Matthieu
5, 1-12
29/01/17
Heureux
les doux : ils obtiendront la terre promise !
Chacune des Béatitudes s’adresse
aux hommes et aux femmes de notre temps pour leur indiquer les chemins du
bonheur avec Dieu. J’ai choisi pour vous la béatitude de la douceur car elle me
semble particulièrement significative pour notre société. Les sociétés européennes,
même si, pour la plupart, elles connaissent une certaine paix (toute relative, n’oublions
pas les conflits sociaux), sont pourtant des sociétés dures. Nous n’avons pas
besoin d’avoir fait des études de sociologie pour constater chaque jour la
tristesse qui habite nos sociétés. De nombreuses raisons peuvent expliquer le
mal être existentiel de l’homme européen. Nous vivons dans une société
paradoxale, mais en apparence seulement : malgré le bien-être matériel de
la plupart, c’est la tristesse qui règne. Il existe un phénomène encore plus
grave : c’est la dureté des lois économiques qui met en concurrence
impitoyable les membres de la société, qui les isole les uns des autres et même
les oppose. Nous sommes gouvernés non pas par ceux que nous élisons mais par le
dieu Argent qui impose les lois implacables et inhumaines du marché. Notre
société est donc fondamentalement marquée par la dureté, imposant à beaucoup le
travail du dimanche, le travail de nuit, l’ubérisation
et la précarité des emplois, alors que les inégalités ne cessent d’augmenter. Notre
société est dure parce qu’elle tend ainsi à détruire toutes les relations humaines
au profit de la seule compétition économique. La famille est malmenée mais
aussi toutes les relations amicales et sociales. Tout cela isole de plus en
plus les personnes. Il suffit de constater à quel point l’habitude d’écouter de
la musique en permanence dans la rue et les transports en commun s’est répandue
tel un virus à cause de l’addiction aux smartphones. L’homme filaire s’est renfermé sur son petit univers personnel,
dépendant d’une machine et il souffre en silence. Il pourrait se débrancher,
couper le fil de son smartphone et retrouver sa liberté… pour vivre au rythme
des autres et de la réalité environnante.
C’est dans ce contexte de dureté et
de manque de bonheur que Jésus nous propose le baume de la douceur pour panser
nos plaies et nos blessures. Il se présente lui-même à nous comme doux et humble de cœur. Oui, bienheureux
sont les doux, car ils entrent en résistance pacifique par leurs comportements
et leurs choix de vie, radicalement opposés à la dureté de l’homme réduit à son
travail et à son rôle économique. Dans la Bible douceur et humilité sont
presque des synonymes, et saint Paul associe souvent l’humilité, la douceur et
la patience. La source de la vraie joie et de la libération est en effet un
cœur à l’image de celui de Jésus, un cœur doux et humble. Seule la puissance de
l’Esprit Saint peut former en nous un tel cœur. Car le fruit de l’Esprit est
amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et
maîtrise de soi. Le pape François affirmait qu’un chrétien, s’il n’est pas un révolutionnaire en ce temps, n’est pas
chrétien. Jésus nous confie la révolution de la douceur pour remettre un
peu de joie et de lumière au cœur d’un monde assoiffé de bonheur mais esclave.
Et il nous promet la terre promise, la
terre en héritage. Non pas bien sûr un territoire physique à posséder, mais
une terre spirituelle à recevoir dans la gratitude de la main du Père. Cette
révolution de la douceur implique aussi notre douceur envers la Terre qui nous
porte et nous nourrit. C’est l’urgence écologique. Nous nous sommes blessés
nous-mêmes à cause de notre cupidité, mais nous avons également blessé la
Terre. Cette révolution de la douceur exige que nous reconsidérions aussi nos
relations avec les autres vivants que sont les animaux. En tant que chrétiens
nous ne pouvons pas nous permettre de traiter les créatures vivantes comme des
objets à produire de la viande et de la richesse. Si nous entrons dans cette
dynamique de la douceur et de l’humilité, alors nous connaîtrons la joie
d’habiter la terre promise. Le psaume
94 en nous parlant du repos nous fait
percevoir ce qu’est cette terre promise. Entrer dans le repos promis par Dieu,
c’est accueillir dans la terre de notre cœur sa joie et sa paix, indissociables
de la présence du Ressuscité dans nos vies.
Venez
à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous
procurerai le repos.