dimanche 17 août 2025

20ème dimanche du temps ordinaire / année C / 2025

 17/08/2025

Luc 12, 49-53

49 Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé !

50 Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli !

Dans les deux premiers versets de l’Evangile de ce dimanche Jésus partage à ses disciples un désir et une nécessité qui habitent son cœur. Son désir profond est de voir allumé le feu qu’il est venu apporter sur la terre. Il est impatient de le voir allumé. Dans les Evangiles l’image du feu est généralement négative : il s’agit du feu de la Géhenne. Certaines interprétations de ce verset ont voulu y voir un feu matériel, une espèce de catastrophe cosmique ou encore la bombe atomique qui détruirait la terre par le feu comme autrefois l’eau du déluge avait submergé la terre. Rien n’est plus inexact que cette interprétation. Il suffit pour s’en convaincre de se référer à deux autres passages du Nouveau Testament. Le premier au chapitre 9 du même Evangile : Souvenez-vous de cet épisode au cours duquel Jacques et Jean ont l’intention de faire tomber le feu du ciel sur un village de Samaritains qui ne veut pas accueillir Jésus (Luc 9, 54) … Le Maître refuse catégoriquement cette vengeance punitive consistant à réduire en cendres ce village par un feu matériel et destructeur. Au chapitre 13 de l’Apocalypse nous avons la vision des deux bêtes, créatures sataniques et remplies de blasphèmes. Voici ce qui est dit de la deuxième bête :

Puis, j’ai vu monter de la terre une autre Bête ; elle avait deux cornes comme un agneau, et elle parlait comme un dragon. Elle exerce tout le pouvoir de la première Bête en sa présence, amenant la terre et tous ceux qui l’habitent à se prosterner devant la première Bête, dont la plaie mortelle a été guérie. Elle produit de grands signes, jusqu’à faire descendre le feu du ciel sur la terre aux yeux des hommes : elle égare les habitants de la terre par les signes qu’il lui a été donné de produire en présence de la Bête…

Le feu dont parle Jésus est tout le contraire d’un feu matériel destructeur ou d’un feu matériel de type prodige visant à impressionner les humains. C’est en mettant ce feu de Jésus en lien avec le feu de la Pentecôte que nous comprenons qu’il s’agit bien d’une image, comparable à celle des langues de feu quand l’Esprit Saint descendit sur la première Eglise : feu de l’amour du cœur du Christ, feu du Saint-Esprit. Le désir de Jésus signifie ceci : l’amour de Dieu nous a été donné, encore faut-il qu’il soit accueilli sur notre terre, allumé dans nos cœurs. Le désir de Jésus signifie qu’il attend avec impatience de notre part une réponse d’amour à son amour. Notre lenteur à nous convertir, notre tiédeur dans l’amour de Dieu et du prochain, notre ingratitude sont autant d’obstacles que nous opposons à ce que le feu de l’amour divin soit déjà allumé en nous. Ce désir de Jésus n’a qu’un but : réveiller notre ferveur et notre zèle. Si son cœur est brulant d’amour et que le nôtre s’est refroidi, alors son feu risque de ne pas porter de fruits en nous …

Après ce désir Jésus exprime une nécessité qui s’impose à lui : Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli ! Cela nous rappelle le verset du même Evangile que le pape François a choisi pour sa lettre apostolique consacrée à la formation liturgique du peuple de Dieu : J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ! Car je vous le déclare : jamais plus je ne la mangerai jusqu’à ce qu’elle soit pleinement accomplie dans le royaume de Dieu. Le Seigneur Jésus sait qu’il doit monter à Jérusalem pour y souffrir sa Passion et la mort de la Croix. Au commencement de sa mission il a demandé à Jean le baptême de l’eau. Au terme de sa mission il sera plongé dans le baptême de sang de sa Passion. Dans cet intervalle de temps le cœur de Jésus est rempli d’angoisse ou, selon d’autres traductions : Et combien je suis oppressé jusqu’à ce que cette immersion soit accomplie ! Comme si Jésus avait hâte d’arriver au terme de sa vie terrestre, comme s’il avait hâte de pouvoir prononcer sur la croix la parole de l’accomplissement : Tout est accompli ! Dans le chapitre suivant de l’Evangile selon saint Luc Jésus nous donne un éclairage supplémentaire sur cette angoisse qui habite son cœur jusqu’au temps de l’accomplissement : À ce moment-là, quelques pharisiens s’approchèrent de Jésus pour lui dire : « Pars, va-t’en d’ici : Hérode veut te tuer. » Il leur répliqua : « Allez dire à ce renard : voici que j’expulse les démons et je fais des guérisons aujourd’hui et demain, et, le troisième jour, j’arrive au terme. Mais il me faut continuer ma route aujourd’hui, demain et le jour suivant, car il ne convient pas qu’un prophète périsse en dehors de Jérusalem.

Nous comprenons le lien entre le verset du désir et celui de la nécessité. Sans le baptême de la Passion qui doit s’accomplir à Jérusalem, pas de don de l’Esprit Saint au jour de la Pentecôte. C’est dans son baptême de sang que Jésus apportera pour toujours le feu de son amour divin sur notre terre et c’est l’Esprit Saint qui allumera ce feu dans nos cœurs si nous répondons généreusement au don de cet amour dans l’action de grâce.

 

vendredi 15 août 2025

Assomption de Marie 2025

Si le Nouveau Testament nous parle de l’Ascension de Jésus, rien de tel pour l’Assomption de sa mère, Marie. Ce point de notre foi est le fruit d’une réflexion de la tradition théologique. L’Evangile de l’Assomption est donc celui de la Visitation. Il est alors intéressant de se demander pour quelle raison l’Eglise a choisi cet épisode de la vie de Marie pour nous introduire au mystère de son Assomption. La note dominante du récit de la Visitation est bien la joie. Joie de Jean dans le sein de sa mère Elisabeth, joie d’Elisabeth et enfin joie de Marie :

Lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi.

D’où me vient ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ?

Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur !

La joie dont Marie est comblée et qu’elle répand autour d’elle lui vient de sa maternité et du fait qu’elle est pleine de grâce. Jésus, avant même sa naissance, agit dans le sein de sa mère et l’Esprit Saint préside à la rencontre de la Visitation. Au terme de sa vie terrestre Marie, dans le mystère de son Assomption, est parfaitement établie dans la joie de Dieu. La joie annoncée et goûtée au moment de la Visitation s’accomplit alors pour toujours dans son être tout entier, corps et âme, dans la béatitude du Royaume. Le magnifique chant du Magnificat qui concentre en lui les trésors de la spiritualité d’Israël est un chant que Marie peut reprendre dans sa Pâque, lorsqu’elle est parfaitement et définitivement assumée par la puissance de l’amour de Dieu Sauveur. De ce point de vue le Magnificat n’est pas seulement une expression de la joie et de l’espérance du croyant en pèlerinage sur cette terre, il est aussi le chant de l’aboutissement de ce pèlerinage qui est la joie même de Dieu répandue avec surabondance dans le cœur des saints et des saintes. Oui, Marie, désormais tous les âges te diront bienheureuse car tu participes la première à la gloire de la résurrection de ton Fils. Dans la traduction de Le Maistre de Sacy Marie commence ainsi son Magnificat : « Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit est ravi de joie en Dieu mon Sauveur ». L’Assomption accomplit ce ravissement de Marie en Dieu et par Dieu. Les paroles de Marie dans le Magnificat semblent être une prophétie du Royaume et de la fin des temps, un désir, une espérance davantage qu’une réalité : Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides.

Notre expérience humaine semble démentir ces paroles de Marie. Les puissants restent sur leur trône et font sentir leur pouvoir en opprimant les humbles, même s’il leur arrive d’être renversés ou tout simplement de mourir. Les riches sont toujours plus riches tandis que la pauvreté est de plus en plus visible, pas seulement ailleurs mais aussi dans notre pays. Bref notre monde est douloureusement marqué par l’injustice et le mal, souffrant de l’arrogance des superbes qui se croient tout permis et se placent au-dessus des lois. Dans certains cas particuliers les paroles de Marie se vérifient, mais l’ordre général du monde demeure à l’opposé de l’esprit du Magnificat. La joie de Marie dans le mystère de son Assomption, c’est l’anticipation du règne de la justice de Dieu, du règne de la sainteté. Elle sait que les paroles qu’elle a prononcées sous l’inspiration de l’Esprit, alors qu’elle était une jeune fille de Nazareth, connue de Dieu seul, et portant en elle le Fils bien-aimé du Père, elle sait que ces paroles s’accompliront dans le Royaume. La joie de Marie en son Assomption est bien celle de l’accomplissement du Royaume, donc du projet de Dieu pour toute sa création. Le récit de la Visitation nous donne les deux clés qui nous permettent d’entrer déjà, à l’exemple de Marie, dans la joie de Dieu, dans l’attente de l’accomplissement du Royaume : la foi et l’humilité.

Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur.

Il s’est penché sur son humble servante.

L’humble et petite Marie a eu une première joie, celle de l’accomplissement du message de Gabriel au moment de l’Annonciation. Au terme de sa vie terrestre elle perçoit dans une joie infiniment plus intense l’accomplissement du salut de Dieu par Celui qu’elle a mis au monde et contemplé, douloureuse, au pied de la croix, communiant maintenant à sa vie de Ressuscité :

Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père, après avoir anéanti, parmi les êtres célestes, toute Principauté, toute Souveraineté et Puissance. Car c’est lui qui doit régner jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. Et le dernier ennemi qui sera anéanti, c’est la mort.

 

dimanche 10 août 2025

19ème dimanche du temps ordinaire / année C / 2025

 10/08/2025

Luc 12, 32-48

Dimanche dernier nous avons entendu l’avertissement de Jésus, le verset 21 du chapitre 12 de l’Evangile selon saint Luc :

Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu.

En ce dimanche, avec la lecture suivie de l’Evangile selon saint Luc, Jésus revient sur ce point de son enseignement et le développe aux versets 33 et 34 :

Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumône. Faites-vous des bourses qui ne s’usent pas, un trésor inépuisable dans les cieux, là où le voleur n’approche pas, où la mite ne détruit pas. Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur.

Cette insistance du Seigneur pour nous mettre en garde contre la tentation de l’avidité et de l’avarice mérite qu’on s’y arrête. Si nous réfléchissons, nous nous rendons compte, au vu de l’expérience humaine au cours des siècles, que deux tentations principales habitent le cœur de tout homme depuis le péché des origines : celle du pouvoir et celle de l’accumulation sans fin des richesses. Très souvent les guerres, les divisions et la violence peuvent être reliées à l’une de ces tentations. Elles illustrent chacune à sa manière la vanité de l’homme qui n’est pas spirituel. Se sachant mortel, il veut se faire dieu par l’illusion du pouvoir et des richesses. Dans les deux cas il cherche à dominer ses semblables en oubliant la fraternité fondamentale instaurée par Dieu Père et Créateur. Nous comprenons bien que ces tentations vont de pair avec le péché capital d’orgueil. Elles causent non seulement la perte de celui qui s’y livre mais sont aussi à l’origine de la plupart des maux qui accablent l’humanité (cf. 1 Timothée 6, 10). C’est la raison pour laquelle Jésus n’a pas seulement mis en garde ses disciples contre l’avidité et l’appât du gain mais aussi contre cette soif de pouvoir qui dans son paroxysme aboutit aux dictateurs prêts à faire périr avec eux le monde tout entier plutôt que de renoncer à la vanité du pouvoir qu’ils croient avoir. N’oublions pas que la société fourmille aussi de petits dictateurs, tout aussi nuisibles pour leurs semblables et pour le bien commun. Jésus aborde cette question au chapitre 22 du même Evangile :

Les rois des nations les commandent en maîtres, et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se font appeler bienfaiteurs. Pour vous, rien de tel ! Au contraire, que le plus grand d’entre vous devienne comme le plus jeune, et le chef, comme celui qui sert.

Pour résister à cette double tentation du pouvoir et de l’argent Jésus nous donne plusieurs indications dans cette page évangélique.

En premier lieu le verset 32 qui est une invitation à la foi, à la confiance en Dieu : Sois sans crainte, petit troupeau : votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume. Nous ne pouvons pas être libres si nous vivons dans la peur. Bien souvent ceux qui mettent leur confiance dans le pouvoir et dans l’argent tentent ainsi de calmer la peur de la mort en se créant une personnalité. Ils se divinisent eux-mêmes au lieu d’accueillir la grâce du Christ qui seule peut les diviniser jusque dans la vie du Royaume. Ils oublient que tout pouvoir véritable n’appartient qu’à Dieu et que Dieu ne se comporte jamais en dictateur. Son unique pouvoir consiste en effet à donner la vie et à aimer. Deuxième indication pour résister à la tentation de l’avidité : elle est toute simple, il s’agit de l’aumône. Donner pour ne pas être esclave de ses richesses. Le Seigneur n’hésite pas dans ce contexte à utiliser le vocabulaire de la banque et de l’épargne. Le seul capital que nous emporterons dans notre tombe, c’est celui de l’aumône, capital indestructible car inscrit non pas dans les ordinateurs de nos banques mais dans le cœur de Dieu. Luttons donc courageusement contre le mal de l’avidité en lui opposant son contraire qui est la générosité. En Luc 11, 41 Jésus nous dit : Donnez plutôt en aumône ce que vous avez, et alors tout sera pur pour vous. Enfin Jésus nous donne comme un proverbe, précieux par sa profonde vérité : Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur. Cela signifie clairement que si nous mettons notre trésor (traduisons : ce qui est le plus important pour nous, nos priorités) dans le pouvoir et les richesses, Dieu devient secondaire, au mieux un ornement de notre vie entièrement captive de nos ambitions terrestres, donc de la vanité.

[Cela donne la raison du contenu de deux versets particulièrement clairs des Evangiles :

Il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux.

Et celui-ci que nous entendrons le 21 septembre :

Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. ]

 

 

 

dimanche 3 août 2025

18ème dimanche du temps ordinaire / année C / 2025

 3/08/2025

Luc 12, 13-21

Gardez-vous bien de toute avidité, car la vie de quelqu’un, même dans l’abondance, ne dépend pas de ce qu’il possède.

Dans l’Evangile de ce dimanche le Seigneur nous met en garde contre une tentation qui habite le cœur de tout homme, celle qui consiste à accumuler sans aucune limite les richesses et les biens matériels. L’avidité va très souvent de pair avec le péché capital de l’avarice. On se souvient peut-être d’une déclaration d’un ministre de l’économie qui, en 2015, incitait les jeunes à devenir milliardaires… « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires ». Cela en dit long sur sa vision de la jeunesse, du bonheur et de la réussite. La très grande majorité des jeunes français n’a aucune envie de devenir milliardaire. Ils veulent juste vivre heureux et épanouis dans leur travail et dans leur vie affective et relationnelle. Ce qu’ils désirent, c’est une vie digne, une vie qui vaille le coup d’être vécue. Le ministre projetait alors son manque d’idéal personnel sur la jeunesse… Dans le livre de Qohélet dont nous avons entendu un passage dans la première lecture le sage nous décrit bien le mécanisme de l’avidité, un mécanisme qui rend malheureux celui qui en est prisonnier :

Voici un homme seul, sans personne, ni frère ni fils, qui travaille à n’en plus finir, toujours avide de plus de richesses. Il ne se demande pas : « Mais pour qui travailler ainsi en me privant de bonheur ? » C’est encore de la vanité, une besogne de malheur. […] Qui aime l’argent n’a jamais assez d’argent, et qui aime l’abondance ne récolte rien. Cela aussi n’est que vanité. Plus il y a de richesses, plus il y a de profiteurs. Que va en retirer celui qui les possède, sinon un spectacle pour ses yeux ? Le travailleur dormira en paix, qu’il ait peu ou beaucoup à manger, alors que, rassasié, le riche ne parvient pas à dormir.

La petite histoire que nous raconte Jésus illustre bien tous les soucis et les tracas de celui qui est trop riche, qui vit dans la surabondance : Il se demandait : “Que vais-je faire ? Car je n’ai pas de place pour mettre ma récolte.” Cet homme a déjà tout le nécessaire et même davantage pour « jouir de l’existence », mais il n’en jouit même pas, tout préoccupé qu’il est de construire de nouveaux entrepôts pour pouvoir accumuler ses trop grandes richesses. Il parle au futur mais le présent le rattrape avec sa propre mort. Derrière l’avidité il y a la conviction que l’argent nous donne le pouvoir et la maitrise sur toutes choses. Il y a la divinisation de l’argent qui prend la place de Dieu. Or, nous prévient Jésus, la vie de quelqu’un, même dans l’abondance, ne dépend pas de ce qu’il possède. Et puis peut-on se contenter d’avoir comme idéal de « jouir de l’existence » ? Il est bon de savoir profiter des bons moments que la vie nous offre, ils sont rares et précieux. Mais il peut y avoir le danger de ne vivre que pour soi, la tentation de l’égoïsme qui va souvent de pair avec l’avidité. Une autre histoire aurait pu être celle de l’homme riche de la parabole. Se contenter de ses greniers déjà bien remplis, et au lieu d’en construire de plus grands, il aurait pu donner le surplus de ses richesses aux pauvres et aux nécessiteux. Et la phrase du ministre aurait pu être la suivante : « Il faut des jeunes Français qui aient envie d’être généreux et de partager leurs talents, leurs dons et leurs biens avec les autres ». Dans son homélie sur cet Evangile saint Basile de Césarée s’adresse ainsi à l’homme riche en pointant du doigt son avarice : « Tu ne connais qu’une parole : Je n’ai rien, je ne donnerai rien, car je suis pauvre. Oui, tu es pauvre, tu ne possèdes aucun bien : tu es pauvre d’amour, pauvre de bonté, pauvre de foi en Dieu, pauvre d’espérance éternelle ». Tel est le malheur de celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu. Dans cette perspective nous comprenons mieux l’appel de Paul dans la deuxième lecture : Si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre. Ici aucun mépris de notre vie terrestre et de ses exigences. Il s’agit seulement de mettre chaque chose à sa juste place. Il s’agit de résister par notre orientation croyante vers les réalités d’en haut à la tyrannie de l’avidité et de l’avarice qui appauvrissent l’horizon de notre vie humaine et nous rendent malheureux. Le psaume de ce dimanche nous fait faire cette belle prière :

Apprends-nous la vraie mesure de nos jours : que nos cœurs pénètrent la sagesse.

L’oraison de la messe de dimanche dernier nous indique parfaitement dans quel esprit nous pouvons recevoir l’enseignement de Jésus sur la richesse. Il s’agit bien pour nous, en nous laissant conduire par Dieu, de faire un bon usage des biens qui passent et de nous attacher à ceux qui demeurent. Seuls ces derniers ne sont pas marqués par la vanité des biens qui passent.

 

 

 

dimanche 20 juillet 2025

16ème dimanche du temps ordinaire / année C

 20/07/2025

Luc 10, 38-42

Dans l’Evangile de Jésus chez Marthe et Marie saint Luc nous peint un petit tableau particulièrement vivant. On imagine aisément la scène. Marthe, voulant offrir un excellent repas à son hôte de marque, ne cesse de courir entre la cuisine et la salle à manger, accaparée par les multiples occupations du service. Sa sœur, Marie, immobile, se tient auprès de Jésus et écoute sa parole. L’une est debout, en mouvement, et veut nourrir Jésus, l’autre est assise, calme, et veut se nourrir de la parole de Jésus. Il ne s’agit pas tant d’opposer les deux sœurs que de réfléchir à ce que signifie l’hospitalité, accueillir une personne lors d’un repas. Pourquoi le Seigneur peut-il dire que Marie a choisi la meilleure part ?

Accueillir chez soi une personne à l’occasion d’un repas, c’est toujours bien plus que donner à manger et à boire. Dans notre humanité le repas n’a pas seulement une fonction organique, redonner force et énergie au corps qui réclame son carburant. Le repas a une fonction sociale : il est l’occasion d’établir (ou pas) des liens, des relations. Il permet des échanges à travers les conversations des uns avec les autres. La qualité de la nourriture proposée est une chose, la qualité des relations qu’un repas permet en est une autre. En témoignent deux versets du livre des Proverbes :

Mieux vaut un plat de légumes servi avec amour que du veau gras et de la haine. (15, 17)

Mieux vaut du pain sec, et la paix, qu’une salle de banquet pleine de discorde. (17, 1)

Marie a choisi la meilleure part parce que son accueil de Jésus se fait attention à ce qu’il est, écoute de sa parole. Je peux bien participer à un banquet succulent, mais si je suis laissé de côté, ignoré, ce banquet deviendra pour moi un supplice et je n’aurais qu’une envie, c’est qu’il se termine au plus vite. Nous avons tous vécu cette situation pénible. L’art du repas pour les humains, c’est essentiellement l’art de la relation et de l’échange. L’hôte n’est pas seulement celui à qui on veut offrir des mets succulents, il est surtout celui de qui on peut recevoir. Dans un repas il ne s’agit pas seulement de donner, mais de se rendre disponible pour recevoir la richesse de l’autre. C’est l’attitude de Marie. En recevant la parole de Jésus, en l’écoutant, elle lui fait le don de sa disponibilité et de son ouverture.

La première lecture nous montre que Dieu est présent dans nos repas, et ce n’est pas un hasard si Jésus a choisi la forme d’un repas pour le sacrement de l’eucharistie. Même si nous n’avons pas la possibilité comme Marthe et Marie d’accueillir à nos tables le Jésus de chair, la lettre aux Hébreux nous fait comprendre que l’hospitalité donnée en particulier à des inconnus peut être une véritable visite de Dieu, une parole de Dieu qui nous est adressée :

Que demeure l’amour fraternel ! N’oubliez pas l’hospitalité : elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges.

A l’histoire d’Abraham et de Sara dans la Genèse correspond un beau mythe dans les Métamorphoses du poète latin Ovide. Au livre VIII Ovide nous raconte l’histoire de Philémon et de Baucis, un vieux couple, humble et pauvre, qui accueillent chez eux, sans le savoir, Jupiter et Mercure, se promenant incognito sur terre pour se faire une idée de la moralité des mortels. Ils furent déçus car « dans mille maisons ils se présentèrent, demandant un endroit où se reposer ; dans mille maisons on ferma les verrous ». Seul un pauvre couple de vieillards les accueille. Et Ovide de noter que, pendant la préparation de l’humble repas, Philémon et Baucis « charment par leurs entretiens les instants qui séparent encore leurs hôtes du repas et s’efforcent de leur épargner l’ennui de l’attente ». Après avoir décrit la simplicité du menu offert aux visiteurs, le poète écrit : A tout cela s’ajoute ce qui vaut mieux encore, des visages bienveillants et un accueil qui ne sent ni l’indifférence ni la pauvreté. Le récit s’achève par la punition des voisins qui ont refusé d’accueillir chez eux les divins voyageurs. Tandis que leurs belles maisons sont englouties par les flots, la maison de Philémon et Baucis, « cette vieille cabane, trop petite même pour ses deux maitres, se change en un temple ». Cette belle histoire célèbre l’hospitalité comme une vertu divine. A l’instar du récit de Marthe et Marie, elle nous enseigne comment recevoir nos hôtes avec des visages bienveillants, pratiquant un accueil qui ne sent ni l’indifférence ni la pauvreté, même si le repas est simple et frugal, dans le don essentiel de l’écoute. L’attitude de Marie qui a choisi la meilleure part lors d’un repas terrestre n’est-elle pas celle que nous sommes invités à faire notre lors du repas de l’eucharistie ?

dimanche 29 juin 2025

SAINTS PIERRE ET PAUL 2025 / DILEXIT NOS 10

 29 /06/2025

En cette solennité des saints Pierre et Paul nous méditons la cinquième et dernière partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « Amour pour amour ».

Avec cette méditation nous parvenons à la fin de ce cycle de catéchèses sur le Sacré-Cœur. Dans le dernier chapitre de Dilexit nos le pape François nous donne un magnifique enseignement sur la notion de « réparation » (181-204), en s’appuyant fortement sur les enseignements de Jean-Paul II. La réparation offerte au Cœur du Christ a un double aspect : social et personnel. Dans le paragraphe intitulé « La réparation : construire sur les ruines » le pape développe, en citant Jean-Paul II, le sens social de cette pratique spirituelle :

La civilisation du Cœur du Christ pourra être bâtie sur les ruines accumulées par la haine et la violence en nous abandonnant à ce Cœur. Cela implique certainement que nous soyons capables de joindre l’amour filial envers Dieu à l’amour du prochain.

Jean-Paul II avait mis en lumière les structures de péché qui s’opposent gravement à la civilisation de l’amour. Qu’est-ce donc qu’une structure de péché ? Elle se caractérise par la répétition de péchés graves contre le prochain, répétition favorisée par une organisation sociale, politique et commerciale mauvaise en elle-même : La répétition de ces péchés contre les autres finit souvent par renforcer une « structure de péché » nuisant au développement des peuples. Au n°182 le pape définit avec grande clarté la réparation dans son aspect social :

Avec le Christ, nous sommes appelés à construire une nouvelle civilisation de l’amour sur les ruines que nous avons laissées en ce monde par notre péché. Telle est la réparation que le Cœur du Christ attend de nous. Au milieu du désastre laissé par le mal, le Cœur du Christ veut avoir besoin de notre collaboration pour reconstruire le bien et le beau.

Dans ce contexte qui met en avant l’amour évangélique du prochain le pape souligne l’importance pour chaque chrétien de « se reconnaître fautif et de demander pardon », donc la centralité de la vertu d’humilité. Le fidèle qui acquiert par la grâce de Dieu la bonne habitude de reconnaître ses péchés et de demander pardon au prochain offensé, comme nous le rappelle le Notre Père, inverse la tendance naturelle qui consiste à « être indulgent avec soi-même et inflexible avec les autres ». Ainsi « on devient ferme avec soi-même et miséricordieux avec les autres ». La pratique sociale de la réparation est inséparable d’une profonde spiritualité. Au n°184, le pape remarque :

La réparation chrétienne ne peut être comprise uniquement comme un ensemble d’œuvres extérieures, bien qu’indispensables et parfois admirables. Elle exige une mystique, une âme, un sens qui leur donne force, élan et créativité inlassables. Elle a besoin de la vie, du feu et de la lumière qui procèdent du Cœur du Christ.

Cette citation nous sert de transition pour aborder maintenant l’aspect personnel et proprement spirituel de la réparation qui nous engage « dans une relation encore plus directe avec le Cœur du Christ ». Dans le paragraphe « La réparation : un prolongement pour le Cœur du Christ » le pape choisit comme guide sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et son offrande à l’Amour divin. Il pose d’abord le fondement d’une saine compréhension de la réparation :

Puisque le Seigneur tout-puissant, dans sa liberté divine, a voulu avoir besoin de nous, la réparation se comprend comme une libération des obstacles que nous mettons à l’expansion de son amour dans le monde, par notre manque de confiance, de gratitude et de don de soi.

La révolution opérée par la petite Thérèse dans son cheminement spirituel a consisté à voir avant toutes choses en Dieu un Père miséricordieux et non pas un juge. Et pour elle il ne faisait aucun doute que la Justice même (et peut-être encore plus que toute autre) me semble revêtue d’amour ». Le pape décrit très bien ce changement de perspective aux n°195-196 :

Cette insistance sur la justice divine conduit finalement à penser que le sacrifice du Christ est incomplet ou partiellement efficace, ou que sa miséricorde n’est pas assez grande. […] Avec son intuition spirituelle, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus découvre qu’il existe une autre façon de s’offrir selon laquelle il n’est pas nécessaire de satisfaire la justice divine mais de permettre à l’amour infini du Seigneur de se répandre sans entrave. C’est la raison pour laquelle Thérèse dans son acte d’offrande s’offre non pas à la justice divine mais à l’Amour miséricordieux.

Concluons cette dernière méditation avec ces paroles du pape François qui nous appelle à retrouver la beauté de la réparation comme dévotion agréable au Cœur de Jésus :

Sœurs et frères, je propose que nous développions cette forme de réparation qui consiste, en définitive, à offrir au Cœur du Christ une nouvelle possibilité de répandre en ce monde les flammes de son ardente tendresse… Le chemin le plus approprié est que notre amour donne au Seigneur une possibilité de s’étendre en échange de toutes ces fois où il a été rejeté ou nié. Cela se produit en allant au-delà de la simple “consolation” au Christ dont nous avons parlé dans le chapitre précédent, et se traduit par des actes d’amour fraternel par lesquels nous guérissons les blessures de l’Église et du monde. De cette manière, nous offrons de nouvelles expressions de la puissance restauratrice du Cœur du Christ.

dimanche 22 juin 2025

SAINT SACREMENT 2025 / DILEXIT NOS 9

 22 /06/2025

En cette solennité du Saint Sacrement nous méditons la cinquième et dernière partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « Amour pour amour ». Dans ce chapitre le pape montre comment la dévotion au Sacré-Cœur conduit le croyant à « l’engagement communautaire et missionnaire ». La révélation faite à sainte Marguerite-Marie nous permet de comprendre la signification profonde de la parole de Jésus en croix : « J’ai soif ». D’une part le Seigneur révèle sa douleur causée par notre ingratitude et d’autre part sa soif d’être aimé par nous. Le titre du chapitre « amour pour amour » provient des paroles de Marguerite-Marie et sera plus tard repris par Charles de Foucauld :

« Je reçus de mon Dieu des grâces excessives de son amour, et me sentis touchée du désir de quelque retour, et de lui rendre amour pour amour ».

Les numéros 167-171 de l’encyclique montrent comment nous pouvons passer de l’ingratitude qui fait souffrir le Christ à la gratitude à travers notre amour pour les frères, un amour que Charles de Foucauld proclamera universel dans la lignée de l’Evangile. Ecoutons le pape : Nous devons revenir à la Parole de Dieu pour reconnaître que la meilleure réponse à l’amour de son cœur est l’amour pour nos frères. Il n’y a pas d’acte plus grand que nous puissions offrir pour Lui rendre amour pour amour. La Parole de Dieu le dit avec une totale clarté… L’amour pour les frères ne se fabrique pas, il n’est pas le résultat de notre effort naturel mais il exige une transformation de notre cœur égoïste. C’est alors que surgit spontanément la célèbre supplique : “Jésus, rends notre cœur semblable au tien”. C’est pour cette même raison que l’invitation de saint Paul n’est pas : “Efforcez-vous de faire de bonnes œuvres”. Son invitation est plus précisément : « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus » (Ph 2, 5).

Aux numéros 169-170 le pape fait une réflexion historique fort intéressante sur la grande nouveauté que constituait dans l’Empire romain l’amour universel des frères incluant beaucoup de pauvres, d’étrangers et autres laissés-pour-compte qui trouvaient auprès des chrétiens respect, affection et attention. Les premiers chrétiens, minoritaires dans l’Empire romain, ont accompli les paroles de leur Maître et Seigneur : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres qu’ils reconnaitront que vous êtes mes disciples » (Jean 13-35). Cette parole de Jésus s’est effectivement réalisée comme le montre la réaction de l’empereur Julien qui pendant son bref règne (360-363) a tenté de restaurer la vieille religion romaine traditionnelle. Son projet était de transposer dans la religion polythéiste les œuvres de charité chrétiennes :

Cela explique le raisonnement de l’empereur apostat Julien qui se demandait pourquoi les chrétiens étaient si respectés et suivis, et qui pensait que l’une des raisons était leur engagement dans l’assistance des pauvres et des étrangers, puisque l’Empire les ignorait et les méprisait. Il était intolérable pour cet empereur que ses pauvres ne reçoivent aucune aide de sa part, alors que les chrétiens détestés, « en plus de nourrir les leurs, nourrissent encore les nôtres ». Dans une lettre, il ordonna de créer des institutions caritatives pour rivaliser avec les chrétiens et attirer le respect de la société… Mais il n’atteignit pas son objectif, probablement parce qu’il n’y avait pas derrière ces œuvres l’amour chrétien qui permet de reconnaître à toute personne une dignité unique.

La grande nouveauté chrétienne qui a interpellé l’empereur Julien, fortement attaché au paganisme et à la culture gréco-latine, est celle de « la reconnaissance de la dignité de toute personne, aussi et surtout de ces personnes qualifiées d’indignes ». L’honnêteté exige de préciser que cette nouveauté chrétienne n’est pas absolument nouvelle. Elle trouvait en effet des appuis dès le 1er siècle chez les Stoïciens et en particulier chez Sénèque qui enseignait par exemple la pleine humanité des esclaves. Au n°170 le pape affirme combien ce principe nouveau dans l’histoire de l’humanité […] a changé la face du monde en donnant naissance à des institutions qui s’occupent des personnes en situation défavorisée.

Enfin au n°171 le pape enseigne que la contemplation amoureuse du cœur du Christ blessé par amour pour nous nous conduit à une plus grande charité envers tous les souffrants de notre monde :

Regarder la blessure du cœur du Seigneur qui « a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies » nous aide à être plus attentifs aux souffrances et aux besoins des autres, nous rend assez forts pour participer à son œuvre de libération en tant qu’instruments de diffusion de son amour. 

 

dimanche 15 juin 2025

TRINITE 2025 / DILEXIT NOS 8

 

15 /06/2025

En cette solennité de la Sainte Trinité nous méditons la quatrième partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « L’amour qui donne à boire ». Dimanche dernier nous avons parlé des saints français du 17ème siècle qui ont contribué à propager la dévotion au Sacré-Cœur. Les numéros 129 à 142 de l’encyclique présentent la contribution de deux autres saints français : Charles de Foucauld et Thérèse de l’Enfant Jésus. Charles de Foucauld se consacra au Sacré-Cœur en 1889 et il fut le premier ermite de l’Eglise « sous le nom du Sacré-Cœur ». Au n°138 le pape François cite longuement un extrait de la lettre 197 de Thérèse à sa sœur Marie, en ajoutant que cette page devrait être lue mille fois pour sa profondeur, sa clarté et sa beauté :

Mes désirs du martyre ne sont rien, ce ne sont pas eux qui me donnent la confiance illimitée que je sens en mon cœur. Ce sont, à vrai dire, les richesses spirituelles qui rendent injuste, lorsqu’on s’y repose avec complaisance et que l’on croit qu’ils sont quelque chose de grand. [...] Ce qui plaît au bon Dieu, c’est de me voir aimer ma petitesse et ma pauvreté, c’est l’espérance aveugle que j’ai en sa miséricorde… Voilà mon seul trésor. [...] Si vous désirez sentir de la joie, avoir de l’attrait pour la souffrance, c’est votre consolation que vous cherchez […]. Comprenez que pour aimer Jésus, être sa victime d’amour, plus on est faible, sans désirs, ni vertus, plus on est propre aux opérations de cet Amour consumant et transformant. [...] Oh ! que je voudrais pouvoir vous faire comprendre ce que je sens !... C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour ». 

A la fin du quatrième chapitre le pape aborde « la dévotion de la consolation » (n°151-163) en s’appuyant sur une lettre encyclique du pape Pie XI publiée en 1928 (Miserentissimus Redemptor). Le pape François distingue « la consolation » de la « réparation » dont il traite dans le dernier chapitre. Ces deux réalités spirituelles nous sont devenues presque étrangères, et elles peuvent aussi nous apparaitre comme des pratiques étranges, venues d’un autre âge. D’où l’importance de comprendre le message du pape qui, avec beaucoup de pédagogie, les propose à nouveau à notre vie spirituelle. Il commence sagement par les fondements de la consolation, fondements qui se trouvent dans l’unité du mystère pascal et dans sa dimension transcendante :

Le cœur du Ressuscité conserve ces signes du don total qui entraîna une intense souffrance pour nous. Il est donc en quelque sorte inévitable que le croyant veuille réagir non seulement à ce grand amour, mais aussi à la douleur que le Christ a accepté d’endurer pour tant d’amour (151). Le Pape Pie XI a voulu justifier cela en nous invitant à reconnaître que le mystère de la Rédemption par la Passion du Christ transcende, par la grâce de Dieu, toutes les distances de temps et d’espace (153).

La pratique de la consolation du cœur du Christ peut se comprendre dans la mesure où nous sommes rendus « mystiquement présents à ce moment rédempteur de la Passion ». Au n°155 le pape énonce l’objection que beaucoup de croyants peuvent faire à cette dévotion particulière : Quoi qu’il en soit, nous nous demandons comment il est possible d’être en relation avec le Christ vivant, ressuscité, pleinement heureux, et en même temps de le consoler dans sa Passion. Si le Christ ressuscité est parfaitement bienheureux dans la vie de la Sainte Trinité, comment est-il possible de le « consoler » ? Pascal répondrait que le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point… Et le pape reconnaît avec franchise qu’il y a là quelque chose de mystérieux qui dépasse notre logique humaine, et que la Passion du Christ n’est pas un simple fait du passé : nous pouvons y participer par la foi… et que nous nous trouvons sur un chemin mystique qui dépasse les tentatives de la raison et exprime ce que la Parole de Dieu elle-même nous suggère…

A la fin du chapitre le pape associe à la consolation du cœur du Christ dans sa Passion la pratique de la componction (158-160), proche de celle de la contrition. Il en donne la définition suivante :

Le désir nécessaire de consoler le Christ, qui naît de la souffrance en contemplant ce qu’Il a enduré pour nous, se nourrit aussi de la reconnaissance sincère de nos servitudes, de nos attachements, de nos manques de joie dans la foi, de nos vaines recherches et, au-delà de nos péchés concrets, de la non correspondance de nos cœurs à son amour et à son projet. 

La componction du cœur n’a rien à voir avec la culpabilité qui abat ou le scrupule qui paralyse :

Il ne s’agit pas de pleurer sur nous-mêmes, comme nous sommes souvent tentés de le faire. [...] Avoir des larmes de componction c’est au contraire nous repentir sérieusement d’avoir attristé Dieu par le péché ; c’est reconnaître que nous sommes toujours en dette et jamais en crédit [...]. Comme la goutte creuse la pierre, les larmes creusent lentement les cœurs endurcis. On assiste ainsi au miracle de la tristesse, de la bonne tristesse, qui conduit à la douceur [...]. La componction n’est pas tant le fruit de notre exercice, mais elle est une grâce et, comme telle, doit être demandée dans la prière. 

En consolant le Christ par amour pour lui et dans la gratitude pour le grand don de sa vie et de sa personne nous recevons à notre tour sa consolation dans nos épreuves et nos difficultés. Et de là nous sommes poussés à exercer la charité fraternelle. C’est de cette manière que le pape opère la transition entre le chapitre IV (l’expérience spirituelle personnelle) et le chapitre V (l’engagement communautaire et missionnaire) :

162. Mais à un moment donné de cette contemplation du cœur croyant, l’appel dramatique du Seigneur doit retentir : « Consolez, consolez mon peuple » (Is 40, 1). Et nous viennent à l’esprit les paroles de saint Paul qui nous rappelle que Dieu nous console « afin que, par la consolation que nous-mêmes recevons de Dieu, nous puissions consoler les autres en quelque tribulation que ce soit » (2 Co 1, 4).

 

dimanche 8 juin 2025

PENTECOTE 2025 / DILEXIT NOS 7

 

8 /06/2025

En cette solennité de la Pentecôte nous méditons la quatrième partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « L’amour qui donne à boire ». Au n°91 le pape annonce clairement le contenu des deux derniers chapitres de sa lettre encyclique : le 4ème traite de l’expérience spirituelle personnelle tandis que le 5ème et dernier aborde l’engagement communautaire et missionnaire. Dans la partie « L’amour qui donne à boire » le pape réalise une synthèse de la doctrine spirituelle du culte du Sacré-Cœur en partant des Ecritures et en parcourant la tradition spirituelle dans toute sa richesse et sa variété sans oublier l’apport spécifique des jésuites. Il fait résonner plus particulièrement la parole et l’enseignement de 5 figures de sainteté dans la période allant du 17ème   au 20ème siècle : François de Sales, Marguerite-Marie Alacoque, Claude de la Colombière, Charles de Foucauld et enfin Thérèse de l’Enfant Jésus. Avant de mettre en lumière le cœur des enseignements de ces figures de sainteté, une synthèse rapide s’impose pour la partie biblique, patristique ainsi que pour la période médiévale et monastique (n° 92-113). A partir des images bibliques de l’eau les Pères de l’Eglise ont vu dans « la source ouverte » de Zacharie « le côté blessé de Jésus-Christ ». C’est en effet « dans la fontaine débordante de la Croix » que les promesses divines s’accomplissent. Dans un premier temps les Pères de l’Eglise « ont mentionné la blessure du côté de Jésus comme l’origine de l’eau de l’Esprit : la Parole, sa grâce et les sacrements qui la communiquent (102). » A cette compréhension sacramentelle du côté transpercé de Jésus s’est ajoutée à partir de saint Augustin mais surtout avec saint Bernard l’image de la poitrine du Christ comme « symbole de l’union intime avec lui, comme lieu de la rencontre d’amour » (103). L’expérience de l’amour infini du Christ dans la révélation de son cœur, loin de se limiter à la célébration des sacrements, exige du fidèle « une relation directe avec le Christ en demeurant dans son cœur » (108). Saint Bonaventure a réalisé la synthèse entre ces deux lignes spirituelles autour du cœur du Christ, la ligne ecclésiale-sacramentelle et celle de l’expérience spirituelle personnelle du croyant : Tout en présentant le cœur du Christ comme la source des sacrements et de la grâce, il propose que cette contemplation devienne une relation d’amitié, une rencontre personnelle d’amour. (106)

Recueillons maintenant l’essentiel du message laissé par les trois premières figures de sainteté, celles du 17ème siècle : François de Sales, Marguerite-Marie Alacoque et Claude de La Colombière, sans oublier saint Jean Eudes qui, le premier, fit approuver par l’évêque de Rennes la célébration de la fête du cœur adorable de Jésus-Christ. La France, nous le constatons, a joué un rôle éminent et unique dans la propagation du culte du Sacré-Cœur au sein de l’Eglise universelle. Dans le contexte d’une morale rigoriste et d’une religiosité de simple observance (114), François de Sales a mis en avant la dévotion comme une invitation à la relation personnelle où chaque personne se sent unique devant le Christ, prise en compte dans sa réalité irremplaçable, pensée par le Christ et valorisée de manière directe et exclusive (115). Les enseignements essentiels du saint Docteur se résument dans la sainte simplicité, le parfait abandon et « un amour de parfaite et très absolue confiance » (117). De 1673 à 1675 Jésus a révélé l’amour de son cœur à Marguerite-Marie. Le cœur du message transmis par le Christ est le suivant : Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’Il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour… Il me découvrit les merveilles inexplicables de son pur amour, et jusqu’à quel excès il l’avait porté, d’aimer les hommes, dont Il ne recevait que des ingratitudes et méconnaissances. Enfin le jésuite Claude de La Colombière, profondément nourri par la méditation des Evangiles et la contemplation du mystère du Christ dans les Exercices spirituels, a permis une juste compréhension de la révélation du Cœur de Jésus faite à Marguerite Marie. En effet certaines expressions de sainte Marguerite-Marie mal comprises pourraient conduire à une trop grande confiance dans les sacrifices et offrandes personnels. (126). C’est dans une prière composée par saint Claude que nous percevons l’importance de l’abandon et de la confiance en Jésus :

Que les uns attendent leur bonheur ou de leurs richesses, ou de leurs talents ; que les autres s’appuient ou sur l’innocence de leur vie, ou sur la rigueur de leurs pénitences, ou sur le nombre de leurs aumônes, ou sur la ferveur de leurs prières, […] pour moi, Seigneur, toute ma confiance, c’est ma confiance même : cette confiance ne trompe jamais personne […]. Je suis donc assuré que je serai éternellement heureux, parce que j’espère fermement de l’être, et que c’est de vous, ô mon Dieu, que je l’espère.

 

dimanche 1 juin 2025

Septième dimanche de Pâques / DILEXIT NOS 6

1er /06/2025

En ce 7ème dimanche de Pâques nous méditons la troisième partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « Voici le cœur qui a tant aimé ». Dans cette partie le pape insiste fortement sur l’union entre l’amour humain et divin du Christ dans le mystère de son incarnation. La vraie dévotion au Sacré-Cœur de Jésus nous préserve d’une spiritualité désincarnée, d’un nouveau gnosticisme faisant l’apologie d’une spiritualité « sans chair ». D’où la nécessité de comprendre l’amour de Jésus pour les hommes comme « un amour sensible » (n°59-63). Ecoutons le pape au n°60 :

60. Le Fils éternel de Dieu, qui me transcende infiniment, a aussi voulu m’aimer avec un cœur humain. Ses sentiments humains deviennent le sacrement d’un amour infini et définitif. Son cœur n’est donc pas un symbole physique qui n’exprimerait qu’une réalité purement spirituelle ou séparée de la matière. Un regard tourné vers le Cœur du Seigneur contemple une réalité physique, sa chair humaine qui permet au Christ d’avoir des émotions et des sentiments bien humains, comme nous, quoi qu’entièrement transformés par son amour divin. La dévotion doit atteindre l’amour infini de la personne du Fils de Dieu, mais nous devons dire que cet amour est inséparable de son amour humain, et nous sommes aidés en cela par l’image de son cœur de chair.

La contemplation du cœur du Christ nous révèle un triple amour (n°64-69) : « Tout d’abord, l’amour divin infini qui se trouve dans le Christ », ensuite « la dimension spirituelle de l’humanité du Seigneur », et enfin « le symbole de son amour sensible ». Le croyant est capable de percevoir l’unité de ces trois amours, « les liens très étroits qui existent entre l’amour sensible du cœur physique de Jésus et son double amour spirituel, l’humain et le divin ».

La dernière partie du chapitre III s’intitule « approfondissement et actualité » (n°82-91). Le pape part d’une interprétation historique de la révélation du Cœur de Jésus à sainte Marguerite-Marie au 17ème siècle, interprétation faite par Jean-Paul II :

Plus récemment, saint Jean-Paul II a présenté le développement de ce culte au cours des siècles passés comme une réponse à la croissance de formes de spiritualités rigoristes et désincarnées qui oubliaient la miséricorde du Seigneur, mais aussi comme un appel actuel à un monde qui cherche à se construire sans Dieu (n°80).

Pour le pape François « le Sacré-Cœur est une synthèse de l’Evangile » : « Devant le Cœur du Christ il est possible de revenir à la synthèse incarnée de l’Évangile ». C’est en s’imprégnant de cette synthèse évangélique que les croyants pourront se préserver des maladies du rigorisme janséniste, qualifié par Pie XII de « faux mysticisme », et du « transcendantalisme trompeur ». La maladie janséniste, déformation du christianisme authentique, est décrite de la manière suivante au n°86 :

La dévotion au Sacré-Cœur était difficile à comprendre pour de nombreux jansénistes qui méprisaient tout ce qui était humain, affectif, corporel, et qui considéraient en fin de compte que cette dévotion nous éloigne de la pure adoration du Dieu du Très-Haut. Pie XII qualifia de « faux mysticisme » cette attitude élitiste de certains groupes qui voyaient Dieu tellement haut, tellement séparé, tellement distant, qu’ils considéraient les expressions sensibles de la piété populaire comme dangereuses et nécessitant un contrôle ecclésiastique.

Enfin au n°88 le pape montre comment la dévotion au Sacré-Cœur peut nous libérer d’un autre dualisme (le jansénisme, nous l’avons compris, reposait sur le dualisme chair/esprit) :

Le dualisme des communautés et des pasteurs qui se concentrent uniquement sur les activités extérieures, les réformes structurelles dépourvues d’Évangile, les organisations obsessionnelles, les projets mondains, les réflexions sécularisées, les propositions qui se présentent comme des prescriptions que l’on veut parfois imposer à tous. Il en résulte souvent un christianisme qui oublie la tendresse de la foi, la joie du dévouement au service, la ferveur de la mission de personne à personne, la fascination pour la beauté du Christ, la gratitude passionnée pour l’amitié qu’Il offre et pour le sens ultime qu’Il donne à la vie. Il s’agit d’une autre forme de transcendantalisme trompeur, tout aussi désincarné.

C’est avec une référence à la spiritualité de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus que le pape conclut la troisième partie de Dilexit nos :

« À moi, écrit Thérèse, Il a donné sa Miséricorde infinie, et c’est à travers elle que je contemple et adore les autres perfections Divines » C’est pourquoi la prière la plus populaire, adressée comme une flèche au Cœur du Christ, dit simplement : « J’ai confiance en toi ». Aucune autre parole n’est nécessaire. 

jeudi 29 mai 2025

Ascension du Seigneur / année C / DILEXIT NOS 5

 

29/05/2025

En cette solennité de l’Ascension du Seigneur nous méditons la troisième partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « Voici le cœur qui a tant aimé ». Ecoutons d’abord l’introduction que le pape donne à sa riche réflexion sur le culte du Sacré-Cœur dans l’Eglise :

48. La dévotion au Cœur du Christ n’est pas le culte d’un organe séparé de la personne de Jésus. Nous contemplons et adorons Jésus-Christ tout entier, le Fils de Dieu fait homme, représenté dans une image où son cœur est mis en évidence. Le cœur de chair est considéré comme l’image ou le signe privilégié du centre le plus intime du Fils incarné et de son amour à la fois divin et humain car, plus que tout autre membre de son corps, il est « signe ou symbole naturel de son immense charité ». 

A plusieurs reprises le pape met en lumière la finalité de la dévotion au cœur du Christ. Il s’agit toujours de vivre plus intensément « une relation d’amitié et d’adoration avec la personne du Christ » (49) qui nous « appelle à une précieuse amitié faite de dialogue, d’affection, de confiance et d’adoration » (51). Il s’agit toujours dans la vénération du Sacré-Cœur d’entretenir avec le Christ « une relation personnelle de rencontre et de dialogue… dans la confiance » (54).

Le paragraphe intitulé « L’adoration du Christ » clarifie le rapport entre le culte du Sacré-Cœur et l’adoration du Christ. Il faut éviter à tout prix la dérive qui consisterait à chosifier le cœur du Christ comme un organe séparé :

Nous ne l’adorons pas isolément mais dans la mesure où, avec ce Cœur, c’est le Fils incarné lui-même qui vit, aime et reçoit notre amour. Par conséquent, tout acte d’amour ou d’adoration envers son Cœur « s’adresse en réalité au Christ Lui-même », puisqu’il renvoie spontanément à Lui et qu’il est « le symbole et l’image expresse de l’amour infini de Jésus-Christ ». 

Au n°49 le pape introduit une riche réflexion sur ce que signifie vénérer l’image du Sacré-Cœur, réflexion développée ensuite dans le paragraphe intitulé « la vénération de son image ». Le débat sur le rôle des images saintes dans l’Eglise est ancien. Il remonte à la crise opposant les iconoclastes et les iconodules, crise résolue par le concile de Nicée II en 787, mais qui resurgit au 16ème siècle lors de la Réforme protestante avec en arrière-fond l’interdiction de l’image dans l’Ancien Testament : Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre (Exode 20). Voici comment le pape clarifie la notion de vénération de l’image du Sacré-Cœur :

Nous vénérons cette image qui le représente, mais l’adoration ne s’adresse qu’au Christ vivant, dans sa divinité et dans toute son humanité, afin de nous laisser étreindre par son amour humain et divin. (49)

55. Le cœur a la particularité d’être perçu non pas comme un organe séparé mais comme un centre intime unificateur et donc comme expression de la totalité de la personne, ce qui n’est pas le cas des autres organes du corps humain. Puisqu’il est le centre intime de la totalité de la personne, et donc une partie représentant le tout, il serait facile de le dénaturer en le contemplant séparément de la figure du Seigneur. L’image du cœur doit nous renvoyer à la totalité de Jésus-Christ en son centre unificateur et, simultanément à partir de ce centre unificateur, elle nous doit nous amener à contempler le Christ dans toute la beauté et la richesse de son humanité et de sa divinité.

Enfin la vénération du Cœur du Christ a un fondement anthropologique évident puisque le symbole du cœur fait écho à « une expérience humaine universelle qui rend cette image unique ». L’Eglise s’appuie en même temps sur la « force symbolique unique » et universelle de l’image du cœur, toujours liée à l’amour, et à la vérité du mystère de l’incarnation (Jésus nous a aimés avec un cœur véritablement humain) pour proposer aux fidèles la vénération du Sacré-Cœur. Au n°57 le pape met à sa juste place l’image dans le contexte de la vénération, elle est « une figure incitative », radicalement différente de la présence eucharistique du Christ :

Il ne s’agit ici que d’une image nous invitant à aller au-delà, nous incitant à élever notre cœur jusqu’à celui du Christ vivant, et à l’unir à lui ; alors que l’Eucharistie est présence réelle devant être adorée. L’image vénérée convoque, indique et porte, afin de nous faire passer du temps dans la rencontre avec le Christ et dans son adoration, comme il nous semble le mieux de l’imaginer. En regardant l’image, nous nous mettons face au Christ et, devant Lui, « l’amour se fixe, contemple le mystère, en profite en silence ».

L’image du Cœur de Jésus, comme toutes les images saintes, n’est qu’un moyen, une aide dans la dévotion. C’est toujours la réalité divine invisible que notre cœur cherche à contempler et à aimer à travers l’ombre de l’image visible, image dans laquelle nous ne devons jamais mettre notre confiance comme le rappelle le concile de Trente. Bref le but du culte du Sacré-Cœur et de la vénération de son image est toujours le développement d’une précieuse amitié avec le Christ faite de dialogue, d’affection, de confiance et d’adoration » (51).

dimanche 25 mai 2025

Sixième dimanche de Pâques / année C / DILEXIT NOS 4

 

25/05/2025

En ce 6ème dimanche de Pâques nous méditons la deuxième partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ. Cette partie nous fait passer de la philosophie aux Evangiles. Il s’agit de contempler les gestes et les paroles d’amour de Jésus, des gestes, un regard et des paroles qui reflètent son cœur : 32. Le Cœur du Christ, symbole du centre personnel d’où jaillit son amour pour nous, est le noyau vivant de la première annonce. Là se trouve l’origine de notre foi, la source qui donne vie aux convictions chrétiennes.

La vérité du mystère de l’Incarnation fait que Jésus, Verbe de Dieu, révèle Dieu non seulement par des paroles mais aussi et d’abord par des gestes : 33. Le Christ n’a pas voulu beaucoup nous expliquer son amour pour nous, mais Il l’a manifesté par ses gestes. Nous sommes les siens, ses frères en humanité, et il nous propose l’appartenance réciproque des amis. Son autre nom, Emmanuel, « Dieu avec nous », est tout un programme de vie et de mission. De fait à travers ses gestes de compassion, de tendresse et de guérison le Christ montre que Dieu est proximité, compassion et tendresse. Ce qui s’est passé de manière limitée dans le temps historique de l’Incarnation dans un lieu précis et au milieu d’un peuple particulier continue maintenant de manière universelle alors que le Christ est ressuscité, dans la gloire bienheureuse de la Sainte Trinité : Ce même Jésus attend aujourd’hui que tu lui donnes la possibilité d’éclairer ton existence, de t’élever, de te remplir de sa force… Il trouve toujours un moyen de se manifester dans ta vie pour que tu puisses le rencontrer.

On pourrait ajouter à la méditation du pape que les gestes du Christ historique ont leur continuation et actualisation dans les gestes sacramentels. Le Ressuscité nous touche encore aujourd’hui par les sacrements de l’Eglise.

Le regard du Christ dans les Evangiles manifeste la qualité de l’attention qu’il prête à tous et à chacun, la densité de ses relations avec les hommes qu’il croise sur son chemin ou qu’il appelle à sa suite. Quant aux paroles de Jésus elles confirment qu’il est vraiment homme. Les sentiments font partie de sa personne et cela jusqu’au trouble intérieur dans le temps de sa Passion. Le pape cite le merveilleux appel de Jésus en Matthieu 11, 28 : Il nous appelle à entrer là où nous pouvons retrouver des forces et la paix : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi, je vous soulagerai ». Saint Paul qui a connu le bouleversement de la conversion par la rencontre avec le Ressuscité sur le chemin de Damas a exprimé la beauté de sa relation avec le Christ par une formule saisissante : « Il m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi ». Enfin il est significatif qu’à trois reprises le pape mentionne la difficulté que nous pouvons avoir dans nos relations avec les autres (difficulté à faire confiance, sentiment d’être ignoré et de ne pas compter aux yeux d’autrui, manque de reconnaissance). A chaque fois le pape François oppose à ces difficultés la présence amoureuse et attentive du Ressuscité. Cela vaut la peine d’écouter ces trois passages qui nous invitent à la confiance totale en Jésus donc en Dieu et qui nous rappellent aussi que nous voulons en tant que chrétiens plaire à Dieu davantage qu’aux hommes, que c’est le regard de Dieu sur nous qui est déterminant et non pas le jugement des hommes…

37. Alors qu’il nous est difficile de faire confiance, du fait que nombre de mensonges, d’agressions et de déceptions nous ont blessés, Jésus nous murmure à l’oreille : « Aie confiance, mon enfant » (Mt 9, 2) … Nous pouvons douter de beaucoup de monde, mais pas de Lui. 

40. Lorsque nous avons l’impression que tout le monde nous ignore, que personne ne s’intéresse à ce qui nous arrive, que nous n’avons d’importance pour personne, Il nous prête attention. 41. C’est justement parce qu’Il est attentif à nous qu’Il est capable de reconnaître chaque bonne intention, chaque bonne petite action que nous faisons… Jésus est attentif de telle sorte qu’Il admire les choses bonnes qu’Il reconnaît en nous… Qu’il est beau de savoir que si les autres ignorent nos bonnes intentions ou les choses positives que nous faisons, Jésus ne les ignore pas, au contraire Il les admire.

dimanche 18 mai 2025

Cinquième dimanche de Pâques / année C / DILEXIT NOS 3

 

18/05/2025

En ce 5ème dimanche de Pâques nous continuons la méditation de la première partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ. Les réflexions du pape sont d’une grande beauté et profondeur et il m’est difficile de les synthétiser. Dans la partie intitulée le cœur qui assemble les fragments (17-23) nous pouvons retenir trois enseignements précieux sur notre propre cœur. Il est tout d’abord capacité relationnelle. Je cite le n°18 :

18. Nous voyons ainsi que, dans le cœur de chaque personne, il existe ce lien paradoxal entre la valorisation de soi et l’ouverture à l’autre, entre la rencontre très personnelle avec soi-même et le don de soi à l’autre. Je ne deviens moi-même que lorsque j’acquiers la capacité de reconnaître l’autre, et que je rencontre l’autre qui peut reconnaître et accepter mon identité.

Si le cœur me constitue comme personne unique dans ma relation avec les autres, c’est aussi lui qui me permet de relier entre eux les fragments de ma vie et de leur donner un sens. Au n°19 le pape cite l’attitude de Marie :

19. Le cœur est également capable d’unifier et d’harmoniser l’histoire personnelle, qui semble fragmentée en mille morceaux mais où tout peut avoir un sens. C’est ce que l’Évangile exprime avec Marie qui regardait avec le cœur. Elle savait dialoguer avec les expériences conservées en y réfléchissant dans son cœur, en leur donnant du temps, les méditant et les conservant intérieurement pour se souvenir.

Enfin le cœur comme capacité d’amour est ce qui réalise au plus intime de chacun de nous l’unité de l’âme et du corps, le noyau intime qui rend possible l’animal spirituel que nous sommes :

21. Le noyau de tout être humain, son centre le plus intime, n’est pas le noyau de l’âme mais de toute la personne dans son identité unique qui est à la fois âme et corps. Tout s’unifie dans le cœur qui peut être le siège de l’amour avec la totalité de ses composantes spirituelles, émotionnelles et même physiques. En définitive, si l’amour y règne, la personne réalise son identité de manière pleine et lumineuse, car tout être humain a été créé avant tout pour l’amour, il est fait dans ses fibres les plus profondes pour aimer et être aimé.

Dans les numéros 24 à 31 de la première partie le pape nous fait percevoir les conséquences à la fois spirituelles et sociales de la vision du cœur qu’il vient d’exposer. Dans le domaine de la spiritualité il évoque l’expérience des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola dans lesquels les « motions » laissent la place à « l’inconnu du cœur », dans l’ouverture à l’inattendu de la volonté de Dieu ; il cite ensuite saint Bonaventure qui incitait les fidèles à demander « non pas la lumière mais le feu », et enfin saint John Henry Newman, grand penseur, qui mettait en avant l’expérience de la prière personnelle et de l’Eucharistie :

Le lieu de la rencontre la plus profonde, avec lui-même et avec le Seigneur, n’était pas la lecture ou la réflexion, mais le dialogue priant, cœur à cœur avec le Christ vivant et présent. C’est pourquoi Newman a trouvé dans l’Eucharistie le Cœur de Jésus-Christ vivant, capable de libérer, de donner un sens à chaque instant et de répandre en l’homme une paix véritable.

Toutes ces réflexions contribuent à revivifier la théologie chrétienne qui a pu bien des fois être présentée de façon desséchante de par son formalisme rationnel pour nous inviter à faire de « la théologie à genoux », expression par laquelle le pape François rend hommage à la pensée de son prédécesseur Benoît XVI. On pourrait à nouveau citer Blaise Pascal mais aussi plus proche de nous Maurice Zundel qui ont fortement contribué à la synthèse vivante entre théologie et spiritualité. Enfin « prendre le cœur au sérieux a des conséquences sociales ». Dans la pensée du pape François, fidèle en cela à l’Evangile, il n’y a pas d’un côté la spiritualité et de l’autre l’engagement pour la promotion de la doctrine sociale de l’Eglise. L’anthropologie du cœur unit ces dimensions de notre être chrétien que nous aurions tendance à séparer. Je cite le pape au n°28 :

28. Ce n’est qu’à partir du cœur que nos communautés parviendront à unir leurs intelligences et leurs volontés, et à les pacifier pour que l’Esprit nous guide en tant que réseau de frères ; car la pacification est aussi une tâche du cœur. Le Cœur du Christ est extase, il est sortie, il est don, il est rencontre. En Lui, nous devenons capables de relations saines et heureuses les uns avec les autres et de construire le Royaume de l’amour et de la justice dans ce monde. Notre cœur uni à celui du Christ est capable de ce miracle social.

C’est par une prière que s’achève la première partie de l’encyclique :

Devant le Cœur du Christ, je demande au Seigneur d’avoir à nouveau compassion pour cette terre blessée qu’Il a voulu habiter comme l’un de nous. Qu’Il répande les trésors de sa lumière et de son amour, afin que notre monde, qui survit au milieu des guerres, des déséquilibres socioéconomiques, du consumérisme et de l’utilisation antihumaine de la technologie, puisse retrouver ce qui est le plus important et le plus nécessaire : le cœur.

dimanche 4 mai 2025

Troisième dimanche de Pâques / année C/ DILEXIT NOS 2

 


4/05/2025

En ce 3ème dimanche de Pâques nous continuons la méditation de la première partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ. Dans cette partie introductive qui propose une réflexion à la fois philosophique et anthropologique sur l’importance du cœur le pape nous exhorte à « revenir au cœur ». Il fait sien un concept du philosophe et sociologue polonais Zygmunt Bauman qui décrit la société dans laquelle nous vivons comme un monde liquide. Voici comment ce monde est décrit au n°9 :

Nous évoluons dans des sociétés de consommateurs en série vivant au jour le jour, dominés par les rythmes et les bruits de la technologie, et qui n’ont pas une grande patience pour accomplir les processus que l’intériorité requiert. Dans la société actuelle, l’être humain « risque de perdre le centre, le centre de lui-même ». « L’homme contemporain est souvent perturbé, divisé, presque privé d’un principe intérieur qui crée l’unité et l’harmonie de son être et de son agir » … Le cœur fait défaut.

Le pape relève que la dévalorisation du centre intime de l’homme – du cœur- n’est cependant pas une nouveauté. Dès la philosophie grecque antique, fortement rationaliste, le cœur a été oublié et de manière générale il n’a guère de place dans la grande pensée philosophique occidentale. Les concepts fondamentaux de notre tradition philosophique héritée des Grecs et des Romains sont la raison, la volonté et la liberté. Le pape aurait pu citer une exception notable avec le grand génie que fut Blaise Pascal et qui donne dans ses Pensées une indéniable valeur au cœur. Ecoutons ces citations significatives des Pensées : Nous connaissons la vérité non seulement par la raison, mais encore par le cœur. C’est sur les connaissances du cœur qu’il faut que la raison s’appuie. Ceux qui croient par le cœur sont bien heureux. C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. La foi, c’est Dieu sensible au cœur. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Par rapport à l’oubli du cœur et à la survalorisation de la raison dans la tradition occidentale le pape note : il semblerait que la réalité la plus intime soit aussi la plus lointaine de la connaissance… Si le cœur est dévalorisé, alors parler avec le cœur, agir avec le cœur, mûrir et prendre soin du cœur est également dévalorisé. Il est donc nécessaire de « revenir au cœur » qui fait partie des « mots originels » et qui est « important pour la philosophie et la théologie qui cherchent à réaliser une synthèse ». Au n°14 le pape affirme « je suis mon cœur ». Le cœur opère une synthèse entre d’une part mon individualité, ma personnalité unique, « mon identité spirituelle », et d’autre part ma capacité d’entrer en relation avec les autres, mon ouverture à la « communion avec les autres ». C’est la raison pour laquelle il faut affirmer que nous avons un cœur, que notre cœur coexiste avec les autres cœurs qui l’aident à être un “tu”. Ce qui est en nous le plus intime non seulement nous permet d’être en communion avec les autres (qui me constituent aussi en tant que personne dans la relation), mais ce cœur est aussi ce qui me permet d’unifier mon être. Comme l’écrit le pape : Si le “cœur” nous conduit au plus profond de notre personne, il nous permet aussi de nous reconnaître dans notre globalité et pas seulement dans un aspect isolé. Dans ce contexte nous pouvons penser à un verset du psaume 85 : Montre-moi ton chemin, Seigneur, que je marche suivant ta vérité ; unifie mon cœur pour qu'il craigne ton nom. Concluons cette méditation avec les numéros 17 et 18 de l’encyclique : En même temps, le cœur rend possible tout lien authentique, car une relation qui n’est pas construite par le cœur ne peut pas surmonter le morcellement de l’individualisme. Deux monades qui se croiseraient pourraient seulement se maintenir, mais elles ne s’uniraient pas vraiment. L’anti-cœur est une société de plus en plus dominée par le narcissisme et l’autoréférence. Nous arrivons finalement à la “perte du désir”, parce que l’autre disparaît de l’horizon et nous nous enfermons dans notre égoïsme, incapables de relations saines. En conséquence, nous devenons incapables d’accueillir Dieu… Nous voyons ainsi que, dans le cœur de chaque personne, il existe ce lien paradoxal entre la valorisation de soi et l’ouverture à l’autre, entre la rencontre très personnelle avec soi-même et le don de soi à l’autre. Je ne deviens moi-même que lorsque j’acquiers la capacité de reconnaître l’autre, et que je rencontre l’autre qui peut reconnaître et accepter mon identité.