mardi 20 novembre 2012

A la curie romaine la soutane fait le prêtre...

Une fois n'est pas coutume je partage aux lecteurs de mon blog une réflexion sur les récentes directives vestimentaires données par le cardinal Bertone, au nom du pape, aux membres de la curie romaine:
 
Au Vatican la soutane fait le prêtre comme l’habit fait le moine
Au Vatican, le 15 octobre 2012

Éminence / Excellence Révérendissime,

Par la présente je souhaite attirer Votre attention sur l’importance de la discipline inhérente au port quotidien de l’habit ecclésiastique (soutane ou clergyman) et religieux, tel qu’il a été déterminé par la réglementation en la matière et selon les motivations présentées et expliquées en son temps par le Bienheureux Jean-Paul II dans sa Lettre du 8 septembre 1982 au Cardinal Vicaire de Rome.

En un temps où chacun est spécialement appelé à raviver la conscience et la cohérence de son identité, je viens, sur une vénérable injonction, demander à Votre Éminence / Excellence de bien vouloir assurer l’application de ce qui précède par tous les ecclésiastiques et religieux qui travaillent dans ce Dicastère/Tribunal/Service/Vicariat, en leur rappelant qu’ils ont le devoir de porter régulièrement et de manière digne l’habit qui leur est propre, en tout temps, notamment par respect du devoir d’exemplarité qui incombe surtout à tous ceux qui travaillent au service du Successeur de Pierre.

L’exemple même de ceux qui, revêtus de la dignité épiscopale, sont fidèles au port quotidien de la soutane pour eux-mêmes, pendant les heures de bureau, devient un encouragement explicite pour tous, y compris pour les Épiscopats et pour ceux qui se rendent en visite à la Curie Romaine et à la Cité du Vatican.

De plus je profite de cette lettre pour rappeler - notamment afin d’éviter des incertitudes et d’assurer l’uniformité nécessaire - que le port de la soutane est exigé pour participer à toutes les activités auxquelles le Saint-Père est présent, ainsi que pour les Assemblées Plénières et Ordinaires, les Réunions Interdicastérielles, l’accueil des Visites "ad limina" et les diverses convocations officielles du Saint-Siège.

En vous remerciant de votre collaboration, je profite volontiers de l’occasion qui m’en est donnée pour réaffirmer

à Votre Éminence/Excellence Rév.me

mes sentiments de déférence distinguée et cordiale et de dévouement dans le Seigneur

+ Tarcisio Card. Bertone

Secrétaire d’état
Après ma conversion à l’âge de 13 ans et pendant tout le temps de mon adolescence j’ai fréquenté le curé de la paroisse de mon village qui avait gardé le port de la soutane contrairement à la grande majorité de ses confrères du diocèse. J’ai toujours conservé pour ce prêtre, décédé en 1998, un souvenir mêlé d’affection et de respect. Lors de mes études au séminaire français de Rome, à partir du rite de l’admission, j’ai porté régulièrement l’habit ecclésiastique (clergyman), et je le porte toujours depuis mon ordination sacerdotale en 1993. Tout cela pour dire que je ne suis pas du tout opposé au fait que le prêtre puisse porter un habit spécifique. Pour ma part j’ai constaté que cela pouvait être parfois utile pour nouer des contacts avec des inconnus, catholiques ou pas, et engager un dialogue sur la foi et la religion avec des personnes croisées dans la rue ou dans un train. Le port de l’habit, sans être sacralisé ou absolutisé, peut donc avoir une utilité du point de vue de l’évangélisation.
Lorsque j’ai lu, via le site de Sandro Magister, les récentes directives (15 octobre 2012) du cardinal Bertone sur le port obligatoire de la soutane dans les bureaux de la Curie romaine et dans les cérémonies en présence du pape je suis resté perplexe. D’autant plus que ces directives viennent en fait du pape lui-même. Les arguments sont au nombre de trois mais l’utilité d’un habit distinctif en vue du témoignage de sa foi n’est pas signalée :
 
-       La soutane aide à affirmer l’identité du prêtre ou de l’évêque
-       Le port de la soutane est un exemple visant à encourager ceux qui ne la portent pas régulièrement dans le monde à la porter
-       Le port obligatoire de la soutane en présence du pape répond à une uniformité nécessaire.
 
Il est regrettable de donner au port de l’habit, soutane ou clergyman, une telle importance dans la conscience que le prêtre a de son identité et de sa mission. Je connais dans mon diocèse beaucoup de bons prêtres, pleinement dévoués à leur ministère, et qui ne portent aucun habit spécifique, c’est-à-dire un habit civil simple avec souvent une croix. L’identité du prêtre vient de la grâce de Dieu conférée par le sacrement de l’ordre. Et sa fidélité à cette grâce ne tient pas à un bout de tissu. Ni Jésus ni les apôtres n’ont porté de soutane. Saint Paul, le premier et le plus grand de tous les évangélisateurs, n’avait pas besoin d’une soutane pour avoir conscience de son identité et de sa mission d’apôtre, et tant d’autres à sa suite.
 
Le cardinal Bertone, et le pape à travers lui, pense que la discipline de la soutane à la Curie romaine convertira les évêques récalcitrants dans le monde qui ne portent pas cet habit de manière régulière mais, dans beaucoup de cas, un simple clergyman. C’est donc une volonté d’uniformisation extérieure. Et la soutane est bien comprise dans cette directive comme un uniforme, un peu à la manière de celui des militaires.
 
Désormais tout évêque (tout prêtre ?) qui s’approchera du pape, le rencontrera ou concélébrera lors d’une messe présidée par lui, devra porter la soutane, et cela au nom d’une uniformité nécessaire. Pourquoi donc est-elle nécessaire et au nom de quoi le texte ne le précise pas… Si Notre Seigneur Jésus-Christ se présentait au Vatican il serait donc refoulé par les gardes suisses et ne pourrait pas s’entretenir avec le chef visible de son Eglise !
 
Je regrette pour ma part cette importance donnée aux apparences extérieures et à ce qu’il faut bien appeler une étiquette de cour. Le pape n’est pourtant pas un souverain comme les autres. Il est le serviteur des serviteurs de Dieu. Depuis l’histoire de Samuel et de David nous savons que « l’homme s’arrête aux apparences » mais que « Dieu regarde le cœur » (1 Samuel 16, 7). La sainteté du clergé ne vient pas du port de la soutane. Certaines traditions ou disciplines ecclésiales devraient pouvoir être relativisées ou même remises en question au nom du seul critère décisif : leur conformité à l’esprit de l’Evangile et à l’enseignement de Jésus. On n’imagine pas un seul instant un tableau montrant Jésus et ses apôtres en soutanes sur le mont de Béatitudes. On oublie un peu trop facilement d’actualiser certains passages des Evangiles à la vie de notre Eglise en les reléguant à un passé lointain.
 
Dans son enseignement, il disait : « Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à sortir en robes solennelles et qui aiment les salutations sur les places publiques, les premiers rangs dans les synagogues, et les places d'honneur dans les dîners. Ils dévorent les biens des veuves et affectent de prier longuement : ils seront d'autant plus sévèrement condamnés. » (Marc 12, 38-40) 
 
« Méfiez-vous des scribes qui tiennent à sortir en robes solennelles et qui aiment les salutations sur les places publiques, les premiers rangs dans les synagogues et les places d'honneur dans les dîners. Ils dévorent les biens des veuves et affectent de prier longuement : ils seront d'autant plus sévèrement condamnés. » (Luc 20, 46.47) 
 
La traduction de la Bible des peuples parle de longues robes (comme celle de la Bible Osty). Pourquoi donc obliger les évêques et les cardinaux à se comporter comme les scribes dont Jésus nous dit que nous devons nous en méfier ? La critique du Seigneur à l’égard des scribes de son temps n’aurait-elle donc aucune valeur pour la hiérarchie de l’Eglise catholique de notre temps ? 
 
Sans oublier le début du chapitre 23 de l’évangile selon saint Matthieu : 
 
Alors Jésus déclara à la foule et à ses disciples : « Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse. Pratiquez donc et observez tout ce qu'ils peuvent vous dire. Mais n'agissez pas d'après leurs actes, car ils disent et ne font pas. Ils lient de pesants fardeaux et en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. Ils agissent toujours pour être remarqués des hommes : ils portent sur eux des phylactères très larges et des franges très longues (Bible Osty : ils élargissent leurs phylactères et agrandissent leurs franges) ; ils aiment les places d'honneur dans les repas, les premiers rangs dans les synagogues, les salutations sur les places publiques, ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi. Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n'avez qu'un seul enseignant, et vous êtes tous frères. Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n'avez qu'un seul Père, celui qui est aux cieux. Ne vous faites pas non plus appeler maîtres, car vous n'avez qu'un seul maître, le Christ. Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Qui s'élèvera sera abaissé, qui s'abaissera sera élevé. » 
A mettre en parallèle avec les titres ronflants venus d'un autre âge utilisés dans la directive du cardinal Bertone…
Éminence / Excellence Révérendissime, qu’il serait bon pour notre Eglise de retrouver la simplicité évangélique ! 
 Et comment ne pas se souvenir des pensées de Blaise Pascal, l'un des plus grands mystiques chrétiens de l'histoire de France : 
« Nos magistrats ont bien connu ce mystère. Leurs robes rouges, leurs hermines dont ils s’emmaillotent en chats-fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lys, tout cet appareil auguste était fort nécessaire ; et si les médecins n’avaient des soutanes et des mules, et que les docteurs n’eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n’auraient dupé le monde qui ne peut résister à cette montre si authentique. S’ils avaient la véritable justice et si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n’auraient que faire de bonnets carrés : la majesté de ces sciences serait assez vénérable d’elle-même, mais n’ayant que des sciences imaginaires, il faut qu’ils prennent ces vains instruments qui frappent l’imagination à laquelle ils ont à faire et par là en effet ils s’attirent le respect ».  
 
La sagesse populaire selon laquelle « L’habit ne fait pas le moine » rejoint l’enseignement de Jésus dans les Evangiles, enseignement qui ne cesse de nous demander de quitter le monde des apparences et du prestige mondain pour devenir des êtres libres parce que vrais et authentiques. Sincèrement il devrait y avoir d’autre urgences et d’autres priorités dans notre Eglise que d’imposer le port de la soutane aux membres de la Curie !


Je terminerai ce billet par un rappel historique qui ne pourra que faire du bien. La soutane en tant qu'habit sacerdotal remonte à la fin du 16ème siècle et son usage ne s'est généralisé que bien plus tard. Autant dire que cet habit n'a rien de traditionnel dans l'Eglise. Idem pour la soutane blanche du pape qui remonte au pape saint Pie V. L'une des premières interventions d'un pape à propos d'un habit spécifique pour le clergé remonte au 5ème siècle. Le pape Célestin 1er adresse alors une lettre de remontrances aux évêques des provinces de Vienne et de Narbonne et il met en cause l'évêque d'Arles, Honorat, pour avoir adopté un habit ecclésiastique spécifique... en tant qu'ancien moine:

"Nous avons appris que certains prêtres du Seigneur (expression qui désigne alors le plus souvent les évêques) sont plus attachés à des pratiques superstitieuses qu'à la pureté de la foi ou de l'esprit... Vêtus d'un manteau et d'une ceinture autour des reins, ils croient obéir à l'Ecriture, non pas selon l'esprit, mais selon la lettre... Nous devons nous distinguer des fidèles ou des autres par la doctrine et non par l'habillement, par la conduite et non par la tenue extérieure, par la rectitude de notre esprit et non par la parure... Si nous nous lançons dans les nouveautés, nous foulerons aux pieds l'ordre transmis par les Pères pour laisser la place à des superstitions vides de sens".
 
 
 
 
 
 

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