dimanche 22 juin 2025

SAINT SACREMENT 2025 / DILEXIT NOS 9

 22 /06/2025

En cette solennité du Saint Sacrement nous méditons la cinquième et dernière partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « Amour pour amour ». Dans ce chapitre le pape montre comment la dévotion au Sacré-Cœur conduit le croyant à « l’engagement communautaire et missionnaire ». La révélation faite à sainte Marguerite-Marie nous permet de comprendre la signification profonde de la parole de Jésus en croix : « J’ai soif ». D’une part le Seigneur révèle sa douleur causée par notre ingratitude et d’autre part sa soif d’être aimé par nous. Le titre du chapitre « amour pour amour » provient des paroles de Marguerite-Marie et sera plus tard repris par Charles de Foucauld :

« Je reçus de mon Dieu des grâces excessives de son amour, et me sentis touchée du désir de quelque retour, et de lui rendre amour pour amour ».

Les numéros 167-171 de l’encyclique montrent comment nous pouvons passer de l’ingratitude qui fait souffrir le Christ à la gratitude à travers notre amour pour les frères, un amour que Charles de Foucauld proclamera universel dans la lignée de l’Evangile. Ecoutons le pape : Nous devons revenir à la Parole de Dieu pour reconnaître que la meilleure réponse à l’amour de son cœur est l’amour pour nos frères. Il n’y a pas d’acte plus grand que nous puissions offrir pour Lui rendre amour pour amour. La Parole de Dieu le dit avec une totale clarté… L’amour pour les frères ne se fabrique pas, il n’est pas le résultat de notre effort naturel mais il exige une transformation de notre cœur égoïste. C’est alors que surgit spontanément la célèbre supplique : “Jésus, rends notre cœur semblable au tien”. C’est pour cette même raison que l’invitation de saint Paul n’est pas : “Efforcez-vous de faire de bonnes œuvres”. Son invitation est plus précisément : « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus » (Ph 2, 5).

Aux numéros 169-170 le pape fait une réflexion historique fort intéressante sur la grande nouveauté que constituait dans l’Empire romain l’amour universel des frères incluant beaucoup de pauvres, d’étrangers et autres laissés-pour-compte qui trouvaient auprès des chrétiens respect, affection et attention. Les premiers chrétiens, minoritaires dans l’Empire romain, ont accompli les paroles de leur Maître et Seigneur : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres qu’ils reconnaitront que vous êtes mes disciples » (Jean 13-35). Cette parole de Jésus s’est effectivement réalisée comme le montre la réaction de l’empereur Julien qui pendant son bref règne (360-363) a tenté de restaurer la vieille religion romaine traditionnelle. Son projet était de transposer dans la religion polythéiste les œuvres de charité chrétiennes :

Cela explique le raisonnement de l’empereur apostat Julien qui se demandait pourquoi les chrétiens étaient si respectés et suivis, et qui pensait que l’une des raisons était leur engagement dans l’assistance des pauvres et des étrangers, puisque l’Empire les ignorait et les méprisait. Il était intolérable pour cet empereur que ses pauvres ne reçoivent aucune aide de sa part, alors que les chrétiens détestés, « en plus de nourrir les leurs, nourrissent encore les nôtres ». Dans une lettre, il ordonna de créer des institutions caritatives pour rivaliser avec les chrétiens et attirer le respect de la société… Mais il n’atteignit pas son objectif, probablement parce qu’il n’y avait pas derrière ces œuvres l’amour chrétien qui permet de reconnaître à toute personne une dignité unique.

La grande nouveauté chrétienne qui a interpellé l’empereur Julien, fortement attaché au paganisme et à la culture gréco-latine, est celle de « la reconnaissance de la dignité de toute personne, aussi et surtout de ces personnes qualifiées d’indignes ». L’honnêteté exige de préciser que cette nouveauté chrétienne n’est pas absolument nouvelle. Elle trouvait en effet des appuis dès le 1er siècle chez les Stoïciens et en particulier chez Sénèque qui enseignait par exemple la pleine humanité des esclaves. Au n°170 le pape affirme combien ce principe nouveau dans l’histoire de l’humanité […] a changé la face du monde en donnant naissance à des institutions qui s’occupent des personnes en situation défavorisée.

Enfin au n°171 le pape enseigne que la contemplation amoureuse du cœur du Christ blessé par amour pour nous nous conduit à une plus grande charité envers tous les souffrants de notre monde :

Regarder la blessure du cœur du Seigneur qui « a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies » nous aide à être plus attentifs aux souffrances et aux besoins des autres, nous rend assez forts pour participer à son œuvre de libération en tant qu’instruments de diffusion de son amour. 

 

dimanche 15 juin 2025

TRINITE 2025 / DILEXIT NOS 8

 

15 /06/2025

En cette solennité de la Sainte Trinité nous méditons la quatrième partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « L’amour qui donne à boire ». Dimanche dernier nous avons parlé des saints français du 17ème siècle qui ont contribué à propager la dévotion au Sacré-Cœur. Les numéros 129 à 142 de l’encyclique présentent la contribution de deux autres saints français : Charles de Foucauld et Thérèse de l’Enfant Jésus. Charles de Foucauld se consacra au Sacré-Cœur en 1889 et il fut le premier ermite de l’Eglise « sous le nom du Sacré-Cœur ». Au n°138 le pape François cite longuement un extrait de la lettre 197 de Thérèse à sa sœur Marie, en ajoutant que cette page devrait être lue mille fois pour sa profondeur, sa clarté et sa beauté :

Mes désirs du martyre ne sont rien, ce ne sont pas eux qui me donnent la confiance illimitée que je sens en mon cœur. Ce sont, à vrai dire, les richesses spirituelles qui rendent injuste, lorsqu’on s’y repose avec complaisance et que l’on croit qu’ils sont quelque chose de grand. [...] Ce qui plaît au bon Dieu, c’est de me voir aimer ma petitesse et ma pauvreté, c’est l’espérance aveugle que j’ai en sa miséricorde… Voilà mon seul trésor. [...] Si vous désirez sentir de la joie, avoir de l’attrait pour la souffrance, c’est votre consolation que vous cherchez […]. Comprenez que pour aimer Jésus, être sa victime d’amour, plus on est faible, sans désirs, ni vertus, plus on est propre aux opérations de cet Amour consumant et transformant. [...] Oh ! que je voudrais pouvoir vous faire comprendre ce que je sens !... C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour ». 

A la fin du quatrième chapitre le pape aborde « la dévotion de la consolation » (n°151-163) en s’appuyant sur une lettre encyclique du pape Pie XI publiée en 1928 (Miserentissimus Redemptor). Le pape François distingue « la consolation » de la « réparation » dont il traite dans le dernier chapitre. Ces deux réalités spirituelles nous sont devenues presque étrangères, et elles peuvent aussi nous apparaitre comme des pratiques étranges, venues d’un autre âge. D’où l’importance de comprendre le message du pape qui, avec beaucoup de pédagogie, les propose à nouveau à notre vie spirituelle. Il commence sagement par les fondements de la consolation, fondements qui se trouvent dans l’unité du mystère pascal et dans sa dimension transcendante :

Le cœur du Ressuscité conserve ces signes du don total qui entraîna une intense souffrance pour nous. Il est donc en quelque sorte inévitable que le croyant veuille réagir non seulement à ce grand amour, mais aussi à la douleur que le Christ a accepté d’endurer pour tant d’amour (151). Le Pape Pie XI a voulu justifier cela en nous invitant à reconnaître que le mystère de la Rédemption par la Passion du Christ transcende, par la grâce de Dieu, toutes les distances de temps et d’espace (153).

La pratique de la consolation du cœur du Christ peut se comprendre dans la mesure où nous sommes rendus « mystiquement présents à ce moment rédempteur de la Passion ». Au n°155 le pape énonce l’objection que beaucoup de croyants peuvent faire à cette dévotion particulière : Quoi qu’il en soit, nous nous demandons comment il est possible d’être en relation avec le Christ vivant, ressuscité, pleinement heureux, et en même temps de le consoler dans sa Passion. Si le Christ ressuscité est parfaitement bienheureux dans la vie de la Sainte Trinité, comment est-il possible de le « consoler » ? Pascal répondrait que le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point… Et le pape reconnaît avec franchise qu’il y a là quelque chose de mystérieux qui dépasse notre logique humaine, et que la Passion du Christ n’est pas un simple fait du passé : nous pouvons y participer par la foi… et que nous nous trouvons sur un chemin mystique qui dépasse les tentatives de la raison et exprime ce que la Parole de Dieu elle-même nous suggère…

A la fin du chapitre le pape associe à la consolation du cœur du Christ dans sa Passion la pratique de la componction (158-160), proche de celle de la contrition. Il en donne la définition suivante :

Le désir nécessaire de consoler le Christ, qui naît de la souffrance en contemplant ce qu’Il a enduré pour nous, se nourrit aussi de la reconnaissance sincère de nos servitudes, de nos attachements, de nos manques de joie dans la foi, de nos vaines recherches et, au-delà de nos péchés concrets, de la non correspondance de nos cœurs à son amour et à son projet. 

La componction du cœur n’a rien à voir avec la culpabilité qui abat ou le scrupule qui paralyse :

Il ne s’agit pas de pleurer sur nous-mêmes, comme nous sommes souvent tentés de le faire. [...] Avoir des larmes de componction c’est au contraire nous repentir sérieusement d’avoir attristé Dieu par le péché ; c’est reconnaître que nous sommes toujours en dette et jamais en crédit [...]. Comme la goutte creuse la pierre, les larmes creusent lentement les cœurs endurcis. On assiste ainsi au miracle de la tristesse, de la bonne tristesse, qui conduit à la douceur [...]. La componction n’est pas tant le fruit de notre exercice, mais elle est une grâce et, comme telle, doit être demandée dans la prière. 

En consolant le Christ par amour pour lui et dans la gratitude pour le grand don de sa vie et de sa personne nous recevons à notre tour sa consolation dans nos épreuves et nos difficultés. Et de là nous sommes poussés à exercer la charité fraternelle. C’est de cette manière que le pape opère la transition entre le chapitre IV (l’expérience spirituelle personnelle) et le chapitre V (l’engagement communautaire et missionnaire) :

162. Mais à un moment donné de cette contemplation du cœur croyant, l’appel dramatique du Seigneur doit retentir : « Consolez, consolez mon peuple » (Is 40, 1). Et nous viennent à l’esprit les paroles de saint Paul qui nous rappelle que Dieu nous console « afin que, par la consolation que nous-mêmes recevons de Dieu, nous puissions consoler les autres en quelque tribulation que ce soit » (2 Co 1, 4).

 

dimanche 8 juin 2025

PENTECOTE 2025 / DILEXIT NOS 7

 

8 /06/2025

En cette solennité de la Pentecôte nous méditons la quatrième partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « L’amour qui donne à boire ». Au n°91 le pape annonce clairement le contenu des deux derniers chapitres de sa lettre encyclique : le 4ème traite de l’expérience spirituelle personnelle tandis que le 5ème et dernier aborde l’engagement communautaire et missionnaire. Dans la partie « L’amour qui donne à boire » le pape réalise une synthèse de la doctrine spirituelle du culte du Sacré-Cœur en partant des Ecritures et en parcourant la tradition spirituelle dans toute sa richesse et sa variété sans oublier l’apport spécifique des jésuites. Il fait résonner plus particulièrement la parole et l’enseignement de 5 figures de sainteté dans la période allant du 17ème   au 20ème siècle : François de Sales, Marguerite-Marie Alacoque, Claude de la Colombière, Charles de Foucauld et enfin Thérèse de l’Enfant Jésus. Avant de mettre en lumière le cœur des enseignements de ces figures de sainteté, une synthèse rapide s’impose pour la partie biblique, patristique ainsi que pour la période médiévale et monastique (n° 92-113). A partir des images bibliques de l’eau les Pères de l’Eglise ont vu dans « la source ouverte » de Zacharie « le côté blessé de Jésus-Christ ». C’est en effet « dans la fontaine débordante de la Croix » que les promesses divines s’accomplissent. Dans un premier temps les Pères de l’Eglise « ont mentionné la blessure du côté de Jésus comme l’origine de l’eau de l’Esprit : la Parole, sa grâce et les sacrements qui la communiquent (102). » A cette compréhension sacramentelle du côté transpercé de Jésus s’est ajoutée à partir de saint Augustin mais surtout avec saint Bernard l’image de la poitrine du Christ comme « symbole de l’union intime avec lui, comme lieu de la rencontre d’amour » (103). L’expérience de l’amour infini du Christ dans la révélation de son cœur, loin de se limiter à la célébration des sacrements, exige du fidèle « une relation directe avec le Christ en demeurant dans son cœur » (108). Saint Bonaventure a réalisé la synthèse entre ces deux lignes spirituelles autour du cœur du Christ, la ligne ecclésiale-sacramentelle et celle de l’expérience spirituelle personnelle du croyant : Tout en présentant le cœur du Christ comme la source des sacrements et de la grâce, il propose que cette contemplation devienne une relation d’amitié, une rencontre personnelle d’amour. (106)

Recueillons maintenant l’essentiel du message laissé par les trois premières figures de sainteté, celles du 17ème siècle : François de Sales, Marguerite-Marie Alacoque et Claude de La Colombière, sans oublier saint Jean Eudes qui, le premier, fit approuver par l’évêque de Rennes la célébration de la fête du cœur adorable de Jésus-Christ. La France, nous le constatons, a joué un rôle éminent et unique dans la propagation du culte du Sacré-Cœur au sein de l’Eglise universelle. Dans le contexte d’une morale rigoriste et d’une religiosité de simple observance (114), François de Sales a mis en avant la dévotion comme une invitation à la relation personnelle où chaque personne se sent unique devant le Christ, prise en compte dans sa réalité irremplaçable, pensée par le Christ et valorisée de manière directe et exclusive (115). Les enseignements essentiels du saint Docteur se résument dans la sainte simplicité, le parfait abandon et « un amour de parfaite et très absolue confiance » (117). De 1673 à 1675 Jésus a révélé l’amour de son cœur à Marguerite-Marie. Le cœur du message transmis par le Christ est le suivant : Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’Il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour… Il me découvrit les merveilles inexplicables de son pur amour, et jusqu’à quel excès il l’avait porté, d’aimer les hommes, dont Il ne recevait que des ingratitudes et méconnaissances. Enfin le jésuite Claude de La Colombière, profondément nourri par la méditation des Evangiles et la contemplation du mystère du Christ dans les Exercices spirituels, a permis une juste compréhension de la révélation du Cœur de Jésus faite à Marguerite Marie. En effet certaines expressions de sainte Marguerite-Marie mal comprises pourraient conduire à une trop grande confiance dans les sacrifices et offrandes personnels. (126). C’est dans une prière composée par saint Claude que nous percevons l’importance de l’abandon et de la confiance en Jésus :

Que les uns attendent leur bonheur ou de leurs richesses, ou de leurs talents ; que les autres s’appuient ou sur l’innocence de leur vie, ou sur la rigueur de leurs pénitences, ou sur le nombre de leurs aumônes, ou sur la ferveur de leurs prières, […] pour moi, Seigneur, toute ma confiance, c’est ma confiance même : cette confiance ne trompe jamais personne […]. Je suis donc assuré que je serai éternellement heureux, parce que j’espère fermement de l’être, et que c’est de vous, ô mon Dieu, que je l’espère.

 

dimanche 1 juin 2025

Septième dimanche de Pâques / DILEXIT NOS 6

1er /06/2025

En ce 7ème dimanche de Pâques nous méditons la troisième partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « Voici le cœur qui a tant aimé ». Dans cette partie le pape insiste fortement sur l’union entre l’amour humain et divin du Christ dans le mystère de son incarnation. La vraie dévotion au Sacré-Cœur de Jésus nous préserve d’une spiritualité désincarnée, d’un nouveau gnosticisme faisant l’apologie d’une spiritualité « sans chair ». D’où la nécessité de comprendre l’amour de Jésus pour les hommes comme « un amour sensible » (n°59-63). Ecoutons le pape au n°60 :

60. Le Fils éternel de Dieu, qui me transcende infiniment, a aussi voulu m’aimer avec un cœur humain. Ses sentiments humains deviennent le sacrement d’un amour infini et définitif. Son cœur n’est donc pas un symbole physique qui n’exprimerait qu’une réalité purement spirituelle ou séparée de la matière. Un regard tourné vers le Cœur du Seigneur contemple une réalité physique, sa chair humaine qui permet au Christ d’avoir des émotions et des sentiments bien humains, comme nous, quoi qu’entièrement transformés par son amour divin. La dévotion doit atteindre l’amour infini de la personne du Fils de Dieu, mais nous devons dire que cet amour est inséparable de son amour humain, et nous sommes aidés en cela par l’image de son cœur de chair.

La contemplation du cœur du Christ nous révèle un triple amour (n°64-69) : « Tout d’abord, l’amour divin infini qui se trouve dans le Christ », ensuite « la dimension spirituelle de l’humanité du Seigneur », et enfin « le symbole de son amour sensible ». Le croyant est capable de percevoir l’unité de ces trois amours, « les liens très étroits qui existent entre l’amour sensible du cœur physique de Jésus et son double amour spirituel, l’humain et le divin ».

La dernière partie du chapitre III s’intitule « approfondissement et actualité » (n°82-91). Le pape part d’une interprétation historique de la révélation du Cœur de Jésus à sainte Marguerite-Marie au 17ème siècle, interprétation faite par Jean-Paul II :

Plus récemment, saint Jean-Paul II a présenté le développement de ce culte au cours des siècles passés comme une réponse à la croissance de formes de spiritualités rigoristes et désincarnées qui oubliaient la miséricorde du Seigneur, mais aussi comme un appel actuel à un monde qui cherche à se construire sans Dieu (n°80).

Pour le pape François « le Sacré-Cœur est une synthèse de l’Evangile » : « Devant le Cœur du Christ il est possible de revenir à la synthèse incarnée de l’Évangile ». C’est en s’imprégnant de cette synthèse évangélique que les croyants pourront se préserver des maladies du rigorisme janséniste, qualifié par Pie XII de « faux mysticisme », et du « transcendantalisme trompeur ». La maladie janséniste, déformation du christianisme authentique, est décrite de la manière suivante au n°86 :

La dévotion au Sacré-Cœur était difficile à comprendre pour de nombreux jansénistes qui méprisaient tout ce qui était humain, affectif, corporel, et qui considéraient en fin de compte que cette dévotion nous éloigne de la pure adoration du Dieu du Très-Haut. Pie XII qualifia de « faux mysticisme » cette attitude élitiste de certains groupes qui voyaient Dieu tellement haut, tellement séparé, tellement distant, qu’ils considéraient les expressions sensibles de la piété populaire comme dangereuses et nécessitant un contrôle ecclésiastique.

Enfin au n°88 le pape montre comment la dévotion au Sacré-Cœur peut nous libérer d’un autre dualisme (le jansénisme, nous l’avons compris, reposait sur le dualisme chair/esprit) :

Le dualisme des communautés et des pasteurs qui se concentrent uniquement sur les activités extérieures, les réformes structurelles dépourvues d’Évangile, les organisations obsessionnelles, les projets mondains, les réflexions sécularisées, les propositions qui se présentent comme des prescriptions que l’on veut parfois imposer à tous. Il en résulte souvent un christianisme qui oublie la tendresse de la foi, la joie du dévouement au service, la ferveur de la mission de personne à personne, la fascination pour la beauté du Christ, la gratitude passionnée pour l’amitié qu’Il offre et pour le sens ultime qu’Il donne à la vie. Il s’agit d’une autre forme de transcendantalisme trompeur, tout aussi désincarné.

C’est avec une référence à la spiritualité de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus que le pape conclut la troisième partie de Dilexit nos :

« À moi, écrit Thérèse, Il a donné sa Miséricorde infinie, et c’est à travers elle que je contemple et adore les autres perfections Divines » C’est pourquoi la prière la plus populaire, adressée comme une flèche au Cœur du Christ, dit simplement : « J’ai confiance en toi ». Aucune autre parole n’est nécessaire. 

jeudi 29 mai 2025

Ascension du Seigneur / année C / DILEXIT NOS 5

 

29/05/2025

En cette solennité de l’Ascension du Seigneur nous méditons la troisième partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « Voici le cœur qui a tant aimé ». Ecoutons d’abord l’introduction que le pape donne à sa riche réflexion sur le culte du Sacré-Cœur dans l’Eglise :

48. La dévotion au Cœur du Christ n’est pas le culte d’un organe séparé de la personne de Jésus. Nous contemplons et adorons Jésus-Christ tout entier, le Fils de Dieu fait homme, représenté dans une image où son cœur est mis en évidence. Le cœur de chair est considéré comme l’image ou le signe privilégié du centre le plus intime du Fils incarné et de son amour à la fois divin et humain car, plus que tout autre membre de son corps, il est « signe ou symbole naturel de son immense charité ». 

A plusieurs reprises le pape met en lumière la finalité de la dévotion au cœur du Christ. Il s’agit toujours de vivre plus intensément « une relation d’amitié et d’adoration avec la personne du Christ » (49) qui nous « appelle à une précieuse amitié faite de dialogue, d’affection, de confiance et d’adoration » (51). Il s’agit toujours dans la vénération du Sacré-Cœur d’entretenir avec le Christ « une relation personnelle de rencontre et de dialogue… dans la confiance » (54).

Le paragraphe intitulé « L’adoration du Christ » clarifie le rapport entre le culte du Sacré-Cœur et l’adoration du Christ. Il faut éviter à tout prix la dérive qui consisterait à chosifier le cœur du Christ comme un organe séparé :

Nous ne l’adorons pas isolément mais dans la mesure où, avec ce Cœur, c’est le Fils incarné lui-même qui vit, aime et reçoit notre amour. Par conséquent, tout acte d’amour ou d’adoration envers son Cœur « s’adresse en réalité au Christ Lui-même », puisqu’il renvoie spontanément à Lui et qu’il est « le symbole et l’image expresse de l’amour infini de Jésus-Christ ». 

Au n°49 le pape introduit une riche réflexion sur ce que signifie vénérer l’image du Sacré-Cœur, réflexion développée ensuite dans le paragraphe intitulé « la vénération de son image ». Le débat sur le rôle des images saintes dans l’Eglise est ancien. Il remonte à la crise opposant les iconoclastes et les iconodules, crise résolue par le concile de Nicée II en 787, mais qui resurgit au 16ème siècle lors de la Réforme protestante avec en arrière-fond l’interdiction de l’image dans l’Ancien Testament : Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre (Exode 20). Voici comment le pape clarifie la notion de vénération de l’image du Sacré-Cœur :

Nous vénérons cette image qui le représente, mais l’adoration ne s’adresse qu’au Christ vivant, dans sa divinité et dans toute son humanité, afin de nous laisser étreindre par son amour humain et divin. (49)

55. Le cœur a la particularité d’être perçu non pas comme un organe séparé mais comme un centre intime unificateur et donc comme expression de la totalité de la personne, ce qui n’est pas le cas des autres organes du corps humain. Puisqu’il est le centre intime de la totalité de la personne, et donc une partie représentant le tout, il serait facile de le dénaturer en le contemplant séparément de la figure du Seigneur. L’image du cœur doit nous renvoyer à la totalité de Jésus-Christ en son centre unificateur et, simultanément à partir de ce centre unificateur, elle nous doit nous amener à contempler le Christ dans toute la beauté et la richesse de son humanité et de sa divinité.

Enfin la vénération du Cœur du Christ a un fondement anthropologique évident puisque le symbole du cœur fait écho à « une expérience humaine universelle qui rend cette image unique ». L’Eglise s’appuie en même temps sur la « force symbolique unique » et universelle de l’image du cœur, toujours liée à l’amour, et à la vérité du mystère de l’incarnation (Jésus nous a aimés avec un cœur véritablement humain) pour proposer aux fidèles la vénération du Sacré-Cœur. Au n°57 le pape met à sa juste place l’image dans le contexte de la vénération, elle est « une figure incitative », radicalement différente de la présence eucharistique du Christ :

Il ne s’agit ici que d’une image nous invitant à aller au-delà, nous incitant à élever notre cœur jusqu’à celui du Christ vivant, et à l’unir à lui ; alors que l’Eucharistie est présence réelle devant être adorée. L’image vénérée convoque, indique et porte, afin de nous faire passer du temps dans la rencontre avec le Christ et dans son adoration, comme il nous semble le mieux de l’imaginer. En regardant l’image, nous nous mettons face au Christ et, devant Lui, « l’amour se fixe, contemple le mystère, en profite en silence ».

L’image du Cœur de Jésus, comme toutes les images saintes, n’est qu’un moyen, une aide dans la dévotion. C’est toujours la réalité divine invisible que notre cœur cherche à contempler et à aimer à travers l’ombre de l’image visible, image dans laquelle nous ne devons jamais mettre notre confiance comme le rappelle le concile de Trente. Bref le but du culte du Sacré-Cœur et de la vénération de son image est toujours le développement d’une précieuse amitié avec le Christ faite de dialogue, d’affection, de confiance et d’adoration » (51).

dimanche 25 mai 2025

Sixième dimanche de Pâques / année C / DILEXIT NOS 4

 

25/05/2025

En ce 6ème dimanche de Pâques nous méditons la deuxième partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ. Cette partie nous fait passer de la philosophie aux Evangiles. Il s’agit de contempler les gestes et les paroles d’amour de Jésus, des gestes, un regard et des paroles qui reflètent son cœur : 32. Le Cœur du Christ, symbole du centre personnel d’où jaillit son amour pour nous, est le noyau vivant de la première annonce. Là se trouve l’origine de notre foi, la source qui donne vie aux convictions chrétiennes.

La vérité du mystère de l’Incarnation fait que Jésus, Verbe de Dieu, révèle Dieu non seulement par des paroles mais aussi et d’abord par des gestes : 33. Le Christ n’a pas voulu beaucoup nous expliquer son amour pour nous, mais Il l’a manifesté par ses gestes. Nous sommes les siens, ses frères en humanité, et il nous propose l’appartenance réciproque des amis. Son autre nom, Emmanuel, « Dieu avec nous », est tout un programme de vie et de mission. De fait à travers ses gestes de compassion, de tendresse et de guérison le Christ montre que Dieu est proximité, compassion et tendresse. Ce qui s’est passé de manière limitée dans le temps historique de l’Incarnation dans un lieu précis et au milieu d’un peuple particulier continue maintenant de manière universelle alors que le Christ est ressuscité, dans la gloire bienheureuse de la Sainte Trinité : Ce même Jésus attend aujourd’hui que tu lui donnes la possibilité d’éclairer ton existence, de t’élever, de te remplir de sa force… Il trouve toujours un moyen de se manifester dans ta vie pour que tu puisses le rencontrer.

On pourrait ajouter à la méditation du pape que les gestes du Christ historique ont leur continuation et actualisation dans les gestes sacramentels. Le Ressuscité nous touche encore aujourd’hui par les sacrements de l’Eglise.

Le regard du Christ dans les Evangiles manifeste la qualité de l’attention qu’il prête à tous et à chacun, la densité de ses relations avec les hommes qu’il croise sur son chemin ou qu’il appelle à sa suite. Quant aux paroles de Jésus elles confirment qu’il est vraiment homme. Les sentiments font partie de sa personne et cela jusqu’au trouble intérieur dans le temps de sa Passion. Le pape cite le merveilleux appel de Jésus en Matthieu 11, 28 : Il nous appelle à entrer là où nous pouvons retrouver des forces et la paix : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi, je vous soulagerai ». Saint Paul qui a connu le bouleversement de la conversion par la rencontre avec le Ressuscité sur le chemin de Damas a exprimé la beauté de sa relation avec le Christ par une formule saisissante : « Il m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi ». Enfin il est significatif qu’à trois reprises le pape mentionne la difficulté que nous pouvons avoir dans nos relations avec les autres (difficulté à faire confiance, sentiment d’être ignoré et de ne pas compter aux yeux d’autrui, manque de reconnaissance). A chaque fois le pape François oppose à ces difficultés la présence amoureuse et attentive du Ressuscité. Cela vaut la peine d’écouter ces trois passages qui nous invitent à la confiance totale en Jésus donc en Dieu et qui nous rappellent aussi que nous voulons en tant que chrétiens plaire à Dieu davantage qu’aux hommes, que c’est le regard de Dieu sur nous qui est déterminant et non pas le jugement des hommes…

37. Alors qu’il nous est difficile de faire confiance, du fait que nombre de mensonges, d’agressions et de déceptions nous ont blessés, Jésus nous murmure à l’oreille : « Aie confiance, mon enfant » (Mt 9, 2) … Nous pouvons douter de beaucoup de monde, mais pas de Lui. 

40. Lorsque nous avons l’impression que tout le monde nous ignore, que personne ne s’intéresse à ce qui nous arrive, que nous n’avons d’importance pour personne, Il nous prête attention. 41. C’est justement parce qu’Il est attentif à nous qu’Il est capable de reconnaître chaque bonne intention, chaque bonne petite action que nous faisons… Jésus est attentif de telle sorte qu’Il admire les choses bonnes qu’Il reconnaît en nous… Qu’il est beau de savoir que si les autres ignorent nos bonnes intentions ou les choses positives que nous faisons, Jésus ne les ignore pas, au contraire Il les admire.

dimanche 18 mai 2025

Cinquième dimanche de Pâques / année C / DILEXIT NOS 3

 

18/05/2025

En ce 5ème dimanche de Pâques nous continuons la méditation de la première partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ. Les réflexions du pape sont d’une grande beauté et profondeur et il m’est difficile de les synthétiser. Dans la partie intitulée le cœur qui assemble les fragments (17-23) nous pouvons retenir trois enseignements précieux sur notre propre cœur. Il est tout d’abord capacité relationnelle. Je cite le n°18 :

18. Nous voyons ainsi que, dans le cœur de chaque personne, il existe ce lien paradoxal entre la valorisation de soi et l’ouverture à l’autre, entre la rencontre très personnelle avec soi-même et le don de soi à l’autre. Je ne deviens moi-même que lorsque j’acquiers la capacité de reconnaître l’autre, et que je rencontre l’autre qui peut reconnaître et accepter mon identité.

Si le cœur me constitue comme personne unique dans ma relation avec les autres, c’est aussi lui qui me permet de relier entre eux les fragments de ma vie et de leur donner un sens. Au n°19 le pape cite l’attitude de Marie :

19. Le cœur est également capable d’unifier et d’harmoniser l’histoire personnelle, qui semble fragmentée en mille morceaux mais où tout peut avoir un sens. C’est ce que l’Évangile exprime avec Marie qui regardait avec le cœur. Elle savait dialoguer avec les expériences conservées en y réfléchissant dans son cœur, en leur donnant du temps, les méditant et les conservant intérieurement pour se souvenir.

Enfin le cœur comme capacité d’amour est ce qui réalise au plus intime de chacun de nous l’unité de l’âme et du corps, le noyau intime qui rend possible l’animal spirituel que nous sommes :

21. Le noyau de tout être humain, son centre le plus intime, n’est pas le noyau de l’âme mais de toute la personne dans son identité unique qui est à la fois âme et corps. Tout s’unifie dans le cœur qui peut être le siège de l’amour avec la totalité de ses composantes spirituelles, émotionnelles et même physiques. En définitive, si l’amour y règne, la personne réalise son identité de manière pleine et lumineuse, car tout être humain a été créé avant tout pour l’amour, il est fait dans ses fibres les plus profondes pour aimer et être aimé.

Dans les numéros 24 à 31 de la première partie le pape nous fait percevoir les conséquences à la fois spirituelles et sociales de la vision du cœur qu’il vient d’exposer. Dans le domaine de la spiritualité il évoque l’expérience des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola dans lesquels les « motions » laissent la place à « l’inconnu du cœur », dans l’ouverture à l’inattendu de la volonté de Dieu ; il cite ensuite saint Bonaventure qui incitait les fidèles à demander « non pas la lumière mais le feu », et enfin saint John Henry Newman, grand penseur, qui mettait en avant l’expérience de la prière personnelle et de l’Eucharistie :

Le lieu de la rencontre la plus profonde, avec lui-même et avec le Seigneur, n’était pas la lecture ou la réflexion, mais le dialogue priant, cœur à cœur avec le Christ vivant et présent. C’est pourquoi Newman a trouvé dans l’Eucharistie le Cœur de Jésus-Christ vivant, capable de libérer, de donner un sens à chaque instant et de répandre en l’homme une paix véritable.

Toutes ces réflexions contribuent à revivifier la théologie chrétienne qui a pu bien des fois être présentée de façon desséchante de par son formalisme rationnel pour nous inviter à faire de « la théologie à genoux », expression par laquelle le pape François rend hommage à la pensée de son prédécesseur Benoît XVI. On pourrait à nouveau citer Blaise Pascal mais aussi plus proche de nous Maurice Zundel qui ont fortement contribué à la synthèse vivante entre théologie et spiritualité. Enfin « prendre le cœur au sérieux a des conséquences sociales ». Dans la pensée du pape François, fidèle en cela à l’Evangile, il n’y a pas d’un côté la spiritualité et de l’autre l’engagement pour la promotion de la doctrine sociale de l’Eglise. L’anthropologie du cœur unit ces dimensions de notre être chrétien que nous aurions tendance à séparer. Je cite le pape au n°28 :

28. Ce n’est qu’à partir du cœur que nos communautés parviendront à unir leurs intelligences et leurs volontés, et à les pacifier pour que l’Esprit nous guide en tant que réseau de frères ; car la pacification est aussi une tâche du cœur. Le Cœur du Christ est extase, il est sortie, il est don, il est rencontre. En Lui, nous devenons capables de relations saines et heureuses les uns avec les autres et de construire le Royaume de l’amour et de la justice dans ce monde. Notre cœur uni à celui du Christ est capable de ce miracle social.

C’est par une prière que s’achève la première partie de l’encyclique :

Devant le Cœur du Christ, je demande au Seigneur d’avoir à nouveau compassion pour cette terre blessée qu’Il a voulu habiter comme l’un de nous. Qu’Il répande les trésors de sa lumière et de son amour, afin que notre monde, qui survit au milieu des guerres, des déséquilibres socioéconomiques, du consumérisme et de l’utilisation antihumaine de la technologie, puisse retrouver ce qui est le plus important et le plus nécessaire : le cœur.

dimanche 4 mai 2025

Troisième dimanche de Pâques / année C/ DILEXIT NOS 2

 


4/05/2025

En ce 3ème dimanche de Pâques nous continuons la méditation de la première partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ. Dans cette partie introductive qui propose une réflexion à la fois philosophique et anthropologique sur l’importance du cœur le pape nous exhorte à « revenir au cœur ». Il fait sien un concept du philosophe et sociologue polonais Zygmunt Bauman qui décrit la société dans laquelle nous vivons comme un monde liquide. Voici comment ce monde est décrit au n°9 :

Nous évoluons dans des sociétés de consommateurs en série vivant au jour le jour, dominés par les rythmes et les bruits de la technologie, et qui n’ont pas une grande patience pour accomplir les processus que l’intériorité requiert. Dans la société actuelle, l’être humain « risque de perdre le centre, le centre de lui-même ». « L’homme contemporain est souvent perturbé, divisé, presque privé d’un principe intérieur qui crée l’unité et l’harmonie de son être et de son agir » … Le cœur fait défaut.

Le pape relève que la dévalorisation du centre intime de l’homme – du cœur- n’est cependant pas une nouveauté. Dès la philosophie grecque antique, fortement rationaliste, le cœur a été oublié et de manière générale il n’a guère de place dans la grande pensée philosophique occidentale. Les concepts fondamentaux de notre tradition philosophique héritée des Grecs et des Romains sont la raison, la volonté et la liberté. Le pape aurait pu citer une exception notable avec le grand génie que fut Blaise Pascal et qui donne dans ses Pensées une indéniable valeur au cœur. Ecoutons ces citations significatives des Pensées : Nous connaissons la vérité non seulement par la raison, mais encore par le cœur. C’est sur les connaissances du cœur qu’il faut que la raison s’appuie. Ceux qui croient par le cœur sont bien heureux. C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. La foi, c’est Dieu sensible au cœur. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Par rapport à l’oubli du cœur et à la survalorisation de la raison dans la tradition occidentale le pape note : il semblerait que la réalité la plus intime soit aussi la plus lointaine de la connaissance… Si le cœur est dévalorisé, alors parler avec le cœur, agir avec le cœur, mûrir et prendre soin du cœur est également dévalorisé. Il est donc nécessaire de « revenir au cœur » qui fait partie des « mots originels » et qui est « important pour la philosophie et la théologie qui cherchent à réaliser une synthèse ». Au n°14 le pape affirme « je suis mon cœur ». Le cœur opère une synthèse entre d’une part mon individualité, ma personnalité unique, « mon identité spirituelle », et d’autre part ma capacité d’entrer en relation avec les autres, mon ouverture à la « communion avec les autres ». C’est la raison pour laquelle il faut affirmer que nous avons un cœur, que notre cœur coexiste avec les autres cœurs qui l’aident à être un “tu”. Ce qui est en nous le plus intime non seulement nous permet d’être en communion avec les autres (qui me constituent aussi en tant que personne dans la relation), mais ce cœur est aussi ce qui me permet d’unifier mon être. Comme l’écrit le pape : Si le “cœur” nous conduit au plus profond de notre personne, il nous permet aussi de nous reconnaître dans notre globalité et pas seulement dans un aspect isolé. Dans ce contexte nous pouvons penser à un verset du psaume 85 : Montre-moi ton chemin, Seigneur, que je marche suivant ta vérité ; unifie mon cœur pour qu'il craigne ton nom. Concluons cette méditation avec les numéros 17 et 18 de l’encyclique : En même temps, le cœur rend possible tout lien authentique, car une relation qui n’est pas construite par le cœur ne peut pas surmonter le morcellement de l’individualisme. Deux monades qui se croiseraient pourraient seulement se maintenir, mais elles ne s’uniraient pas vraiment. L’anti-cœur est une société de plus en plus dominée par le narcissisme et l’autoréférence. Nous arrivons finalement à la “perte du désir”, parce que l’autre disparaît de l’horizon et nous nous enfermons dans notre égoïsme, incapables de relations saines. En conséquence, nous devenons incapables d’accueillir Dieu… Nous voyons ainsi que, dans le cœur de chaque personne, il existe ce lien paradoxal entre la valorisation de soi et l’ouverture à l’autre, entre la rencontre très personnelle avec soi-même et le don de soi à l’autre. Je ne deviens moi-même que lorsque j’acquiers la capacité de reconnaître l’autre, et que je rencontre l’autre qui peut reconnaître et accepter mon identité.

dimanche 27 avril 2025

Deuxième dimanche de Pâques / année C / DILEXIT NOS

 

27/04/2025

Le pape François a publié le 24 octobre 2024 une lettre encyclique sur l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ, Dilexit nos /Il nous a aimés. Pendant ce temps pascal je vous proposerai chaque dimanche une méditation ayant pour but de vous faire connaître le contenu de ce document, ce sera en quelque sorte une catéchèse sur le Sacré-Cœur de Jésus que nous célébrerons cette année le 27 juin. Dilexit nos comprend 5 parties qu’il est bon d’avoir à l’esprit dès le départ de ce cycle de méditations :

I.           L’importance du cœur

II.        Des gestes et des paroles d’amour

III.     Voici le cœur qui a tant aimé

IV.       L’amour qui donne à boire

V.           Amour pour amour

Ecoutons l’introduction biblique que le pape donne à sa lettre :

1. « Il nous a aimés » dit saint Paul, en parlant du Christ (Rm 8, 37), nous faisant découvrir que rien « ne pourra nous séparer » (Rm 8, 39) de son amour. Il l’affirme avec certitude car le Christ l’a dit lui-même à ses disciples : « Je vous ai aimés » (Jn 15, 9.12). Il a dit aussi : « Je vous appelle amis » (Jn 15, 15). Son cœur ouvert nous précède et nous attend inconditionnellement, sans exiger de préalable pour nous aimer et nous offrir son amitié : « Il nous a aimés le premier » (1 Jn 4, 19). Grâce à Jésus, « nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous et nous y avons cru » (1 Jn 4, 16). 

A présent entrons dans la première partie intitulée « l’importance du cœur », partie que l’on peut qualifier de philosophique et d’anthropologique, et qui prépare l’exposé de la révélation biblique et théologique. En ce dimanche je me limiterai à la première section de cette première partie dans laquelle le pape nous pose la question suivante : « Quelle compréhension avons-nous du cœur ? » Il s’agit bien avant toute chose de se mettre d’accord sur la définition du concept de « cœur ». Que voulons-nous dire lorsque nous parlons de « cœur » ? Le n°2 introduit cette réflexion :

2. On utilise souvent le symbole du cœur pour parler de l’amour de Jésus-Christ. Certains se demandent si cela a encore un sens aujourd’hui. Or, lorsque nous sommes tentés de naviguer en surface, de vivre à la hâte sans savoir pourquoi, de nous transformer en consommateurs insatiables, asservis aux rouages d’un marché qui ne s’intéresse pas au sens de l’existence, nous devons redécouvrir l’importance du cœur.

A partir de l’antiquité grecque (Homère et Platon) et de la Bible le pape François résume la riche réflexion des hommes sur cette réalité que nous nommons le cœur. Le mot grec kardia est d’une grande richesse du point de vue de sa signification : il désigne « le tréfonds des êtres humains, le centre émotionnel et spirituel de l’homme, le centre du désir et le lieu où se prennent les décisions importantes de la personne ». Dans la Bible le cœur est compris comme le centre de la personne, un centre « qui se trouve derrière toute apparence, même derrière les pensées superficielles qui nous trompent ». Le cœur est « le lieu de la sincérité où l’on ne peut ni tromper ni dissimuler ». Il indique la vérité la plus profonde de notre être, « la vérité nue » : « Il s’agit de ce qui est authentique, réel, vraiment à soi, ce qui n’est ni apparence ni mensonge ». Au n°6 le pape constate que cette vérité de notre cœur, propre à toute personne, est souvent cachée sous beaucoup de feuilles mortes, au point qu’il est difficile de se connaître soi-même et plus difficile encore de connaître l’autre : « Le cœur est rusé plus que tout, et pervers, qui peut le pénétrer ? » (Jr 17, 9) … L’apparence, la dissimulation et la supercherie abîment et pervertissent le cœur. Nombreuses sont nos tentatives pour montrer ou exprimer ce que nous ne sommes pas… Nous comprenons ainsi dès le départ que le cœur n’est pas seulement du côté du sentiment mais aussi du côté de la pensée. Il constitue une synthèse de l’amour et de la vérité. C’est la raison pour laquelle le pape peut dire que « tout se joue dans le cœur ». Pour conclure cette introduction écoutons à nouveau le pape au n°8 de l’encyclique :

8. Au lieu de rechercher des satisfactions superficielles et de jouer un rôle devant les autres, il vaut mieux laisser surgir les questions décisives : qui suis-je vraiment, qu’est-ce que je cherche ? Quel sens je veux donner à ma vie, à mes choix ou à mes actions ? Pourquoi et dans quel but suis-je dans ce monde ? Comment est-ce que je veux donner de la valeur à mon existence lorsqu’elle s’achèvera ? Quel sens je veux donner à tout ce que je vis ? Qui est-ce que je veux être devant les autres ? Qui suis-je devant Dieu ? Ces questions me ramènent à mon cœur.

dimanche 20 avril 2025

Pâques 2025

 

Le mystère de Pâques ne peut pas nous laisser indifférents. En raison de la vérité de l’incarnation du Fils de Dieu, le mystère pascal nous touche au cœur même de ce qui constitue notre existence humaine. Ce mystère de rejet, de souffrance, d’abandon, de mort et de résurrection est résumé par une formule saisissante de la lettre aux Hébreux :

Nous voyons Jésus couronné de gloire et d’honneur à cause de sa Passion et de sa mort. Si donc il a fait l’expérience de la mort, c’est, par grâce de Dieu, au profit de tous.

Certains parmi nous sont naturellement optimistes, d’autres pessimistes et peu enclins à l’espérance ou se disent tout simplement réalistes. Quel que soit le fond de notre caractère la mort et la vie éternelle ne sauraient être du point de vue existentiel placées sur le même plan. Notre condition mortelle, la certitude de notre mort et l’expérience de la mort de nos proches, s’impose à nous avec une évidence irrécusable. Nul ne peut nier la dure réalité de la mort et de ce qui la précède. Comme le constate saint Paul l’homme extérieur va vers sa ruine… Il n’en va pas de même lorsque nous considérons la vie éternelle et la résurrection. De ces réalités nous n’avons aucune expérience concrète, si ce n’est par et dans la foi. Ce qui permet à saint Paul d’affirmer : C’est pourquoi nous ne perdons pas courage, et même si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. La foi en la résurrection n’a rien d’évident comme le montrent les récits de Pâques dans les Evangiles. Cette nuit (lors de la vigile pascale / en ce jour) nous avons entendu le récit que donne saint Luc de la visite des femmes au tombeau de Jésus. Dès que le sabbat est terminé, à la pointe de l’aurore, ces femmes fidèles se rendent au tombeau du Seigneur pour y parachever les rites funéraires. Elles ne sont pas des pèlerines de l’espérance à ce moment-là. Et voici que deux hommes se tinrent devant elles en habit éblouissant. Ces envoyés célestes posent la question essentielle : Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Ils ne nomment pas Jésus, celui dont le corps devrait être dans la tombe, mais ils parlent du Vivant, de celui qui par l’offrande de sa vie est devenu prêtre par la puissance d’une vie indestructible. Voici l’incroyable bonne nouvelle : un homme nommé Jésus, notre frère en humanité, vit d’une vie indestructible ; un mortel, un crucifié, vit de la vie même qui est celle de Dieu. C’est le message de Paul aux Romains : ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur lui. Ce message pascal se heurte à l’incrédulité des apôtres : ces propos leur semblèrent délirants, et ils ne les croyaient pas. Et Pierre qui constate que le tombeau est en effet vide ne croit pas pour autant immédiatement : il est tout étonné de ce qui était arrivé. Oui, l’annonce de Pâques est littéralement incroyable et étonnante. Sans le don de la foi, sans la lumière de l’Esprit Saint, il nous est impossible d’entrer dans l’espérance de la vie éternelle à la suite de Jésus. Et notre foi comporte parfois aussi le doute.

En ce jour de Pâques nous pouvons nous demander comment renforcer notre foi en la résurrection. En comprenant tout d’abord que pour un chrétien la vie éternelle est déjà commencée dans notre vie terrestre bornée par la mort. C’est ce que permettent le baptême et la foi, ainsi que tous les sacrements et la vie de prière personnelle, sans laquelle il est difficile de faire une expérience de la présence du Dieu invisible. François Mauriac se définissait comme un homme « engagé dans les problèmes d’en bas pour des raisons d’en haut ». Ce qui va nous permettre de croire de plus en plus en la promesse de la vie éternelle pour nous, ce sera une foi qui sans cesse cherchera à être ferment de vie dans la société, une foi engagée qui ne se résigne pas à la fatalité du mal et de l’injustice. Jésus a été la victime divine de l’injustice des hommes et du mal qui peut les posséder. Dans la lumière de la résurrection du Seigneur il nous appartient de témoigner par notre vie, nos choix, nos actes, de ce qu’un autre monde est possible et que pour un chrétien la fatalité n’existe pas. Nous ne sommes pas naïfs au point de croire, comme l’ont cru certaines idéologies terrestres, que le paradis est possible sur notre terre peuplée d’hommes pécheurs. Mais humblement et réellement nous avons la possibilité de dire « non » à tout ce qui porte atteinte à la dignité de nos frères en humanité et de promouvoir les petits et grands changements qui nous permettent d’incarner la victoire du Ressuscité ici-bas et maintenant. L’espérance de la résurrection ne nous laisse pas le choix : nous avons à être bons, reflets de la bonté de de Dieu, et même à devenir meilleurs pour nous rapprocher si possible de notre divin modèle. Il s’agit bien de changer nos cœurs de pierre en cœurs de chair, non pas par nos propres forces mais par la puissance de la vie indestructible du Ressuscité… et cela afin de rendre concrète l’espérance qui nous habite. Car si, selon la parole de Pierre, nous attendons, selon la promesse du Seigneur, un ciel nouveau et une terre nouvelle où résidera la justice, il est nécessaire que cela puisse être visible dans la vie de l’Eglise et des chrétiens que nous sommes. Finalement Pâques nous pose la question de la crédibilité de notre foi, donc du témoignage de notre vie : Sommes-nous crédibles et dignes de confiance ?

dimanche 13 avril 2025

Dimanche des Rameaux et de la Passion 2025

 

13/04/2025

Evangile selon saint Luc, chapitres 22.23

Remettons-nous en mémoire le parcours des Evangiles des dimanches de ce Carême : les trois premiers dimanches nous ont fait entendre l’appel à la conversion ; les deux derniers dimanches avec la parabole du père et de ses deux fils et le récit de la femme adultère nous ont enseigné la grandeur de la miséricorde divine. Dans le récit de la Passion du Seigneur selon saint Luc, c’est à nouveau la miséricorde divine qui est célébrée d’une manière éclatante. Nous atteignons ainsi le sommet du message que Luc veut nous délivrer. La tradition évangélique nous rapporte sept paroles du Christ en croix. Le troisième Evangile nous en rapporte trois. Ecoutons-les :

« Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. » (23, 34)

« Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » (23, 43)

« Père, entre tes mains je remets mon esprit. » (23, 46)

Nous ne trouvons ces trois paroles que dans la Passion selon saint Luc. Deux d’entre elles sont une célébration de la miséricorde de Jésus pour les pécheurs. Alors qu’à trois reprises les chefs du peuple, les soldats et l’un des malfaiteurs crucifiés avec le Christ se moquent de lui et le défient en lui disant : « Sauve-toi toi-même ! », Jésus ne pense au moment de sa mort qu’à sauver les hommes. Il veut leur exprimer une dernière fois la puissance de son amour et de son pardon. Ceux qui ricanaient au pied de la Croix le mettaient au défi de se sauver lui-même de cette mort infamante et de prouver ainsi qu’il était bien le Messie et le Fils de Dieu. Jésus les exauce mais à sa manière. En effet quelle plus grande preuve de sa divinité que son infinie patience dans les souffrances de sa Passion et son infinie miséricorde à l’égard des pécheurs, et cela jusqu’au bout ? D’ailleurs un soldat romain ne peut s’empêcher de proclamer en étant le témoin de la mort de Jésus :

À la vue de ce qui s’était passé, le centurion rendit gloire à Dieu : « Celui-ci était réellement un homme juste. » Le premier converti de la Passion, après le bon larron, est un soldat païen. La première parole du Christ en croix chez saint Luc est celle du pardon accordé sans condition à ses bourreaux « car ils ne savent pas ce qu’ils font ». Jésus met ainsi en pratique d’une manière sublime et parfaite l’amour des ennemis qu’il nous a enseigné comme marque du véritable disciple. Quant à la deuxième parole, elle est pourrait-on dire l’acte de canonisation du bon larron « Aujourd’hui même tu seras avec moi dans le paradis ». Oui, le premier saint de l’ère chrétienne, canonisé par le Seigneur en personne, est un bandit crucifié à ses côtés dont nous ne connaissons même pas le nom et qui, à ma connaissance, n’a aucune église dans le monde catholique qui lui soit dédiée. La tradition à partir du 4ème siècle l’a appelé saint Dismas. Il a suffi au bon larron d’une simple prière et d’un acte de confiance avant sa mort pour entrer dans le Royaume avec Jésus ! « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume ».

dimanche 6 avril 2025

Cinquième dimanche de Carême / année C

6/04/2025

Jean 8, 1-11

Il est des Evangiles qui sont tellement beaux, puissants et limpides que l’on aimerait les méditer en silence après les avoir écoutés. C’est le cas de l’Evangile de la femme adultère que nous trouvons seulement chez saint Jean. Mais le devoir de la prédication dominicale s’impose à moi ! Dans la continuité de la parabole du père et de ses deux fils l’Evangile de ce dimanche est un Evangile de la miséricorde divine. Nous ne sommes plus dans une parabole mais dans une scène bien réelle que l’art de saint Jean nous rend tellement vivante que l’on parvient sans peine à se la représenter. Une fois de plus les scribes et les pharisiens veulent tendre un piège à Jésus, connaissant bien sa miséricorde envers les pécheurs. Il s’agit donc de le mettre en contradiction avec la Loi de Moïse telle qu’elle s’exprime dans le Deutéronome : Lorsqu’on trouvera un homme couché avec une femme mariée, ils mourront tous deux, l’homme qui a couché avec la femme, et la femme également. Tu ôteras le mal du milieu d’Israël. (22, 22)

Regardons cette scène : la femme accusée et menacée de lapidation est au milieu. Dans un premier temps elle est entourée par ses accusateurs. Puis, suite à la parole sublime de Jésus (parole qui rappelle la parabole de la paille et de la poutre et par laquelle il déjoue le piège qui lui est tendu), l’évangéliste note : Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu. Le récit nous fait passer d’un groupe d’hommes certes religieux, mais remplis de haine et de mauvais sentiments, (l’effet de groupe est rarement positif dans ce genre de situation comme nous le rappellent les circonstances de la condamnation à mort de Jésus…) à un face à face entre Jésus et la femme. Le Seigneur par sa parole lui a sauvé la vie. Le Verbe de Dieu qui a donné à Noé et à Moïse le commandement « Tu ne tueras pas » ne peut pas se contredire en approuvant la Torah qui exige dans plusieurs cas la mise à mort des pécheurs pour « ôter le mal du milieu d’Israël ». Jésus est souverainement libre par rapport à la Loi de Moïse comme le montrent par exemple son attitude le jour du sabbat (il n’hésite pas à faire le bien ce jour-là en guérissant des malades) ou son abolition de la distinction entre aliments purs et impurs. En tant que Fils de Dieu et Fils de l’homme, le Seigneur n’est pas soumis à la Torah. Le Fils de l’homme est maître du sabbat. Saint Paul qui était, avant sa conversion, un partisan fanatique de la Loi de Moïse et un complice de la lapidation de saint Etienne, en tirera toutes les conséquences dans un verset de sa lettre aux Ephésiens : C’est lui, le Christ, qui est notre paix : des deux, le Juif et le païen, il a fait une seule réalité ; par sa chair crucifiée, il a détruit ce qui les séparait, le mur de la haine ; il a supprimé les prescriptions juridiques de la loi de Moïse. Ainsi, à partir des deux, le Juif et le païen, il a voulu créer en lui un seul Homme nouveau en faisant la paix, et réconcilier avec Dieu les uns et les autres en un seul corps par le moyen de la croix ; en sa personne, il a tué la haine. Le dialogue final qui conclue cette page évangélique est magnifique : Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. » Jésus par son amour et sa compassion est vraiment le Sauveur de cette femme. Il l’arrache aux griffes de ses accusateurs qui se faisaient un plaisir à l’idée de pouvoir la lapider, mais surtout il lui redonne sa dignité de fille de Dieu et l’appelle à l’espérance. Ce qu’elle a fait ne la condamne pas mais peut devenir un nouveau point de départ dans sa vie. Dans l’Evangile selon saint Jean, Jésus affirme : Si quelqu’un entend mes paroles et n’y reste pas fidèle, moi, je ne le juge pas, car je ne suis pas venu juger le monde, mais le sauver. Le Seigneur a toujours mis en jeu sa vie pour témoigner de ce que le Dieu vivant et vrai n’est pas un Dieu qui veut la mort des pécheurs, un Dieu de condamnation, mais au contraire un Dieu qui aime la vie. Comme le proclame le psaume 102 : Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d'amour.


dimanche 30 mars 2025

Quatrième dimanche de Carême / année C

 

30/03/2025

Luc 15, 11-32

Saint Luc est l’évangéliste de la miséricorde divine. Il est le seul à avoir retenu la parabole du père et de ses deux fils. L’introduction qu’il donne au chapitre 15 consacré aux trois paraboles de la miséricorde divine a toute son importance :

Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! »

L’attitude de Jésus vis-à-vis des pécheurs choque au plus haut point les hommes religieux, car non seulement Jésus accueille les pécheurs mais il mange avec eux, or le repas est signe de communion. La révélation biblique nous apprend que tous nous sommes pécheurs, tous en marche vers la sainteté. Cette division de l’humanité entre pécheurs et gens « biens » à laquelle s’adonnent les pharisiens et les scribes pose en soi un problème. Comment savoir si une personne entre dans la case « pécheur » ? N’est-ce pas le privilège de Dieu de sonder les cœurs et les reins ? Qui sommes-nous pour nous mettre à la place de Dieu et juger qu’un tel est pécheur ? Si certains péchés peuvent se reconnaître de manière extérieure (par exemple : il a volé, il a menti, il n’a pas tenu sa parole etc.), nous ne savons rien de l’intention du pécheur, et la plupart des péchés sont invisibles de l’extérieur mais se situent bien au niveau du cœur. Par exemple les pensées mauvaises. En divisant l’humanité en deux groupes bien séparés, les bons et les mauvais, les fidèles et les infidèles, les pharisiens tombent eux-mêmes dans le péché qu’ils condamnent si facilement chez les autres, péché qui consiste justement à se faire le juge du prochain et à prendre ainsi la place de Dieu. Et leur péché le plus grave consiste à condamner l’attitude miséricordieuse du Christ. Saint Jacques, comme souvent, nous remet devant l’essentiel :

Frères, cessez de dire du mal les uns des autres ; dire du mal de son frère ou juger son frère, c’est dire du mal de la Loi et juger la Loi. Or, si tu juges la Loi, tu ne la pratiques pas, mais tu en es le juge. Un seul est à la fois législateur et juge, celui qui a le pouvoir de sauver et de perdre. Pour qui te prends-tu donc, toi qui juges ton prochain ?

Le père de la parabole, image du Père céleste, est doublement miséricordieux : envers le fils qui est parti puis revient parce qu’il a faim, et envers le fils fidèle qui est resté mais qui ne supporte pas la bonté de son père à l’égard de son frère. Les deux fils sont pécheurs, chacun à sa manière. Le péché du premier, de celui qui quitte la maison, est le plus visible. Mais le péché du second n’en est pas moins réel et grave puisqu’il s’agit de la colère issue de la jalousie et de l’envie. Pour le premier fils : Le père courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. Pour le second, l’aîné : Son père sortit le supplier. Au fait que Jésus mange avec les pécheurs, correspond dans la parabole le repas de fête du père donné pour célébrer le retour de son fils. Dans sa description de l’attitude du fils aîné Jésus tend comme un miroir à ceux qui l’accusent. Ce fils aîné, c’est bien eux les pharisiens et les scribes. Cette parabole de la miséricorde divine nous enseigne qu’une institution religieuse qui place la morale au-dessus de la foi, de la compassion et de l’amour court le grand risque de l’orgueil spirituel et de l’exclusion de ceux qui sont jugés comme pécheurs, donc indignes de la communion avec Dieu. Cette tentation est bien réelle dans notre Eglise et dans le cœur des croyants. Le refrain qui est répété à deux reprises dans la parabole nous invite à nous réjouir des retours nombreux en notre temps de tous ceux qui viennent frapper à la porte de nos églises, fils cadets que les aînés, s’ils sont vraiment guidés par l’Esprit du Christ, doivent accueillir avec joie et gratitude : Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ! Finalement cette parabole nous parle de l’ouverture catholique de nos communautés. Nos paroisses ne sont pas des cercles d’amis jaloux de leurs prérogatives, elles sont essentiellement ouverture au don de Dieu et à l’action de sa miséricorde chez tous, y compris les derniers venus, les ouvriers de la dernière heure. Isaïe avait autrefois prophétisé : Élargis l’espace de ta tente, déploie sans hésiter la toile de ta demeure, allonge tes cordages, renforce tes piquets ! C’est bien la condition de notre joie chrétienne en ce dimanche de Laetare !

dimanche 23 mars 2025

Troisième dimanche de Carême / année C

 

23/03/2025

Luc 13, 1-9

Après les Evangiles des tentations et de la transfiguration, la liturgie nous propose en ce troisième dimanche de Carême un enseignement de Jésus. Cet enseignement part de faits d’actualité (un massacre, la chute d’une tour) et d’une parabole, celle du figuier.

Le Seigneur nous invite à regarder notre actualité et les malheurs qu’elle peut comporter en y discernant un appel à la conversion. Avec ses contemporains il n’a pas utilisé ces événements dramatiques pour provoquer en eux la peur mais pour les inviter à devenir meilleurs en des temps incertains.

Dans la petite parabole du figuier l’Evangile nous parle de la patience de Dieu à notre égard. Le temps de Dieu n’est pas le nôtre. Le 27 mars 2024 le pape François a consacré l’une de ses catéchèses sur les vices et les vertus à la patience. Il fait le lien entre ce que Jésus endure dans sa Passion et la manière avec laquelle il accepte de la vivre, avec patience justement. Le pape remarque que la patience exemplaire de Jésus à l’heure de sa Passion ne consiste pas en une résistance stoïque à la souffrance mais qu’elle est le fruit d’un amour plus grand. C’est l’occasion pour lui de nous rappeler la patience de Dieu à notre égard comme le fait Jésus dans la parabole du figuier :

L'apôtre Paul, dans l’hymne à la charité (cf. 1 Co 13, 4-7), associe étroitement l'amour et la patience. En effet, pour décrire la première qualité de la charité, il utilise un mot qui se traduit par «magnanime» ou «patient». La charité est magnanime, elle est patiente. Elle exprime un concept surprenant, qui revient souvent dans la Bible: Dieu, face à notre infidélité, se montre «lent à la colère» (cf. Ex 34, 6; cf. Nm 14, 18): au lieu d'exprimer son dégoût pour le mal et le péché de l'homme, il se révèle plus grand, prêt à recommencer chaque fois avec une patience infinie. C'est pour Paul, le premier trait de l'amour de Dieu qui, face au péché, propose le pardon. Mais pas seulement : c'est le premier trait de tout grand amour, qui sait répondre au mal par le bien, qui ne s'enferme pas dans la colère et le découragement, mais qui persévère et qui repart. La patience qui recommence. Ainsi, à la racine de la patience se trouve l'amour.

La contemplation de l’amour patient et miséricordieux du Seigneur à notre égard nous invite à nous convertir en devenant à notre tour patients dans nos relations avec nos frères en humanité. Pour le pape la vertu de patience n’est pas seulement une nécessité, elle est un appel :

Il n'y a pas de meilleur témoignage de l'amour de Jésus Christ que de rencontrer un chrétien patient… Si le Christ est patient, le chrétien est appelé à être patient.

La mentalité contemporaine du « tout et tout de suite » s’oppose en permanence à cette vertu de patience. D’où l’importance pour nous chrétiens de contempler la manière d’être de Dieu pour ses créatures. Je cite à nouveau le pape :

N'oublions pas que la précipitation et l'impatience sont les ennemies de la vie spirituelle : pourquoi ?  Dieu est amour, et celui qui aime ne se lasse pas, ne s'irrite pas, ne donne pas d’ultimatum, Dieu est patient, Dieu sait attendre. Pensons à l'histoire du Père miséricordieux, qui attend son fils parti de la maison : il souffre avec patience, impatient uniquement de l'embrasser dès qu'il le voit revenir (cf. Lc 15, 21) ; ou bien pensons à la parabole du blé et de l'ivraie, avec le Seigneur qui ne s’empresse pas pour éradiquer le mal avant l'heure, pour que rien ne soit perdu (cf. Mt 13, 29-30). La patience nous fait tout sauver.

Enfin le pape se pose la question suivante : Comment faire croître la patience, si nécessaire et bienfaisante, et pourtant si rare ? Ecoutons en ce temps de Carême la suggestion qu’il nous donne :

Puisqu'elle est, comme l'enseigne saint Paul, un fruit de l'Esprit Saint (cf. Ga 5, 22), il faut la demander précisément à l'Esprit du Christ. Il nous donne la douce force de la patience — la patience est une douce force —, car « c’est le propre de la vertu chrétienne non seulement de faire le bien, mais aussi de savoir supporter le mal » (Saint Augustin, Discours, 46, 13). Cela nous fera du bien de contempler le Crucifié pour assimiler sa patience. Un bon exercice consiste également à lui présenter les personnes les plus ennuyeuses, en lui demandant la grâce de pratiquer à leur égard cette œuvre de miséricorde si connue et si omise : supporter patiemment les personnes incommodantes. Et cela n’est pas facile. Pensons — je le répète à présent — si nous faisons cela : supporter patiemment les personnes incommodantes. Cela commence par demander de les regarder avec compassion, avec le regard de Dieu, en sachant distinguer leurs visages de leurs erreurs. Nous avons l’habitude de cataloguer les personnes selon les erreurs qu’elles commettent. Non, cela n’est pas bien. Cherchons les personnes selon leur visage, leur cœur, et non leurs erreurs.

Si le pape nous rappelle avec justesse que nous sommes appelés à nous supporter les uns les autres avec patience, en commençant par la famille, ce n’est pas une raison pour abuser de la patience de nos proches ni pour la mettre à l’épreuve. Evitons dans la mesure du possible d’être pour nos frères des personnes ennuyeuses et incommodantes, ne soyons pas « lourds » comme on le dit dans le langage courant, et rappelons-nous la règle d’or donnée par le Seigneur :

Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse.