dimanche 4 mai 2014

Troisième dimanche de Pâques



4/05/14

Luc 24, 13-35

Parmi les évangélistes saint Luc est le seul à nous rapporter de manière détaillée la manifestation du Ressuscité aux deux disciples d’Emmaüs. Marc y fait allusion. Cette manifestation a quelque chose d’unique. Tous les récits d’après Pâques nous montrent en effet des apparitions de Jésus à des personnes connues et ayant joué un certain rôle tout au long de sa vie publique : on pense bien sûr au groupe des apôtres mais aussi à Marie-Madeleine. Ici ce sont deux inconnus, pourrait-on dire. De simples disciples dont l’un d’entre eux est même anonyme. En ce sens les disciples d’Emmaüs sont beaucoup plus proches de nous que les apôtres ou les saintes femmes. Ils nous ressemblent ou nous leur ressemblons car nous sommes de simples chrétiens. Et le disciple sans nom pourrait bien être chacun d’entre nous. Un autre détail va dans ce sens. Dans la plupart des manifestations aux apôtres ou à Marie-Madeleine le Ressuscité, avant de les quitter, leur confie une mission. Rien de tel dans l’évangile d’Emmaüs.
Beaucoup d’interprètes ont remarqué avec justesse que saint Luc avait donné une forme eucharistique à cette manifestation de Jésus. Nous y retrouvons en effet les deux grandes parties du sacrement de l’eucharistie : la liturgie de la Parole, c’est le moment où Jésus les rejoint sur la route et fait même pour eux l’homélie, et la liturgie eucharistique, c’est le moment où dans la maison Jésus rompt le pain.

De cet évangile riche de significations je voudrais retenir un aspect : l’évolution spirituelle de ces deux hommes au contact de Jésus ressuscité. En les entendant parler on pourrait se demander s’ils n’étaient pas membres du parti des zélotes : « Et nous qui espérions qu’il serait le libérateur d’Israël ! » Ces hommes sont déçus par la fin de l’histoire de Jésus de Nazareth. Sa mort en croix est un immense échec. Ils avaient mis en lui une espérance davantage politique et nationaliste que religieuse : il devait libérer le peuple juif du joug de l’occupation romaine, et voilà que c’est précisément un romain qui, sur la demande des autorités religieuses, le condamne à la mort sur la croix. Le jour même de l’Ascension saint Luc note que les sentiments des apôtres étaient, eux aussi, bien peu spirituels : « Seigneur, est-ce donc maintenant que tu vas rétablir le royaume d’Israël ? » Face à cette déception Jésus rappelle ce qui constitue le centre de sa vie et de son mystère : Pâques, sa mort et sa résurrection. « Ne fallait-il pas que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ? » A l’approche du village voilà que les deux hommes se sont attachés à la compagnie de cet inconnu qui leur a si bien expliqué le sens des événements qu’ils viennent de vivre : « Reste avec nous ». Le Seigneur choisit alors de se révéler à eux de manière indirecte, à travers le signe du pain rompu. Mais au moment même où ils comprennent que cet inconnu c’est Jésus « il disparut à leurs regards ». La traduction de Chouraqui propose : « Il devient invisible et leur échappe ». Le récit d’Emmaüs nous rappelle ainsi que la communion avec Dieu n’exclut jamais sa transcendance. Tout d’abord l’espérance déçue des disciples nous montre la vérité de l’oracle d’Isaïe : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemins, déclare le Seigneur. Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres, et mes pensées, au-dessus de vos pensées. » Jésus vient marcher avec ses disciples, il les écoute, mais il rectifie aussi ce qu’il y avait de trop humain dans leur espérance. C’est à nous de nous adapter à la pensée de Dieu. Cela fait partie de notre conversion. Ensuite la présence du Ressuscité n’est pas une réalité que l’on pourrait garder pour nous. Au moment même où il se donne à nous et se révèle il nous échappe car il est le Fils de Dieu. Notre relation avec lui ne peut se vivre que par la médiation de la foi, de l’Eglise et des sacrements. C’est à cela que sont renvoyés les disciples à la fin du récit. C’est aussi l’expérience que Marie-Madeleine avait faite dans le jardin du tombeau. Le Ressuscité lui dit : « Ne me touche pas ! » ou encore « Ne me retiens pas ! » selon une autre traduction. Par sa résurrection le corps de Jésus est devenu un corps glorieux. L’amour que nous avons pour le Christ ne saurait être un amour possessif. Comme tout amour véritable il laisse au bien-aimé la liberté de l’initiative, la liberté de la communion et de la distance. Dieu respecte toujours notre liberté, nous devons aussi respecter sa transcendance et ne pas le considérer comme un bien qui serait en notre pouvoir et à notre disposition. Sur la route menant à Emmaüs les disciples ont compris que la vie de foi comprenait toujours la présence et l’absence de Dieu, la proximité et la distance.

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