Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui.
Le Seigneur dit à Abram : «
Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je
te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai
grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te
béniront ; celui qui te maudira, je le réprouverai. En toi seront bénies toutes
les familles de la terre. (Genèse 12)
Contrairement aux bergers les
mages entreprennent un très long voyage pour adorer l’enfant qui vient de
naître. Probablement astrologues et savants, c’est l’observation d’une étoile
qui les décide à quitter leur patrie pour un lieu qu’ils ne connaissent pas.
Dans ses Elévations à Dieu sur tous les mystères Bossuet commente ainsi
ce signe de l’étoile : Une étoile qui ne paraissait qu’aux yeux n’était
pas capable d’attirer les mages au Roi nouveau-né : il fallait que
l’étoile de Jacob, et la lumière du Christ se fut levée dans leur cœur. A la
présence du signe qu’il leur donnait au dehors, Dieu les toucha au-dedans par
cette inspiration dont Jésus dit : « Nul ne peut venir à moi si mon
Père ne l’attire ». L’étoile des mages est donc l’inspiration dans les
cœurs.
L’étoile est par conséquent le
signe extérieur de la grâce qui agit à l’intérieur. C’est bien la grâce du
Christ Sauveur qui est capable de toucher le cœur de ces hommes, totalement
étrangers à la foi d’Israël, pour leur faire entreprendre un long voyage vers l’inconnu.
Ecoutons à nouveau Bossuet : Pour aller où ? Nous ne le savons pas
encore ; nous commençons par quitter notre patrie. Le voyage des mages
nous rappelle un autre voyage, un autre départ, celui d’Abram : Le
Seigneur dit à Abram : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père,
et va vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, je
te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction. […] En
toi seront bénies toutes les familles de la terre. (Genèse 12) Le lien
entre Abram, le père des croyants et les mages païens est déjà présent dans la
promesse de Dieu : En toi seront bénies toutes les familles de la terre.
L’appel de Dieu à Abram contient déjà cette promesse du salut de Dieu
offert à tous les peuples, ces peuples dont les mages sont l’image.
Dans un sermon pour l’Epiphanie
Maître Eckhart commente ainsi la question des mages « Où est le roi des
Juifs qui vient de naître ? » : Cette naissance éternelle se
produit dans l’âme comme elle se produit dans l’éternité… et elle se produit
dans l’être et dans le fond de l’âme. Les voyages d’Abram et des mages qui
ont entendu l’inspiration divine et y ont été fidèles, ces longs déplacements
extérieurs, semés d’embuches et de difficultés, représentent à l’intérieur de
l’âme le cheminement de la conversion, de la purification et de la
sanctification. Bossuet le dit à sa manière et avec le vocabulaire de son
temps : Chrétiens, qui que vous soyez… peut-être qu’à ce moment
l’étoile va se lever dans votre cœur ; allez, sortez de votre patrie, ou
plutôt sortez du lieu de votre bannissement que vous prenez pour votre patrie,
parce que c’est dans cette corruption que vous avez pris naissance. Dès le
ventre de votre mère, accoutumé à la vie des sens, passez à une autre religion,
apprenez à connaître Jérusalem, et la crèche de votre Sauveur, et le pain qu’il
vous prépare à Bethléem.
Dans son sermon pour l’Epiphanie
Maître Eckhart décrit cet itinéraire de l’âme, cette naissance, comme un
mouvement qui va de l’extérieur vers l’intérieur, de l’activité humaine vers la
docilité à la grâce divine : Rassemble toutes tes puissances, tous tes
sens, toute ton intelligence, toute ta mémoire : retourne dans le fond, là
où se tient caché ton trésor, à l’intérieur. Pour que cela puisse se produire,
échappe à toutes opérations, et pénètre dans l’ignorance pour que tu puisses le
trouver… quand l’homme doit opérer une opération intérieure, il doit concentrer
à l’intérieur toutes les puissances dans un coin de son âme et se cacher de
toutes les images et formes… il faut être dans le calme et le silence pour que
cette parole puisse être entendue… Là, on peut l’entendre et on la comprend
vraiment dans l’ignorance. Là on ne sait rien, là elle se montre et se
manifeste… Il faut parvenir à un savoir transfiguré. Cette ignorance ne doit
pas provenir de l’ignorance, au contraire, il faut aller du savoir vers
l’ignorance. Nous devons devenir savants avec le savoir divin et notre
ignorance sera alors ennoblie et ornée avec le savoir surnaturel. Et dans
celui-ci, là où nous nous comportons de façon passive, nous sommes plus
parfaits que quand nous agissions.
L’Evangile de l’Epiphanie se
conclut avec cette notice géographique : les mages regagnèrent leur
pays par un autre chemin. Mais comment ne pas la comprendre aussi
spirituellement ? Les mages se sont comportés « de façon passive »
pour reprendre les mots de Maître Eckhart : ils se sont laissés guider par
une étoile, ils se sont laissés instruire par les grands prêtres. Ils se sont
dépouillés de toutes leurs richesses pour les offrir à l’enfant. Et c’est ainsi
qu’ils sont revenus dans leur patrie différents et transformés, riches d’un
savoir transfiguré, d’un savoir surnaturel, eux qui étaient à la fois savants
des astres et ignorants de Dieu. Ils sont revenus comblés de la joie de ceux
qui permettent au Sauveur de naître dans leur âme.