samedi 13 février 2010

6ème dimanche du temps ordinaire

6ème dimanche du TO/C
14/02/2010
Luc 6, 17-26 (p. 822)
Le dernier dimanche du temps ordinaire avant notre entrée en Carême propose à notre méditation l’Evangile des béatitudes en saint Luc. La version de Luc est plus rugueuse, plus abrupte pour notre raison humaine que celle de Matthieu, donc aussi plus difficile à interpréter correctement. Là où Matthieu dit « les pauvres en esprit », Luc dit « les pauvres » tout court. Et surtout seul Luc donne en contrepoint des béatitudes les « malheureux » : « Malheureux, vous les riches : vous avez votre consolation etc. » Cette version des béatitudes semblerait donner raison à Marx qui voyait dans la religion l’opium du peuple. Dans le sens où les malheureux de notre monde, les pauvres en particulier, seraient comme endormis par l’espérance d’un monde meilleur dans l’au-delà… Nous pourrions aussi tirer une conception simpliste de l’existence humaine à partir de cet Evangile : tu souffres ici-bas, tu seras heureux au ciel. Tu es heureux ici-bas, tu le payeras plus tard ! Comme si l’entrée au Paradis était une espèce de revanche pour les pauvres, et l’enfer une punition pour les riches. Nous retrouvons cela dans la parabole du pauvre Lazare et du riche, toujours en saint Luc. Or toute la tradition chrétienne nous enseigne que le bonheur éternel est un don que Dieu nous fait, par le Christ, en relation avec notre foi en Lui et notre charité… Comme l’affirme saint Jean de la Croix, « au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour », et non pas sur notre pauvreté ou notre richesse !
Alors comment recevoir cette parole de Jésus ? Trois expressions me semblent intéressantes pour prendre le bon chemin : le Royaume de Dieu, le Ciel, « à cause de moi ». Les Béatitudes sont un enseignement sur le lien essentiel entre notre vie ici-bas et l’au-delà. Pour le Seigneur le but de notre vie est déterminant. Ce qui signifie que nous avons à vivre notre existence humaine en fixant sans cesse du regard, celui du cœur, le but : la communion parfaite et définitive avec Dieu Trinité, ce que nous nommons d’un mot trop faible le paradis. Et la deuxième lecture va bien dans ce sens :
Si le Christ n'est pas ressuscité, notre message est sans objet, et votre foi est sans objet. […] Si nous avons mis notre espoir dans le Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes.
Il est alors évident que le riche, l’homme comblé, peut être en fait le plus malheureux d’entre les hommes car ses biens l’empêchent de porter le regard au-delà de cette vie qui lui apporte tant de satisfactions matérielles. Le riche peut en effet être malheureux car il n’y a pas que la misère matérielle, il y a aussi la misère morale. Et le riche est particulièrement exposé à cette misère là s’il n’est pas animé par la foi, l’espérance et la charité. Jean-Paul II avait particulièrement conscience de cette réalité en constatant dans son encyclique sociale Sollicitudo rei socialis :
Que les pays riches ressentent « souvent une sorte d'égarement existentiel, une incapacité à vivre et à profiter justement du sens de la vie, même dans l'abondance des biens matériels; une aliénation et une perte de la propre humanité chez de nombreuses personnes, qui se sentent réduites au rôle d'engrenages dans le mécanisme de la production et de la consommation et ne trouvent pas le moyen d'affirmer leur propre dignité d'hommes, faits à l'image et à la ressemblance de Dieu ».
Inversement le pauvre au niveau matériel, ou la personne qui souffre dans son corps et dans son âme, peut être déclarée bienheureuse, non pas parce que la pauvreté ou la souffrance seraient en soi un bien, mais parce que ces situations difficiles peuvent ouvrir le cœur à Dieu et à son Royaume.
Si les Béatitudes ne peuvent se comprendre que dans ce rapport dynamique entre vie terrestre et Royaume de Dieu, elles constituent aussi une révélation de la justice divine. Nous aspirons tous, normalement, à la justice. Et rien ne nous révolte davantage que l’injustice. Or nous savons bien qu’ici-bas la justice humaine est imparfaite, voire partiale, quand elle ne se trompe pas ! Par rapport à ce thème important de la justice, le riche est désavantagé du point de vue moral. Car il peut être tenté d’utiliser sa richesse pour obtenir de la justice humaine des privilèges, des passe-droits, des complicités. L’argent est un pouvoir réel. Et face à ce pouvoir, la justice humaine peut devenir corrompue. Les béatitudes nous assurent que Dieu, seul juste juge, fera véritablement justice au jour de notre mort sans tenir compte du rang social, des titres et des grandeurs humaines, des richesses et des patrimoines etc. Non pas dans un esprit revanchard, mais tout simplement pour que la vérité profonde de la vie de chacun soit manifestée. Dans le Royaume de Dieu les masques tomberont et dans la lumière de Dieu nous nous verrons tels que nous sommes. Cette lumière étant celle de l’amour, elle nous montrera si, oui ou non, nous avons mis l’amour au centre de notre vie. Les béatitudes sont donc une consolation, une espérance pour tous les opprimés, les victimes d’injustice etc. Elles sont aussi un sérieux appel à la conversion pour tous ceux qui fraudent, qui exploitent les pauvres et commettent l’injustice en refusant de partager leurs biens.

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