mardi 11 novembre 2014

11 novembre 2014 / Centenaire de la première guerre mondiale

Liturgie de la parole à saint Ansgar

11/11/2014

Cette année nous commémorons le centenaire de la première guerre mondiale. A l’occasion de ce temps de prière et de recueillement en mémoire de toutes les victimes des guerres, je voudrais donner la parole à un écrivain français, Romain Rolland (1866-1944), prix Nobel de littérature en 1915. Au moment où le conflit éclata il se trouvait à Genève et c’est dans le Journal de Genève qu’il publia une série d’articles tout au long des années 1914-1915, articles plus tard rassemblés dans un recueil intitulé Au-dessus de la mêlée et qui demeure encore aujourd’hui le plus célèbre manifeste pacifiste de la première guerre mondiale. L’homme de lettres français s’est dévoué corps et âme pendant toute la durée du conflit en faveur des prisonniers de guerre et de leurs familles, en particulier dans le cadre de son engagement au sein de la Croix rouge. Alors que beaucoup d’intellectuels en France comme en Allemagne avaient mis leur talent littéraire au service d’un patriotisme aveugle et avaient glorifié la guerre comme sacrée et nécessaire, Romain Rolland a toujours fait appel à la raison. Du côté allemand le grand écrivain Hermann Hesse, résidant lui aussi en Suisse, s’engagea dans un combat semblable à celui de Romain Rolland. Pour ce dernier il s’agissait avant tout de se défendre de « la haine, qui est plus meurtrière encore que la guerre ». Il avait l’art des formules concises et puissantes :

« Dans la lutte éternelle entre le mal et le bien, la partie n’est pas égale : il faut un siècle pour construire ce qu’un jour suffit à détruire ».

« Je trouve la guerre haïssable, mais haïssables plus ceux qui la chantent sans la faire ».

Et le français Romain Rolland n’hésite pas un instant à citer la lettre d’un soldat allemand :

« Le désir de la paix est intense chez tous, chez tous ceux du moins qui se trouvent sur le front, qui sont obligés d’assassiner et de laisser assassiner… Ils parlent d’une guerre sacrée… Moi, je ne connais pas de guerre sacrée… Mais les enthousiastes de la guerre, qu’ils viennent ! Peut-être qu’ils apprendront à se taire… ».

Si beaucoup d’intellectuels ont failli dans leur mission d’humanistes, emportés qu’ils furent par le flot de la haine, les hommes politiques, ceux qui déclarent les guerres au nom des peuples, portent une responsabilité morale encore plus lourde :

« Ces guerres, je le sais, les chefs d’Etat qui en sont les auteurs criminels n’osent en accepter la responsabilité ; chacun s’efforce sournoisement d’en rejeter la charge sur l’adversaire ».

Mais c’est finalement la soumission des peuples à l’égard de leurs dirigeants bellicistes qui rend la guerre possible:

« Et les peuples qui suivent, dociles, se résignent en disant qu’une puissance plus grande que les hommes a tout conduit. On entend, une fois de plus, le refrain séculaire : ‘Fatalité de la guerre, plus forte que toute volonté’, - le vieux refrain des troupeaux, qui font de leur faiblesse un dieu, et qui l’adorent ».

Pour Romain Rolland ce sont aussi les Eglises chrétiennes (et les chrétiens) qui ont gravement failli au témoignage qu’elles auraient dû rendre en cautionnant le patriotisme aveugle et la haine de l’ennemi :

« Nous avons vu, de notre temps, des hommes d’Eglise chercher, trouver dans l’Evangile la légitimation de la banque ou celle de la guerre ».

Le carburant idéologique de la première guerre mondiale comme de beaucoup d’autres guerres fut bien l’impérialisme dénoncé par Romain Rolland comme « le pire ennemi » :

« Cette volonté d’orgueil et de domination, qui veut tout absorber, ou soumettre, ou briser, qui ne tolère point de grandeur libre, hors d’elle… Chaque peuple, a, plus ou moins, son impérialisme ; quelle qu’en soit la forme, militaire, financier, féodal, républicain, social, intellectuel, il est la pieuvre qui suce le meilleur sang de l’Europe ».

En humaniste authentique il estime qu’en temps de guerre un peuple doit aussi défendre sa raison.

« Les flots de sang, les villes incendiées, toutes les atrocités de l’action et de la pensée n’effaceront jamais dans nos âmes tourmentées le sillage lumineux de la barque de Galilée, ni les vibrations profondes des grandes voix qui, à travers les siècles, proclamèrent la raison patrie de tous les hommes ».

C’est avec une prière écrite par un officier allemand que je conclurai cette évocation de Romain Rolland :

« Toi qui donnes la vie, toi qui la prends, comment te reconnaître ? Dans ces tranchées jonchées de corps mutilés, je ne te trouve pas. Le cri déchirant de ces milliers qu’étouffe l’affreuse étreinte de la mort ne perce-t-il pas jusqu’à toi, ou se perd-il dans l’espace glacé ? Pour qui doit fleurir ton printemps ? Les splendeurs de tes soleils, pour qui ? Oh ! Pour qui, mon Dieu ? Je te le demande au nom de tous ceux à qui le courage et la peur ferment la bouche devant l’horreur de tes ténèbres : quelle chaleur ai-je en moi ? Quelle vérité luit ? Ce massacre peut-il être ta volonté ? Est-ce ta volonté ? »

En fait seule une justice véritable et une démocratie authentique peuvent nous préserver du fléau de la guerre. Dans la France de 2014, patrie des droits de l’homme, dans la France qui a pour devise « liberté, égalité, fraternité », un jeune homme, Rémi Fraisse, vient de perdre la vie, tué par les forces de l’ordre. Son seul crime : être un militant écologiste qui s’opposait à un projet de barrage. Notre époque a le triste privilège de voir naître un nouveau type de guerre : celle des gouvernants contre leur peuple, contre des citoyens qui manifestent légitimement, sans violence, leur opposition à certaines de leurs décisions, contre des citoyens qui estiment que la démocratie ne saurait se réduire à voter une fois tous les cinq ans pour ensuite se contenter d’obéir en attendant passivement le prochain moment « démocratique » nommé élections…

Au niveau de l’Union européenne, de certaines institutions politiques et économiques internationales, on ne cesse de répéter aux peuples qu’il n’y a pas d’alternative à l’organisation actuelle, pourtant catastrophique à bien des égards. A la fatalité de la guerre condamnée par Romain Rolland en 1914 se substitue de nos jours une nouvelle fatalité qui plonge les peuples et les citoyens dans la frustration et le désespoir. Cette situation constitue une grave menace pour la paix. Quand une oligarchie politique et financière ne cesse de s’attaquer à la liberté des citoyens et à la souveraineté des peuples on peut en effet craindre le pire. Le meilleur moyen de promouvoir la paix est de permettre aux citoyens une réelle participation aux décisions politiques et économiques les concernant, en leur assurant aussi le droit fondamental à l’objection de conscience. Car sans liberté véritable la dignité de l’homme est bafouée.

Je terminerai en citant un passage du Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise :

« La personne humaine est le fondement et la fin de la communauté politique… La communauté politique trouve dans la référence au peuple sa dimension authentique… Le peuple n’est pas une multitude amorphe, une masse inerte à manipuler et à exploiter, mais un ensemble de personnes dont chacune – à la place et de la manière qui lui sont propres- a la possibilité de se former une opinion sur la chose publique et la liberté d’exprimer sa sensibilité politique et de la faire valoir en harmonie avec le bien commun… Le sujet de l’autorité politique est le peuple, considéré dans sa totalité comme détenteur de la souveraineté ».


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