dimanche 28 septembre 2025

26ème dimanche du temps ordinaire / année C / 2025

 28/09/2025

Luc 16, 19-31

La parabole du riche et de Lazare nous parle de l’aveuglement qui nous empêche de nous convertir et nous conduit ainsi à notre propre perdition. Dans l’introduction qu’il donne à cette parabole Jésus oppose ces deux hommes : le contraste est grand au niveau du logement, des vêtements et de la nourriture. Aux vêtements de luxe du riche correspondent les ulcères du pauvre ; aux festins quotidiens la faim qui tenaille Lazare chaque jour. Lazare vit dans la rue tandis que le riche vit bien sûr dans une belle maison voire un palais. Puis survient la mort pour ces deux hommes si proches dans l’espace et si éloignés par leur mode de vie. La mort vient renverser totalement le rapport entre ces deux hommes. Le pauvre est emporté par les anges tandis que le riche est enterré. De proches qu’ils étaient dans l’espace (Lazare se tenait devant le portail de la maison), ils sont maintenant séparés par un grand abîme. L’un monte vers le Ciel, l’autre descend au séjour des morts. Dans ce même séjour, les enfers des Anciens, on trouve le Ciel, en compagnie d’Abraham, et un lieu de souffrance qui évoque l’enfer. Abraham est dans cette parabole comme un médiateur entre le riche et Lazare dans l’au-delà. L’homme riche devenu souffrant considère Abraham comme un intercesseur qui pourrait soulager sa souffrance en faisant passer un message à Lazare. Mais c’est impossible, répond Abraham. Le rapprochement entre ces deux hommes qui n’a pas pu se faire sur la terre ne peut pas davantage se faire aux enfers. C’est trop tard. Et voilà que le riche pense au salut de ses frères et souhaite que Lazare vienne les avertir par l’intercession d’Abraham. Pour eux l’espérance de la conversion est encore possible. Mais Abraham refuse cette solution surnaturelle en affirmant : Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent !  En effet nous avons non seulement l’enseignement des Ecritures mais aussi la voix de notre conscience. La compassion et la miséricorde sont non seulement des exigences de la loi divine mais l’appel de notre humanité commune que nous soyons croyants ou pas, chrétiens ou d’une autre confession. En ce sens cette page évangélique n’a besoin d’aucune explication ni d’aucun commentaire tellement la leçon qu’elle nous donne est évidente. L’homme riche aurait dû sortir de son aveuglement et de son égoïsme afin de pouvoir compatir avec la détresse de son frère en humanité Lazare. Il aurait pu soulager sa faim en partageant avec lui. Dans la grande parabole du jugement dernier en saint Matthieu Jésus résume Moïse et les Prophètes : J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais nu, et vous m’avez habillé. La justice sociale, le bien que nous avons à faire, la charité chrétienne sont des choses claires et limpides. Mais notre expérience nous montre combien nous pouvons être bloqués lorsque se présente à nous une occasion de partage, de compassion et de solidarité envers les pauvres. C’est un mal profond qui nous paralyse. Certains, comme le riche de la parabole et les vautrés d’Amos, ne voient même plus le pauvre tellement ils se sont barricadés dans le luxe et le confort d’une vie de plaisirs. Ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël ! A cette remarque d’Amos correspond la parole du riche tourmenté par la douleur aux enfers : je souffre terriblement dans cette fournaise. Peut-être pouvons-nous à la lumière de cette parabole comprendre le verset énigmatique de Matthieu 11, 12 : Depuis les jours de Jean le Baptiste jusqu’à présent, le royaume des Cieux subit la violence, et des violents cherchent à s’en emparer. Oui, nous avons bien souvent à nous faire violence pour vivre dans la charité du Christ et aimer notre prochain comme nous-mêmes.

dimanche 21 septembre 2025

25ème dimanche du temps ordinaire / année C

 


21/09/2025

Luc 16, 1-13

Le chapitre 16 de l’Evangile selon saint Luc est consacré à la question de l’argent et des richesses. Nous y trouvons deux paraboles de Jésus : celle du gérant malhonnête et de celle de Lazare et le riche. En ce dimanche la liturgie nous propose la méditation de la parabole du gérant malhonnête et de la conclusion que Jésus lui donne : Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles. Il serait plus exact de donner à ce passage le titre de « réflexion à propos de l’argent malhonnête », la parabole du gérant n’étant pas l’essentiel de l’enseignement du Seigneur mais bien sa conclusion. Pourquoi accoler à l’argent ce qualificatif négatif de « malhonnête » ? Avant de tenter de répondre à cette question regardons les autres traductions de ce terme : les richesses d’iniquité, l’argent maudit, le Mamôn d’iniquité, le Mamôn de l’escroquerie, le Mamôn injuste, le Mamôn de la malhonnêteté. Nous constatons que la définition de l’argent n’est pas neutre, elle est clairement négative. Soit il est malhonnête, soit il est lié à l’iniquité, c’est-à-dire à une injustice grave. Le terme biblique de Mammon qui n’a pas été retenu par la traduction liturgique désigne l’idole de l’argent. Dans les évangiles, Mammon est employé de façon résolument négative. Il désigne l’argent injustement acquis et même la force asservissante de l’argent. Et pourtant Jésus nous dit : Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles. Cela signifie qu’une bonne utilisation de l’argent mauvais peut nous ouvrir les portes du Royaume des Cieux. Comment ? Jésus nous donne la réponse dans le même Evangile au chapitre 12 avec l’histoire de l’homme riche qui, ayant accumulé beaucoup de biens, meurt subitement avant de pouvoir en profiter. Et Dieu de s’adresser à lui en ces termes : Tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ? Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu. Il s’agit donc avec l’argent malhonnête d’être riche en vue de Dieu. Cela suppose de renoncer à la tentation de l’avidité, de l’accumulation maladive de toujours plus de richesses pour soi-même. Cela suppose la liberté par rapport à l’argent, liberté qui ouvre au don, au partage, au souci des pauvres. Qui sont en effet ces amis qui nous accueilleront dans les demeures éternelles ? Tous les pauvres que nous aurons soulagé de leur misère en leur donnant une partie de nos richesses, en leur donnant ce qui pour nous est superflu mais qui pour eux est vital, nécessaire à leur vie. Notre rapport à l’argent n’est pas seulement une question de justice sociale, il concerne directement notre relation avec Dieu, donc l’authenticité de notre vie chrétienne car il est impossible pour nous de servir à la fois Dieu et l’argent. Saint Paul est très clair sur ce point en affirmant que l’amour de l’argent est la racine de tous les maux (1 Timothée 6, 10). La grave crise que traverse notre pays actuellement, en fait depuis les « gilets jaunes », n’est pas seulement une crise politique, démocratique. Elle est essentiellement une crise morale. Il s’agit bien des dégâts provoqués par les richesses d’iniquité. Une société dans laquelle les milliardaires sont toujours plus nombreux et toujours plus riches alors que la misère de beaucoup augmente ne peut pas vivre dans la paix. Surtout si les décisions économiques favorisent les plus riches au détriment de la majorité de la population. Saint Paul quand il s’adressait aux membres riches de la communauté ne leur disait pas : enrichissez-vous encore plus, soyez égoïstes, refusez de payer des impôts en proportion de votre richesse… Il leur disait : Quant aux riches de ce monde, ordonne-leur, Timothée, de ne pas céder à l’orgueil. Qu’ils mettent leur espérance non pas dans des richesses incertaines, mais en Dieu qui nous procure tout en abondance pour que nous en profitions. Qu’ils fassent du bien et deviennent riches du bien qu’ils font ; qu’ils donnent de bon cœur et sachent partager. De cette manière, ils amasseront un trésor pour bien construire leur avenir et obtenir la vraie vie. (1 Tm 6)

 

 


dimanche 14 septembre 2025

La croix glorieuse / 14 septembre 2025

 14/09/2025

Jean 3, 13-17

La fête de la croix glorieuse est comme un écho au mois de septembre de la célébration de la Passion du Seigneur le vendredi saint. La nuance propre à la fête de ce jour est le qualificatif de « glorieuse ». Le nom de la fête « croix glorieuse » résume à lui seul tout le mystère pascal qui est indissociablement un mystère de souffrance et de mort et un mystère de joie et de vie.

La deuxième lecture de cette messe reprend dans l’hymne de la lettre aux Philippiens le mystère pascal tel que nous le célébrons du vendredi saint au jour de Pâques. Paul est fidèle à la chronologie de la vie du Sauveur. Il déploie de manière synthétique une vision historique qui commence avec l’incarnation (Il s’est anéanti), passe par le mystère du vendredi saint (Il s’est abaissé) pour aboutir à la gloire du dimanche de Pâques et de l’Ascension (Dieu l’a exalté). La marque spécifique du mystère de l’incarnation « jusqu’à la mort de la croix » est bien celle de l’humilité de Jésus, serviteur de Dieu et cause de notre salut. Jésus nous sauve par son humilité et son obéissance au dessein salvifique du Père. C’est pourquoi Dieu l’a exalté, dit saint Paul. La gloire unique que le Père accorde à son Fils dans la résurrection et l’Ascension est présentée comme la conséquence de l’humilité de Jésus. D’abord l’abaissement, ensuite l’élévation.

Dans les paroles de Jésus à Nicodème nous trouvons une théologie différente qui se reflète dans tout l’Evangile selon saint Jean : l’abaissement et l’élévation sont comme une seule et même réalité, les deux faces inséparables d’une pièce de monnaie si je puis me permettre cette image. Il faut que le Fils de l’homme soit élevé, afin que tout homme qui croit ait la vie éternelle. De manière très concrète le supplice de la croix impliquait une élévation du condamné dans l’espace, de la terre vers le ciel. Jean fait donc coïncider l’abaissement de la mort de Jésus en croix avec son élévation dans le sens théologique, c’est-à-dire sa glorification par Dieu. C’est le sens de l’expression paradoxale de « croix glorieuse ». Seul l’amour divin du Christ pouvait rendre « glorieuse » cette mort ignominieuse. C’est par la foi en Jésus que nous avons accès au fruit de l’arbre de la croix : la vie éternelle. La fête de ce dimanche est donc une célébration de notre salut, un salut universel offert par Dieu dans le Christ pour que, par lui, le monde soit sauvé ; un salut toujours actuel et agissant parce que le mystère de la croix n’est pas seulement un événement du passé mais un événement glorieux.

dimanche 7 septembre 2025

23ème dimanche du temps ordinaire / année C / 2025

 7/09/2025

Luc 14, 25-33

Dans l’Evangile de ce dimanche nous entendons à trois reprises la parole de Jésus s’adressant aux foules et disant : il ne peut pas être mon disciple. Cette parole de Jésus, particulièrement exigeante, énonce trois conditions nécessaires pour être chrétien. Prenons le temps de reprendre chacune de ces conditions qui constituent un examen de conscience pour nous. Remarquons aussi que la parole de Jésus concerne tous les disciples et pas seulement ceux qui sont appelés à la vie religieuse ou consacrée.

Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple.

Ici le Seigneur parle de priorité dans l’amour. C’est en fait une traduction concrète du grand et premier commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. » Comme le dit saint Benoît il s’agit de ne rien préférer à l’amour du Christ. Quand je prépare les fiancés au sacrement de mariage je leur dis toujours : votre engagement dans le mariage implique un changement de priorité dans votre amour. Désormais l’amour pour votre femme, pour votre mari est premier par rapport à l’amour pour vos parents qui passe donc au second plan. Ainsi pour le chrétien l’amour pour Dieu est premier, il est prioritaire par rapport à l’amour pour notre famille. Dans certains cas, douloureux, cette priorité de l’amour pour Dieu fait que je dois m’éloigner de ma famille, si elle s’oppose à la pratique de ma foi ou à l’appel de Dieu. Je peux aussi être rejeté par ma famille en raison de ma foi. C’est un grand sacrifice. Jésus n’annule pas le commandement qui demande d’honorer son père et sa mère. Il établit une hiérarchie dans l’amour : Dieu en premier, ma famille ensuite.

Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple.

La deuxième condition pour être chrétien concerne notre rapport aux épreuves, à la souffrance qui peut nous atteindre dans notre âme comme dans notre corps. L’exemple nous est donné par Jésus dans le mystère de son agonie. Il est pleinement homme, notre frère en humanité, et à ce titre il ne se réjouit pas de la souffrance de la Passion : Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe. Puis il ajoute immédiatement : cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. Confrontés au mystère du mal dans le monde et du mal qui nous atteint, Jésus nous demande de le suivre en portant cette croix qui est la nôtre. Il ne s’agit pas d’abord de courage ou d’endurance d’un point de vue humain à la manière des stoïciens. Il s’agit d’un acte de foi qui nous permet dans l’épreuve de reconnaître que nous ne sommes pas seuls et que Jésus est avec nous. Facile à dire, très difficile à mettre en pratique ! Porter sa croix exige de notre part un grand esprit d’abandon et de confiance alors que nous souffrons et que, comme Jésus, il nous arrive de dire : Mon âme est triste à en mourir.

Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple.

Après notre rapport aux liens de la chair (notre famille), à la souffrance, le Seigneur aborde notre rapport aux biens matériels. Ce verset explique pourquoi les religieux et les religieuses font vœu de pauvreté. Rien n’appartient en propre au moine, à la moniale, car tout appartient à la communauté. Un moine bénédictin me montrant un simple stylo me disait : notre stylo… En effet ce stylo est celui de la communauté qui le lui prête, ce n’est pas le sien. Les hommes et les femmes engagés dans la vie consacrée et la vie religieuse vivent ce que saint Luc nous dit des premières communautés chrétiennes qui étaient petites : Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun.

Se pose alors la question des chrétiens qui vivent dans le monde. Que peut bien signifier pour eux ce renoncement ? Dans le petit Larousse je lis la définition suivante du verbe « renoncer » : 1. Se désister du droit qu’on a sur quelque chose ; 2. Cesser de s’attacher à quelque chose. Le chrétien vivant dans le monde, contrairement au religieux, a besoin de jouir du droit personnel de propriété pour lui-même et pour sa famille s’il est marié et a des enfants. Jésus demande alors à ses disciples vivant dans le monde de jouir des biens qui sont les leurs sans s’y attacher. Il veut pour eux une pleine liberté d’esprit et de cœur par rapport aux possessions et à l’argent. C’est cet esprit évangélique de détachement que saint Paul nous enseigne lorsqu’il écrit aux Corinthiens :

Frères, je dois vous le dire : le temps est limité. Dès lors, que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’avaient pas de femme, […] ceux qui font des achats, comme s’ils ne possédaient rien, ceux qui profitent de ce monde, comme s’ils n’en profitaient pas vraiment. Car il passe, ce monde tel que nous le voyons. J’aimerais vous voir libres de tout souci.

L’ermite saint Gens que nous vénérons en ce lieu a vécu les difficiles exigences du Christ jusqu’à sa mort. Il a pu le faire parce que son amour pour Dieu était grand et vivant. Demandons avec foi et humilité à Dieu la grâce de le servir d’un cœur sans partage à l’exemple de saint Gens.

dimanche 31 août 2025

22ème dimanche du temps ordinaire / année C / 2025

 31/08/2025

Luc 14, 7-14

Un jour de sabbat, Jésus était entré dans la maison d’un chef des pharisiens pour y prendre son repas. L’Evangile de ce dimanche nous rapporte donc des propos de table. C’est en effet au cours d’un repas de fête chez un notable que Jésus enseigne. Toutes les occasions sont bonnes pour délivrer un enseignement : le Seigneur le fait dans les synagogues, sur les chemins de Galilée comme au cours des repas. Lui qui est l’Evangile de Dieu, il évangélise en tout temps et en tout lieu. Le premier enseignement se situe dans la tradition de sagesse des Ecritures et part du sens de l’observation de Jésus : Jésus dit une parabole aux invités lorsqu’il remarqua comment ils choisissaient les premières places… Comme souvent la « parabole » s’inspire de l’Ecriture. Dans ce cas nous pouvons penser à une double référence dans les livres de sagesse. Tout d’abord Proverbes 25, 6.7 : Ne cherche pas à briller devant le roi, ne te mets pas à la place des grands ; mieux vaut que l’on te dise : « Monte ici », plutôt que d’être rabaissé devant un prince. Et Siracide 13, 10 : Ne t’impose pas, de peur d’être repoussé, ne te tiens pas trop loin, de peur d’être oublié. Jésus va cependant au-delà de la simple sagesse humaine qui cherche à éviter le désagrément de l’humiliation par manque de modestie (à ce moment, tu iras, plein de honte, prendre la dernière place). Il en profite pour exalter la vertu d’humilité : quiconque s’élève sera abaissé ; et qui s’abaisse sera élevé. Non seulement il ne faut pas chercher la meilleure ou la première place, et cela ne s’applique pas qu’aux repas, mais il faut volontairement s’abaisser. Le mouvement du disciple est celui de l’abaissement à l’image de son Maître : Devenu semblable aux hommes, reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé. C’est Dieu et lui seul qui nous élèvera au sein même de notre abaissement. Nous n’attendons pas notre gloire des hommes mais de Dieu seul. Au plus nous sommes humbles, au plus nous sommes glorifiés de la vraie gloire celle qui vient de Dieu. C’est la raison pour laquelle la créature la plus humble, Marie, est celle qui a été le plus glorifiée par Dieu. En Jean 5, 44 nous trouvons une interrogation rhétorique qui éclaire spirituellement la parabole sur les premières places à table : Comment pourriez-vous croire, vous qui recevez votre gloire les uns des autres, et qui ne cherchez pas la gloire qui vient du Dieu unique ?

Le deuxième enseignement du Seigneur met, lui aussi, à profit la situation qui est celle du repas chez le chef des pharisiens : Quand tu donnes une réception, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; heureux seras-tu, parce qu’ils n’ont rien à te donner en retour : cela te sera rendu à la résurrection des justes. Après avoir exalté la vertu d’humilité, Jésus fait briller à nos yeux la beauté de la gratuité. Encore une fois cela dépasse le strict cadre des invitations à un repas. Cela concerne une manière précise de voir les choses dans notre vie de chaque jour. Nous savons parfaitement qu’il existe une grande différence entre une bonne action faite par intérêt et une bonne action accomplie dans le désintéressement, donc dans la gratuité. Si nous faisons du bien à notre prochain dans le seul but d’en retirer un quelconque avantage, un retour sur investissement pour utiliser le vocabulaire commercial, nous perdons tout le mérite du bien que nous réalisons. Il est donc essentiel que notre intention soit pure. De la même manière que nous recherchons la gloire qui vient de Dieu et pas celle qui vient des hommes, nous espérons la récompense qui viendra de Dieu et non pas celle des hommes. Dans les deux cas nous agissons éclairés par le sens surnaturel de la foi qui nous fait estimer les choses à leur juste valeur, comme Dieu lui-même les estime. Dans ce contexte de foi les places d’honneur au banquet et les invités de marque, les VIP comme on dirait aujourd’hui, ne sont que vanité. Et la bonne action faite par calcul et intérêt illusion. Le fait essentiel pour un chrétien d’agir de manière désintéressée, donc pure, n’enlève rien à la vertu de gratitude que nous devons pratiquer non seulement envers Dieu mais aussi envers le prochain. Si Dieu nous donne la grâce de faire le bien sans arrière-pensées, cela ne nous dispense pas pour autant de pratiquer la reconnaissance et la gratitude envers nos bienfaiteurs. Si celui à qui je fais du bien est un ingrat, c’est son affaire, et je ne dois pas pour cette raison cesser d’être bon à son égard. Par contre il est toujours de ma responsabilité personnelle de ne pas être ingrat envers ceux qui me font du bien. Il s’agit donc de tenir à la fois l’action désintéressée qui n’attend rien en retour et la valeur de la gratitude qui encourage au bien.

dimanche 24 août 2025

21ème dimanche du temps ordinaire / année C / 2025

 24/08/2025

Luc 13, 22-30

L’Evangile de ce dimanche part de la question d’un anonyme : Quelqu’un lui demanda : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? » Ce « quelqu’un » pourrait être chacun d’entre nous. Probablement un anonyme de notre temps formulerait sa question sur le salut d’une manière quelque peu différente : Irons-nous tous au Paradis ? L’anonyme du temps de Jésus part d’un présupposé pessimiste (il y aura peu d’élus) alors que celui de notre temps serait davantage optimiste (tous seront sauvés). Nous retrouvons cette question sur le salut dans le parallèle de Matthieu, au chapitre 19, mais dans un contexte différent :

« Il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux. » Entendant ces paroles, les disciples furent profondément déconcertés, et ils disaient : « Qui donc peut être sauvé ? »

Un chrétien doit-il se poser cette question ? Si le salut de l’homme est avant toute chose l’œuvre et le don de Dieu en Jésus-Christ, avons-nous besoin de savoir si peu ou beaucoup seront sauvés ? Est-ce que cela nous regarde ? Cette question cacherait-elle de notre part un manque de confiance en Dieu et en l’action de l’Esprit Saint ? Nous constatons que Jésus ne répond pas à la question qui lui est posée en donnant des chiffres ou des pourcentages. Il renvoie l’anonyme à son propre salut. Ne cherchez pas à connaître le nombre des élus mais efforcez-vous plutôt d’en faire partie ! La réponse de Jésus peut sembler contradictoire. D’un côté il insiste sur la difficulté du salut, la porte qui y mène est étroite comme le trou d’aiguille du chameau en Matthieu 19… Je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas. Donc nous n’irons pas tous au Paradis… Mais en même temps il nous fait entrevoir un salut universel : Alors on viendra de l’orient et de l’occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu. La réponse à la question du salut implique un renversement des perspectives humaines : Oui, il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers. Cela signifie qu’au moment du jugement dernier nous aurons de grandes surprises ! Ceux que nous considérions pendant notre vie terrestre comme de bons chrétiens ne seront peut-être pas admis dans le Royaume alors qu’inversement des personnes qui nous semblaient très éloignées de Dieu y seront admises. Laissons donc le jugement à Dieu et à lui seul. La petite parabole nous donne le critère du jugement de Dieu qui séparera les élus des réprouvés. Elle nous rappelle une autre parabole, celle des dix vierges au chapitre 25 de l’Evangile selon saint Matthieu. Quel est donc le critère du jugement divin ? Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice. Dans d’autres traductions nous trouvons au lieu de l’injustice le mal, l’iniquité, le crime, le mensonge… Voilà ce que nous devons éviter à tout prix pour entrer dans le Royaume. Aux artisans d’injustice s’opposent dans les Béatitudes ceux qui ont faim et soif de la justice, ceux qui sont persécutés pour la justice. La porte étroite est donc celle de la justice, de la sainteté telle que nous la trouvons décrite à travers les Béatitudes et la scène du jugement dernier en Matthieu 25. Si la page évangélique de ce dimanche trouve des parallèles en Matthieu 19 et 25, n’oublions pas un passage du chapitre 7 de Matthieu qui en est l’équivalent : Ce n’est pas en me disant : “Seigneur, Seigneur !” qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux. Ce jour-là, beaucoup me diront : “Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé, en ton nom que nous avons expulsé les démons, en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ?” Alors je leur déclarerai : “Je ne vous ai jamais connus. Écartez-vous de moi, vous qui commettez le mal !” Nous constatons que l’enseignement du Seigneur insiste fortement sur les actes qui sont les nôtres et qui font de nous soit des artisans d’injustice, soit des artisans de justice. Il ne s’agit donc pas tant de nous poser des questions sur qui sera sauvé et sur le nombre des élus que de tout faire pour accomplir dans nos vies la volonté de Dieu à la suite de Jésus. Vaincre le mal qui est en nous et dans le monde par la grâce de Jésus, c’est vivre déjà en sauvés. Et surtout vivons dans la confiance qui nous vient de ce que saint Paul affirme dans sa première lettre à Timothée : Dieu notre Sauveur veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité.

dimanche 17 août 2025

20ème dimanche du temps ordinaire / année C / 2025

 17/08/2025

Luc 12, 49-53

49 Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé !

50 Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli !

Dans les deux premiers versets de l’Evangile de ce dimanche Jésus partage à ses disciples un désir et une nécessité qui habitent son cœur. Son désir profond est de voir allumé le feu qu’il est venu apporter sur la terre. Il est impatient de le voir allumé. Dans les Evangiles l’image du feu est généralement négative : il s’agit du feu de la Géhenne. Certaines interprétations de ce verset ont voulu y voir un feu matériel, une espèce de catastrophe cosmique ou encore la bombe atomique qui détruirait la terre par le feu comme autrefois l’eau du déluge avait submergé la terre. Rien n’est plus inexact que cette interprétation. Il suffit pour s’en convaincre de se référer à deux autres passages du Nouveau Testament. Le premier au chapitre 9 du même Evangile : Souvenez-vous de cet épisode au cours duquel Jacques et Jean ont l’intention de faire tomber le feu du ciel sur un village de Samaritains qui ne veut pas accueillir Jésus (Luc 9, 54) … Le Maître refuse catégoriquement cette vengeance punitive consistant à réduire en cendres ce village par un feu matériel et destructeur. Au chapitre 13 de l’Apocalypse nous avons la vision des deux bêtes, créatures sataniques et remplies de blasphèmes. Voici ce qui est dit de la deuxième bête :

Puis, j’ai vu monter de la terre une autre Bête ; elle avait deux cornes comme un agneau, et elle parlait comme un dragon. Elle exerce tout le pouvoir de la première Bête en sa présence, amenant la terre et tous ceux qui l’habitent à se prosterner devant la première Bête, dont la plaie mortelle a été guérie. Elle produit de grands signes, jusqu’à faire descendre le feu du ciel sur la terre aux yeux des hommes : elle égare les habitants de la terre par les signes qu’il lui a été donné de produire en présence de la Bête…

Le feu dont parle Jésus est tout le contraire d’un feu matériel destructeur ou d’un feu matériel de type prodige visant à impressionner les humains. C’est en mettant ce feu de Jésus en lien avec le feu de la Pentecôte que nous comprenons qu’il s’agit bien d’une image, comparable à celle des langues de feu quand l’Esprit Saint descendit sur la première Eglise : feu de l’amour du cœur du Christ, feu du Saint-Esprit. Le désir de Jésus signifie ceci : l’amour de Dieu nous a été donné, encore faut-il qu’il soit accueilli sur notre terre, allumé dans nos cœurs. Le désir de Jésus signifie qu’il attend avec impatience de notre part une réponse d’amour à son amour. Notre lenteur à nous convertir, notre tiédeur dans l’amour de Dieu et du prochain, notre ingratitude sont autant d’obstacles que nous opposons à ce que le feu de l’amour divin soit déjà allumé en nous. Ce désir de Jésus n’a qu’un but : réveiller notre ferveur et notre zèle. Si son cœur est brulant d’amour et que le nôtre s’est refroidi, alors son feu risque de ne pas porter de fruits en nous …

Après ce désir Jésus exprime une nécessité qui s’impose à lui : Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli ! Cela nous rappelle le verset du même Evangile que le pape François a choisi pour sa lettre apostolique consacrée à la formation liturgique du peuple de Dieu : J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ! Car je vous le déclare : jamais plus je ne la mangerai jusqu’à ce qu’elle soit pleinement accomplie dans le royaume de Dieu. Le Seigneur Jésus sait qu’il doit monter à Jérusalem pour y souffrir sa Passion et la mort de la Croix. Au commencement de sa mission il a demandé à Jean le baptême de l’eau. Au terme de sa mission il sera plongé dans le baptême de sang de sa Passion. Dans cet intervalle de temps le cœur de Jésus est rempli d’angoisse ou, selon d’autres traductions : Et combien je suis oppressé jusqu’à ce que cette immersion soit accomplie ! Comme si Jésus avait hâte d’arriver au terme de sa vie terrestre, comme s’il avait hâte de pouvoir prononcer sur la croix la parole de l’accomplissement : Tout est accompli ! Dans le chapitre suivant de l’Evangile selon saint Luc Jésus nous donne un éclairage supplémentaire sur cette angoisse qui habite son cœur jusqu’au temps de l’accomplissement : À ce moment-là, quelques pharisiens s’approchèrent de Jésus pour lui dire : « Pars, va-t’en d’ici : Hérode veut te tuer. » Il leur répliqua : « Allez dire à ce renard : voici que j’expulse les démons et je fais des guérisons aujourd’hui et demain, et, le troisième jour, j’arrive au terme. Mais il me faut continuer ma route aujourd’hui, demain et le jour suivant, car il ne convient pas qu’un prophète périsse en dehors de Jérusalem.

Nous comprenons le lien entre le verset du désir et celui de la nécessité. Sans le baptême de la Passion qui doit s’accomplir à Jérusalem, pas de don de l’Esprit Saint au jour de la Pentecôte. C’est dans son baptême de sang que Jésus apportera pour toujours le feu de son amour divin sur notre terre et c’est l’Esprit Saint qui allumera ce feu dans nos cœurs si nous répondons généreusement au don de cet amour dans l’action de grâce.

 

vendredi 15 août 2025

Assomption de Marie 2025

Si le Nouveau Testament nous parle de l’Ascension de Jésus, rien de tel pour l’Assomption de sa mère, Marie. Ce point de notre foi est le fruit d’une réflexion de la tradition théologique. L’Evangile de l’Assomption est donc celui de la Visitation. Il est alors intéressant de se demander pour quelle raison l’Eglise a choisi cet épisode de la vie de Marie pour nous introduire au mystère de son Assomption. La note dominante du récit de la Visitation est bien la joie. Joie de Jean dans le sein de sa mère Elisabeth, joie d’Elisabeth et enfin joie de Marie :

Lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi.

D’où me vient ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ?

Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur !

La joie dont Marie est comblée et qu’elle répand autour d’elle lui vient de sa maternité et du fait qu’elle est pleine de grâce. Jésus, avant même sa naissance, agit dans le sein de sa mère et l’Esprit Saint préside à la rencontre de la Visitation. Au terme de sa vie terrestre Marie, dans le mystère de son Assomption, est parfaitement établie dans la joie de Dieu. La joie annoncée et goûtée au moment de la Visitation s’accomplit alors pour toujours dans son être tout entier, corps et âme, dans la béatitude du Royaume. Le magnifique chant du Magnificat qui concentre en lui les trésors de la spiritualité d’Israël est un chant que Marie peut reprendre dans sa Pâque, lorsqu’elle est parfaitement et définitivement assumée par la puissance de l’amour de Dieu Sauveur. De ce point de vue le Magnificat n’est pas seulement une expression de la joie et de l’espérance du croyant en pèlerinage sur cette terre, il est aussi le chant de l’aboutissement de ce pèlerinage qui est la joie même de Dieu répandue avec surabondance dans le cœur des saints et des saintes. Oui, Marie, désormais tous les âges te diront bienheureuse car tu participes la première à la gloire de la résurrection de ton Fils. Dans la traduction de Le Maistre de Sacy Marie commence ainsi son Magnificat : « Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit est ravi de joie en Dieu mon Sauveur ». L’Assomption accomplit ce ravissement de Marie en Dieu et par Dieu. Les paroles de Marie dans le Magnificat semblent être une prophétie du Royaume et de la fin des temps, un désir, une espérance davantage qu’une réalité : Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides.

Notre expérience humaine semble démentir ces paroles de Marie. Les puissants restent sur leur trône et font sentir leur pouvoir en opprimant les humbles, même s’il leur arrive d’être renversés ou tout simplement de mourir. Les riches sont toujours plus riches tandis que la pauvreté est de plus en plus visible, pas seulement ailleurs mais aussi dans notre pays. Bref notre monde est douloureusement marqué par l’injustice et le mal, souffrant de l’arrogance des superbes qui se croient tout permis et se placent au-dessus des lois. Dans certains cas particuliers les paroles de Marie se vérifient, mais l’ordre général du monde demeure à l’opposé de l’esprit du Magnificat. La joie de Marie dans le mystère de son Assomption, c’est l’anticipation du règne de la justice de Dieu, du règne de la sainteté. Elle sait que les paroles qu’elle a prononcées sous l’inspiration de l’Esprit, alors qu’elle était une jeune fille de Nazareth, connue de Dieu seul, et portant en elle le Fils bien-aimé du Père, elle sait que ces paroles s’accompliront dans le Royaume. La joie de Marie en son Assomption est bien celle de l’accomplissement du Royaume, donc du projet de Dieu pour toute sa création. Le récit de la Visitation nous donne les deux clés qui nous permettent d’entrer déjà, à l’exemple de Marie, dans la joie de Dieu, dans l’attente de l’accomplissement du Royaume : la foi et l’humilité.

Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur.

Il s’est penché sur son humble servante.

L’humble et petite Marie a eu une première joie, celle de l’accomplissement du message de Gabriel au moment de l’Annonciation. Au terme de sa vie terrestre elle perçoit dans une joie infiniment plus intense l’accomplissement du salut de Dieu par Celui qu’elle a mis au monde et contemplé, douloureuse, au pied de la croix, communiant maintenant à sa vie de Ressuscité :

Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père, après avoir anéanti, parmi les êtres célestes, toute Principauté, toute Souveraineté et Puissance. Car c’est lui qui doit régner jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. Et le dernier ennemi qui sera anéanti, c’est la mort.

 

dimanche 10 août 2025

19ème dimanche du temps ordinaire / année C / 2025

 10/08/2025

Luc 12, 32-48

Dimanche dernier nous avons entendu l’avertissement de Jésus, le verset 21 du chapitre 12 de l’Evangile selon saint Luc :

Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu.

En ce dimanche, avec la lecture suivie de l’Evangile selon saint Luc, Jésus revient sur ce point de son enseignement et le développe aux versets 33 et 34 :

Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumône. Faites-vous des bourses qui ne s’usent pas, un trésor inépuisable dans les cieux, là où le voleur n’approche pas, où la mite ne détruit pas. Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur.

Cette insistance du Seigneur pour nous mettre en garde contre la tentation de l’avidité et de l’avarice mérite qu’on s’y arrête. Si nous réfléchissons, nous nous rendons compte, au vu de l’expérience humaine au cours des siècles, que deux tentations principales habitent le cœur de tout homme depuis le péché des origines : celle du pouvoir et celle de l’accumulation sans fin des richesses. Très souvent les guerres, les divisions et la violence peuvent être reliées à l’une de ces tentations. Elles illustrent chacune à sa manière la vanité de l’homme qui n’est pas spirituel. Se sachant mortel, il veut se faire dieu par l’illusion du pouvoir et des richesses. Dans les deux cas il cherche à dominer ses semblables en oubliant la fraternité fondamentale instaurée par Dieu Père et Créateur. Nous comprenons bien que ces tentations vont de pair avec le péché capital d’orgueil. Elles causent non seulement la perte de celui qui s’y livre mais sont aussi à l’origine de la plupart des maux qui accablent l’humanité (cf. 1 Timothée 6, 10). C’est la raison pour laquelle Jésus n’a pas seulement mis en garde ses disciples contre l’avidité et l’appât du gain mais aussi contre cette soif de pouvoir qui dans son paroxysme aboutit aux dictateurs prêts à faire périr avec eux le monde tout entier plutôt que de renoncer à la vanité du pouvoir qu’ils croient avoir. N’oublions pas que la société fourmille aussi de petits dictateurs, tout aussi nuisibles pour leurs semblables et pour le bien commun. Jésus aborde cette question au chapitre 22 du même Evangile :

Les rois des nations les commandent en maîtres, et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se font appeler bienfaiteurs. Pour vous, rien de tel ! Au contraire, que le plus grand d’entre vous devienne comme le plus jeune, et le chef, comme celui qui sert.

Pour résister à cette double tentation du pouvoir et de l’argent Jésus nous donne plusieurs indications dans cette page évangélique.

En premier lieu le verset 32 qui est une invitation à la foi, à la confiance en Dieu : Sois sans crainte, petit troupeau : votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume. Nous ne pouvons pas être libres si nous vivons dans la peur. Bien souvent ceux qui mettent leur confiance dans le pouvoir et dans l’argent tentent ainsi de calmer la peur de la mort en se créant une personnalité. Ils se divinisent eux-mêmes au lieu d’accueillir la grâce du Christ qui seule peut les diviniser jusque dans la vie du Royaume. Ils oublient que tout pouvoir véritable n’appartient qu’à Dieu et que Dieu ne se comporte jamais en dictateur. Son unique pouvoir consiste en effet à donner la vie et à aimer. Deuxième indication pour résister à la tentation de l’avidité : elle est toute simple, il s’agit de l’aumône. Donner pour ne pas être esclave de ses richesses. Le Seigneur n’hésite pas dans ce contexte à utiliser le vocabulaire de la banque et de l’épargne. Le seul capital que nous emporterons dans notre tombe, c’est celui de l’aumône, capital indestructible car inscrit non pas dans les ordinateurs de nos banques mais dans le cœur de Dieu. Luttons donc courageusement contre le mal de l’avidité en lui opposant son contraire qui est la générosité. En Luc 11, 41 Jésus nous dit : Donnez plutôt en aumône ce que vous avez, et alors tout sera pur pour vous. Enfin Jésus nous donne comme un proverbe, précieux par sa profonde vérité : Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur. Cela signifie clairement que si nous mettons notre trésor (traduisons : ce qui est le plus important pour nous, nos priorités) dans le pouvoir et les richesses, Dieu devient secondaire, au mieux un ornement de notre vie entièrement captive de nos ambitions terrestres, donc de la vanité.

[Cela donne la raison du contenu de deux versets particulièrement clairs des Evangiles :

Il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux.

Et celui-ci que nous entendrons le 21 septembre :

Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. ]

 

 

 

dimanche 3 août 2025

18ème dimanche du temps ordinaire / année C / 2025

 3/08/2025

Luc 12, 13-21

Gardez-vous bien de toute avidité, car la vie de quelqu’un, même dans l’abondance, ne dépend pas de ce qu’il possède.

Dans l’Evangile de ce dimanche le Seigneur nous met en garde contre une tentation qui habite le cœur de tout homme, celle qui consiste à accumuler sans aucune limite les richesses et les biens matériels. L’avidité va très souvent de pair avec le péché capital de l’avarice. On se souvient peut-être d’une déclaration d’un ministre de l’économie qui, en 2015, incitait les jeunes à devenir milliardaires… « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires ». Cela en dit long sur sa vision de la jeunesse, du bonheur et de la réussite. La très grande majorité des jeunes français n’a aucune envie de devenir milliardaire. Ils veulent juste vivre heureux et épanouis dans leur travail et dans leur vie affective et relationnelle. Ce qu’ils désirent, c’est une vie digne, une vie qui vaille le coup d’être vécue. Le ministre projetait alors son manque d’idéal personnel sur la jeunesse… Dans le livre de Qohélet dont nous avons entendu un passage dans la première lecture le sage nous décrit bien le mécanisme de l’avidité, un mécanisme qui rend malheureux celui qui en est prisonnier :

Voici un homme seul, sans personne, ni frère ni fils, qui travaille à n’en plus finir, toujours avide de plus de richesses. Il ne se demande pas : « Mais pour qui travailler ainsi en me privant de bonheur ? » C’est encore de la vanité, une besogne de malheur. […] Qui aime l’argent n’a jamais assez d’argent, et qui aime l’abondance ne récolte rien. Cela aussi n’est que vanité. Plus il y a de richesses, plus il y a de profiteurs. Que va en retirer celui qui les possède, sinon un spectacle pour ses yeux ? Le travailleur dormira en paix, qu’il ait peu ou beaucoup à manger, alors que, rassasié, le riche ne parvient pas à dormir.

La petite histoire que nous raconte Jésus illustre bien tous les soucis et les tracas de celui qui est trop riche, qui vit dans la surabondance : Il se demandait : “Que vais-je faire ? Car je n’ai pas de place pour mettre ma récolte.” Cet homme a déjà tout le nécessaire et même davantage pour « jouir de l’existence », mais il n’en jouit même pas, tout préoccupé qu’il est de construire de nouveaux entrepôts pour pouvoir accumuler ses trop grandes richesses. Il parle au futur mais le présent le rattrape avec sa propre mort. Derrière l’avidité il y a la conviction que l’argent nous donne le pouvoir et la maitrise sur toutes choses. Il y a la divinisation de l’argent qui prend la place de Dieu. Or, nous prévient Jésus, la vie de quelqu’un, même dans l’abondance, ne dépend pas de ce qu’il possède. Et puis peut-on se contenter d’avoir comme idéal de « jouir de l’existence » ? Il est bon de savoir profiter des bons moments que la vie nous offre, ils sont rares et précieux. Mais il peut y avoir le danger de ne vivre que pour soi, la tentation de l’égoïsme qui va souvent de pair avec l’avidité. Une autre histoire aurait pu être celle de l’homme riche de la parabole. Se contenter de ses greniers déjà bien remplis, et au lieu d’en construire de plus grands, il aurait pu donner le surplus de ses richesses aux pauvres et aux nécessiteux. Et la phrase du ministre aurait pu être la suivante : « Il faut des jeunes Français qui aient envie d’être généreux et de partager leurs talents, leurs dons et leurs biens avec les autres ». Dans son homélie sur cet Evangile saint Basile de Césarée s’adresse ainsi à l’homme riche en pointant du doigt son avarice : « Tu ne connais qu’une parole : Je n’ai rien, je ne donnerai rien, car je suis pauvre. Oui, tu es pauvre, tu ne possèdes aucun bien : tu es pauvre d’amour, pauvre de bonté, pauvre de foi en Dieu, pauvre d’espérance éternelle ». Tel est le malheur de celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu. Dans cette perspective nous comprenons mieux l’appel de Paul dans la deuxième lecture : Si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre. Ici aucun mépris de notre vie terrestre et de ses exigences. Il s’agit seulement de mettre chaque chose à sa juste place. Il s’agit de résister par notre orientation croyante vers les réalités d’en haut à la tyrannie de l’avidité et de l’avarice qui appauvrissent l’horizon de notre vie humaine et nous rendent malheureux. Le psaume de ce dimanche nous fait faire cette belle prière :

Apprends-nous la vraie mesure de nos jours : que nos cœurs pénètrent la sagesse.

L’oraison de la messe de dimanche dernier nous indique parfaitement dans quel esprit nous pouvons recevoir l’enseignement de Jésus sur la richesse. Il s’agit bien pour nous, en nous laissant conduire par Dieu, de faire un bon usage des biens qui passent et de nous attacher à ceux qui demeurent. Seuls ces derniers ne sont pas marqués par la vanité des biens qui passent.

 

 

 

dimanche 20 juillet 2025

16ème dimanche du temps ordinaire / année C

 20/07/2025

Luc 10, 38-42

Dans l’Evangile de Jésus chez Marthe et Marie saint Luc nous peint un petit tableau particulièrement vivant. On imagine aisément la scène. Marthe, voulant offrir un excellent repas à son hôte de marque, ne cesse de courir entre la cuisine et la salle à manger, accaparée par les multiples occupations du service. Sa sœur, Marie, immobile, se tient auprès de Jésus et écoute sa parole. L’une est debout, en mouvement, et veut nourrir Jésus, l’autre est assise, calme, et veut se nourrir de la parole de Jésus. Il ne s’agit pas tant d’opposer les deux sœurs que de réfléchir à ce que signifie l’hospitalité, accueillir une personne lors d’un repas. Pourquoi le Seigneur peut-il dire que Marie a choisi la meilleure part ?

Accueillir chez soi une personne à l’occasion d’un repas, c’est toujours bien plus que donner à manger et à boire. Dans notre humanité le repas n’a pas seulement une fonction organique, redonner force et énergie au corps qui réclame son carburant. Le repas a une fonction sociale : il est l’occasion d’établir (ou pas) des liens, des relations. Il permet des échanges à travers les conversations des uns avec les autres. La qualité de la nourriture proposée est une chose, la qualité des relations qu’un repas permet en est une autre. En témoignent deux versets du livre des Proverbes :

Mieux vaut un plat de légumes servi avec amour que du veau gras et de la haine. (15, 17)

Mieux vaut du pain sec, et la paix, qu’une salle de banquet pleine de discorde. (17, 1)

Marie a choisi la meilleure part parce que son accueil de Jésus se fait attention à ce qu’il est, écoute de sa parole. Je peux bien participer à un banquet succulent, mais si je suis laissé de côté, ignoré, ce banquet deviendra pour moi un supplice et je n’aurais qu’une envie, c’est qu’il se termine au plus vite. Nous avons tous vécu cette situation pénible. L’art du repas pour les humains, c’est essentiellement l’art de la relation et de l’échange. L’hôte n’est pas seulement celui à qui on veut offrir des mets succulents, il est surtout celui de qui on peut recevoir. Dans un repas il ne s’agit pas seulement de donner, mais de se rendre disponible pour recevoir la richesse de l’autre. C’est l’attitude de Marie. En recevant la parole de Jésus, en l’écoutant, elle lui fait le don de sa disponibilité et de son ouverture.

La première lecture nous montre que Dieu est présent dans nos repas, et ce n’est pas un hasard si Jésus a choisi la forme d’un repas pour le sacrement de l’eucharistie. Même si nous n’avons pas la possibilité comme Marthe et Marie d’accueillir à nos tables le Jésus de chair, la lettre aux Hébreux nous fait comprendre que l’hospitalité donnée en particulier à des inconnus peut être une véritable visite de Dieu, une parole de Dieu qui nous est adressée :

Que demeure l’amour fraternel ! N’oubliez pas l’hospitalité : elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges.

A l’histoire d’Abraham et de Sara dans la Genèse correspond un beau mythe dans les Métamorphoses du poète latin Ovide. Au livre VIII Ovide nous raconte l’histoire de Philémon et de Baucis, un vieux couple, humble et pauvre, qui accueillent chez eux, sans le savoir, Jupiter et Mercure, se promenant incognito sur terre pour se faire une idée de la moralité des mortels. Ils furent déçus car « dans mille maisons ils se présentèrent, demandant un endroit où se reposer ; dans mille maisons on ferma les verrous ». Seul un pauvre couple de vieillards les accueille. Et Ovide de noter que, pendant la préparation de l’humble repas, Philémon et Baucis « charment par leurs entretiens les instants qui séparent encore leurs hôtes du repas et s’efforcent de leur épargner l’ennui de l’attente ». Après avoir décrit la simplicité du menu offert aux visiteurs, le poète écrit : A tout cela s’ajoute ce qui vaut mieux encore, des visages bienveillants et un accueil qui ne sent ni l’indifférence ni la pauvreté. Le récit s’achève par la punition des voisins qui ont refusé d’accueillir chez eux les divins voyageurs. Tandis que leurs belles maisons sont englouties par les flots, la maison de Philémon et Baucis, « cette vieille cabane, trop petite même pour ses deux maitres, se change en un temple ». Cette belle histoire célèbre l’hospitalité comme une vertu divine. A l’instar du récit de Marthe et Marie, elle nous enseigne comment recevoir nos hôtes avec des visages bienveillants, pratiquant un accueil qui ne sent ni l’indifférence ni la pauvreté, même si le repas est simple et frugal, dans le don essentiel de l’écoute. L’attitude de Marie qui a choisi la meilleure part lors d’un repas terrestre n’est-elle pas celle que nous sommes invités à faire notre lors du repas de l’eucharistie ?

dimanche 29 juin 2025

SAINTS PIERRE ET PAUL 2025 / DILEXIT NOS 10

 29 /06/2025

En cette solennité des saints Pierre et Paul nous méditons la cinquième et dernière partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « Amour pour amour ».

Avec cette méditation nous parvenons à la fin de ce cycle de catéchèses sur le Sacré-Cœur. Dans le dernier chapitre de Dilexit nos le pape François nous donne un magnifique enseignement sur la notion de « réparation » (181-204), en s’appuyant fortement sur les enseignements de Jean-Paul II. La réparation offerte au Cœur du Christ a un double aspect : social et personnel. Dans le paragraphe intitulé « La réparation : construire sur les ruines » le pape développe, en citant Jean-Paul II, le sens social de cette pratique spirituelle :

La civilisation du Cœur du Christ pourra être bâtie sur les ruines accumulées par la haine et la violence en nous abandonnant à ce Cœur. Cela implique certainement que nous soyons capables de joindre l’amour filial envers Dieu à l’amour du prochain.

Jean-Paul II avait mis en lumière les structures de péché qui s’opposent gravement à la civilisation de l’amour. Qu’est-ce donc qu’une structure de péché ? Elle se caractérise par la répétition de péchés graves contre le prochain, répétition favorisée par une organisation sociale, politique et commerciale mauvaise en elle-même : La répétition de ces péchés contre les autres finit souvent par renforcer une « structure de péché » nuisant au développement des peuples. Au n°182 le pape définit avec grande clarté la réparation dans son aspect social :

Avec le Christ, nous sommes appelés à construire une nouvelle civilisation de l’amour sur les ruines que nous avons laissées en ce monde par notre péché. Telle est la réparation que le Cœur du Christ attend de nous. Au milieu du désastre laissé par le mal, le Cœur du Christ veut avoir besoin de notre collaboration pour reconstruire le bien et le beau.

Dans ce contexte qui met en avant l’amour évangélique du prochain le pape souligne l’importance pour chaque chrétien de « se reconnaître fautif et de demander pardon », donc la centralité de la vertu d’humilité. Le fidèle qui acquiert par la grâce de Dieu la bonne habitude de reconnaître ses péchés et de demander pardon au prochain offensé, comme nous le rappelle le Notre Père, inverse la tendance naturelle qui consiste à « être indulgent avec soi-même et inflexible avec les autres ». Ainsi « on devient ferme avec soi-même et miséricordieux avec les autres ». La pratique sociale de la réparation est inséparable d’une profonde spiritualité. Au n°184, le pape remarque :

La réparation chrétienne ne peut être comprise uniquement comme un ensemble d’œuvres extérieures, bien qu’indispensables et parfois admirables. Elle exige une mystique, une âme, un sens qui leur donne force, élan et créativité inlassables. Elle a besoin de la vie, du feu et de la lumière qui procèdent du Cœur du Christ.

Cette citation nous sert de transition pour aborder maintenant l’aspect personnel et proprement spirituel de la réparation qui nous engage « dans une relation encore plus directe avec le Cœur du Christ ». Dans le paragraphe « La réparation : un prolongement pour le Cœur du Christ » le pape choisit comme guide sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et son offrande à l’Amour divin. Il pose d’abord le fondement d’une saine compréhension de la réparation :

Puisque le Seigneur tout-puissant, dans sa liberté divine, a voulu avoir besoin de nous, la réparation se comprend comme une libération des obstacles que nous mettons à l’expansion de son amour dans le monde, par notre manque de confiance, de gratitude et de don de soi.

La révolution opérée par la petite Thérèse dans son cheminement spirituel a consisté à voir avant toutes choses en Dieu un Père miséricordieux et non pas un juge. Et pour elle il ne faisait aucun doute que la Justice même (et peut-être encore plus que toute autre) me semble revêtue d’amour ». Le pape décrit très bien ce changement de perspective aux n°195-196 :

Cette insistance sur la justice divine conduit finalement à penser que le sacrifice du Christ est incomplet ou partiellement efficace, ou que sa miséricorde n’est pas assez grande. […] Avec son intuition spirituelle, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus découvre qu’il existe une autre façon de s’offrir selon laquelle il n’est pas nécessaire de satisfaire la justice divine mais de permettre à l’amour infini du Seigneur de se répandre sans entrave. C’est la raison pour laquelle Thérèse dans son acte d’offrande s’offre non pas à la justice divine mais à l’Amour miséricordieux.

Concluons cette dernière méditation avec ces paroles du pape François qui nous appelle à retrouver la beauté de la réparation comme dévotion agréable au Cœur de Jésus :

Sœurs et frères, je propose que nous développions cette forme de réparation qui consiste, en définitive, à offrir au Cœur du Christ une nouvelle possibilité de répandre en ce monde les flammes de son ardente tendresse… Le chemin le plus approprié est que notre amour donne au Seigneur une possibilité de s’étendre en échange de toutes ces fois où il a été rejeté ou nié. Cela se produit en allant au-delà de la simple “consolation” au Christ dont nous avons parlé dans le chapitre précédent, et se traduit par des actes d’amour fraternel par lesquels nous guérissons les blessures de l’Église et du monde. De cette manière, nous offrons de nouvelles expressions de la puissance restauratrice du Cœur du Christ.

dimanche 22 juin 2025

SAINT SACREMENT 2025 / DILEXIT NOS 9

 22 /06/2025

En cette solennité du Saint Sacrement nous méditons la cinquième et dernière partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « Amour pour amour ». Dans ce chapitre le pape montre comment la dévotion au Sacré-Cœur conduit le croyant à « l’engagement communautaire et missionnaire ». La révélation faite à sainte Marguerite-Marie nous permet de comprendre la signification profonde de la parole de Jésus en croix : « J’ai soif ». D’une part le Seigneur révèle sa douleur causée par notre ingratitude et d’autre part sa soif d’être aimé par nous. Le titre du chapitre « amour pour amour » provient des paroles de Marguerite-Marie et sera plus tard repris par Charles de Foucauld :

« Je reçus de mon Dieu des grâces excessives de son amour, et me sentis touchée du désir de quelque retour, et de lui rendre amour pour amour ».

Les numéros 167-171 de l’encyclique montrent comment nous pouvons passer de l’ingratitude qui fait souffrir le Christ à la gratitude à travers notre amour pour les frères, un amour que Charles de Foucauld proclamera universel dans la lignée de l’Evangile. Ecoutons le pape : Nous devons revenir à la Parole de Dieu pour reconnaître que la meilleure réponse à l’amour de son cœur est l’amour pour nos frères. Il n’y a pas d’acte plus grand que nous puissions offrir pour Lui rendre amour pour amour. La Parole de Dieu le dit avec une totale clarté… L’amour pour les frères ne se fabrique pas, il n’est pas le résultat de notre effort naturel mais il exige une transformation de notre cœur égoïste. C’est alors que surgit spontanément la célèbre supplique : “Jésus, rends notre cœur semblable au tien”. C’est pour cette même raison que l’invitation de saint Paul n’est pas : “Efforcez-vous de faire de bonnes œuvres”. Son invitation est plus précisément : « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus » (Ph 2, 5).

Aux numéros 169-170 le pape fait une réflexion historique fort intéressante sur la grande nouveauté que constituait dans l’Empire romain l’amour universel des frères incluant beaucoup de pauvres, d’étrangers et autres laissés-pour-compte qui trouvaient auprès des chrétiens respect, affection et attention. Les premiers chrétiens, minoritaires dans l’Empire romain, ont accompli les paroles de leur Maître et Seigneur : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres qu’ils reconnaitront que vous êtes mes disciples » (Jean 13-35). Cette parole de Jésus s’est effectivement réalisée comme le montre la réaction de l’empereur Julien qui pendant son bref règne (360-363) a tenté de restaurer la vieille religion romaine traditionnelle. Son projet était de transposer dans la religion polythéiste les œuvres de charité chrétiennes :

Cela explique le raisonnement de l’empereur apostat Julien qui se demandait pourquoi les chrétiens étaient si respectés et suivis, et qui pensait que l’une des raisons était leur engagement dans l’assistance des pauvres et des étrangers, puisque l’Empire les ignorait et les méprisait. Il était intolérable pour cet empereur que ses pauvres ne reçoivent aucune aide de sa part, alors que les chrétiens détestés, « en plus de nourrir les leurs, nourrissent encore les nôtres ». Dans une lettre, il ordonna de créer des institutions caritatives pour rivaliser avec les chrétiens et attirer le respect de la société… Mais il n’atteignit pas son objectif, probablement parce qu’il n’y avait pas derrière ces œuvres l’amour chrétien qui permet de reconnaître à toute personne une dignité unique.

La grande nouveauté chrétienne qui a interpellé l’empereur Julien, fortement attaché au paganisme et à la culture gréco-latine, est celle de « la reconnaissance de la dignité de toute personne, aussi et surtout de ces personnes qualifiées d’indignes ». L’honnêteté exige de préciser que cette nouveauté chrétienne n’est pas absolument nouvelle. Elle trouvait en effet des appuis dès le 1er siècle chez les Stoïciens et en particulier chez Sénèque qui enseignait par exemple la pleine humanité des esclaves. Au n°170 le pape affirme combien ce principe nouveau dans l’histoire de l’humanité […] a changé la face du monde en donnant naissance à des institutions qui s’occupent des personnes en situation défavorisée.

Enfin au n°171 le pape enseigne que la contemplation amoureuse du cœur du Christ blessé par amour pour nous nous conduit à une plus grande charité envers tous les souffrants de notre monde :

Regarder la blessure du cœur du Seigneur qui « a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies » nous aide à être plus attentifs aux souffrances et aux besoins des autres, nous rend assez forts pour participer à son œuvre de libération en tant qu’instruments de diffusion de son amour. 

 

dimanche 15 juin 2025

TRINITE 2025 / DILEXIT NOS 8

 

15 /06/2025

En cette solennité de la Sainte Trinité nous méditons la quatrième partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « L’amour qui donne à boire ». Dimanche dernier nous avons parlé des saints français du 17ème siècle qui ont contribué à propager la dévotion au Sacré-Cœur. Les numéros 129 à 142 de l’encyclique présentent la contribution de deux autres saints français : Charles de Foucauld et Thérèse de l’Enfant Jésus. Charles de Foucauld se consacra au Sacré-Cœur en 1889 et il fut le premier ermite de l’Eglise « sous le nom du Sacré-Cœur ». Au n°138 le pape François cite longuement un extrait de la lettre 197 de Thérèse à sa sœur Marie, en ajoutant que cette page devrait être lue mille fois pour sa profondeur, sa clarté et sa beauté :

Mes désirs du martyre ne sont rien, ce ne sont pas eux qui me donnent la confiance illimitée que je sens en mon cœur. Ce sont, à vrai dire, les richesses spirituelles qui rendent injuste, lorsqu’on s’y repose avec complaisance et que l’on croit qu’ils sont quelque chose de grand. [...] Ce qui plaît au bon Dieu, c’est de me voir aimer ma petitesse et ma pauvreté, c’est l’espérance aveugle que j’ai en sa miséricorde… Voilà mon seul trésor. [...] Si vous désirez sentir de la joie, avoir de l’attrait pour la souffrance, c’est votre consolation que vous cherchez […]. Comprenez que pour aimer Jésus, être sa victime d’amour, plus on est faible, sans désirs, ni vertus, plus on est propre aux opérations de cet Amour consumant et transformant. [...] Oh ! que je voudrais pouvoir vous faire comprendre ce que je sens !... C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour ». 

A la fin du quatrième chapitre le pape aborde « la dévotion de la consolation » (n°151-163) en s’appuyant sur une lettre encyclique du pape Pie XI publiée en 1928 (Miserentissimus Redemptor). Le pape François distingue « la consolation » de la « réparation » dont il traite dans le dernier chapitre. Ces deux réalités spirituelles nous sont devenues presque étrangères, et elles peuvent aussi nous apparaitre comme des pratiques étranges, venues d’un autre âge. D’où l’importance de comprendre le message du pape qui, avec beaucoup de pédagogie, les propose à nouveau à notre vie spirituelle. Il commence sagement par les fondements de la consolation, fondements qui se trouvent dans l’unité du mystère pascal et dans sa dimension transcendante :

Le cœur du Ressuscité conserve ces signes du don total qui entraîna une intense souffrance pour nous. Il est donc en quelque sorte inévitable que le croyant veuille réagir non seulement à ce grand amour, mais aussi à la douleur que le Christ a accepté d’endurer pour tant d’amour (151). Le Pape Pie XI a voulu justifier cela en nous invitant à reconnaître que le mystère de la Rédemption par la Passion du Christ transcende, par la grâce de Dieu, toutes les distances de temps et d’espace (153).

La pratique de la consolation du cœur du Christ peut se comprendre dans la mesure où nous sommes rendus « mystiquement présents à ce moment rédempteur de la Passion ». Au n°155 le pape énonce l’objection que beaucoup de croyants peuvent faire à cette dévotion particulière : Quoi qu’il en soit, nous nous demandons comment il est possible d’être en relation avec le Christ vivant, ressuscité, pleinement heureux, et en même temps de le consoler dans sa Passion. Si le Christ ressuscité est parfaitement bienheureux dans la vie de la Sainte Trinité, comment est-il possible de le « consoler » ? Pascal répondrait que le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point… Et le pape reconnaît avec franchise qu’il y a là quelque chose de mystérieux qui dépasse notre logique humaine, et que la Passion du Christ n’est pas un simple fait du passé : nous pouvons y participer par la foi… et que nous nous trouvons sur un chemin mystique qui dépasse les tentatives de la raison et exprime ce que la Parole de Dieu elle-même nous suggère…

A la fin du chapitre le pape associe à la consolation du cœur du Christ dans sa Passion la pratique de la componction (158-160), proche de celle de la contrition. Il en donne la définition suivante :

Le désir nécessaire de consoler le Christ, qui naît de la souffrance en contemplant ce qu’Il a enduré pour nous, se nourrit aussi de la reconnaissance sincère de nos servitudes, de nos attachements, de nos manques de joie dans la foi, de nos vaines recherches et, au-delà de nos péchés concrets, de la non correspondance de nos cœurs à son amour et à son projet. 

La componction du cœur n’a rien à voir avec la culpabilité qui abat ou le scrupule qui paralyse :

Il ne s’agit pas de pleurer sur nous-mêmes, comme nous sommes souvent tentés de le faire. [...] Avoir des larmes de componction c’est au contraire nous repentir sérieusement d’avoir attristé Dieu par le péché ; c’est reconnaître que nous sommes toujours en dette et jamais en crédit [...]. Comme la goutte creuse la pierre, les larmes creusent lentement les cœurs endurcis. On assiste ainsi au miracle de la tristesse, de la bonne tristesse, qui conduit à la douceur [...]. La componction n’est pas tant le fruit de notre exercice, mais elle est une grâce et, comme telle, doit être demandée dans la prière. 

En consolant le Christ par amour pour lui et dans la gratitude pour le grand don de sa vie et de sa personne nous recevons à notre tour sa consolation dans nos épreuves et nos difficultés. Et de là nous sommes poussés à exercer la charité fraternelle. C’est de cette manière que le pape opère la transition entre le chapitre IV (l’expérience spirituelle personnelle) et le chapitre V (l’engagement communautaire et missionnaire) :

162. Mais à un moment donné de cette contemplation du cœur croyant, l’appel dramatique du Seigneur doit retentir : « Consolez, consolez mon peuple » (Is 40, 1). Et nous viennent à l’esprit les paroles de saint Paul qui nous rappelle que Dieu nous console « afin que, par la consolation que nous-mêmes recevons de Dieu, nous puissions consoler les autres en quelque tribulation que ce soit » (2 Co 1, 4).

 

dimanche 8 juin 2025

PENTECOTE 2025 / DILEXIT NOS 7

 

8 /06/2025

En cette solennité de la Pentecôte nous méditons la quatrième partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « L’amour qui donne à boire ». Au n°91 le pape annonce clairement le contenu des deux derniers chapitres de sa lettre encyclique : le 4ème traite de l’expérience spirituelle personnelle tandis que le 5ème et dernier aborde l’engagement communautaire et missionnaire. Dans la partie « L’amour qui donne à boire » le pape réalise une synthèse de la doctrine spirituelle du culte du Sacré-Cœur en partant des Ecritures et en parcourant la tradition spirituelle dans toute sa richesse et sa variété sans oublier l’apport spécifique des jésuites. Il fait résonner plus particulièrement la parole et l’enseignement de 5 figures de sainteté dans la période allant du 17ème   au 20ème siècle : François de Sales, Marguerite-Marie Alacoque, Claude de la Colombière, Charles de Foucauld et enfin Thérèse de l’Enfant Jésus. Avant de mettre en lumière le cœur des enseignements de ces figures de sainteté, une synthèse rapide s’impose pour la partie biblique, patristique ainsi que pour la période médiévale et monastique (n° 92-113). A partir des images bibliques de l’eau les Pères de l’Eglise ont vu dans « la source ouverte » de Zacharie « le côté blessé de Jésus-Christ ». C’est en effet « dans la fontaine débordante de la Croix » que les promesses divines s’accomplissent. Dans un premier temps les Pères de l’Eglise « ont mentionné la blessure du côté de Jésus comme l’origine de l’eau de l’Esprit : la Parole, sa grâce et les sacrements qui la communiquent (102). » A cette compréhension sacramentelle du côté transpercé de Jésus s’est ajoutée à partir de saint Augustin mais surtout avec saint Bernard l’image de la poitrine du Christ comme « symbole de l’union intime avec lui, comme lieu de la rencontre d’amour » (103). L’expérience de l’amour infini du Christ dans la révélation de son cœur, loin de se limiter à la célébration des sacrements, exige du fidèle « une relation directe avec le Christ en demeurant dans son cœur » (108). Saint Bonaventure a réalisé la synthèse entre ces deux lignes spirituelles autour du cœur du Christ, la ligne ecclésiale-sacramentelle et celle de l’expérience spirituelle personnelle du croyant : Tout en présentant le cœur du Christ comme la source des sacrements et de la grâce, il propose que cette contemplation devienne une relation d’amitié, une rencontre personnelle d’amour. (106)

Recueillons maintenant l’essentiel du message laissé par les trois premières figures de sainteté, celles du 17ème siècle : François de Sales, Marguerite-Marie Alacoque et Claude de La Colombière, sans oublier saint Jean Eudes qui, le premier, fit approuver par l’évêque de Rennes la célébration de la fête du cœur adorable de Jésus-Christ. La France, nous le constatons, a joué un rôle éminent et unique dans la propagation du culte du Sacré-Cœur au sein de l’Eglise universelle. Dans le contexte d’une morale rigoriste et d’une religiosité de simple observance (114), François de Sales a mis en avant la dévotion comme une invitation à la relation personnelle où chaque personne se sent unique devant le Christ, prise en compte dans sa réalité irremplaçable, pensée par le Christ et valorisée de manière directe et exclusive (115). Les enseignements essentiels du saint Docteur se résument dans la sainte simplicité, le parfait abandon et « un amour de parfaite et très absolue confiance » (117). De 1673 à 1675 Jésus a révélé l’amour de son cœur à Marguerite-Marie. Le cœur du message transmis par le Christ est le suivant : Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’Il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour… Il me découvrit les merveilles inexplicables de son pur amour, et jusqu’à quel excès il l’avait porté, d’aimer les hommes, dont Il ne recevait que des ingratitudes et méconnaissances. Enfin le jésuite Claude de La Colombière, profondément nourri par la méditation des Evangiles et la contemplation du mystère du Christ dans les Exercices spirituels, a permis une juste compréhension de la révélation du Cœur de Jésus faite à Marguerite Marie. En effet certaines expressions de sainte Marguerite-Marie mal comprises pourraient conduire à une trop grande confiance dans les sacrifices et offrandes personnels. (126). C’est dans une prière composée par saint Claude que nous percevons l’importance de l’abandon et de la confiance en Jésus :

Que les uns attendent leur bonheur ou de leurs richesses, ou de leurs talents ; que les autres s’appuient ou sur l’innocence de leur vie, ou sur la rigueur de leurs pénitences, ou sur le nombre de leurs aumônes, ou sur la ferveur de leurs prières, […] pour moi, Seigneur, toute ma confiance, c’est ma confiance même : cette confiance ne trompe jamais personne […]. Je suis donc assuré que je serai éternellement heureux, parce que j’espère fermement de l’être, et que c’est de vous, ô mon Dieu, que je l’espère.