirs politiques et
religieux. Elle exprime à sa façon le lien entre le péché et la mort, qui
n’aurait pas été à ce point patent si le juste qui fut supplicié était mort de
maladie, de vieillesse ou accidentellement. Elle dit le scandale du triomphe
des méchants et de l’injustice. Elle indique que le salut chrétien non
seulement ne s’acquiert pas par les puissances habituellement célébrées, mais
aussi passe par l’acceptation de la faiblesse, le partage de la condition des
petites gens et des simples, en somme par une certaine forme de renoncement aux
grandeurs du monde et d’anéantissement… La passion manifeste aussi que Jésus a
pleinement partagé la condition humaine, y compris dans ses dimensions
essentielles et tragiques que sont la douleur et la mort de soi.
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