Les
animaux dans l’encyclique Laudato si’
du pape François
Les animaux sont cités
24 fois dans l’encyclique, soit de manière générale (les animaux,
les espèces animales,
les autres êtres vivants,
les autres créatures,
tous les êtres de cette terre, la
vie sous toutes ses formes),
soit de manière spécifique (les oiseaux,
les insectes).
Après le nom générique d’animaux et à égalité avec lui le pape utilise en
priorité celui de créature(s). C’est donc en tant que créatures voulues par
Dieu qu’il considère les animaux. Seul le chapitre 5 (Quelques lignes
d’orientation et d’action) ne mentionne pas les animaux.
L’encyclique remet tout
d’abord en cause une fausse interprétation de l’anthropocentrisme. Le pape
parle carrément d’un « anthropocentrisme déviant » (n°69) qui est à
l’origine de la maltraitance des animaux par l’homme. En citant des passages de
la Loi de Moïse (Deutéronome 22, 4.6 et Exode 23,12),
il n’hésite pas à condamner « un anthropocentrisme despotique »
incompatible avec le message biblique :
« La
Bible ne donne pas lieu à un anthropocentrisme despotique qui se
désintéresserait des autres créatures » (n°68).
Au n°83 le pape
François réaffirme cette thèse à la lumière de la révélation chrétienne dans le
Nouveau Testament :
« L’aboutissement
de la marche de l’univers se trouve dans la plénitude de Dieu, qui a été
atteinte par le Christ ressuscité, axe de la maturation universelle. Nous
ajoutons ainsi un argument de plus pour rejeter toute domination despotique et
irresponsable de l’être humain sur les autres créatures ».
La différence que Dieu
a voulue entre les hommes et les animaux ne doit pas faire naître dans le cœur
de l’homme un sentiment d’orgueil le conduisant à mépriser le reste de la
création :
« Quand
nous insistons pour dire que l’être humain est image de Dieu, cela ne doit pas
nous porter à oublier que chaque créature a une fonction et qu’aucune n’est
superflue » (n°84).
La thèse essentielle de
l’encyclique à propos des animaux consiste à affirmer avec insistance leur
valeur en tant que créatures de Dieu :
« Il
ne suffit pas de penser aux différentes espèces seulement comme à d’éventuelles
‘ressources’ exploitables, en oubliant qu’elles ont une valeur en
elles-mêmes » (n°33).
« En
même temps que nous pouvons faire un usage responsable des choses, nous sommes
appelés à reconnaître que les autres êtres vivants ont une valeur propre devant
Dieu et ‘par leur simple existence ils le bénissent et lui rendent gloire’,
puisque ‘le Seigneur se réjouit en ses œuvres’ (Ps 104, 31) » (n°69).
« Aujourd’hui,
l’Eglise ne dit pas seulement que les autres créatures sont complètement
subordonnées au bien de l’homme, comme si elles n’avaient aucune valeur en
elles-mêmes et que nous pouvions en disposer à volonté » (n°69).
En affirmant à trois reprises
la valeur que les animaux ont en eux-mêmes au sein de la création, le pape
réfute une vision exclusivement utilitariste des espèces animales. Elles
n’existent pas seulement pour être au service de l’homme et l’homme n’est pas
libre d’en faire ce qu’il veut en fonction de ses intérêts immédiats et
égoïstes.
Contre la tradition
philosophique issue de Descartes et de Malebranche, l’encyclique rappelle une
évidence qui n’aurait jamais dû être oubliée dans le contexte de la foi en Dieu,
créateur de tous les êtres vivants :
« Il
serait aussi erroné de penser que les autres êtres vivants doivent être
considérés comme de purs objets, soumis à la domination humaine
arbitraire » (n°82).
Non seulement les
animaux ne sont pas des objets privés de valeur objective, mais encore ils
n’ont pas été créés d’abord pour l’homme. Au n°83 le pape énonce une thèse qui
me semble d’une importance extrême dans le cadre d’une vision chrétienne des
rapports entre humains et animaux :
« La
fin ultime des autres créatures, ce n’est pas nous. Mais elles avancent toutes,
avec nous et par nous, jusqu’au terme commun qui est Dieu, dans une plénitude
transcendante où le Christ ressuscité embrasse et illumine tout ; car
l’être humain, doué d’intelligence et d’amour, attiré par la plénitude du
Christ, est appelé à reconduire toutes les créatures à leur créateur ».
La vocation de l’homme,
et en particulier du chrétien, vis-à-vis des autres créatures ne consiste pas à
être un despote violent et irresponsable. L’homme est au contraire présenté
comme le prêtre de l’univers, celui par lequel et avec lequel, toutes les
autres créatures pourront atteindre leur propre fin en Dieu. Cela rejoint ce
que le pape dit de saint François dans son introduction à l’encyclique :
« Tout
comme cela arrive quand nous tombons amoureux d’une personne, chaque fois que
saint François d’Assise regardait le soleil, la lune ou les animaux même les
plus petits, sa réaction était de chanter, en incorporant dans sa louange les
autres créatures » (n°11).
Nous retrouvons cette
belle idée de l’homme prêtre de l’univers dans la « prière chrétienne avec
la création » à la fin de l’encyclique :
« Dieu
d’amour, montre-nous notre place dans ce monde comme instruments de ton
affection pour tous les êtres de cette terre, parce qu’aucun n’est oublié de
toi » (n°246).
Nous avons vu que la
fin ultime des autres créatures, ce n’est pas l’homme mais le Créateur. Le pape
développe la thèse selon laquelle il y aura aussi « une place » au
paradis, dans le Royaume de Dieu pour les autres créatures. La résurrection du
Christ n’apporte pas seulement le salut aux hommes. Elle est le commencement
d’une création nouvelle dans laquelle chaque créature aura sa place :
« Les
créatures de ce monde ne se présentent plus à nous comme une réalité purement
naturelle, parce que le Ressuscité les enveloppe mystérieusement et les oriente
vers un destin de plénitude. Même les fleurs des champs et les oiseaux
qu’émerveillé il a contemplé de ses yeux humains
sont maintenant remplis de sa présence lumineuse » (n°100).
Oui, même les oiseaux
portent en eux la présence lumineuse du Christ depuis le jour de Pâques !
Et les animaux comme les autres créatures participeront à leur manière à la vie
éternelle !
« La
vie éternelle sera un émerveillement partagé, où chaque créature, transformée
d’une manière lumineuse, occupera sa place et aura quelque chose à apporter aux
pauvres définitivement libérés » (n°243).
C’est bien parce que
chaque créature a sa valeur propre et sa fonction sur cette terre que le pape
s’inquiète à de nombreuses reprises de la disparition de certaines espèces
animales.
Les changements du climat n’affectent pas seulement les hommes mais aussi les
animaux (n°25). La perte de biodiversité est due à de multiples facteurs dont
certains sont cités par l’encyclique : les agro-toxiques (les pesticides,
n°34), la surexploitation commerciale de certaines espèces (on peut penser
concrètement à la surpêche, n°35), le commerce de peaux d’animaux en voie
d’extinction (n°123) etc. Au n°89 le pape utilise une expression
particulièrement forte pour caractériser la perte que peut représenter
l’extinction d’une espèce animale :
« Je
veux rappeler que ‘Dieu nous a unis si étroitement au monde qui nous entoure,
que la désertification du sol est comme une maladie pour chacun et nous pouvons
nous lamenter sur l’extinction d’une espèce comme si elle était une
mutilation’ ».
L’homme ne peut rester
indifférent ni passif face à cette perte de biodiversité tout simplement parce
qu’il en est le premier responsable, et d’une certaine manière la première
victime, même s’il n’en a pas conscience :
« Chaque
année disparaissent des milliers d’espèces végétales et animales que nous ne
pourrons plus connaître, que nos enfants ne pourront pas voir, perdues pour
toujours. L’immense majorité disparaît pour des raisons qui tiennent à une
action humaine. A cause de nous, des milliers d’espèces ne rendront plus gloire
à Dieu par leur existence et ne pourront plus nous communiquer leur propre
message. Nous n’en avons pas le droit » (n°33).
La disparition de
certaines espèces animales constitue donc un appauvrissement de la création
divine, une véritable mutilation pour les hommes. Les animaux, de par leur
simple existence, rendent gloire à Dieu et nous délivrent un message. Eux, qui
ne sont pas dotés comme nous de la parole, nous parlent cependant à leur
manière et nous n’avons pas le droit de les condamner au silence, nous privant
ainsi nous-mêmes de leur témoignage. Le pape suggère que leur message est
important en condamnant notre irresponsabilité vis-à-vis d’eux. Cette
conviction, il la réaffirme plus loin dans l’encyclique :
« Diverses
convictions de notre foi développées au début de cette encyclique aident à
enrichir le sens de cette conversion, comme la conscience que chaque créature
reflète quelque chose de Dieu et a un message à nous enseigner » (n°221).
Quel est donc ce
message ?
« Tout
l’univers matériel est un langage de l’amour de Dieu, de sa tendresse démesurée
envers nous. Le sol, l’eau, les montagnes, tout est caresse de Dieu »
(n°84).
« Dieu
a écrit un beau livre ‘dont les lettres sont représentées par la multitude des
créatures présentes dans l’univers’. Les évêques du Canada ont souligné à juste
titre qu’aucune créature ne reste en dehors de cette manifestation de Dieu »
(n°85).
Dans le deuxième
chapitre (n°90.91), le pape François exprime une crainte : que certains
militants de la cause animale manquent de cohérence en se désintéressant du
sort des hommes.
« Parfois
[…] il se mène une lutte en faveur d’autres espèces que nous n’engageons pas
pour défendre l’égale dignité entre les êtres humains » (n°90).
«
L’incohérence est évidente de la part de celui qui lutte contre le trafic
d’animaux en voie d’extinction, mais qui reste complètement indifférent face à
la traite des personnes, se désintéresse des pauvres, ou s’emploie à détruire
un autre être humain qui lui déplaît » (n°91).
L’écologie intégrale
défendue par le pape unit la cause des hommes et celle de la nature :
« Le
sentiment d’union intime avec les autres êtres de la nature ne peut pas être
réel si en même temps il n’y a pas dans le cœur de la tendresse, de la
compassion et de la préoccupation pour les autres êtres humains. […] Il faut
donc une préoccupation pour l’environnement unie à un amour sincère envers les
êtres humains, et à un engagement constant pour les problèmes de société »
(n°91).
Pourquoi le pape
insiste-t-il tant sur l’union de l’amour pour les animaux et de l’amour pour
les hommes (« en même temps ») ? Parce que, comme il ne cesse de
le répéter tout au long de son encyclique, « tout est lié »
Au chapitre troisième
(La racine humaine de la crise écologique), l’encyclique aborde le thème
sensible des expérimentations animales. Le pape admet, en citant le Catéchisme de l’Eglise catholique,
qu’elles peuvent être légitimes dans certains cas. Le même Catéchisme est à nouveau cité pour rappeler qu’ « il est
contraire à la dignité humaine de faire souffrir inutilement les animaux et de
gaspiller leurs vies ».
La formulation du Catéchisme pose un
problème de par son manque de précision. Que signifie dans ce contexte
l’adverbe « inutilement », et quelle est l’autorité morale qui va
déterminer quels sont les cas concrets dans lesquels la souffrance infligée par
l’homme à des animaux est utile ?
Regardons maintenant
les passages de l’encyclique qui traitent du type de relation que l’homme doit
avoir (ou ne pas avoir) avec les créatures animales. Tout d’abord il y a la
référence à Luc 12, 6 :
« Quand
on lit dans l’Evangile que Jésus parle des oiseaux, et dit qu’aucun d’eux n’est
oublié au regard de Dieu, pourra-t-on encore les maltraiter ou leur faire du
mal ? » (n°221).
La réponse à cette
interrogation rhétorique est évidente : l’homme n’a pas le droit de
maltraiter ou de faire du mal aux animaux car ils sont des créatures de Dieu et
l’amour divin s’étend aussi à eux. Dans sa tendresse et sa providence le
Créateur n’est pas indifférent aux animaux. Lorsque le pape parle de
l’éducation à la responsabilité environnementale, il mentionne l’exigence de
« traiter avec attention les autres êtres vivants » (n°211). Un homme
qui maltraite les animaux risque fort de maltraiter aussi ses frères
humains :
« Il
est vrai aussi que l’indifférence ou la cruauté envers les autres créatures de
ce monde finissent toujours par s’étendre, d’une manière ou d’une autre, au
traitement que nous réservons aux autres êtres humains. Le cœur est unique, et
la même misère qui nous porte à maltraiter un animal ne tarde pas à se
manifester dans la relation avec les autres personnes. Toute cruauté sur une
quelconque créature est contraire à la dignité humaine » (n°92).
Dans le contexte de
l’écologie intégrale développée par le pape François, on pourra regretter
certains manques ou certaines omissions : l’encyclique ne mentionne pas le
problème de la surconsommation de viande, le scandale de l’élevage industriel
des animaux (et donc des abattoirs) et l’option végétarienne. Du moins pas de
manière explicite…
« Une
écologie intégrale est aussi faite de simples gestes quotidiens par lesquels
nous rompons la logique de la violence, de l’exploitation, de l’égoïsme. En
attendant, le monde de la consommation exacerbée est en même temps le monde du
mauvais traitement de la vie sous toutes ses formes » (n°230).
L’élevage industriel
des animaux, en particulier celui des vaches laitières, des poulets et des
poules pondeuses, des porcs et des lapins, n’est-il pas l’une des expressions
les plus horribles de cette logique dénoncée par le pape ? Violence,
exploitation et égoïsme. La surconsommation de viande (« la consommation
exacerbée ») est en effet inséparable du mauvais traitement infligée à des
millions d’animaux considérés comme de simples objets, sources de rendement
économique maximal (« mauvais traitement de la vie sous toutes ses
formes »).
Au terme de ce parcours
je voudrais citer deux passages du chapitre sixième (éducation et spiritualité
écologiques) qui me semblent particulièrement significatifs dans le contexte du
juste rapport que nous devons entretenir avec les autres êtres vivants sur
cette planète terre. Tout d’abord la différence maintenue par le pape entre les
hommes et les animaux n’implique pas, nous l’avons déjà vu, un
anthropocentrisme despotique et irresponsable. C’est le contraire qui est vrai :
« Cette
conversion (écologique) implique aussi la conscience amoureuse de ne pas être
déconnecté des autres créatures, de former avec les autres êtres de l’univers
une belle communion universelle. […] Le croyant ne comprend pas sa supériorité
comme motif de gloire personnelle ou de domination irresponsable, mais comme
une capacité différente, lui imposant à son tour une grave responsabilité
qui naît de sa foi » (n°220).
La logique de
l’exploitation violente et égoïste des animaux doit donc laisser la place à la
fraternité entre toutes les créatures :
« J’invite
tous les chrétiens à expliciter cette dimension de leur conversion, en
permettant que la force et la lumière de la grâce reçue s’étendent aussi à
leur relation avec les autres créatures ainsi qu’avec le monde qui les
entoure, et suscitent cette fraternité sublime avec toute la création,
que saint François d’Assise a vécue d’une manière si lumineuse » (n°221).