dimanche 17 février 2019

6ème dimanche du temps ordinaire / année C



Luc 6, 17-26

17/02/19

Nous venons d’entendre les Béatitudes dans la version qu’en donne saint Luc. Ici Jésus ne parle pas des pauvres de cœur mais des pauvres : Heureux, vous les pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous. A cette béatitude correspond une plainte, une lamentation, à propos des riches : Quel malheur pour vous, les riches, car vous avez votre consolation ! Ces paroles de Jésus sont révolutionnaires. Elles contredisent l’esprit du monde, les valeurs communément admises, aujourd’hui comme à l’époque de Jésus. Comment les Romains considéraient-ils la richesse et la pauvreté ? Pour eux, la pauvreté était méprisable, une indignité morale, alors que la fortune inspirait le respect. Un personnage de l’auteur latin Pétrone résume bien la mentalité dominante dans l’Empire romain : Si tu as un as, tu vaux un as. Les romains de la Plèbe, lorsqu’ils n’avaient aucun travail salarié, étaient traités de fainéants, ce qui supposait aussi une déchéance morale, car l’oisiveté n’était noble que pour le riche. C’est donc dans ce contexte historique que Jésus ose proclamer, totalement à contre-courant : Heureux, vous les pauvres. En fait il n’invente rien et se situe dans la plus pure tradition des prophètes. Il suffit de lire, par exemple, le prophète Amos pour s’en rendre compte :

C’est pourquoi, vous qui avez pressuré le faible et prélevé sur lui un tribut de blé, les maisons que vous avez bâties en pierre de taille, vous n’y habiterez pas. Oui, je connais vos nombreux crimes, vos énormes péchés, oppresseurs du juste, preneurs de pots-de-vin ; au tribunal les malheureux sont écartés… Écoutez ceci, vous qui écrasez le malheureux pour anéantir les humbles du pays, car vous dites : Nous pourrons acheter le faible pour un peu d’argent, le malheureux pour une paire de sandales.
Dans son livre, le prophète Amos dénonce à la fois la vie de luxe menée par les riches notables d’Israël, leur indifférence quant au bien commun et à celui de la nation, et l’oppression qu’ils font peser sur les pauvres. Le livre de Qohélet ou Ecclésiaste mentionne une autre tentation propre à la richesse : en vouloir toujours davantage.

Qui aime l’argent n’a jamais assez d’argent, et qui aime l’abondance ne récolte rien. Cela aussi n’est que vanité. Le travailleur dormira en paix, qu’il ait peu ou beaucoup à manger, alors que, rassasié, le riche ne parvient pas à dormir. Voici un triste cas que j’ai vu sous le soleil : une fortune amassée pour le malheur de son maître. Il perd son avoir dans une mauvaise affaire, et quand lui naît un fils, celui-ci n’a rien en main. Sorti nu du sein de sa mère, il s’en ira comme il est venu. Il n’emportera rien de son travail, rien que sa main puisse tenir. C’est aussi une triste chose qu’il s’en aille comme il était venu. Qu’a-t-il gagné en peinant pour du vent ? Il ronge ses jours dans le noir, la tristesse profonde, la souffrance et l’irritation.
La parole de Jésus, à la suite de celle des prophètes, n’a rien perdu de son actualité, bien au contraire, dans un système économique qui trouve tout à fait normal, au nom des lois du marché, de rémunérer certains patrons de grandes entreprises avec des sommes astronomiques alors que les inégalités et la misère augmentent. Jésus ne déclare pas heureuses les personnes qui vivent dans la misère mais bien les pauvres. Dans le Nouveau Testament, l’enseignement de Jésus sur la pauvreté et la richesse a eu un fort écho chez saint Jacques et saint Paul qui en explicitent la signification. La lettre de Jacques reprend l’inspiration prophétique en dénonçant l’attitude des riches, source d’injustice sociale :
Et vous autres, maintenant, les riches ! Pleurez, lamentez-vous sur les malheurs qui vous attendent. Vos richesses sont pourries, vos vêtements sont mangés des mites, votre or et votre argent sont rouillés. Le salaire dont vous avez frustré les ouvriers qui ont moissonné vos champs, le voici qui crie, et les clameurs des moissonneurs sont parvenues aux oreilles du Seigneur de l’univers. Vous avez mené sur terre une vie de luxe et de délices, et vous vous êtes rassasiés au jour du massacre. Vous avez condamné le juste et vous l’avez tué, sans qu’il vous oppose de résistance.
Quant à saint Paul, il affirme que l’amour de l’argent est la racine de tous les maux. L’avidité est un redoutable poison pour notre salut spirituel :
De même que nous n’avons rien apporté dans ce monde, nous n’en pourrons rien emporter. Si nous avons de quoi manger et nous habiller, sachons nous en contenter. Ceux qui veulent s’enrichir tombent dans le piège de la tentation, dans une foule de convoitises absurdes et dangereuses, qui plongent les gens dans la ruine et la perdition.
Bref l’Ancien comme le Nouveau Testament insistent sur le danger que représentent la richesse et l’avidité. Jésus, en proclamant heureux les pauvres, nous interroge sur notre style de vie et sur nos valeurs. Pour un chrétien, il est impensable de considérer l’accumulation sans fin de richesses comme un signe de réussite dans la vie. Le but de la vie humaine ne saurait consister à s’enrichir. Réussir dans la vie, ce n’est certainement pas être millionnaire ou milliardaire. Ceux qui le sont ne peuvent pas l’être, d’ailleurs, sans, d’une manière ou d’une autre, exploiter leurs frères humains, surexploiter la planète et détruire notre environnement. Leur argent, c’est le sang du pauvre pour reprendre une expression de Léon Bloy. Jésus nous demande de suivre une voie diamétralement opposée : celle d’une vie simple et sobre dans la maîtrise de nos désirs. Pour nous, réussir notre vie, ce n’est pas nous enrichir, mais c’est faire la volonté de Dieu, c’est faire vivre les exemples et les enseignements de Jésus dans notre vie, c’est aimer comme le Christ nous a aimés. Si nous sommes riches parce nous disposons du superflu, au-delà de ce qui est nécessaire pour vivre correctement, alors s’impose à nous un devoir de justice qui est celui du partage. Si nous refusons d’entendre cet appel de Dieu en nous enfermant dans un usage égoïste de nos biens, alors, oui, malheur à nous ! C’est ce que Paul demande à Timothée d’enseigner à ceux qui sont riches dans la communauté :
Quant aux riches de ce monde, ordonne-leur de ne pas céder à l’orgueil. Qu’ils mettent leur espérance non pas dans des richesses incertaines, mais en Dieu qui nous procure tout en abondance pour que nous en profitions. Qu’ils fassent du bien et deviennent riches du bien qu’ils font ; qu’ils donnent de bon cœur et sachent partager. De cette manière, ils amasseront un trésor pour bien construire leur avenir et obtenir la vraie vie.





1 commentaire:

Paul Amberg a dit…

Merci chère Père de votre clarté audace, même apostolique.
Que notre Seigneur bien-aimé nous accorde le don du Saint-Ésprit de reconnaître la beauté transformante de Sa Vérité, en réalisant les préceptes du Seigneur reflétés fidèlement dans l´enseignement constant de son Épouse - l´Église Catholique.