vendredi 25 février 2011

8ème dimanche du temps ordinaire

8ème dimanche du TO/A
27/02/2011
Matthieu 6, 24-34 (p. 907)

Dans notre lecture du sermon sur la montagne la liturgie nous fait sauter tout un passage consacré à l’aumône, à la prière et au jeûne pour parvenir à l’enseignement de ce dimanche. Dans cet enseignement le Seigneur Jésus aborde principalement deux thèmes qu’il lie l’un à l’autre : le dieu Argent et l’abandon à la Providence de Dieu.
« Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent ». La traduction liturgique écrit le mot « argent » avec un grand A pour essayer de traduire le terme araméen Mammon. La Bible des peuples propose une traduction qui a le mérite d’être claire : le dieu Argent. Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans notre passage de l’Evangile selon saint Matthieu. Ici le concurrent de Dieu, son rival, ce n’est pas Satan, mais bien le dieu Argent. Et cette idole règne à deux niveaux. Au niveau mondial et dans les vies des personnes. Au niveau mondial cela est évident. Cela fait longtemps en effet que les intérêts et les profits économiques ainsi que le monde de la finance mènent le jeu face à un monde politique affaibli ou dépourvu de volonté. Dans ces conditions la morale est jetée au placard. Le culte du dieu Argent exclue toute réflexion morale. Et pourtant une vision humaine de l’économie va de pair avec les exigences morales comme le rappelle ce passage de la doctrine sociale de l’Eglise : « Le rapport entre morale et économie est nécessaire et intrinsèque. La dimension morale de l’économie permet de saisir comme des finalités inséparables, et non pas séparées ou alternatives, l’efficacité économique et la promotion d’un développement solidaire de l’humanité ». L’avertissement du Seigneur concerne aussi notre vie personnelle. Si nous nous laissons dominer par le dieu Argent, nous en devenons les esclaves et nous perdons du même coup notre liberté d’enfants de Dieu.
La suite de notre Évangile nous pose davantage de questions : « Ne vous faites pas tant de souci pour votre vie, au sujet de la nourriture, ni pour votre corps, au sujet des vêtements ». Nous comprenons bien la fine pointe de cet enseignement : Jésus veut que nous vivions vraiment en fils de Dieu, c’est-à-dire que nous lui fassions confiance et que nous lui remettions toute notre vie, toute notre personne. Jésus veut que nous ayons foi en la Providence de Dieu notre Père pour nous. Comme argument il nous fait contempler la nature. Et plus profondément il affirme que la vie vaut plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement. Bref la valeur suprême ici-bas c’est l’homme lui-même, au-dessus de tous les biens matériels, au-dessus des objets et bien sûr de l’argent qui peut nous rendre esclaves. L’homme seul est en effet à l’image de Dieu, et c’est ce qui lui confère une dignité particulière. Nous pouvons recevoir cet enseignement du Christ sans problèmes si nous avons de quoi vivre, si justement le lendemain ne nous cause pas de soucis. Mais comment faire entendre cette parole à nos frères qui de par le monde vivent dans la misère, ou encore à ces 6 millions de français qui doivent se contenter d’un salaire de 750 euros pour vivre ? On pourrait avoir l’impression en écoutant cet Évangile que Jésus nous pousse à l’insouciance et à l’irresponsabilité, comme si tout allait tomber du Ciel comme à l’époque de la manne et des cailles dans le désert... Certes l’histoire des saints, comme celle de saint Jean Bosco par exemple, nous montre comment la Providence divine a répondu à des situations d’extrême détresse. Mais, avouons-le, cela ne semble pas être la voie ordinaire, et la manne et les cailles ont cessé de tomber du Ciel lorsque le peuple est arrivé en Palestine. Un prêtre suisse, Maurice Zundel, grand spirituel mort en 1975, a beaucoup réfléchi au rapport entre misère et liberté spirituelle. Je me permets de le citer un peu longuement : « La faim chez l’homme ne met pas seulement en péril son existence physique, elle l’oblige à s’y réduire. Il n’est plus qu’un organisme aux abois, un animal traqué par ses besoins. Il est, dès lors, incapable de créer la valeur, intérieure à soi, en raison de laquelle on lui reconnaît une dignité. Il est pratiquement frustré, empêché de faire de soi un bien commun, un bien universel et infini à l’éclosion duquel tous sont intéressés. Il est proprement aliéné à soi, dans cette impossibilité concrète d’atteindre à son humanité, de se promouvoir –comme eût dit Flaubert- de quelque chose à quelqu’un, d’où résulte l’avortement tragique d’un univers irremplaçable dont lui seul aurait pu être l’auteur. La FAIM, en un mot, lui interdit d’être une FIN ». Cette réflexion de Zundel sur les conséquences dramatiques de la misère part d’une rencontre qu’il fit lors de son ministère de prêtre avec une femme. Elle lui avait dit alors : « Je voudrais bien méditer et prier, mais comment voulez-vous que je fixe mon esprit sur une pensée qui l’éclaire, quand j’ai cinq enfants à nourrir et rien dans mes marmites. La faim de mes enfants me crève les entrailles et tue en moi toute vie de l’esprit ». Et Zundel de commenter : « Que réclamait-elle ? Simplement un espace de sécurité qui lui aurait permis de faire de sa vie un espace de générosité. » Pour vivre la parole de sagesse de Jésus « A chaque jour suffit sa peine », nous avons tous besoin de cet espace de sécurité. Être libéré de la tyrannie du lendemain qui nous empêche de vivre pleinement notre présent, cela suppose que nous soyons dans une situation bien différente de celle de cette pauvre mère de famille. Est-ce que Jésus lui reprocherait de se faire du souci pour ses enfants et pour le lendemain ? Je n’en suis pas certain. « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par-dessus le marché ». L'Évangile nous montre que ce Royaume est difficile d’accès aux riches. Notre expérience nous montre aussi que la misère, différente de la pauvreté, est souvent un obstacle à la vie spirituelle. Oui, nous devons toujours rechercher l’essentiel dans nos vies, car là où est notre cœur, là aussi est notre trésor. Oui, nous devons être vigilants par rapport au pouvoir pernicieux du dieu Argent et ne jamais céder sur les exigences morales en vue du profit et de l’enrichissement. Chercher le Royaume de Dieu et sa justice, n’est-ce pas aussi devenir providence pour nos frères qui sont dans le besoin ? Comment la Providence de Dieu agit-elle si ce n’est à travers nous et par nous qui sommes ses fils et les membres de son Église ? Alors si nous avons cette chance de ne manquer de rien, si nous avons cet espace de sécurité, sommes-nous espace de générosité ? Pas seulement pour notre famille et nos amis, mais surtout pour les miséreux de notre monde. Je ne suis pas certain que Jésus ferait des reproches à cette pauvre femme qui se faisait du souci pour ses enfants. Mais je suis certain qu’il nous reprochera notre égoïsme, notre avarice et notre cupidité si, ne manquant de rien, nous n’en avons pas profité pour devenir les visages de sa Providence ici-bas.

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