vendredi 17 novembre 2006

Sermon de BOSSUET sur la Parole de Dieu

Une fois n'est pas coutume, je vous présente un commentaire sur un magnifique sermon de Bossuet, celui sur la Parole de Dieu (1661).
C'est l'occasion de vous faire connaître l'un des plus grands prédicateurs que la France ait connu:
Jacques Bénigne BOSSUET, né à Dijon en 1627, mort à Paris en 1704.

Le ministère de la Parole

Sermon de Bossuet sur la Parole de Dieu

La réforme liturgique voulue par le Concile Vatican II a donné à la Parole de Dieu une place essentielle dans la célébration des sacrements et tout particulièrement dans la célébration du sacrement de l’eucharistie. Les prédicateurs sont ainsi passés du sermon qui abordait l’un ou l’autre point de la foi catholique à l’homélie, c’est-à-dire à une mise en lumière de la Parole de Dieu. La constitution sur la Sainte Liturgie (Sacrosanctum Concilium, 4 décembre 1963) affirme d’une manière significative que le Christ « est là présent dans sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Eglise les Saintes Ecritures » (n°7). Dans la même constitution nous trouvons des expressions maintenant bien connues pour caractériser la liturgie de la Parole et la liturgie eucharistique : « La table de la parole de Dieu » (n°51) et « la table du Corps du Seigneur » (n°48). La conclusion logique de tout cela c’est bien sûr l’unité du sacrement de l’eucharistie : « Les deux parties qui constituent en quelque sorte la messe, c’est-à-dire la liturgie de la parole et la liturgie eucharistique, sont si étroitement unies entre elles qu’elles constituent un seul acte de culte » (n°56). Certains ont voulu voir dans la doctrine des « deux tables » une nouveauté. En fait cet enseignement du Concile s’enracine dans la Tradition patristique. Au 15ème siècle l’Imitation de Jésus-Christ utilise déjà le vocabulaire des « deux tables » : « L’une est la table de l’autel sacré, sur lequel repose un pain sanctifié, c’est-à-dire le Corps précieux de Jésus-Christ. L’autre est la table de la loi divine, qui contient la doctrine sainte, qui enseigne la vraie foi, qui soulève le voile du sanctuaire, et nous conduit avec sûreté jusque dans le Saint des saints » (IV, 11, 4). Au 17ème siècle le grand prédicateur que fut Bossuet développe avec vigueur et génie « cette alliance sacrée qui est entre la chaire et l’autel ». Son sermon sur la Parole de Dieu, donné le 13 mars 1661 à l’occasion du deuxième dimanche de Carême, est en effet une profonde méditation sur « ce rapport admirable entre l’autel et la chaire ». Bossuet part de l’Evangile de la Transfiguration, et tout particulièrement du verset 5 au chapitre 17 de saint Matthieu : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le : Ipsum audite ». La doctrine de Bossuet est nourrie bien sûr par l’Ecriture, la théologie mais aussi par les Pères de l’Eglise, tout particulièrement Saint Augustin qui est cité comme « fondement » de tout le développement. A peine âgé de 34 ans, Bossuet nous livre dans ce sermon une synthèse doctrinale d’une étonnante vérité quant au ministère de la Parole dans l’Eglise et son importance sacrée. Le plan du sermon est le suivant : l’exorde suivi par trois points de développement. Un texte aussi dense et aussi beau ne peut se résumer facilement. Je vous propose toutefois de le parcourir dans ses grandes lignes. Bossuet peut encore aujourd’hui nous aider à participer « consciemment, pieusement et activement à l’action sacrée » par excellence qu’est la célébration de l’eucharistie (Sacrosanctum Concilium, n°48).

Exorde : le rapport admirable entre l’autel et la chaire

Bossuet se propose d’emblée d’approfondir dans son sermon « ce secret rapport entre le mystère de l’Eucharistie et le ministère de la parole ». Et ceci dans un but unique : pour susciter chez les auditeurs de la Parole de Dieu et de la prédication de « saintes dispositions ». Je citerai ici un peu longuement un très beau passage de l’exorde. C’est la thèse du prédicateur, le fondement de tout son développement :
« Le temple de Dieu, mes Sœurs, a deux places augustes et vénérables, je veux dire l’autel et la chaire. Là, se présentent les requêtes ; ici, se publient les ordonnances ; là, les ministres des choses sacrées parlent à Dieu de la part du peuple ; ici, ils parlent au peuple de la part de Dieu ; là, Jésus-Christ se fait adorer dans la vérité de son corps ; il se fait reconnaître ici dans la vérité de sa doctrine. Il y a une très étroite alliance entre ces deux places sacrées, et les œuvres qui s’y accomplissent ont un rapport admirable. Le mystère de l’autel ouvre le cœur pour la chaire ; le ministère de la chaire apprend à s’approcher de l’autel ».

Premier point : auditeurs fidèles et prédicateurs évangéliques

Pour Bossuet « le ministère de la parole » est le « plus grave, le plus important, le plus nécessaire emploi de l’Eglise ». Dans son sermon il s’adresse autant aux prédicateurs qu’aux auditeurs. Et le parallèle qu’il ne cesse de faire entre l’autel et la chaire doit amener les uns et les autres au plus grand respect envers la Parole de Dieu et la sainte prédication qui en découle. Le grand prédicateur qu’est l’aigle de Meaux (Bossuet était évêque de cette ville) s’élève contre une tendance de son époque : la prédication mondaine. Lorsque l’éloquence et les figures de style deviennent la priorité des prédicateurs, alors la sainte prédication est abaissée au rang d’un divertissement futile : « Il y a ici un ordre à garder : la sagesse marche devant comme la maîtresse, l’éloquence s’avance après comme la suivante ». L’éloquence doit donc toujours être secondaire. A la suite de saint Augustin, Bossuet affirme avec force l’éminente dignité du ministère de la prédication. Pour lui les prédicateurs de l’Evangile montent en chaire « dans le même esprit qu’ils vont à l’autel ; il y montent pour célébrer un mystère, et un mystère semblable à celui de l’Eucharistie. Car le corps de Jésus-Christ n’est pas plus réellement dans le sacrement adorable que la vérité de Jésus-Christ est dans la prédication évangélique ». Jésus-Christ est la Vérité. Le prédicateur évangélique doit se soumettre en toutes choses à cette divine vérité. L’auditeur évangélique doit désirer de toutes ses forces la vérité de l’Evangile en écoutant les saintes prédications. « D’où il faut tirer cette conséquence, qui doit faire trembler tout ensemble et les prédicateurs et les auditeurs, que, tel que serait le crime de ceux qui feraient ou exigeraient la célébration des divins mystères autrement que Jésus-Christ ne les a laissés, tel est l’attentat des prédicateurs et tel celui des auditeurs, quand ceux-ci désirent et que ceux-là donnent la parole de l’Evangile autrement que ne l’a déposée entre les mains de son Eglise ce céleste prédicateur que le Père nous ordonne aujourd’hui d’entendre : Ipsum audite. » Qui est donc le prédicateur évangélique ? « Celui qui fait parler Jésus-Christ […], un interprète fidèle qui n’altère, ni ne détourne, ni ne mêle, ni ne diminue sa sainte parole ». Le prédicateur est l’humble serviteur de la Parole de Dieu. Et si à certaines époques les prédicateurs évangéliques se font rares, c’est parce que les chrétiens ne cherchent plus « en vérité la saine doctrine ». Bossuet parle ici d’un mystère : « Ce sont les auditeurs fidèles qui font les prédicateurs évangéliques, parce que, les prédicateurs étant pour les auditeurs, ‘les uns reçoivent d’en haut ce que méritent les autres’ ». Bossuet cite ici saint Pierre Chrysologue pour évoquer ce mystère de l’interaction entre prédicateurs et auditeurs.

Deuxième point : la parole de Dieu doit aller au cœur de l’auditeur

« Le second rapport, Chrétiens, que nous avons remarqué entre la parole de Dieu et l’Eucharistie, c’est que l’une et l’autre doit aller au cœur, quoique par des voies différentes : l’une par la bouche, l’autre par l’oreille ». L’écoute attentive de la parole de Dieu s’impose donc à tout chrétien car « il ne faut pas croire que Jésus-Christ se sente moins outragé quand on écoute sa vérité avec peu d’attention que quand on manie son corps avec peu de soin ». Dans la prédication, il y a le prédicateur visible. Mais n’oublions pas le prédicateur invisible, Dieu lui-même. C’est Lui et Lui seul qui par l’Esprit Saint peut faire que « cette parole sensible et extérieure » aille jusqu’au cœur de l’auditeur : « Outre le son qui frappe l’oreille, il y a une voix secrète qui parle intérieurement, et ce discours spirituel et intérieur, c’est la véritable prédication, sans laquelle tout ce que disent les hommes ne sera qu’un bruit inutile ». Bossuet se réfère encore à saint Augustin pour développer d’une manière admirable la thèse de son deuxième point : « Tant que les lumières de Dieu demeurent simplement à l’intelligence, ce n’est pas encore la leçon de Dieu, ce n’est pas l’école du Saint-Esprit, parce qu’alors, dit saint Augustin, Dieu ne nous enseigne que selon la loi, et non encore selon la grâce ; selon la lettre qui tue, non selon l’esprit qui vivifie. Donc, mes Frères, pour être attentif à la parole de l’Evangile, il ne faut pas ramasser son attention au lieu où se mesurent les périodes, mais au lieu où se règlent les mœurs ; il ne faut pas se recueillir au lieu où l’on goûte les belles pensées, mais au lieu où se produisent les bons désirs ; ce n’est pas même assez se retirer au lieu où se forment les jugements, il faut aller à celui où se prennent les résolutions ». Comment ne pas penser ici à un autre génie spirituel du 17ème siècle français, Blaise Pascal ? « Qu’il y a loin de la connaissance de Dieu à l’aimer. […] C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi. Dieu sensible au cœur, non à la raison ».

Troisième point : la parole de Dieu accueillie dans le cœur nous fait accomplir la volonté de Dieu

Comment savoir si nous écoutons avec attention la parole de Dieu et la sainte prédication ? Comment savoir si nous ouvrons réellement notre cœur à cette divine parole ? Bossuet répond en poursuivant le parallèle avec l’Eucharistie : « Comme nous ne connaissons si nous avons reçu dignement le corps du Sauveur qu’en nous mettant en état qu’il paraisse qu’un Dieu nous nourrit, ainsi nous ne remarquons que nous ayons bien écouté sa sainte parole qu’en vivant de telle manière qu’il paraisse qu’un Dieu nous enseigne ». Bref si la parole de Dieu et le ministère de la prédication ne nous convertissent pas, c’est le signe évident que nous sommes de mauvais auditeurs. Nous écoutons d’une manière distraite et superficielle, nous arrêtant davantage à l’éloquence et à l’aspect du prédicateur qu’au contenu de la vérité évangélique qu’il est chargé de nous transmettre dans toute sa pureté. Nous ne nous laissons pas toucher par la grâce du prédicateur invisible. Le troisième point du sermon avait été annoncé dès l’exorde par une belle comparaison entre la transsubstantiation eucharistique et la transformation des fidèles : « Là, par l’efficace (comprendre : l’efficacité) du Saint-Esprit et par des paroles mystiques, auxquelles on ne doit point penser sans tremblement, se transforment les dons proposés au corps de Notre Seigneur Jésus-Christ ; ici, par le même Esprit et encore par la puissance de la parole divine, doivent être secrètement transformés les fidèles de Jésus-Christ pour être faits son corps et ses membres ». Et Bossuet de conclure sur « ce nouveau rapport entre la doctrine sacrée et l’Eucharistie. Celle-ci, s’approchant des hommes, vient discerner les consciences avec une autorité et un œil de juge ; elle couronne les uns, elle condamne les autres : ainsi la divine parole, ce pain des oreilles, ce corps spirituel de la vérité ; ceux qu’elle ne touche pas, elle les juge ; ceux qu’elle ne convertit pas, elle les condamne ; ceux qu’elle ne nourrit pas, elle les tue. »

Au terme de ce merveilleux parcours sur la parole de Dieu et le ministère de la prédication en compagnie de Bossuet, je lui laisserai une dernière fois la parole. Une parole qui nous appelle à avoir une même vénération, un même respect pour les deux parties constitutives du sacrement de l’Eucharistie que sont la liturgie de la Parole et la liturgie eucharistique :
« Mes Frères, ces mystères sont amis ; ne soyons pas assez téméraires pour en rompre la société. Adorons Jésus-Christ avant qu’il nous parle ; contemplons en respect et en silence ce Verbe divin à l’autel, avant qu’il nous enseigne dans cette chaire. Que nos cœurs seront bien ouverts à la doctrine céleste par cette sainte préparation ! Pratiquez-là, Chrétiens : ainsi Notre Seigneur Jésus-Christ puisse être votre docteur ! »

Père Robert Culat
3. I.2006

Aucun commentaire: