Jean 11, 1-45
En relatant le récit de la résurrection de Lazare, saint
Jean fait le lien avec l’Evangile de dimanche dernier, celui de la guérison de
l’aveugle de naissance. Nous pouvons repérer au moins trois points communs
entre ces deux récits. Tout d’abord le mal (handicap ou maladie qui conduit à
la mort) doit servir à manifester l’action de Dieu en notre faveur ainsi que la
puissance et la gloire de Dieu révélées en Jésus-Christ. Ensuite le thème de la
lumière est présent : Jésus agit au nom de Dieu alors qu’il fait encore
jour et il est lui-même cette lumière. Les jours des ténèbres, ceux de la
Passion désormais toute proche, sembleront empêcher l’action de Dieu en tuant
Jésus. Enfin Jean donne très peu de place au récit du miracle en lui-même (ici
deux versets seulement !). L’évangéliste s’intéresse davantage à la
préparation et aux conséquences du miracle, et bien sûr à sa signification.
La
résurrection de Lazare est le dernier et le 7ème des miracles accomplis par
Jésus dans l’Evangile de Jean. Les spécialistes de cet Evangile appellent les
miracles qui y sont consignés des signes, car encore une fois c’est bien leur
signification qui est la plus importante, c’est-à-dire ce qu’ils révèlent du
plan de Dieu en notre faveur dans le cadre de la Nouvelle Alliance.
A
deux reprises le Seigneur affirme qu’il va accomplir ce dernier signe avant sa
Passion afin que ses disciples puissent croire en Lui. Et c’est bien la foi qui
est au centre de cette page d’Evangile. Et l’objectif de Jésus est atteint
puisque de nombreux Juifs crurent en lui. En même temps le dialogue entre le
Seigneur et Marthe, l’une des sœurs de Lazare, nous montre que la foi est aussi
une condition pour que le signe puisse être donné et reçu :
« Crois-tu cela ? », crois-tu vraiment que je suis l’envoyé du
Père et qu’en ma personne se trouve la vie divine ? Crois-tu que je suis
la résurrection et la vie pour tous ceux qui mettent leur foi en moi ? Et
Marthe de répondre en faisant une belle profession de foi : « Oui, tu
es le Messie, je le crois ; tu es le Fils de Dieu, celui qui vient dans le
monde ». La foi demeure toujours un acte libre de notre part. Les signes
nous sont donnés par Dieu pour nous aider à faire ce pas de la confiance en
Jésus. Mais aucun signe ne peut nous contraindre à croire. Et pour accueillir
les signes de Dieu il faut, à la manière de Marthe, être déjà disposé à la foi.
Il ressort de ce récit que l’acte de croire est à la fois une condition et une
conséquence du signe. « Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ».
Nous ne pouvons bien interpréter le signe divin que si quelque part nous sommes
déjà ouverts à la présence et à l’action de Dieu en notre monde.
Nous
pourrions peut-être penser : c’est bien beau tout cela, mais en quoi
sommes-nous concernés ? Nous n’avons pas vu de résurrection et nous n’en
verrons probablement jamais. En tant que chrétiens quels signes de Dieu
percevons-nous aujourd’hui ? Voilà la question à laquelle nous conduit ce
récit. Avant d’aller plus loin une allusion à l’Evangile de saint Luc me paraît
éclairante. C’est la conclusion de la parabole de Lazare (rien à voir avec
notre Lazare !) et du mauvais riche qui souffre loin de Dieu et qui prie
pour que ses frères vivants encore sur terre puissent se convertir. La réponse
d’Abraham est intéressante pour nous : « S’ils n’écoutent pas Moïse
et les prophètes, même avec la résurrection d’un mort on ne les convaincrait
pas ». Le premier signe de Dieu dans nos vies c’est donc sa Parole reçue
en Eglise. Et c’est à la lumière de cette Parole que nous comprenons les signes
des temps dont nous parle le Concile Vatican II. Hasard, destin,
fatalité ? Non, les événements de notre vie personnelle comme ceux du
monde peuvent devenir signes de Dieu si nous savons les accueillir en
chrétiens. Tout ce qui est positif nous pousse bien sûr à la louange et au
remerciement. Cependant même ce qui porte la marque du mal peut être signe de
Dieu pour nous. Les catastrophes naturelles et écologiques, nombreuses ces
derniers temps, ne sont pas des punitions de Dieu. Elles sont des signes qui
nous invitent à l’humilité et à la sagesse. Quand l’homme se croit
tout-puissant, la nature le ramène à la réalité de sa condition de créature
faible et limitée. Ces signes nous invitent à revoir nos modes de vie basés sur
le gaspillage et la surconsommation. Le spectacle navrant de ces hommes
politiques ou chefs d’Etat qui préfèrent mettre leur pays à feu et à sang
plutôt que de se retirer et de renoncer au pouvoir est la meilleure des leçons
de morale. Dieu nous donne un signe aussi à travers cela : nous devrions
être bien avertis des effets terriblement nocifs de la soif de pouvoir et de
domination, pas seulement au niveau politique mais aussi au niveau personnel
qui est le notre. C’est aussi le signe que lorsque la politique a oublié sa
noble raison d’être, le service du bien commun, elle peut déstabiliser des
peuples entiers. En France la montée de l’abstention aux élections est un
signe. Dieu peut très bien se servir ce de qui est qualifié comme un manque de
civisme pour remettre les hommes politiques devant leur responsabilité et la
dignité de leur mission. Mais ce signe sera-t-il entendu ? Le malheur de
beaucoup d’entre nous semble bien être le suivant : malgré les signes des
temps nous refusons de changer, et habituellement nous attendons qu’il soit
trop tard (une catastrophe, une crise mondiale ou une révolution) pour nous
poser les bonnes questions et retrousser enfin nos manches.
Nous
qui avons la grâce de croire en Jésus, nous savons, avec saint Paul, « que
pour ceux qui aiment Dieu, ceux qu’il a choisis et appelés, Dieu se sert de
tout pour leur bien ».