dimanche 21 juillet 2024

16ème dimanche du temps ordinaire / année B

 

21/07/2024

Marc 6, 30-34

Jésus fut saisi de compassion envers eux, parce qu’ils étaient comme des brebis sans berger.

L’image du berger et des brebis est très utilisée dans la tradition biblique pour nous parler des relations entre Dieu et ses créatures humaines, entre Dieu et l’humanité ou son peuple (l’image du troupeau). Jésus assume pleinement cette image en se présentant dans les Evangiles comme le bon berger ou le bon pasteur. Dans l’Evangile de ce dimanche le cœur de Jésus est rempli de compassion pour ses contemporains qui sont comme des brebis sans berger. Comme toujours l’image n’est qu’une image. Le berger terrestre, lui, ne se soucie de ses brebis que dans son propre intérêt, elles sont son gagne-pain et elles finiront à l’abattoir ! Ce n’est pas le cas évidemment du berger divin qui donne sa vie pour ses brebis. Il ne les exploite pas, il les aime et parce qu’il les aime il veut les sauver des dangers qui les menacent. Les hommes ont besoin de bergers mais pas de n’importe quels bergers ni dans n’importe quelles conditions ! Nous avons besoin de guides et d’exemples qui puissent nous inspirer et nous fortifier sur le chemin de notre vie. Jésus est l’unique berger parce qu’il est à la fois vrai Dieu et vrai homme, chemin qui nous conduit et nous unit à Dieu notre béatitude. Avec le berger divin nous n’avons rien à craindre car nous sommes confiés à l’amour même de Dieu. Les bergers ou les pasteurs dans l’Eglise, tous ceux qui à un titre ou un autre, sont des guides spirituels ne le sont que dans la mesure de leur fidélité au Christ, de leur union avec lui. Ces dernières années notre Eglise a été ébranlée par le scandale des abus sexuels commis par des pasteurs. Il faut bien comprendre que dans la plupart des cas ces abus sexuels n’ont été possible qu’en raison des abus d’autorité de la part de ces mêmes pasteurs. Pour le dire autrement c’est le viol des consciences qui a rendu possible le viol des corps au nom d’une conception dévoyée de l’obéissance. Si nous avons besoin de guides spirituels pour progresser sur le chemin de la foi, nous ne devons jamais renoncer à notre conscience et à notre liberté, fondements de notre dignité humaine. Le vrai pasteur, le guide spirituel authentique, n’asservit pas les personnes en les dominant ou en les subjuguant et cela pour sa propre gloire humaine ou ses propres fins. C’est tout le contraire qui est vrai. Le critère qui nous permet de reconnaître le pasteur et le guide qui agissent selon l’esprit du Christ, c’est qu’en l’écoutant et en le suivant nous grandissons en liberté, nous connaissons la libération apportée par le Christ, nous faisons l’expérience de sa compassion. Le gourou asservit les autres pour lui-même alors que le pasteur leur ouvre un chemin de libération en vue de leur communion avec Dieu. Dieu nous a voulus libres comme en témoigne ce verset du Siracide : C’est lui qui, au commencement, a créé l’homme et l’a laissé à son libre arbitre (15, 14). Si Jésus perçoit bien le besoin que nous avons d’avoir des pasteurs, des guides et des frères qui nous encouragent dans notre vie avec Dieu, il nous invite aussi à utiliser le don de notre liberté humaine. Nous devons être des adultes dans la foi et être capables de prendre par nous-mêmes des décisions pour notre vie comme en témoigne ce passage de l’Evangile selon saint Luc : Hypocrites ! Vous savez interpréter l’aspect de la terre et du ciel ; mais ce moment-ci, pourquoi ne savez-vous pas l’interpréter ? Et pourquoi aussi ne jugez-vous pas par vous-mêmes ce qui est juste ? Bref nous pouvons consulter nos pasteurs lorsque nous hésitons ou lorsque nous sommes dans le doute, mais n’oublions pas que la décision ultime nous appartient et qu’il s’agit bien de suivre notre conscience éclairée par la prière et par le Saint Esprit. Jésus nous le dit : nous sommes capables de juger par nous-mêmes de ce qui est juste. L’évêque, le prêtre, le supérieur de communauté, l’accompagnateur spirituel ne nous dispensent jamais de l’usage de notre liberté. Ils doivent au contraire nous encourager à faire les bons choix librement.

Pour conclure je citerai le concile Vatican II : La dignité de l’homme exige donc de lui qu’il agisse selon un choix conscient et libre, mû et déterminé par une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives ou d’une contrainte extérieure (Gaudium et Spes 17).

mardi 25 juin 2024

Solennité des saints apôtres Pierre et Paul

 

Saints Pierre et Paul 2024

Dans son étude consacrée au phénomène de société qu’est devenu le tatouage[1], le père Bertrand Monnier développe une réflexion intéressante sur le charisme propre aux deux apôtres que nous fêtons en ce dimanche :

Dans l’histoire de l’Eglise chrétienne, deux grandes tendances se sont ouvertes dès les premières années du christianisme avec les deux piliers que sont saint Pierre et saint Paul. […] Les deux piliers de l’Eglise chrétienne déploient deux dynamiques complémentaires : une dynamique structurelle (Pierre) et une dynamique missionnaire (Paul). Saint Pierre assure la construction d’une Eglise, avec un héritage bien particulier qui est devenu une tradition… Tout cela est organisé pour accompagner les communautés chrétiennes de manière efficace tant sur le plan matériel que spirituel. Et, conjointement à cela, la dynamique missionnaire de saint Paul a pour but d’annoncer la foi chrétienne à ceux qui ne la connaissent pas encore (ou qui ne la connaissent plus). C’est une dynamique d’aventure et d’ouverture aux autres cultures. […] Saint Pierre et saint Paul se sont querellés à propos de la manière de devenir chrétien. Puisque Jésus était juif, il était nécessaire pour saint Pierre que les païens se convertissent d’abord au judaïsme avant de devenir chrétiens. Mais pour saint Paul, il devait être possible pour les païens de devenir directement chrétiens, sans passer par les pratiques juives. […]  Dans une société où le christianisme est « exculturé », il est très compréhensible que la majorité des pratiquants se retrouvent dans le courant pétrinien. Il est plus rassurant, en effet, dans ce genre de situation, de rester « entre soi » autour de codes et de langages déjà connus. Cependant, cette situation a engendré un grand déséquilibre à la fin du 20ème siècle car le manque d’ouverture sur les autres cultures contemporaines a creusé un écart entre les communautés chrétiennes et les nouveaux courants plus actuels. Ainsi, tout ce qui procède de la culture contemporaine est largement ignoré des communautés chrétiennes. Cet écart culturel est la première et principale cause du déficit de vocations sacerdotales, et le manque de prêtres a élargi plus encore le fossé culturel puisque ces derniers n’ont pas pu faire autrement que d’assurer la mission pétrinienne en priorité afin de répondre aux besoins rituels immédiats.

Les apôtres Pierre et Paul ont donc reçu de Dieu deux charismes différents et complémentaires, tous les deux nécessaires pour que l’Eglise et les chrétiens puissent accomplir leur mission dans le monde d’aujourd’hui, tellement différent de celui de la première Eglise où la grande majorité des citoyens de l’Empire romain étaient religieux, polythéistes ou monothéistes. Quand les deux apôtres exhortent les chrétiens à vivre l’Evangile dans le concret de la vie ils se rejoignent. Et c’est cette harmonie de pensée que je voudrais mettre en valeur en guise d’ouverture. Je vous recommande la méditation du chapitre 12 de la lettre aux Romains, un chef d’œuvre de l’apôtre Paul. En voici un très beau passage que je cite ici de manière développée :

Que votre amour soit sans hypocrisie. Fuyez le mal avec horreur, attachez-vous au bien. Soyez unis les uns aux autres par l’affection fraternelle, rivalisez de respect les uns pour les autres. Ne ralentissez pas votre élan, restez dans la ferveur de l’Esprit, servez le Seigneur, ayez la joie de l’espérance, tenez bon dans l’épreuve, soyez assidus à la prière. Partagez avec les fidèles qui sont dans le besoin, pratiquez l’hospitalité avec empressement. Bénissez ceux qui vous persécutent ; souhaitez-leur du bien, et non pas du mal. Soyez joyeux avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent. Soyez bien d’accord les uns avec les autres ; n’ayez pas le goût des grandeurs, mais laissez-vous attirer par ce qui est humble. Ne vous fiez pas à votre propre jugement. Ne rendez à personne le mal pour le mal, appliquez-vous à bien agir aux yeux de tous les hommes. Autant que possible, pour ce qui dépend de vous, vivez en paix avec tous les hommes. Bien-aimés, ne vous faites pas justice vous-mêmes.  […] Mais si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire. […] Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien.

A cette exhortation de Paul répond de manière parfaite celle de Pierre dans sa première lettre :

Vous tous, enfin, vivez en parfait accord, dans la sympathie, l’amour fraternel, la compassion et l’esprit d’humilité. Ne rendez pas le mal pour le mal, ni l’insulte pour l’insulte ; au contraire, invoquez sur les autres la bénédiction, car c’est à cela que vous avez été appelés, afin de recevoir en héritage cette bénédiction. […] Honorez dans vos cœurs la sainteté du Seigneur, le Christ. Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous ; mais faites-le avec douceur et respect. Ayez une conscience droite, afin que vos adversaires soient pris de honte sur le point même où ils disent du mal de vous pour la bonne conduite que vous avez dans le Christ. (chapitre 3)



[1] Dieu est-il tatoué ? (2024)

mardi 11 juin 2024

10ème dimanche du temps ordinaire / année B

 

9/06/2024

Marc 3, 20-35

Après les solennités de la Sainte Trinité et du Saint Sacrement nous reprenons le rythme des dimanches du temps ordinaire avec la lecture de l’Evangile selon saint Marc en cette année liturgique B. Nous sommes encore dans les premiers chapitres de cet Evangile, au chapitre troisième. Jésus est entouré par la foule venue l’écouter. Comme assailli par une multitude de personnes, si bien qu’il n’était même pas possible de manger, précise l’évangéliste. Jésus attire donc à lui les foules et sa vie devient en quelque sorte entièrement publique. Plus de temps ni d’espace pour soi, si ce n’est de nuit, à l’aube pour la prière. On peut donc parler d’un succès de la prédication du Seigneur au commencement de sa vie publique. Mais ce succès inquiète et interroge. D’abord les siens, le gens de chez lui, qui n’hésitent pas à le juger sévèrement : Il a perdu la tête. Manière élégante de dire « il est devenu fou ». Nul n’est prophète dans son pays et encore moins dans sa famille. A la fin de notre page évangélique ce sont les membres de sa propre famille qui viennent le chercher pour le ramener à une vie plus calme et conforme à la raison. Entre Jésus et sa famille la foule des auditeurs fait en quelque sorte écran. Jésus échappe aux siens au profit de tous ces inconnus qui viennent l’écouter. C’est l’occasion pour lui de rappeler que les liens du sang n’ont pas d’importance à ses yeux et que la famille des enfants de Dieu qu’il vient rassembler est ouverte à tous pourvu que l’on cherche à faire la volonté du Père dans sa vie. Saint Jean traduira cet enseignement du Christ dans ces versets de son magnifique prologue : Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. Ils ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu.

Alors que sa famille tente de le ramener à la raison, les scribes quant à eux, venus spécialement de Jérusalem, l’accusent de connivence avec le démon ! Il est possédé par un esprit impur. De fou voilà que Jésus devient un possédé ! Succès auprès de foules, incompréhension et échec total auprès des siens et des spécialistes de la religion : le contraste est saisissant. L’accusation gravissime des scribes rappelle la voix du serpent de la Genèse accusant Dieu de mensonge et de tromperie : Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. Le succès de Jésus auprès des foules de Galilée inquiète les autorités de Jérusalem. Et c’est probablement la jalousie et l’envie qui les incitent à cette attaque frontale : traiter de démoniaque celui qui est envoyé par Dieu. Si Jésus continue dans cette voie, ils risquent bien de perdre et leur pouvoir et leur position. Jésus discerne dans cette tactique pour le discréditer un blasphème contre l’Esprit Saint. Face à l’évidence du bien qu’il est lui-même et qu’il fait au nom de Dieu, comment est-il possible de l’accuser de connivence avec les démons ? Il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Les scribes se sont aveuglés volontairement, et c’est là précisément le péché qui ne peut pas être pardonné. Ils sont ces guides aveugles que Jésus apostrophe en Matthieu 23. Peut-être que leur aveuglement vient du fait qu’ils se soucient davantage de préserver leur place et leur autorité que de rechercher la volonté de Dieu et de l’accomplir dans leur vie. Leur aveuglement sur la personne de Jésus et son œuvre provient de leur manque de communion réelle avec Dieu, celui qu’ils prétendent servir et défendre. Au lieu de rechercher le Royaume de Dieu et sa justice pour eux-mêmes, ils se sont institués en inquisiteurs, devenant une espèce de police religieuse qui, à force de vouloir débusquer des hérésies, en vient à blasphémer contre l’Esprit Saint ! Jésus, lui, ne cesse de nous appeler à la conversion du cœur. Ne perdons pas notre temps et notre énergie à épier et à juger la conduite des autres. Soyons vraiment spirituels et comprenons que le Royaume de Dieu est au-dedans de nous. 

dimanche 2 juin 2024

SAINT SACREMENT 2024

 


Prenez, ceci est mon corps ; Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. (Marc 14)

Le sang du Christ fait bien davantage, car le Christ, poussé par l’Esprit éternel, s’est offert lui-même à Dieu comme une victime sans défaut ; son sang purifiera donc notre conscience des actes qui mènent à la mort, pour que nous puissions rendre un culte au Dieu vivant. (Hébreux 9)

Les lectures bibliques que nous venons d’écouter en cette solennité du Saint Sacrement de l’eucharistie mentionnent la réalité de l’Alliance entre Dieu et nous. Dans cette Alliance c’est toujours Dieu qui est premier, qui prend l’initiative, qui appelle et invite, qui se donne. La messe ou l’eucharistie est le sacrement de l’Alliance nouvelle et éternelle instituée par le Christ médiateur d’une alliance nouvelle, d’un testament nouveau. C’est toujours l’amour du Christ à jamais vivant qui appelle et rassemble les chrétiens chaque dimanche pour la célébration du Saint Sacrement de l’eucharistie. Dans la deuxième lecture les fruits spirituels de l’offrande que Jésus fait de sa personne et de sa vie sont présentés en termes de libération et de purification :

De cette manière, il a obtenu une libération définitive.

Son sang purifiera donc notre conscience des actes qui mènent à la mort, pour que nous puissions rendre un culte au Dieu vivant.

En tant que sacrement de l’Alliance nouvelle l’eucharistie nous sanctifie et nous libère en nous donnant accès au salut de Dieu par le Christ dans l’Esprit. L’eucharistie est le sacrement de la communion non seulement avec Dieu par le Christ mais aussi de la communion entre nous dans l’Eglise. Le Saint Sacrement est le sacrement de l’unité qui fait mémoire de la personne du Christ donnée pour la multitude. Dans la célébration de l’eucharistie les vivants sont unis aux défunts, les hommes et femmes de ce temps aux générations qui nous ont précédées depuis l’aube des temps. L’eucharistie est bien le sacrement universel qui abolit les frontières de l’espace et du temps. La communion au Christ mort et ressuscité pour nous à travers les espèces du pain et du vin consacrés nous arrache à nos particularismes pour nous hisser au niveau de l’amour même de Dieu. Ce que saint Paul affirme de la grâce du baptême se vérifie aussi dans chaque célébration eucharistique vécue dans la foi et selon l’intention de l’Eglise : En effet, vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ; il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus.

Si l’eucharistie est d’abord le signe de l’amour de Dieu qui nous précède et nous appelle, elle suscite toujours notre réponse libre de croyants qui, ensemble, rendent grâce à Dieu pour tous ses bienfaits et en premier lieu pour la personne de Jésus. Le Saint Sacrement est une école de gratitude pour Dieu et une école de charité universelle pour nos frères en humanité. En guise d’ouverture finale je vous partage ces paroles lumineuses de Maurice Zundel sur le mystère que nous célébrons en ce dimanche du Saint-Sacrement : Vivre la messe, c’est aller toujours plus avant, s’enfoncer dans ce silence où l’on entend les choses essentielles, où l’on rencontre au fond de son cœur le visage du Seigneur, en même temps que l’on sent toute l’humanité, que toute l’histoire, tout l’univers est là rassemblé et qu’il attend de recevoir par nous toute la lumière de l’amour… Nous voulons accomplir un acte enraciné dans la vie, qui nous transforme en nous mettant au service de l’humanité. On ne peut vivre la messe sans emporter avec soi le désir de transfigurer la vie, de la rendre plus belle et les autres plus heureux… Nous sommes à la messe simplement pour nous charger de Dieu afin de le donner aux autres… C’est dans la mesure où nous serons pour eux un sourire et une joie qu’ils croiront que le christianisme est autre chose qu’une mythologie, qu’un tissu de superstitions et que vraiment il est enraciné dans la vie. J’ajouterai : comme le pain et le vin sont enracinés dans notre vie humaine, fruits de la terre et du travail des hommes.

dimanche 26 mai 2024

Sainte Trinité 2024

 


Le mot « Trinité » n’est pas un mot biblique. Vous ne le trouverez pas dans le Nouveau Testament. Ce que l’on trouve dans le Nouveau Testament, c’est la mention du Père, du Fils et de l’Esprit comme dans l’Evangile de ce dimanche : Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.

Dans la seconde lettre de saint Paul aux Corinthiens l’apôtre utilise une formule trinitaire pour conclure sa lettre, formule reprise dans la liturgie au début de la messe : Que la grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous.

Ce n’est qu’après la Pentecôte que les premiers disciples ont pu accueillir pleinement le mystère du Christ mort et ressuscité. Le don de l’Esprit était donc nécessaire pour que leur foi en Jésus soit affermie. Ce n’est qu’après la réflexion des grands conciles des 4ème et 5ème siècle que le mystère de Dieu Trinité a pu être accueilli pleinement dans la première Eglise. Le mot Trinité a donc été conçu par la Tradition en s’appuyant sur la révélation de Jésus. Ce mot affirme en même temps les trois personnes divines (Tri-) et leur unité. A l’époque du Christ il existait bien dans la religion romaine traditionnelle une triade, celle de Jupiter, Junon et Minerve qui avait son temple sur le Capitole à Rome. Mais ces trois divinités ne constituaient pas pour autant une Trinité. Il s’agissait bien de trois dieux et pas d’un dieu unique. De la même manière la lecture chrétienne de l’Ancien Testament a laissé entrevoir des préfigurations de la Trinité mais c’est uniquement par le mystère de l’incarnation, par la personne, la vie et l’enseignement de Jésus que Dieu se révèle à l’humanité comme Trinité. En ce sens la vision trinitaire de Dieu est une nouveauté radicale que ce soit par rapport aux triades païennes ou au monothéisme strict du Judaïsme. C’est d’ailleurs l’un des motifs essentiels de la condamnation à mort du Christ. C’est parce qu’il a témoigné de la relation unique qui l’unissait à son Père que Jésus a été condamné comme un blasphémateur, un homme qui prétendait être l’égal de Dieu. La révélation trinitaire est inséparable de la révélation selon laquelle Dieu est Amour. Cela signifie que l’être des personnes divines se définit par les relations qu’elles entretiennent entre elles. Le monothéisme trinitaire met au cœur de Dieu la relation et des relations d’amour. C’est par un don réciproque que les personnes divines existent au sein de la Trinité. Dieu n’est pas un être solitaire, un monarque absolu qui se complaît en lui-même et qui veut dominer. Il est essentiellement don d’amour, tourné vers un autre, donc ouverture infinie. Le Père, le Fils et l’Esprit tiennent leur être propre de la relation et du don dans l’échange d’amour et de vie au sein de la Trinité. Maurice Zundel est probablement l’un des penseurs chrétiens qui a le mieux saisi ce grand mystère de la sainte Trinité. Je lui laisse donc la parole : L’immense majorité des chrétiens ne sont pas des mystiques, ils ne sont pas entrés dans une union nuptiale avec Dieu. La plupart des chrétiens ne comprennent pas cette égalité dans l’amour, ils sont encore tributaires d’une conception juridique : ils songent à ce qu’ils ont à donner à Dieu et ce qu’ils peuvent garder pour eux-mêmes. Ils voient en Dieu un pouvoir dont ils dépendent, un pouvoir qui les domine ou qui les menace, qui éventuellement pourra les sauver, mais non pas un amour qui les sollicite sans s’imposer jamais, un amour qui s’offre toujours, mais qui ne s’impose jamais. Ils ne voient pas que ce qui importe essentiellement c’est le don de la personne à la personne, que le seul bien c’est cela. Le bien, c’est le don que nous sommes. Le mal, c’est le refus que nous devenons. Dieu ne peut que s’offrir, mais jamais il ne peut nous contraindre, c’est pourquoi il a l’air si souvent absent, absent parce que nous le sommes. Ce n’est jamais Dieu qui se refuse, c’est toujours l’homme : la maison dont les volets sont clos en plein jour est encore dans la nuit. Et ce n’est pas la faute du soleil. Le Dieu qui transparaît en Jésus-Christ est un Dieu essentiellement nouveau. Il ne s’agit plus d’affirmer une formule, il s’agit de la vivre, il s’agit de comprendre que ce message jaillit du fond de l’humanité du Christ vers la nôtre et qu’il nous concerne essentiellement. Être humble, être grand c’est la même chose.

dimanche 12 mai 2024

Septième dimanche de Pâques / année B

 

12/05/2024

1 Jean 4, 11-16

Celui qui proclame que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu. Et nous, nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. Dieu est amour : qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui.

Nous sommes dans la dernière partie du temps pascal, entre l’Ascension de Jésus et le don de l’Esprit Saint au jour de Pentecôte. La deuxième lecture de ce 7ème dimanche de Pâques nous redit une vérité essentielle de la révélation chrétienne : Dieu est amour. Oui, ce Dieu invisible qui est Esprit est aussi Amour. Le Dieu révélé par la personne et la vie du Christ est Trinité, communion d’amour entre les trois personnes divines. La Pentecôte marque bien l’accomplissement de cette révélation avec le don de l’Esprit, lien d’amour entre le Père et le Fils. Dans le mystère de l’incarnation Dieu nous donne son Fils et ce don trouve sa plénitude dans le don de l’Esprit fait par le Père et le Fils. Dieu se révèle comme Trinité en se donnant à nous, en nous communiquant son amour par le Fils dans l’Esprit. Après l’Ascension la présence divine n’est plus visible à nos yeux de chair. Cette présence d’amour ne peut se vivre que dans l’intériorité de la vie spirituelle, ce qu’exprime parfaitement bien le verbe « demeurer » si cher à saint Jean, le verbe de l’inhabitation divine, inhabitation réciproque entre chacun de nous et Dieu :

Celui qui proclame que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu.

Ce verset de saint Jean nous montre la puissance de l’acte de foi en Jésus confessé comme Fils de Dieu et Sauveur. Cet acte de foi, à la manière d’un sacrement, établit entre nous et Dieu une communion de vie et d’amour, au plus intime de nous-mêmes. Et nous savons que c’est grâce à l’Esprit Saint que nous pouvons faire cet acte de foi qui attire en nous la présence divine. L’inhabitation divine ne dépend pas seulement de notre acte de foi en Jésus Fils de Dieu. Elle se réalise dans la mesure où nous mettons en pratique son commandement, celui de l’amour fraternel qui s’étend jusqu’à l’amour des ennemis et qui est donc universel et sans limites.

Qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui.

Saint Jean nous montre ainsi que nous ne pouvons jamais séparer notre foi en Jésus des œuvres de l’amour, du fruit de l’Esprit. Pour reprendre la belle formule employée par saint Paul dans sa lettre aux Galates, ce qui nous permet de demeurer en Dieu, c’est la foi qui agit par la charité. La foi parce que personne n’a jamais vu Dieu si ce n’est le Fils. La charité parce que Dieu est amour. Et dans ces deux domaines essentiels de notre vie chrétienne, c’est l’Esprit Saint qui est notre Maître et notre Guide.

Avec frère Roger de Taizé, invoquons l’Esprit du Père et du Fils, et demandons Lui de demeurer dans la grâce de la foi et de la charité :

Esprit Saint, qui habites chaque être humain, tu viens déposer en nous ces réalités d’Évangile si essentielles : la bonté du cœur et le pardon. Aimer et l’exprimer par notre vie, aimer avec la bonté du cœur et pardonner : là tu nous donnes de trouver une des sources de la paix et de la joie. Amen.

 

 

 

 

jeudi 9 mai 2024

Ascension du Seigneur / année B

Ascension du Seigneur 2024

La première partie du temps pascal, les 40 jours entre Pâques et l’Ascension, fonde la foi de l’Eglise dans la résurrection du Seigneur. Le Ressuscité s’est manifesté uniquement à quelques personnes, ses disciples, hommes et femmes, choisis par Dieu comme l’affirme Pierre chez Corneille : Dieu l’a ressuscité le troisième jour. Il lui a donné de se manifester, non pas à tout le peuple, mais à des témoins que Dieu avait choisis d’avance.

La grande majorité des témoins du Christ ressuscité sont ses amis, Paul étant l’exception. Il ne s’est pas manifesté à ceux qui ont voulu sa mort : les grands prêtres et Pilate. Dans la plupart des cas le Ressuscité se manifeste à des personnes qui l’ont suivi, aimé et lui ont fait confiance. Aucun esprit de revanche dans le cœur du Christ qui l’aurait poussé à se montrer vivant aux autorités religieuses et civiles qui l’ont condamné à mourir sur une croix. Aucune volonté d’en mettre « plein la vue » en révélant sa victoire sur la mort aux foules par de grandes manifestations glorieuses. Les manifestations du Ressuscité sont humbles, discrètes et s’adressent en priorité à des personnes, au groupe des disciples, pas à des foules.

Le mystère de l’Ascension marque la fin de ces manifestations du Ressuscité dans l’attente de l’Esprit Saint promis par Jésus. Dans la finale de son Evangile Marc en parle avec les images suivantes : Il fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu. Dans ce mystère c’est notre humanité qui est unie à Dieu pour toujours, assumée en lui. L’Ascension confirme ce qui a commencé avec l’Incarnation. Et l’Incarnation se prolonge et s’actualise dans le mystère de l’Eglise corps du Christ et de sa mission dans le monde. L’enlèvement de Jésus au ciel signifie un nouveau mode de présence : non plus charnel et limité à un peuple et un territoire précis, mais glorieux et universel. Après son Ascension le Christ semble absent comme Dieu lui-même est invisible, mais en fait sa présence est encore plus forte et plus puissante. Ce qui lui permet de donner cette consigne missionnaire à ses disciples au moment de l’adieu qu’il leur fait : Allez dans le monde entier. Proclamez l’Évangile à toute la création. Plus aucune limite dans cet universel de la mission puisqu’il inclue toute la création comme destinataire de la Bonne Nouvelle et pas seulement l’humanité. Saint Paul le dit à sa manière dans la deuxième lecture : Et celui qui était descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux pour remplir l’univers. Le Christ ressuscité remplit donc de sa présence l’univers dans le mystère de son Ascension et le règne de Dieu son Père et Père de tous s’exerce au-dessus de tous, par tous, et en tous. L’image de Jésus qui monte au ciel est donc trompeuse car elle pourrait nous faire croire à une grande prise de distance par rapport à notre vie humaine sur cette terre. Ce que Paul nous dit du Père de tous, de notre Père qui est aux cieux, peut nous aider à surmonter cette difficulté puisque précisément ce Père qui est aux cieux est en même temps en tous, donc proche de chacune de ses créatures. A la fois transcendant et immanent.

L’exhortation par laquelle Paul ouvre le chapitre 4 de sa lettre aux Ephésiens ne nous invite pas à nous évader au ciel mais à faire fructifier sur cette terre les trésors de la grâce divine : Je vous exhorte donc à vous conduire d’une manière digne de votre vocation : ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix. Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il y a un seul Corps et un seul Esprit. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous.

Et si le mystère de l’Ascension nous appelait tout en orientant notre cœur vers les réalités du Ciel, les réalités divines et spirituelles, à accueillir ce Ciel, c’est-à-dire Dieu lui-même, sur notre terre ? Et si le Ciel, c’était de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix ?

 


dimanche 5 mai 2024

Sixième dimanche de Pâques / année B

 

Jean 15, 9-17

Les paroles particulièrement fortes que nous venons de recevoir font partie du testament nouveau que Jésus donne à ses disciples la veille de sa mort. Ce passage d’Evangile nous donne accès au cœur de la révélation chrétienne dans sa beauté et sa simplicité. Le secret de Jésus, ce qui nous permet de comprendre sa personne, sa vie et sa mission, c’est l’amour de charité qui habite son cœur. Il est le médiateur de l’amour divin : Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Le commandement du testament nouveau, Demeurez dans mon amour, Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés, se présente sous la forme d’un don et non pas d’un devoir. C’est dans la mesure où nous recevons la grâce de l’amour divin par Jésus que nous devenons capables de demeurer dans son amour et de le transmettre. Le Seigneur nous parle de son choix, son choix qui précède toujours et suscite de notre part une réponse de foi : Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit… Nous sommes donc dans le règne de la grâce et non pas sous le régime de l’obligation. La morale chrétienne est essentiellement une morale intérieure dans le sens où elle surgit du cœur qui se laisse enflammer d’amour par l’Esprit Saint. Le testament nouveau de Jésus et l’Evangile de l’amour accomplissent parfaitement la prophétie de Jérémie : Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. Dans son encyclique « Dieu est amour », le pape Benoît XVI décrit bien cette intériorisation de la loi divine :

La volonté de Dieu n’est plus pour moi une volonté étrangère, que les commandements m’imposent de l’extérieur, mais elle est ma propre volonté, sur la base de l’expérience que, de fait, Dieu est plus intime à moi-même que je ne le suis à moi-même (n°17).

C’est dans ce contexte du don de la loi nouvelle inscrite dans les cœurs que Jésus qualifie la relation qu’il veut avoir avec nous du nom d’amitié. C’est le seul passage des Evangiles où il appelle ses disciples ses amis.

Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître.

Ce verset constitue une véritable révolution dans la conception religieuse classique de la relation entre Dieu et l’homme, Dieu étant habituellement le maître et l’homme le serviteur. Jésus établit un amour d’amitié avec nous. La relation d’amitié est tout sauf hiérarchique, elle implique au contraire l’égalité entre les amis. Si nous parvenions à prendre conscience du don magnifique qui nous est fait, notre cœur serait véritablement comblé de la joie spirituelle. Ce qui nous permet d’entrer dans cette relation d’amitié avec le Christ, c’est d’aimer comme lui nous a aimés : Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. Dans la relation d’amitié authentique, il est naturel de vouloir faire plaisir à l’autre, d’aller au-devant de ses désirs. Chaque fois que nous nous aimons les uns les autres, nous sommes certains de réjouir le cœur du Christ et donc celui du Père. Chaque fois que nous sommes capables de sortir de notre égoïsme pour nous tourner vers l’autre dans un mouvement de don et d’amour, nous fortifions en nous l’homme intérieur. Nous permettons au Christ de faire de nous ses amis.

dimanche 28 avril 2024

Cinquième dimanche de Pâques / année B

 

28/04/2024

Jean 15, 1-8

Demeurez en moi, comme moi en vous.

En ce cinquième dimanche de Pâques nous recevons cette invitation du Christ à demeurer en lui. Cette invitation est en même temps un appel de sa part à prendre conscience qu’il demeure en nous. Le verbe « demeurer », cher à saint Jean, fait le lien avec la deuxième lecture de cette messe : Celui qui garde ses commandements demeure en Dieu, et Dieu en lui ; et voilà comment nous reconnaissons qu’il demeure en nous, puisqu’il nous a donné part à son Esprit.

Nous demeurons en Dieu parce que Jésus, l’Esprit demeurent en nous avec le Père. C’est le mystère de l’inhabitation divine inauguré par la grâce du baptême. Jean nous permet de bien comprendre ce que signifie pour nous « demeurer en Dieu » : il s’agit de garder les commandements de Dieu tels que Jésus nous les a transmis et enseignés. Et le commandement de Dieu est très simple. Jean le résume en un verset lumineux : Or, voici son commandement : mettre notre foi dans le nom de son Fils Jésus Christ, et nous aimer les uns les autres comme il nous l’a commandé.

Demeurer dans le Christ, c’est donc mettre notre foi en lui, c’est croire en la puissance de son nom Sauveur, et c’est entrer dans une relation avec nos semblables dans la logique de son amour. Jean est à la fois le plus spirituel des évangélistes et le plus concret. L’amour dont il nous parle n’est jamais un vague sentiment : Petits enfants, n’aimons pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité.

Demeurer dans le Christ en tant que chrétiens implique donc de notre part un engagement à écouter sa parole et à la mettre en pratique dans nos actes et choix de chaque jour. Jean nous met ainsi en garde contre une spiritualité désincarnée qui n’aurait aucune conséquence concrète dans notre vie, une spiritualité détachée et séparée de ce qui fait le tissu de notre vie quotidienne. La spiritualité authentiquement chrétienne produit de beaux fruits dans notre vie. Demeurer dans le Christ implique bien sûr notre attachement à la vie de prière, à la vie dans l’Esprit Saint. Il s’agit pour nous d’adorer Dieu en esprit et en vérité. La parole de Dieu nous invite donc à faire le lien entre notre vie de prière et notre engagement moral qui est celui de l’amour de charité. La vie spirituelle est en effet tout aussi présente dans mon engagement social, dans ma manière de cultiver avec mes frères et sœurs une relation qui soit la plus semblable possible à celle que Jésus avait pour tout homme : une relation marquée par la charité qui se décline en bienveillance, compréhension, douceur, absence de jugement, refus de condamner et de médire etc. Saint Jacques développant encore la spiritualité concrète de saint Jean pourra même écrire dans sa lettre :

Si quelqu’un ne commet pas d’écart quand il parle, c’est un homme parfait, capable de maîtriser son corps tout entier… Quelqu’un, parmi vous, a-t-il la sagesse et le savoir ? Qu’il montre par sa vie exemplaire que la douceur de la sagesse inspire ses actes. Mais si vous avez dans le cœur la jalousie amère et l’esprit de rivalité, ne vous en vantez pas, ne mentez pas, n’allez pas contre la vérité. Cette prétendue sagesse ne vient pas d’en haut ; au contraire, elle est terrestre, purement humaine, démoniaque. Car la jalousie et les rivalités mènent au désordre et à toutes sortes d’actions malfaisantes. Au contraire, la sagesse qui vient d’en haut est d’abord pure, puis pacifique, bienveillante, conciliante, pleine de miséricorde et féconde en bons fruits, sans parti pris, sans hypocrisie. C’est dans la paix qu’est semée la justice, qui donne son fruit aux artisans de la paix.

Demeurons donc en Jésus Ressuscité par la prière et la pratique du commandement de l’amour fraternel.

dimanche 21 avril 2024

Quatrième dimanche de Pâques / année B

 

21/04/2024

Actes des apôtres 4, 8-12

Alors Pierre, rempli de l’Esprit Saint, leur déclara : « Chefs du peuple et anciens, nous sommes interrogés aujourd’hui pour avoir fait du bien à un infirme, et l’on nous demande comment cet homme a été sauvé.  Sachez-le donc, vous tous, ainsi que tout le peuple d’Israël : c’est par le nom de Jésus le Nazaréen, lui que vous avez crucifié mais que Dieu a ressuscité d’entre les morts, c’est par lui que cet homme se trouve là, devant vous, bien portant. Ce Jésus est la pierre méprisée de vous, les bâtisseurs, mais devenue la pierre d’angle. En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver. »

Dans la première lecture de ce dimanche Pierre témoigne de sa foi en Jésus devant les autorités religieuses de son peuple après avoir guéri un infirme. Il parle au nom de tous les apôtres. C’est par la puissance du nom de Jésus qu’il a accompli le signe de la guérison de l’infirme, ce nom qui signifie Dieu sauve. Quand il confesse sa foi en Jésus Pierre utilise une formule que nous trouvons à de nombreuses reprises dans les Actes des apôtres :

Lui que vous avez crucifié mais que Dieu a ressuscité d’entre les morts.

Le mystère pascal est à la fois l’œuvre des hommes qui ont voulu la mort de Jésus et l’œuvre de Dieu son Père qui l’a ressuscité d’entre les morts. Nous trouvons une opposition entre les hommes qui donnent la mort par manque de foi et Dieu qui donne la vie par fidélité à son Fils bien-aimé. L’Evangile du bon pasteur nous rappelle toutefois que c’est librement que Jésus est entré dans sa Passion et a accepté la mort en croix :

Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau : voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père.

En citant le psaume 117 Pierre revient sur l’opposition entre l’œuvre des hommes et l’œuvre de Dieu :

Ce Jésus est la pierre méprisée de vous, les bâtisseurs, mais devenue la pierre d’angle.

Celui que les hommes méprisent, Dieu en a fait la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux. L’endurcissement de notre cœur dans le mal et le péché ne décourage jamais Dieu. Par son mystère pascal Jésus de Nazareth est constitué l’unique Sauveur du monde :

En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver.

Chaque fois que nous refusons Dieu, que nous ne voulons pas écouter Jésus et mettre en pratique son enseignement, que nous nous obstinons sur un chemin de mort, nous participons de l’œuvre des hommes qui ont condamné Jésus à mort. Toutefois Dieu vient nous rejoindre au cœur même de notre péché et du mal qui nous domine bien souvent. Par la puissance du Nom de Jésus il vient nous délivrer de la fatalité du mal et nous offrir sans cesse son pardon miséricordieux. Il nous ressuscite ainsi à une vie nouvelle dans et par son Fils. L’œuvre du salut divin qui ressuscite Jésus et confirme ainsi la vérité de son enseignement nous rejoint dans notre faiblesse et notre refus d’aimer. Par la puissance du Nom de Jésus Sauveur nous avons la merveilleuse possibilité de retrouver toujours la grâce qui fait de nous des enfants de Dieu. Dieu, tel un bon Père, ne cesse pas d’aimer ses enfants lorsqu’ils sont indignes de son amour, ingrats et oublieux de sa présence. Dans l’infirmité de notre ingratitude et de notre éloignement vis-à-vis du Père, Jésus élevé en croix et glorifié dans sa résurrection a le pouvoir de nous convertir et de nous ramener dans l’enclos de l’Eglise afin que le troupeau des brebis fidèles et infidèles parvienne, malgré sa faiblesse, là où son Pasteur est entré victorieux.

dimanche 7 avril 2024

Deuxième dimanche de Pâques / année B

 

7/04/2024

Jean 20, 19-31

La double manifestation du Ressuscité à ses disciples, le soir de Pâques et huit jours plus tard, se fait alors que les portes sont verrouillées par peur des Juifs. La page évangélique de ce dimanche est riche de significations pour notre vie chrétienne. Je ne retiendrai que la salutation du Ressuscité : La paix soit avec vous ! Cette salutation pascale avait été annoncée par Jésus à la veille de sa Passion dans l’entretien-testament avec ses disciples : Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé.

La paix du Christ est comme le remède donné pour nous guérir de nos peurs. L’inquiétude est littéralement parlant ce qui s’oppose à la paix du cœur. Remarquons que la liturgie de la messe fait prononcer ces paroles de paix à l’évêque qui reprend la salutation du Christ et au célébrant juste avant la communion. En saluant de cette manière ses disciples Jésus met en pratique lui-même la consigne missionnaire qu’il leur a laissée : Dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : « Paix à cette maison ». S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous.

La salutation pascale de la paix est clairement un acte d’évangélisation des disciples qui les invite à quitter la peur pour entrer dans la confiance, dans la foi, dans cette foi qui nous a fait vaincre le monde, c’est-à-dire ici tout ce qui s’oppose au règne de Dieu.

Le soir de Pâques le don de la paix du Christ est inséparable du don de l’Esprit Saint. La paix avec la joie est le fruit de l’Esprit Saint, le signe que nous nous laissons conduire par Lui. L’apôtre Paul fait de la paix un signe caractéristique du Royaume de Dieu : En effet, le royaume de Dieu ne consiste pas en des questions de nourriture ou de boisson ; il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint.

Et c’est bien de cette paix dont témoigne la première communauté des disciples de Jésus qui avait un seul cœur et une seule âme. Toujours dans sa lettre aux Romains Paul fait remarquer que l’Esprit tend vers la vie et la paix. D’où son exhortation à vivre de cette paix du Christ :

Recherchons donc ce qui contribue à la paix, et ce qui construit les relations mutuelles.

La paix, don du Ressuscité et don de l’Esprit se manifeste en même temps au plus intime de nous-mêmes, c’est la paix du cœur, et dans la vie du Corps du Christ, dans les relations mutuelles entre croyants, c’est la paix ecclésiale. Nous savons par l’histoire de l’Eglise et par notre expérience personnelle à quel point nous sommes incapables de recevoir en vérité ce grand don du Ressuscité comme Thomas est incapable dans un premier temps de croire en la résurrection de son Maître et Seigneur. Pourtant le don du Christ et de l’Esprit est toujours là, cherchant à prendre possession de notre être. La salutation pascale de Jésus nous demande de mettre en nos cœurs ce désir de la paix, de la rechercher toujours. Le grand moyen pour l’accueillir, en vivre, la répandre et en témoigner, c’est de nous abandonner dans la prière à l’action de l’Esprit Saint, c’est le désir de la communion avec le Christ dans la prière personnelle et les sacrements, en particulier dans la communion eucharistique. Pas de paix sans réconciliation, pas de paix sans pardon, le pardon de Dieu et le pardon que nous nous devons les uns aux autres lorsque nous nous offensons mutuellement. Oui, Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. Toute la célébration eucharistique de son commencement à son terme est un incessant rappel de l’importance pour nous d’accueillir le don du Ressuscité. De la salutation d’ouverture (Que Dieu notre Père et Jésus Christ notre Seigneur vous donnent la grâce et la paix) à l’envoi (Allez, dans la paix du Christ) en passant par la supplication de l’Agnus Dei (Donne-nous la paix).

 

dimanche 31 mars 2024

PAQUES 2024

 

Pâques 2024

Le sabbat terminé, Marie Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des parfums pour aller embaumer le corps de Jésus. De grand matin, le premier jour de la semaine, elles se rendent au tombeau dès le lever du soleil. Elles se disaient entre elles : « Qui nous roulera la pierre pour dégager l’entrée du tombeau ? » Levant les yeux, elles s’aperçoivent qu’on a roulé la pierre, qui était pourtant très grande. En entrant dans le tombeau, elles virent, assis à droite, un jeune homme vêtu de blanc. Elles furent saisies de frayeur. Mais il leur dit : « Ne soyez pas effrayées ! Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité : il n’est pas ici. Voici l’endroit où on l’avait déposé. Et maintenant, allez dire à ses disciples et à Pierre : “Il vous précède en Galilée. Là vous le verrez, comme il vous l’a dit.” » Elles sortirent et s’enfuirent du tombeau, parce qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur. (Marc 16, 1-8)

La solennité de Pâques, célébration de la résurrection du Seigneur, inaugure le temps pascal. Elle ne doit donc pas être séparée des autres mystères que sont l’Ascension du Seigneur et la Pentecôte. Ce n’est que dans la lumière de l’Esprit de Pentecôte que la première génération de chrétiens a pu confesser le Christ ressuscité. Le temps pascal représente en quelque sorte le temps qui a été nécessaire entre Pâques et la Pentecôte pour que les disciples passent de la peur et du doute à la foi. En cette année B au cours de laquelle la liturgie nous fait lire et écouter l’Evangile selon saint Marc, nous venons d’entendre (nous avons entendu lors de la vigile pascale) les premiers versets du chapitre 16, versets très étonnants si nous les méditons avec attention. Ces versets de Pâques témoignent en effet de la grande difficulté avec laquelle les premiers disciples ont accepté la réalité bouleversante de la résurrection du crucifié. C’est la conclusion que Jean donne à l’Evangile du jour de Pâques : Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts. Les premiers disciples n’étaient donc pas des illuminés qui s’échauffaient l’esprit avec l’idée de la résurrection mais au contraire des femmes et des hommes abasourdis par le choc et la déception que fut pour eux la mort de leur Maître et Seigneur en croix. D’ailleurs la plupart des hommes avaient abandonné Jésus, seules quelques femmes lui étaient restés héroïquement fidèles jusqu’au bout. Ce sont ces mêmes femmes, avec Marie Madeleine comme témoin privilégié, que nous retrouvons au matin de Pâques. Selon Marc et Luc elles viennent au tombeau pour embaumer le corps de Jésus. Autant dire que le matin de Pâques fut pour ces femmes l’occasion d’un pèlerinage funéraire et non pas l’expression de leur désir joyeux de rencontrer Jésus vivant. L’Evangile de Marc nous montre au contraire que la découverte du tombeau ouvert et vide les laisse dans la peur, toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Ces femmes aimaient Jésus d’un amour fidèle et fort sans que cet amour ne leur permette à l’aube de Pâques de faire l’expérience de la joie de la résurrection. Il leur faudra du temps, beaucoup de temps, et surtout le don de l’Esprit Saint, pour qu’elles puissent aimer Jésus non pas comme un défunt regretté mais comme le Vivant, celui qui a vaincu la mort à jamais par la puissance du salut divin. Le message pascal adressé aux femmes dans l’Evangile selon saint Marc est d’une grande et belle simplicité : Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité : il n’est pas ici. Ce n’est pas parmi les tombes que l’on peut rencontrer Jésus, il n’est pas dans les cimetières, il est ailleurs. Et voilà que ces femmes remplies de peur sont chargées du message pascal à l’intention des hommes, en particulier de Pierre, donc de ceux qui ont renié ou abandonné le Christ dans le temps de sa Passion : Il vous précède en Galilée. Là vous le verrez, comme il vous l’a dit. Message à nouveau extrêmement simple et sobre. Le Ressuscité a toujours de l’avance sur ses disciples paralysés par la peur et le doute : il les précède dans le lieu de leur premier appel, dans le lieu de leur compagnonnage avec le Christ d’avant Pâques. La résurrection n’efface pas l’incarnation : Marc dans son Evangile pascal parle bien de Jésus de Nazareth et de la Galilée. L’expérience fondatrice des femmes et des apôtres nous permet de comprendre que nous avons nous aussi besoin de temps pour entrer pleinement dans le mystère de la résurrection. Nous le faisons sous la conduite de l’Esprit de Jésus et par la grâce des sacrements de l’initiation chrétienne : baptême, confirmation et eucharistie. La joie et la paix, fruits de la résurrection du Seigneur, fruits qui nous libèrent de la peur et nous font entrer dans la confiance, nous les recevons dans la mesure où nous ne cherchons pas le Christ là où il n’est pas mais bien là où il nous précède et nous attend. La Galilée des premiers disciples représente pour chacun d’entre nous son chemin de foi avec le Christ. La nouveauté extraordinaire et bouleversante de la résurrection et de la vie nouvelle qu’elle nous offre ne fait pas table rase de notre histoire personnelle et unique, bien au contraire. En cette fête de Pâques faisons mémoire avec gratitude du don de la foi, du premier appel que nous avons entendu au plus intime de nous-mêmes pour pouvoir avancer dans la communion avec le Vivant. La résurrection nous permet en effet de vivre cette communion avec le Christ dans les sacrements, la prière, mais aussi dans notre désir de vivre du commandement de l’amour qu’il nous a laissé comme promesse de bonheur dès ici-bas et gage de la vie éternelle. Gardons dans notre cœur tout au long de ce temps pascal l’enseignement si lumineux de saint Jean :

Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui n’aime pas demeure dans la mort.

 

vendredi 29 mars 2024

VENDREDI SAINT 2024


Méditation pour le vendredi saint 2024

L’évangéliste Jean nous dépeint la Passion du Seigneur comme un drame d’une rare intensité. En particulier la confrontation entre Pilate et les chefs des prêtres met en lumière l’obscurcissement des consciences de la part de ceux qui veulent obtenir à tout prix la mort de Jésus, homme juste et innocent. La Passion est le moment où s’accomplit la prophétie de Syméon : Ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. Comment ne pas penser aussi à ce que Jésus dit à l’aveugle de naissance après lui avoir rendu la vue ? Je suis venu en ce monde pour rendre un jugement : que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. Au moment même où Jésus semble jugé par les autorités religieuses et civiles, c’est lui qui, en fait, opère un jugement en révélant au grand jour les secrets des cœurs et des consciences. Cela avait été aussi annoncé par le commentaire que Jean donne en conclusion de l’épisode des marchands chassés du temple : Jésus n’avait besoin d’aucun témoignage sur l’homme ; lui-même, en effet, connaissait ce qu’il y a dans l’homme. Jésus dans sa Passion est par sa seule présence un révélateur de ce qu’il y a dans le cœur de l’homme. Pilate, le païen, proclame à trois reprises l’innocence du Christ : Je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. Le même Pilate fait à la foule une double présentation solennelle de l’homme qu’on lui dénonce comme méritant le supplice de la croix : Voici l’homme / Voici votre roi. Cette double présentation aux accents prophétiques a pour conséquence de mettre encore davantage en lumière la violence des autorités religieuses juives et de la foule manipulée par les grands prêtres : A mort ! A mort ! Crucifie-le ! Cette violence assoiffée de sang et de mise à mort s’accompagne de l’hypocrisie du mensonge : Nous n’avons pas d’autre roi que l’empereur. Jésus, dans sa Passion, est ainsi le grand révélateur de la violence homicide qui habite le cœur de l’homme depuis le péché des origines. L’histoire des guerres humaines nous montre malheureusement une constante : rares sont les artisans de paix. La majorité se laisse toujours entraîner par ceux qui ont intérêt à faire la guerre. Et les artisans de paix sont ridiculisés et persécutés par la masse de ceux qui sont aveuglés par l’instinct de violence. Dans sa Passion le Seigneur est véritablement l’homme des Béatitudes, celui qui oppose une résistance ferme et non-violente aux instincts de mort et au péché. Il est véritablement l’Agneau de Dieu qui porte et enlève le péché du monde. Douceur et innocence de l’agneau que l’on mène à l’abattoir. Je conclurai cette méditation en citant Denis Moreau, professeur de philosophie, qui, dans son livre Mort, où est ta victoire ?, propose une réflexion suggestive sur le moment de la Passion : Le salut ne s’obtient pas dans la facilité et par les moyens (le pouvoir, la richesse, les honneurs, le succès, la célébrité, la reconnaissance des autorités et des puissants, les manifestations de force, la volonté de dominer les événements et les autres hommes) à l’accoutumée promus dans le monde, ni par la violence, le désir de punir ou de se venger. La passion manifeste la difficulté du chemin qui conduit au salut, le caractère parfois douloureux et sacrificiel du combat – c’est-à-dire, étymologiquement, de la composante agonique avant d’être victorieuse- engagé contre le mal et ce qui y porte, en moi ou dans le monde, contre la dimension oppressive et violente des pouvoirs politiques et religieux. Elle exprime à sa façon le lien entre le péché et la mort, qui n’aurait pas été à ce point patent si le juste qui fut supplicié était mort de maladie, de vieillesse ou accidentellement. Elle dit le scandale du triomphe des méchants et de l’injustice. Elle indique que le salut chrétien non seulement ne s’acquiert pas par les puissances habituellement célébrées, mais aussi passe par l’acceptation de la faiblesse, le partage de la condition des petites gens et des simples, en somme par une certaine forme de renoncement aux grandeurs du monde et d’anéantissement… La passion manifeste aussi que Jésus a pleinement partagé la condition humaine, y compris dans ses dimensions essentielles et tragiques que sont la douleur et la mort de soi.


 

JEUDI SAINT 2024

 


Méditation pour le jeudi saint 2024

En ce jeudi saint nous faisons mémoire de l’institution du sacrement de l’eucharistie par Jésus la veille de sa mort. Ce sacrement a une place et une importance unique parmi les sept sacrements de l’Eglise catholique, c’est la raison pour laquelle on l’appelle le saint sacrement. Cela explique aussi pourquoi c’est le seul sacrement auquel l’Eglise a consacré une fête, celle du saint sacrement du corps et du sang du Christ que nous célébrerons cette année le 2 juin. L’introduction que saint Jean donne au geste du lavement des pieds nous dit ce qui constitue le cœur de l’eucharistie :

Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.

C’est en effet dans l’eucharistie et particulièrement dans son sommet, la communion, que nous est manifesté l’amour extrême de Jésus pour chacun d’entre nous. L’amour qu’il soit humain ou divin recherche toujours la communion. L’eucharistie nous rappelle que c’est Dieu qui, le premier, nous a aimé en nous donnant son Fils. L’amour est inventif et cherche toujours des voies nouvelles pour se communiquer et trouver son accomplissement. Lors de la dernière Cène le Seigneur Jésus institue ce sacrement nouveau par une invention de son amour infini. Et il le fait avec une délicatesse tout aussi infinie, une délicatesse d’amour qui respecte notre liberté. Il choisit les éléments végétaux du pain et du vin pour se cacher sous de humbles apparences et se donner ainsi totalement à nous. Comme tous les sacrements l’eucharistie est le sacrement de la foi : oui, il est grand le mystère de la foi ! Dans le temps de l’Eglise après la Pentecôte nous vivons de la foi et par la foi. Nous vivons en même temps l’absence et la présence du Ressuscité. Depuis l’Ascension Jésus n’est plus présent physiquement parmi nous. Il est comme le Père et l’Esprit invisible. Pour que cette absence ne soit pas perçue comme un éloignement ou une indifférence, pour cette absence ne crée pas une distance infranchissable entre Dieu et l’homme, Jésus a voulu en quelque sorte se prolonger dans son Corps qui est l’Eglise. Il a aussi voulu perpétuer à jamais sa présence de Ressuscité dans l’Eglise par le don de l’eucharistie, eucharistie qui prolonge sacramentellement, au-delà de l’Ascension, l’incarnation du Fils bien-aimé. Le mouvement de l’eucharistie est celui de l’action de grâce pour cet amour prévenant du Seigneur à notre égard. Le troisième dialogue qui introduit la préface, avant le sanctus, est une invitation à rendre grâce à Dieu par, avec et dans le Christ qui s’offre en sacrifice pour notre salut : Rendons grâce au Seigneur notre Dieu. La célébration de l’eucharistie est une école spirituelle pour apprendre ou réapprendre la vertu de gratitude envers Dieu. En reconnaissant le Christ présent sous les humbles apparences du pain et du vin, nous sommes entraînés à la reconnaissance pour tous les bienfaits de Dieu : notre existence et notre vie, la grâce de la foi et de la vocation, le don de l’amour de Dieu dans les sacrements. L’ingratitude envers Dieu et envers les hommes est un péché que nous ne devons pas sous-estimer. C’est même un péché grave qui nous coupe de la joie et de la paix de Dieu. L’eucharistie bien comprise et célébrée avec ferveur et foi est une école de gratitude extraordinaire. Dans l’eucharistie nous ne demandons rien, nous recevons tout puisque nous recevons Dieu lui-même en son Fils, et nous répondons à cet immense don par notre présence à la présence divine. C’est dire que l’eucharistie en plus d’être une école de gratitude est toujours une école de prière. L’eucharistie nous apprend que dans la prière il ne s’agit pas d’abord de demander des choses, mais de se rendre disponibles et ouverts au don de Dieu. La prière n’est-ce pas se rendre présents à la présence cachée et silencieuse de Dieu ? L’eucharistie nous redit l’importance du « merci » à côté de la demande. Demande qui trouve sa perfection dans la simple prière : Que ta volonté soit faite ! Célébrer l’eucharistie en mémoire du Seigneur suppose une vie de prière chez ceux qui participent à la messe. La prière personnelle et la prière communautaire se fortifient mutuellement. Pour vivre profondément de l’eucharistie nous avons besoin de prier dans le secret de notre chambre comme nous y invite Jésus. Oui, heureux sommes-nous d’être invités au repas des noces de l’Agneau ! Que Jésus dans sa bonté nous préserve de participer de manière indifférente ou distraite à la messe, qu’il nous préserve de faire de la communion eucharistique un geste banal et routinier ! Qu’il mette toujours en nous le feu de l’Esprit Saint pour que nous sachions recevoir le grand don de sa personne avec foi et ferveur, comme si chaque communion était unique, comme si elle était la première et la dernière de notre vie !


dimanche 17 mars 2024

Cinquième dimanche de Carême / année B

 


17/03/2024

Jean 12, 20-33

L’Evangile de ce dimanche de Carême nous introduit déjà dans le mystère de la Passion du Seigneur avec la mention de l’agonie de Jésus :

Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci !

Dans sa première lettre aux Corinthiens l’apôtre Paul situe ce mystère de la Passion dans son contexte historique :

Alors que les Juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes.

La Passion et la mort en croix du Fils de Dieu demeurent aujourd’hui quelque chose d’incompréhensible qui choque notre raison humaine et notre vision de la divinité. Aujourd’hui encore il est difficile pour nous chrétiens d’accepter cette logique du grain de blé tombé en terre qui doit mourir pour donner la vie. Aujourd’hui encore certains chrétiens sont attirés par les signes miraculeux, les séances de « guérisons » et d’ « exorcismes », les apparitions et les révélations de toutes sortes, oubliant qu’il n’y a pas d’autre signe que le signe de Jonas, c’est-à-dire le signe de la Passion, de la mort et de la résurrection de Jésus. Dans une société où la foi religieuse est en net recul, on constate aussi une aspiration à donner du sens à l’existence humaine par la recherche de la sagesse à la manière des Grecs de saint Paul. Il n’y a qu’à voir dans les librairies le nombre de parutions consacrées aux grandes sagesses de l’antiquité et à des philosophes comme Spinoza. C’est ce que Luc Ferry et André Comte-Sponville appellent une spiritualité sans Dieu, une spiritualité laïque. Tel est le terrain concret dans lequel le grain de blé de l’Evangile tombe en terre de nos jours. Le scandale et la folie du mystère chrétien nous conduisent à comprendre la différence essentielle entre sagesse humaine et foi dans le Christ. La foi ne supprime pas la raison ni la sagesse mais elle est d’un autre ordre. C’est ce que semblent comprendre les Grecs de notre Evangile. Ils ne sont pas Juifs mais ils estiment la religion des Juifs et reconnaissent le Dieu unique. Ces Grecs qui ont donné au monde le trésor de la sagesse antique, ces Grecs initiateurs de la philosophie et qui portent donc en eux le désir d’une vie selon la sagesse, ces Grecs demandent à voir Jésus. Dans l’antiquité les maîtres de sagesse étaient fort nombreux comme Socrate, Platon, Aristote, Epicure etc. Ils avaient leurs disciples comme Jésus avait les siens. Les Grecs de notre Evangile perçoivent quelque chose d’unique et de nouveau dans la personne de Jésus. Ils ne veulent pas apprendre seulement de belles doctrines sur la vie bonne, ils veulent rencontrer une personne qu’ils saisissent comme envoyée par Dieu, comme divine. Notre foi n’est pas d’abord un ensemble de doctrines religieuses, elle est désir, rencontre et communion avec le Christ. La démarche de ces Grecs nous fait penser à l’affirmation du magnifique prologue de l’Evangile selon saint Jean :

Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu.

Le mot « Verbe » traduit ici le mot grec Logos qui signifie à la fois la raison et la parole. La sagesse que les Grecs recherchent tant, c’est une personne, c’est Jésus, le Verbe incarné. Dans le mystère de l’incarnation la Sagesse de Dieu se fait folie dans l’abaissement extrême du mystère de la Passion. En Jésus la folie de l’amour et la sagesse de Dieu sont unies. La démarche des Grecs commence le long cheminement de l’Evangile universel dans le cœur des hommes :

Et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. 


samedi 9 mars 2024

Quatrième dimanche de Carême / année B

 

10/03/2024

Jean 3, 14-21

En ce dimanche l’Evangile nous fait entendre l’enseignement que Jésus donne à Nicodème. Le cœur de cet enseignement concerne notre salut et la promesse de la vie éternelle. C’est grâce à l’amour du Père manifesté en son Fils que ce salut nous est donné. Ce salut passe par le mystère de la croix annoncé par les paroles de Jésus : il faut que le Fils de l’homme soit élevé. Ce qui nous frappe lorsque nous méditons cet Evangile, c’est l’insistance de Jésus sur la foi. Il en parle en effet à cinq reprises dans son enseignement. Et la foi est liée à la promesse de la vie éternelle. C’est dire que le salut offert par Dieu passe aussi par notre réponse libre, notre réponse de foi. Et que cette réponse est essentielle pour nous permettre d’entrer dans le salut de Pâques. Paul dit exactement la même chose dans la deuxième lecture :

C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, et par le moyen de la foi.

Notre foi n’est pas séparable des œuvres de l’amour, du fruit de l’Esprit à l’œuvre dans nos vies. C’est la raison pour laquelle Jésus dit à Nicodème celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. La vérité sur Dieu, sur le Christ, sur l’homme, sur notre salut n’est pas d’abord une affaire de connaissance théorique. Jésus parle en effet de faire la vérité. Notre connaissance de Dieu passe toujours par une foi pratique, une foi concrète, celle dont parle l’apôtre Paul dans sa lettre aux Galates : seule vaut la foi qui agit grâce à l’amour. C’est donc en accomplissant la volonté de Dieu que nous entrons peu à peu dans son mystère. Cela fait écho à la fin de la deuxième lecture :

C’est Dieu qui nous a faits, il nous a créés dans le Christ Jésus, en vue de la réalisation d’œuvres bonnes qu’il a préparées d’avance pour que nous les pratiquions.

C’est cela que le prêtre suisse Maurice Zundel exprimait en disant Je ne crois pas en Dieu, je le vis. Non pas pour nier l’importance de la foi mais pour insister sur le fait qu’elle est d’abord et toujours une expérience personnelle de Dieu qui nous permet de faire la vérité, c’est-à-dire de nous dévouer au bien en imitant la générosité du Seigneur Jésus.

dimanche 3 mars 2024

Troisième dimanche de Carême / année B

 

3/03/2024

Jean 2, 13-25

Alors que Matthieu et Marc situent la purification du temple à la fin du ministère de Jésus, Jean en fait un geste inaugural, au commencement de sa mission. L’Evangile de ce dimanche de carême nous rapporte tout d’abord le geste de Jésus puis la polémique qui s’en suit avec certains Juifs, témoins de la scène.

Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs.

Les marchands d’animaux et les changeurs étaient nécessaires pour le bon fonctionnement du culte fondé sur les sacrifices d’animaux, particulièrement nombreux à être sacrifiés pour la grande fête de la Pâque. Jésus ne veut pas de leur présence dans l’enceinte du temple. Imaginons un instant le Seigneur dans les sanctuaires de Lourdes s’attaquant au commerce des cierges et nous comprendrons aisément que son geste était insupportable au regard du commerce lucratif qui s’exerçait dans le temple. Par son geste le Seigneur ruine en effet l’économie du temple. La motivation qu’il lui donne provient d’une citation approximative du prophète Zacharie : Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. Voici le verset par lequel le livre de Zacharie s’achève : Il n’y aura plus de marchand dans la Maison du Seigneur de l’univers, en ce jour-là. Chez Matthieu et Marc Jésus cite Jérémie au lieu de citer Zacharie : Ma maison sera appelée maison de prière. Or vous, vous en faites une caverne de bandits. Et voici la citation exacte de Jérémie : Est-elle à vos yeux une caverne de bandits, cette Maison sur laquelle mon nom est invoqué ? Pour moi, c’est ainsi que je la vois – oracle du Seigneur. Le geste de Jésus est donc clairement prophétique. Il rappelle la vocation du temple à être une maison exclusivement consacrée à la prière dans laquelle le commerce n’a pas sa place. Mais la portée prophétique de ce geste va bien au-delà de l’exclusion hors du temple des marchands d’animaux en vue des sacrifices. Elle annonce la fin du culte ancien, l’abolition des sacrifices d’animaux. C’est dans la deuxième partie du récit, la polémique avec les Juifs, que le culte nouveau est clairement annoncé : Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai… lui parlait du sanctuaire de son corps. Le geste prophétique de Jésus ne consiste donc pas seulement à purifier le temple, à lui rendre sa vocation de maison de prière. Ce geste annonce la fin du temple lui-même, la substitution du temple de pierre par le temple de chair qui est le corps du Christ lui-même. Si le temple de Jérusalem détruit par les Romains en 70 n’a jamais été reconstruit, le corps du Christ mort en croix a vaincu la mort par la résurrection le jour de Pâques. Matthieu, Marc et Luc notent qu’après la mort de Jésus le voile du sanctuaire se déchira en deux de haut en bas, signifiant ainsi la fin du culte ancien. Le saint des saints ce n’est plus désormais la partie la plus sacrée du temple, c’est le corps de Jésus dans lequel habite la plénitude de la divinité pour reprendre une expression de saint Paul (Col 2,9). Paul applique dans ses lettres aux Corinthiens cette vérité aux chrétiens eux-mêmes, membres du corps du Christ : Le temple de Dieu est saint, et ce temple, c’est vous… Nous, en effet, nous sommes le temple du Dieu vivant, comme Dieu l’a dit lui-même : J’habiterai et je marcherai parmi eux, je serai leur Dieu et ils seront mon peuple.

L’Evangile de ce dimanche nous appelle à respecter nos églises, en tant que lieux de prière et de célébration des sacrements. C’est par le comportement de chacun que nous pouvons créer dans nos églises une atmosphère propice au recueillement et à l’accueil de Dieu qui se donne. L’Evangile de ce dimanche nous appelle surtout à prendre une conscience renouvelée que nous sommes les temples du Dieu vivant. Il s’agit bien de notre part d’un acte de foi car cette inhabitation divine n’est pas la plupart du temps perceptible de manière sensible. En ce temps de carême, quels sont les marchands que nous devons chasser du sanctuaire de notre cœur, là où habite le Dieu trois fois saint ? Comment nous préparons-nous avant la messe à recevoir le don du corps du Christ ? Arrivons-nous à l’avance au rendez-vous du repas du Seigneur afin de bien nous préparer à cette rencontre du dimanche ?

dimanche 18 février 2024

Premier dimanche de Carême / année B

 

18/02/2024

Marc 1, 12-15

Le récit des tentations de Jésus au désert marque chaque année le commencement du Carême. C’est l’Esprit qui inspire à Jésus de faire en quelque sorte une retraite spirituelle de 40 jours avant de commencer son ministère public. C’est pour lui le temps de la préparation dans le silence et la prière, mais aussi le temps de l’épreuve puisque Satan se manifeste pour l’éloigner de sa mission. Contrairement à Matthieu et à Luc, saint Marc ne nous dit rien du contenu des tentations. Par contre il est le seul à nous donner ce verset : Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient. C’est par rapport à ce verset que nous pouvons recevoir la première lecture qui nous parle de l’alliance de Dieu avec Noé et les animaux : Voici que moi, j’établis mon alliance avec vous, avec votre descendance après vous, et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous : les oiseaux, le bétail, toutes les bêtes de la terre, tout ce qui est sorti de l’arche. L’harmonie que Jésus vit au désert avec les créatures spirituelles, les anges, et les bêtes sauvages est comme une image de l’alliance avec Noé après le déluge. Le verset de saint Marc nous dépeint une création réconciliée. La variété des créatures (animales, humaines, angéliques) n’aboutit pas à une déchirure ou à un conflit mais bien à une réconciliation, comme celle entrevue par la prophétie d’Isaïe 11 à laquelle je vous renvoie. Cette réconciliation a lieu parce que Jésus est l’homme parfait, parce qu’il est saint. Les nombreux récits de vies de saints nous montrant un saint Jérôme, un saint François ou un saint Gens vivant en bonne entente avec les bêtes sauvages traduisent à leur manière la même réalité. A la suite du verset de saint Marc toute une tradition philosophique a compris l’homme comme celui qui se trouve au milieu entre les créatures purement spirituelles, les anges, et les créatures animales. L’homme microcosme de la création, à la fois charnel et spirituel, prêtre et roi de toute la création. C’est notre condition humaine, chair et esprit, qui fait que nous pouvons être tentés et faibles. Pour les bêtes sauvages pas de tentation. Quant aux anges Lucifer / Satan, l’auteur des tentations, fut victime de son orgueil, étant un pur esprit sans être pour autant Dieu lui-même. En s’inspirant en partie de Montaigne, Pascal a de belles réflexions dans ses Pensées sur notre condition humaine qui fait le milieu entre l’ange et la bête. Je le cite :

Il est dangereux de trop faire voir à l'homme combien il est égal aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur. Il est encore dangereux de lui trop faire voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l'un et l'autre, mais il est très avantageux de lui représenter l'un et l'autre… Il ne faut pas que l'homme croie qu'il est égal aux bêtes ni aux anges, ni qu'il ignore l'un et l'autre, mais qu'il sache l'un et l'autre.

Avec Jésus au désert nous sommes appelés à nous connaître nous-mêmes, à connaître à la fois notre grandeur et notre bassesse. Pascal tire de ce principe une application morale : L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. Il nous faut tout autant fuir l’orgueil spirituel que la caricature de l’humilité que constitue le dénigrement de soi. Dans l’oubli de notre condition charnelle et mortelle, l’orgueil spirituel nous aveugle et nous installe dans l’illusion. Nous sommes alors facilement tentés sous couvert de bien et de perfection spirituelle, en jouant les anges nous perdons notre dignité humaine. Il ne s’agit pas non plus de se battre la poitrine en permanence en nous répétant à longueur de journée que nous ne sommes que péché et bassesse, que nous sommes nuls… Cette attitude mène tout droit au désespoir et nous éloigne du salut apporté par Jésus. Comme toujours la vertu authentiquement chrétienne se trouve dans la perfection de l’équilibre, perfection rappelée par Pascal et qui a pour nom l’humilité. Gardons au cœur le message de saint Pierre dans la deuxième lecture : Le baptême ne purifie pas de souillures extérieures, mais il est l’engagement envers Dieu d’une conscience droite et il sauve par la résurrection de Jésus Christ. Demandons au Christ la grâce de nous engager envers Dieu dans ce temps du Carême avec une conscience droite, et à le faire dans la vérité de l’humilité. Par rapport aux résolutions que nous voulons prendre dans ce chemin qui conduit vers la vie de Pâques, ne nous fixons pas des objectifs nombreux et irréalisables, mais bien des progrès humbles, limités et concrets. Demandons-nous avec une conscience droite ce qui dans notre vie fait obstacle en nous à la grâce du baptême. En écho au message du pape pour ce Carême regardons ce qui nous empêche d’être vraiment libres, ce qui freine en nous la libération que Dieu nous offre. C’est dans cette perspective que le jeûne ne se limitera pas à la nourriture mais pourra concerner nos divertissements, nos addictions (Smartphone, Internet par exemple), l’usage de notre langue etc. Pareillement l’aumône ou le partage ne se limitera pas à un don d’argent, même si ce geste concret est important, mais favorisera l’ouverture de notre cœur à la générosité sous toutes ses formes envers notre prochain (visiter une personne isolée ou malade par exemple) … Il est parfois bien plus difficile de donner de son temps et de sa personne que de faire un don d’argent… A chacun donc de s’engager avec une conscience droite envers Dieu dans l’humilité du cœur.