dimanche 27 décembre 2015

LA SAINTE FAMILLE / ANNÉE C



Luc 2, 41-52

27/12/15

La sainte famille de Jésus, Marie et Joseph est une réalité à la fois humaine et divine. Joseph et Marie s’aimaient et avaient le projet de se marier. Mais à un moment donné de leur histoire, Dieu s’adresse à eux pour leur donner une vocation particulière : celle d’être les parents de son Fils. Dieu n’a pas obligé Joseph et Marie à accepter cette responsabilité, Il a fait appel à leur liberté par l’intermédiaire des anges. De même que Jésus, conçu par la puissance de l’Esprit dans le sein de la Vierge, est vraiment homme et vraiment Dieu, sa famille est une réalité humaine et divine. Aucune famille humaine n’a été aussi divine que celle de Jésus. Dans cette famille on respirait en quelque sorte la présence de Dieu et la sainteté de Marie et de Joseph manifestait jour après jour les fruits de l’Esprit : amour, joie et paix. Cette communion unique avec Dieu n’était pas en contradiction avec le caractère véritablement humain de la sainte famille. Les saints sont des hommes et demeurent des créatures, donc des êtres limités. L’épisode du jeune Jésus au temple nous montre comment Marie et Joseph ont pu être blessés par la manifestation d’autonomie de leur enfant. Il y a eu entre eux et lui incompréhension, et cette incompréhension a causé de la souffrance dans le cœur des parents. Saint Luc insiste sur le fait qu’après avoir perdu de vue leur fils ses parents l’ont cherché, remplis d’inquiétude pour lui. Le jeune homme avait décidé de prolonger son séjour à Jérusalem, manifestant ainsi un choix libre, un choix d’homme adulte alors qu’il n’avait que douze ans. Le jeune Jésus s’était séparé de ses parents non pas pour aller jouer avec des gamins de son âge mais pour fréquenter les docteurs de la Loi : il les écoutait et leur posait des questions. A douze ans cet enfant montrait une ouverture très grande à ce que nous nommons la théologie : le discours sur Dieu, la réflexion de la raison humaine sur les réalités divines. C’est lui qui pose des questions aux savants de son temps mais bizarrement saint Luc nous parle non pas des réponses des docteurs de la Loi mais des réponses de Jésus : tous ceux qui l’entendaient s’extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses. Les témoins pressentaient que cet enfant n’était pas tout à fait comme les autres. Il était un génie de la théologie. Nous qui savons son origine divine par le récit de l’Annonciation, nous ne sommes pas étonnés par son intelligence des choses de Dieu. Marie, elle aussi, savait que son fils venait de Dieu et pourtant elle ne comprend pas. Face à l’étonnement de ses parents et au reproche à peine voilé qui lui est adressé, cet enfant de douze ans rappelle à ses parents qui il est vraiment : Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? S’il est resté seul dans le temple, c’était en vue d’une révélation. Le temple étant la maison de Dieu, il montrait par-là qu’il avait avec le Père une relation unique, celle du Fils. C’est au bout de trois jours de recherche de la part de ses parents qu’il fait cette révélation, comme, à l’autre bout de l’Evangile, sa résurrection, trois jours après sa mort en croix, manifestera sa divinité et la vérité de son message. Si cet enfant est vraiment Dieu, il n’en demeure pas moins vraiment homme. C’est la raison pour laquelle il accepte de repartir avec ses parents à Nazareth pour de longues années de vie normale, humble et cachée. Après cette première manifestation dans le temple, il faudra attendre le baptême par Jean dans le Jourdain pour une nouvelle révélation de son identité divine. Entre temps il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes. A cette croissance humaine du jeune Jésus dans toutes les dimensions de son être correspond une croissance de sa mère Marie dans la compréhension de son fils car elle gardait dans son cœur tous ces événements.

jeudi 24 décembre 2015

NOEL 2015


Noël 2015

Dans la nuit de Noël les fidèles reçoivent l’annonce faite autrefois aux bergers : Et voilà le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. Pour la messe du jour, l’Eglise nous propose le magnifique prologue de saint Jean. L’évangéliste a voulu commencer son Evangile par ces paroles significatives : Au commencement était le Verbe… Il pensait bien sûr au commencement du livre de la Genèse, aux premiers mots de la Bible : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Saint Jean situe donc le mystère de Noël, l’incarnation du Verbe de Dieu, dans l’ensemble de l’histoire du salut. Celui qui a habité parmi nous en naissant du sein de la Vierge Marie, c’est celui par qui le Père a tout créé. Saint Paul se fait l’écho du prologue de saint Jean dans sa lettre aux Colossiens : Jésus est l’image du Dieu invisible, le premier-né, avant toute créature : en lui, tout fut créé, dans le ciel et sur la terre. C’est donc dans le Fils que nous avons été voulus et créés, à l’image de Dieu et selon sa ressemblance. Célébrer la naissance de Jésus à Noël nous demande donc de croire en Dieu créateur. La référence de Jean au récit de la création nous montre le lien intime entre notre foi en Dieu créateur et notre foi en sa venue parmi nous lorsque le Verbe se fait chair. Notre existence, notre vie viennent de la volonté du Père manifestée en son Fils unique : En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes. Jean veut nous faire comprendre que le secret de notre vie réside en Dieu, plus précisément dans le Verbe créateur. Comme l’indique la deuxième lecture, ce qui se passe à Noël est le sommet de la révélation divine, de la manifestation du mystère de Dieu dans l’histoire humaine. Après l’entrée du mal dans le cœur de l’homme et donc dans la création, Dieu notre Père ne nous a pas abandonnés. Dans son prologue Jean nous montre la présence du Verbe dans notre monde avant la grande manifestation de son amour et de sa proximité dans le nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire : Il était dans le monde, il est venu chez les siens pour faire briller la lumière de la vie divine au sein de la création tout entière. L’Ancien Testament a affirmé cette présence aimante de Dieu à sa création en utilisant la figure de la Sagesse, cette Sagesse qui annonce le Verbe de Dieu. Nous lisons dans le livre des Proverbes une belle évocation de cette présence du Fils parmi nous, lui, la Sagesse du Père, bien avant qu’il n’habite parmi nous en naissant de la Vierge Marie :

Lorsque Dieu traçait l'horizon à la surface de l'abîme, chargeait de puissance les nuages dans les hauteurs et maîtrisait les sources de l'abîme, lorsqu'il imposait à la mer ses limites, pour que les eaux n'en franchissent pas les rivages, lorsqu'il établissait les fondements de la terre, j'étais à ses côtés comme un maître d'œuvre. J'y trouvais mes délices jour après jour, jouant devant lui à tout instant, jouant sur toute la terre, et trouvant mes délices avec les fils des hommes.

En méditant l’évangile de cette solennité, nous comprenons que Noël est un commencement, un commencement à mettre en rapport avec celui de la création. La naissance du bébé dans une mangeoire est le signe que Dieu commence avec nous, en nous et pour nous une nouvelle création. Et c’est dans le sacrement du baptême que nous renaissons à cette vie nouvelle apportée par l’enfant de Bethléem. C’est par le baptême et par la foi que nous naissons de Dieu. Ici encore saint Paul nous aide à comprendre le dessein de Dieu dans toute son ampleur. Ecoutons son enseignement dans sa lettre aux Ephésiens :

Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ ! Il nous a bénis et comblés des bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ. Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour. Il nous a prédestinés à être, pour lui, des fils adoptifs par Jésus, le Christ.

Dieu notre Père nous a choisis dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints dans l’amour. Voilà le but et la raison du mystère de Noël ! Dans la nuit de Noël, à la plénitude des temps, se manifeste le dessein éternel de Dieu pour ses créatures. Le Verbe s’est fait chair pour que nous soyons saints dans l’amour. La création nouvelle qui commence à Noël, c’est la vie de Dieu en nous, c’est la sainteté de l’homme créé à l’image de Dieu. L’enfant couché dans la mangeoire nous indique comment nous pouvons renaître et vivre de la liberté des enfants de Dieu : en aimant. L’amour est l’arme que Dieu nous donne pour vaincre en nous et en ce monde les ténèbres du mal. Si les hommes acceptent l’Evangile du Christ, si les hommes vivent en conformité avec cet Evangile, alors, oui, toute la création sera sauvée et renouvelée. C’est par notre oui actif à l’amour divin manifesté à Noël, que nous pourrons non seulement nous libérer nous-mêmes de la tristesse du péché mais apporter à toutes les autres créatures et à la création elle-même la joie du salut. Saint Paul nous fait entrevoir le grand mystère de notre responsabilité de fils de Dieu pour que ce monde soit dès maintenant le signe du Royaume de Dieu, royaume d’amour, de justice et de paix :

La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu. Car la création a été soumise au pouvoir du néant. Pourtant, elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu. Nous le savons bien, la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore.

En regardant la marche de notre monde et de notre humanité, nous pouvons être tentés par le pessimisme et le découragement et même penser que Jésus est venu pour rien… Noël nous remet sur le chemin de l’espérance en nous faisant comprendre l’importance de notre mission là où nous nous trouvons. Si le signe de la puissance de l’amour de Dieu est un bébé, alors nous comprenons que tous les petits actes d’amour, humbles et cachés, que nous pouvons vivre au quotidien contribuent réellement à remettre un peu du jardin d’Eden sur notre terre travaillée par les douleurs de l’enfantement à une vie nouvelle.



dimanche 20 décembre 2015

Quatrième dimanche de l'Avent / C


20/12/15

Luc 1, 39-45

Le dernier dimanche de l’Avent nous prépare plus directement à la célébration désormais toute proche de Noël. En cette année liturgique C, nous méditons le récit de la visitation en saint Luc. La visitation, c’est la rencontre entre deux femmes devenues mères par la grâce de Dieu. L’une est jeune et vierge, l’autre est âgée et stérile. Leur maternité est réellement un don du Père qui a choisi ces femmes pour une mission particulière et unique. L’atmosphère de cette rencontre est celle de la joie spirituelle. Lorsque Marie salue Elisabeth, elle apporte avec elle la joie de l’Esprit Saint. Et Jésus, avant même sa naissance, communique cette même joie à Jean dans le sein de sa mère. En nous rapportant cette rencontre, l’évangéliste a probablement voulu nous faire comprendre que toutes les promesses de Dieu étaient sur le point de s’accomplir avec la naissance prochaine de Jésus. C’est la jeune fille vierge, Marie, qui rend visite à sa parente âgée et stérile, Elisabeth. C’est la nouveauté de l’Alliance inaugurée par Jésus-Christ qui vient porter la joie de l’Esprit à l’ancienne Alliance, représentée par Elisabeth, femme du prêtre Zacharie. Les premières paroles de la prière mariale, Je vous salue Marie, sont celles de l’ange Gabriel lors de l’annonciation. Dans le récit de la visitation, nous trouvons la suite de ces paroles dans la louange adressée par Elisabeth à Marie : Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. Nous le constatons, la première partie du Je vous salue Marie provient de l’évangile selon saint Luc. Marie est bénie entre toutes les femmes parce qu’elle a été choisie par le Père pour mettre au monde son Fils, le Sauveur, dans la nuit de Noël. C’est en elle et par elle que se réalise le mystère de l’incarnation. Et c’est par l’action de l’Esprit Saint que la jeune fille vierge devient la mère de Jésus. Elisabeth ne loue pas seulement Marie en raison de la grandeur de sa vocation mais aussi parce qu’elle voit en elle l’exemple de la femme croyante : Heureuse, celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur.

Ce récit de la visitation nous donne un enseignement précieux sur notre vie spirituelle. L’Esprit Saint est la source de notre joie profonde. En ces jours qui nous séparent de Noël, prenons une vive conscience du don de l’Esprit reçu au baptême et à la confirmation. Prenons conscience de sa présence en nous en étant fidèles, chaque jour, à la méditation et à la prière. Prions l’Esprit Saint et demandons-lui la grâce de faire l’expérience intérieure de la joie de Noël. C’est par notre acte de foi que, comme Marie, nous permettons à l’Esprit Saint de répandre en nous la joie et la lumière de Dieu. N’oublions pas que, nous aussi, nous pouvons être la mère de Jésus comme lui-même nous l’enseigne dans l'évangile : Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique. En contemplant la vocation de Marie et d’Elisabeth, ayons une conscience renouvelée de la grandeur et de la dignité de notre vocation chrétienne. Pour ce faire nous pouvons méditer ce que saint Paul n’hésitait pas à écrire aux chrétiens d'Éphèse :


Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ ! Il nous a bénis et comblés des bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ. Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour. Il nous a prédestinés à être, pour lui, des fils adoptifs par Jésus, le Christ. Ainsi l’a voulu sa bonté, à la louange de gloire de sa grâce, la grâce qu’il nous donne dans le Fils bien-aimé. En lui, par son sang, nous avons la rédemption, le pardon de nos fautes. C’est la richesse de la grâce que Dieu a fait déborder jusqu’à nous en toute sagesse et intelligence. Il nous dévoile ainsi le mystère de sa volonté, selon que sa bonté l’avait prévu dans le Christ : pour mener les temps à leur plénitude, récapituler toutes choses dans le Christ, celles du ciel et celles de la terre.

dimanche 29 novembre 2015

Recueil d'homélies pour la nouvelle année liturgique C


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Premier dimanche de l'Avent / Année liturgique C


29/11/15

Luc 21, 25-36

Au commencement d’une nouvelle année liturgique, l’Eglise nous fait contempler la fin, l’accomplissement du Royaume de Dieu lors du retour du Christ dans sa gloire. Les textes de cette liturgie orientent en effet notre cœur et notre regard vers un ciel nouveau et une terre nouvelle où résidera la justice, selon l’expression employée par saint Pierre dans sa deuxième lettre.

Nous aspirons tous profondément au bonheur et à la justice. Nous souffrons de constater que notre monde est encore sous l’emprise du péché et du mal. Nous faisons nôtres les paroles de saint Paul dans sa lettre aux Romains :

La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu. Car la création a été soumise au pouvoir du néant, non pas de son plein gré, mais à cause de celui qui l’a livrée à ce pouvoir. Pourtant, elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu. Nous le savons bien, la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. Et elle n’est pas seule. Nous aussi, en nous-mêmes, nous gémissons ; nous avons commencé à recevoir l’Esprit Saint, mais nous attendons notre adoption et la rédemption de notre corps.

Nous avons entendu dans la première lecture la promesse de bonheur faite par Dieu à son peuple. Et cette promesse, c’est la venue d’un Germe de justice, venue que nous célébrerons à Noël avec la naissance de Jésus, notre justice. Dieu notre Père veut donc combler ses enfants de bonheur en leur donnant son propre Fils. C’est en écoutant la Parole du Fils, en la méditant et en la mettant en pratique que nous trouverons le secret du véritable bonheur et que nous deviendrons justes en présence de Dieu.

Dans la première partie de l’Evangile, Jésus fait siennes les conceptions de son temps sur la fin du monde. Il reprend les images apocalyptiques que l’on trouve chez les prophètes et qui annoncent un ébranlement cosmique. Mais le plus important n’est pas là. Car pour préparer l’avènement du Royaume du Christ à la fin des temps, il s’agit d’abord de rester éveillé, d’éviter que notre cœur ne s’alourdisse. Jésus nous parle donc du combat spirituel. C’est en nous que nous permettons au Royaume de Dieu d’advenir, dans l’attente du retour du Christ en gloire. C’est en nous que nous pouvons anticiper le ciel nouveau et la nouvelle terre. Pour reprendre une belle expression du pape Grégoire le grand, le ciel, c’est l’âme du juste. Le Seigneur nous fait donc observer un contraste entre deux attitudes. Nous pouvons alourdir notre cœur en nous laissant dominer par la débauche, l’ivrognerie et les soucis de la vie, ou bien, au contraire, renforcer notre communion avec Dieu par notre fidélité à la prière et à la vie spirituelle. Voilà donc notre temps de l’Avent placé sous le signe de la prière. Chacun de nous est invité à intensifier sa relation avec le Seigneur et à choisir les moyens concrets qui l’aideront à demeurer éveillé dans la prière : chapelet, méditation de la Bible, adoration du Saint Sacrement etc. En nous unissant à Dieu, la prière nous libère de plus en plus des soucis de cette vie pour nous recentrer sur l’essentiel. Cet Avent sera aussi marqué par le commencement de l’année de la miséricorde, le 8 décembre. Une année au cours de laquelle le pape François nous invite à être miséricordieux pour les autres et à recevoir nous-mêmes la miséricorde divine, en particulier par la célébration du sacrement du pardon et de la réconciliation.

dimanche 22 novembre 2015

Le Christ roi de l'univers / année B


22/11/15

Jean 18, 33-37

Notre année chrétienne s’achève en ce dimanche avec la fête du Christ, Roi de l’univers. En cette année liturgique B, l’Eglise nous fait entendre un passage du récit de la Passion en saint Jean. D’emblée nous sommes ainsi avertis de ce que la royauté du Christ ne ressemble pas à celle des dirigeants de cette terre. Si tout s’était achevé sur la croix, le Christ ne serait pas roi et ses adversaires auraient eu raison de le considérer comme un imposteur. C’est l’ensemble du mystère pascal, de la Passion à l’Ascension en passant par la mort en croix et la résurrection, qui est le signe et la preuve de la Seigneurie de Jésus de Nazareth. C’est parce que cet homme est mort et ressuscité que nous pouvons l’adorer comme le Fils du Dieu vivant et reconnaître en ses paroles les paroles de la vie éternelle.
Dans son dialogue avec Pilate, Jésus nous révèle deux caractéristiques de sa royauté :

-      Elle ne vient pas de ce monde.
-      Elle est un témoignage rendu à la vérité.

Ma royauté ne vient pas de ce monde. Oui, l’autorité du Christ ne vient pas des hommes mais de Dieu. Il affirme cela au moment même où les responsables du peuple ridiculisent son autorité divine et le livrent au pouvoir romain pour qu’il soit crucifié. Oui, son autorité n’a pas été reconnue par les chefs religieux d’Israël. Quel est le signe donné par Jésus pour montrer que son pouvoir ne vient pas de ce monde ? Contrairement aux puissants de ce monde, il n’a pas d’armée ni de soldats pour le défendre. Ce qui signifie que l’autorité divine ne s’impose pas par la force et la contrainte. L’autorité divine, nous le verrons plus loin, n’a pas d’autre force que celle de la vérité. Saint Paul avait parfaitement compris cela lorsqu’il parlait du mystère de la croix aux Corinthiens :

Alors que les Juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie, ce Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.

Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix.
L’autorité du Christ vient de Dieu et elle est au service de la vérité. Proclamer la vérité est toujours dangereux. Jésus a été le martyr de la vérité. S’il est mort en croix, c’est bien parce qu’il n’a pas eu peur de dire la vérité sur Dieu et sur les hommes. Or la vérité n’est pas toujours agréable à entendre. Tout simplement parce que nous sommes pécheurs et complices avec le mal. Ce qui nous empêche souvent de recevoir le témoignage de la vérité, ce sont nos mauvaises actions. Les mauvais choix que nous faisons pour nous et pour les autres nous rendent aveugles et sourds. Si les puissants de ce monde peuvent mettre leur autorité au service de bien des ambitions et sont prêts à accepter des compromissions et des trahisons pour se maintenir au pouvoir, Jésus, lui, est le chemin, la vérité et la vie. Le Christ Roi ne rend pas seulement témoignage à la vérité, Il est en lui-même cette vérité libératrice, cette vérité qui nous sauve. Dans son dialogue avec Nicodème, Jésus nous montre qu’il s’agit pour nous de faire la vérité, non pas de la créer, mais de la recevoir en agissant selon le bien et la justice :


Et le Jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. 

mercredi 11 novembre 2015

Cérémonie de Requiem - 11 novembre 2015



La doctrine sociale de l’Eglise est au service de la justice et de la paix. En cette année 2015, le pape François a eu l’occasion de rappeler et d’approfondir à de nombreuses occasions les principes de cet enseignement en les appliquant aux situations concrètes qui sont les nôtres aujourd’hui. Pour notre temps de méditation et de prière de ce 11 novembre, je me référerai principalement au long discours que le pape François a adressé aux participants de la rencontre mondiale des mouvements populaires à Santa Cruz, le 9 juillet, en présence d’Evo Morales, président de la Bolivie. Le pape a souligné avec force la nécessité d’un changement de structures et a donné trois orientations : 1°/ Mettre l’économie au service des peuples ; 2°/ Unir nos peuples sur le chemin de la paix et de la justice ; 3°/ Défendre la Mère Terre (l’écologie). La paix, la justice et la démocratie vont ensemble. Or, affirme le pape, le système économique actuel peut être décrit comme une dictature subtile :

Derrière tant de douleur, tant de mort et de destruction, se sent l’odeur de ce que saint Basile de Césarée appelait « le fumier du diable » ; l’ambition sans retenue de l’argent qui commande. Le service du bien commun est relégué à l’arrière-plan. Quand le capital est érigé en idole et commande toutes les options des êtres humains, quand l’avidité pour l’argent oriente tout le système socio-économique, cela ruine la société, condamne l’homme, le transforme en esclave, détruit la fraternité entre les hommes, oppose les peuples les uns aux autres, et comme nous le voyons, met même en danger notre maison commune.

A propos du scandale du commerce des armes, le pape s’est exprimé clairement à de nombreuses reprises. Écoutons ce qu’il a dit dans son discours au Congrès des Etats-Unis d’Amérique le 24 septembre :

Etre au service du dialogue et de la paix signifie aussi être vraiment déterminé à réduire et, sur le long terme, à mettre fin aux nombreux conflits armés dans le monde. Ici, nous devons nous demander : pourquoi des armes meurtrières sont-elles vendues à ceux qui planifient d’infliger des souffrances inqualifiables à des individus et à des sociétés ? Malheureusement, la réponse, comme nous le savons, est simple : pour de l’argent ; l’argent qui est trempé dans du sang, souvent du sang innocent. Face à ce honteux et coupable silence, il est de notre devoir d’affronter le problème et de mettre fin au commerce des armes.

La diplomatie de la France a été traditionnellement au service de la défense et de la promotion des droits de l’homme, sans lesquels aucune paix véritable ne peut s’établir. Il est regrettable de constater que l’argent l’a emporté sur les beaux idéaux. Comment les protestations de la France contre les violations des droits de l’homme peuvent-elles encore être entendues lorsqu’elle commerce, en particulier par la vente d’armes, avec un pays dans lequel les mêmes droits de l’homme sont violés de manière grave et quotidienne, l’Arabie Saoudite ? Il est triste de voir à quel point nos dirigeants se sont transformés en de vulgaires représentants de commerce.

Dans son discours de Santa Cruz, le pape François dénonce un nouveau colonialisme qui menace la coexistence pacifique des peuples en niant la souveraineté des nations et leur indépendance :

Les peuples du monde veulent être artisans de leur propre destin. Ils veulent conduire dans la paix leur marche vers la justice. Ils ne veulent pas de tutelles ni d’ingérence où le plus fort subordonne le plus faible. Ils veulent que leur culture, leur langue, leurs processus sociaux et leurs traditions religieuses soient respectés. Aucun pouvoir de fait ou constitué n'a le droit de priver les pays pauvres du plein exercice de leur souveraineté et, quand on le fait, nous voyons de nouvelles formes de colonialisme qui affectent sérieusement les possibilités de paix et de justice parce que « La paix se fonde non seulement sur le respect des droits de l’homme, mais aussi sur les droits des peuples particulièrement le droit à l'indépendance ».

Pour le pape, ce nouveau colonialisme adopte des visages différents : le pouvoir anonyme de l’idole argent qui se manifeste en particulier par les traités dits de libre échange, les monopoles médiatiques, et enfin sous la noble apparence de la lutte contre la corruption, contre le trafic de stupéfiants ou le terrorisme (…), nous voyons que l’on impose aux États des mesures qui ont peu à voir avec la résolution de ces questions et bien des fois aggravent les choses. La paix ne peut se construire que si l’on unit le respect de la souveraineté nationale à la coopération internationale : Interaction n’est pas synonyme d’imposition, ce n’est pas une subordination des uns en fonction des intérêts des autres. Le plein exercice de la souveraineté des peuples est inséparable de la démocratie authentique. Ce ne sont pas seulement les peuples des pays pauvres qui sont privés de leur indépendance, mais aussi les peuples d’Europe en raison d’une conception dogmatique, technocratique et opaque du fonctionnement de la communauté européenne. Les décisions prises reflètent davantage la volonté des lobbies économiques et financiers, donc des intérêts privés, que les aspirations des peuples. Ce fonctionnement anti-démocratique est une menace pour la paix et l’entente entre les peuples européens. Ce qui s’est passé en Grèce récemment le démontre. Et l’Italie a déjà eu son gouvernement « technique » dirigé par un banquier eurocrate, euphémisme pour signaler une entorse de plus à la démocratie…

A Santa Cruz, le pape a enfin redit sa confiance aux mouvements populaires comme porteurs d’espérance et artisans de paix :

Pour finir, je voudrais vous dire de nouveau : l’avenir de l’humanité n’est pas uniquement entre les mains des grands dirigeants, des grandes puissances et des élites. Il est fondamentalement dans les mains des peuples ; dans leur capacité à s’organiser et aussi dans vos mains qui arrosent avec humilité et conviction ce processus de changement.



dimanche 8 novembre 2015

32ème dimanche du temps ordinaire / B


8/11/15

Marc 12, 38-44

L'Évangile de ce dimanche nous montre comment Jésus enseignait en partant de l’observation de la vie quotidienne. Il avait les yeux ouverts sur le monde dans lequel il vivait, et il interprétait les signes des temps, en particulier à travers les comportements humains. Sa sagesse était donc incarnée.

Méfiez-vous des scribes… La première partie de notre Evangile se fait l’écho du jugement du Seigneur sur les scribes d’Israël, ceux qui connaissaient bien la loi de Moïse et qui lisaient chaque jour les Ecritures. Ce que Jésus leur reproche principalement, c’est leur hypocrisie. Car ils recherchent davantage leur propre gloire que celle de Dieu. Ils agissent pour être vus des hommes et recevoir d’eux leur louange. Cela nous rappelle un autre enseignement du Christ dans l’Evangile selon saint Matthieu : Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux. Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra. L’hypocrisie des scribes est encore plus grave quand il s’agit de la prière, c’est-à-dire de cet acte sacré par lequel nous entrons en relation avec notre Père et Créateur : ils ne prient pas vraiment, ils font semblant de prier. Et dans le même temps ils sont attachés à l’argent, prêts à dévorer les biens des veuves pour pouvoir s’enrichir. Le verdict de Jésus est clair et sans appel. Les hommes hypocrites qui se moquent de Dieu et des pauvres seront d’autant plus sévèrement condamnés. Des veuves dépouillées par les scribes, nous passons, dans la deuxième partie de notre Evangile, à la pauvre veuve qui nous est présentée non seulement en contraste avec les gens riches mais aussi avec les scribes hypocrites. Jésus loue et admire cette femme. Comment expliquer son attitude si ce n’est par la force de sa foi en Dieu ? Elle, alors qu’elle est pauvre, n’est pas attachée au peu d’argent qu’elle a, mais elle fait ce geste qui paraît fou aux yeux de la sagesse humaine : le peu qu’elle a, elle le donne entièrement. Le don des deux piécettes est une image du sacrifice parfait, celui du Christ qui s’est donné entièrement pour que nous ayons la vie, et que nous l’ayons en abondance. Le Fils de Dieu a choisi de se faire pauvre pour pouvoir se donner entièrement à nous : Vous connaissez en effet le don généreux de notre Seigneur Jésus Christ : lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté. C’est ainsi que saint Paul met devant les yeux des Corinthiens l’exemple du Christ pour susciter en eux la générosité à l’occasion d’une collecte. Mais notre Evangile ne nous parle pas d’abord de générosité, puisque les riches ont donné des grosses sommes, même si c’était pris sur leur superflu. En mettant en avant le don de la veuve, Jésus pense probablement au don qu’il va faire de sa propre vie, nous sommes en effet proches de sa Passion. Il nous montre que dans la logique du Royaume de Dieu la vraie force, la puissance de transformation, l’irruption de la vie nouvelle ne dépendent pas des richesses mais bien des cœurs convertis. Seul un cœur qui aime totalement Dieu est en effet capable d’un tel don. Image du sacrifice du Christ, la veuve est aussi l’image du sacrifice spirituel des chrétiens tel que saint Paul l’évoque dans sa lettre aux Romains :


Je vous exhorte donc, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps – votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte. Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait.

dimanche 1 novembre 2015

TOUSSAINT

Toussaint 2015

Chaque année la Toussaint nous permet de méditer sur la sainteté chrétienne. La volonté de Dieu pour chacun d’entre nous, c’est que nous soyons saints. La vocation de tous les baptisés est en effet unique, même si elle se vit à travers des états de vie différents : c’est la sainteté. La Bible affirme que Dieu seul est saint. La sainteté de l’homme et de la femme est donc une participation à la sainteté même de Dieu.

Avant d’être une réponse libre de notre part à cet appel divin, la sainteté est d’abord un don. D’où la nécessité de nous rappeler des vérités fondamentales de notre foi. Le premier don de Dieu, c’est celui de notre vie humaine sur cette terre. Nous sommes des créatures voulues par le Père comme toutes les autres créatures. A ce don de la vie dans la création s’en ajoute un autre, nécessaire à cause du mal et du péché, celui de la grâce. La grâce nous vient par Jésus-Christ. Elle est la manifestation de la puissance de l’amour de Dieu qui ne nous abandonne pas, même lorsque nous nous éloignons de lui. La grâce fondamentale pour le chrétien correspond au baptême et à la foi. Tel est donc le projet de Dieu pour nous.

Comment pouvons-nous y répondre et devenir ainsi participants à la sainteté du Dieu trois fois Saint ? Tout d’abord en nous rappelant notre condition de créatures. La première page de la Bible nous enseigne que l’homme et la femme ont été créés à l’image de Dieu et selon sa ressemblance. Cela signifie que les hommes sont des animaux pas comme les autres, des animaux spirituels, capables de Dieu. C’est sur cette capacité que se fonde l’appel universel à la sainteté. Et la sainteté consiste, comme nous le rappelle le livre de la Genèse, à ressembler à notre Créateur : nous sommes créés selon sa ressemblance. Dans la révélation du Nouveau Testament nous apprenons que Jésus, le Fils, est l’image parfaite du Père. Donc être saints, c’est ressembler au Christ, c’est le suivre et l’imiter. Lui-même dans son enseignement nous fait comprendre que la sainteté est une affaire de ressemblance avec Dieu. Rappelez-vous ce passage de saint Matthieu où Jésus nous demande d’aimer nos ennemis. Quelle est donc la motivation qu’il donne ? La ressemblance avec Dieu notre Père :

« Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes ».

Toute la vie et l’enseignement de saint Paul nous montrent que la sainteté consiste dans l’imitation du Christ. Par exemple dans sa lettre aux Philippiens : « Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus ».
Face à ce beau projet de Dieu pour nous, nous sommes tentés de dire que c’est trop difficile, que cet idéal est inaccessible pour nous. Ce serait oublier que si le Christ a accepté la mort sur la croix, c’est justement pour nous donner sa grâce au milieu des difficultés de cette vie. Ensuite les difficultés et les épreuves, les chutes et rechutes dans le péché, peuvent être des tremplins pour progresser dans la sainteté, à condition que nous les vivions dans la foi et en communion avec le Christ mort et ressuscité pour nous. De nombreux passages du Nouveau Testament sont capables de nous encourager et de ne pas céder à cette tentation qui nous fait entrevoir la sainteté comme une réalité réservée à une élite de chrétiens exceptionnels. Deux passages de la lettre aux Romains :

 « Là où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé. Ainsi donc, de même que le péché a établi son règne de mort, de même la grâce doit établir son règne en rendant juste pour la vie éternelle par Jésus Christ notre Seigneur ».

« Nous mettons notre fierté dans la détresse elle-même, puisque la détresse, nous le savons, produit la persévérance ; la persévérance produit la vertu éprouvée ; la vertu éprouvée produit l’espérance ; et l’espérance ne déçoit pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné ».

Ce qui est donc essentiel dans notre volonté de répondre à l’appel de Dieu à la sainteté, c’est bien notre fidélité et notre persévérance. Voilà ce que Dieu attend de nous comme Jésus nous l’a clairement indiqué dans l’Evangile :


« Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé ».

dimanche 25 octobre 2015

30ème dimanche du temps ordinaire / B



25/10/15

Marc 10, 46-52


L’évangéliste Marc situe la rencontre entre Jésus et Bartimée dans les jours qui précèdent l’entrée triomphale du Seigneur dans Jérusalem, donc dans les derniers jours de son ministère public. Le premier verset campe le décor de cette rencontre et nous invite à imaginer une scène très vivante. Nous sommes à la sortie de Jéricho sur la route menant à Jérusalem. D’un côté nous avons Jésus entouré de ses disciples et d’une foule nombreuse, de l’autre un mendiant aveugle assis au bord de la route. Jésus prend le chemin de sa Passion et se dirige vers le lieu de son supplice. Il continue à attirer de nombreuses personnes, parmi lesquelles il devait y avoir beaucoup de curieux. Bartimée est un pauvre aveugle. Sa condition l’oblige à vivre de la charité des voyageurs. Il souffre donc doublement d’être privé de la vue et d’être privé des moyens matériels qui lui permettraient de vivre humainement. Mais il n’est pas sourd, et cette foule qui se déplace autour de Jésus attire son attention. « Apprenant que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier… ». Pour ne pas passer inaperçu, pour ne pas être ignoré, le mendiant doit crier le plus fort possible. Et son cri est une prière adressée au Messie : « Aie pitié de moi ! ». La réaction de la foule est significative : elle veut garder Jésus pour elle seule et considère Bartimée comme un perturbateur, quelqu’un qui dérange à cause de ses cris. Avec un mendiant aveugle on ne prend pas de pincettes. A celui qui implore du Seigneur la pitié, la foule répond de manière violente, c’est vivement qu’on lui demande de se taire. Mais lui, n’ayant rien à perdre, ne se décourage pas. Jésus quant à lui a entendu son cri et s’arrête sur le chemin. L’attention que le Seigneur prête à Bartimée change les sentiments de la foule. D’un seul coup on devient aimable avec cette homme qu’auparavant on voulait faire taire : « Confiance, lève-toi ; il t’appelle ». Entendant cette invitation, l’homme aveugle ne perd pas une seule minute et se précipite vers Jésus, sans rien y voir. Son attitude annonce la foi qui est la sienne. Elle est une image de l’acte de foi qui fait confiance avant même de voir et de comprendre. Souvenons-nous de ce que le Ressuscité dit à son apôtre Thomas : « Tu m’as vu et tu crois. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui croient ». Ensuite tout se passe très vite et c’est avec une grande sobriété que Marc décrit la guérison de Bartimée. « Que veux-tu que je fasse pour toi ? », cette question du Seigneur pourrait paraître inutile, vu le contexte. En fait elle manifeste le respect de Dieu envers notre liberté. Le mendiant aurait pu par exemple demander à Jésus quelques pièces… Mais il a reconnu en lui le Messie et rien n’est plus important pour lui que de retrouver la vue. « Ta foi t’a sauvé » : combien de fois Jésus n’a-t-il pas dit cela après avoir accordé la grâce de la guérison ! L’Evangile de Bartimée nous parle donc de l’itinéraire de la foi. Cet homme apprend d’abord que Jésus est proche, il le prie avant même de l’avoir vu et rencontré, il fait confiance et persévère dans sa prière sans se décourager. A l’appel de Jésus, il répond immédiatement, sans aucun retard. Et le Seigneur le récompense en lui redonnant la possibilité de voir. Bien qu’aveugle, Bartimée voyait intérieurement par la foi. Ce Jésus de Nazareth qu’il ne pouvait pas voir, il le reconnaissait intérieurement par la foi comme le Fils de David, comme le Messie. Et sa foi le fait agir : « il suivait Jésus sur la route ». L’acte de foi dans le Seigneur nous permet en effet de commencer une nouvelle vie. Nous étions assis et prostrés au bord de la route, nous nous mettons désormais en marche à la suite de Jésus. La foi est une force, un dynamisme, une résurrection spirituelle. C’est tout cela que l’histoire de Bartimée nous enseigne pour nous encourager à grandir jour après jour dans la foi de notre baptême et d’être ainsi rendus capables de voir les merveilles de Dieu dans notre vie et dans sa création.

dimanche 18 octobre 2015

29ème dimanche du temps ordinaire / B


18/10/15

Marc 10, 35-45

Dans l’Evangile selon saint Marc, l’Evangile de ce dimanche suit la troisième annonce par Jésus de ses souffrances et de sa mort en croix. Saint Marc nous décrit l’état d’esprit des disciples à ce moment-là : « Ils étaient déconcertés, et ceux qui suivaient avaient peur ». Nous sommes loin de l’enthousiasme des débuts. Et saint Marc ne craint pas de nous montrer les faiblesses humaines des apôtres. Jacques et Jean ont une vision très terre à terre du Royaume de Dieu (avoir les places d’honneur auprès du Christ), tandis que les autres s’indignent, peut-être par jalousie. Bref les ambitions égoïstes des deux apôtres sèment la division au sein du groupe des Douze. Le Seigneur profite de cette tension pour donner à ses apôtres et à son Eglise un enseignement sur le pouvoir et l’autorité dans l’Eglise. Le Christ a voulu pour son Eglise une hiérarchie : le groupe des Douze avec Pierre comme chef. Donc il a voulu un principe d’autorité au service de la vérité, de l’unité et de la communion. Il est significatif que cette autorité soit définie en opposition avec l’autorité civile ou politique :

« Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi ».

La version de saint Luc présente une nuance intéressante :

« Les rois des nations païennes se comportent avec elles en maîtres, et quand ils les écrasent, ils se font appeler bienfaiteurs. Ce ne sera pas pareil chez vous ».

Bref l’autorité des apôtres, et celle des évêques dans leur sillage, n’a rien à voir avec le pouvoir exercé par les dictateurs de ce monde. Le modèle de l’autorité dans l’Eglise ne vient pas de ce monde mais d’en haut, de Dieu lui-même. Le seul modèle se trouve en effet dans l’exemple de Jésus lui-même :

« Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »

Ce sont l’humilité et le don de Jésus qui sont au fondement de l’autorité dans la communauté chrétienne. L’un des titres du pape le rappelle clairement : serviteur des serviteurs de Dieu. La grandeur de l’autorité chrétienne est donc inséparable d’un véritable esprit de service :

« Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous ».

Etre apôtre ou évêque ne consiste donc pas à rechercher pour soi les places d’honneur ou à travailler à sa propre gloire. L’ambition ou le carriérisme sont incompatibles avec le ministère épiscopal. Les évêques et les prêtres parce qu’ils sont pleinement hommes comme Jacques et Jean ont à lutter chaque jour pour résister à l’esprit mondain, à la logique de ce monde qui est celle de la recherche d’une gloire personnelle et humaine. La simplicité avec laquelle le pape François vit son ministère au sein de l’Eglise touche beaucoup de cœurs parce qu’on y retrouve l’exemple même de Jésus. Ce pape est évangélique, non seulement intérieurement, mais aussi extérieurement, dans son comportement et dans sa manière de se situer vis-à-vis des autres membres de l’Eglise. Mais cela n’enlève rien à son autorité, bien au contraire. L’exemple personnel renforce l’autorité de sa parole et de sa charge.

Saint Pierre a bien compris la leçon de son Maître. Ce qu’il écrit aux chefs de la communauté chrétienne peut être une source d’inspiration valable aussi pour les parents et les responsables politiques :


« Quant aux anciens en fonction parmi vous, je les exhorte, moi qui suis ancien comme eux et témoin des souffrances du Christ, communiant à la gloire qui va se révéler : soyez les pasteurs du troupeau de Dieu qui se trouve chez vous ; veillez sur lui, non par contrainte mais de plein gré, selon Dieu ; non par cupidité mais par dévouement ; non pas en commandant en maîtres à ceux qui vous sont confiés, mais en devenant les modèles du troupeau. Et, quand se manifestera le Chef des pasteurs, vous recevrez la couronne de gloire qui ne se flétrit pas ».

dimanche 11 octobre 2015

28ème dimanche du temps ordinaire / B


11/10/15

Marc 10, 17-30



L’Evangile de ce dimanche nous rapporte le dialogue entre un homme riche et Jésus. Cet homme veut « avoir en héritage la vie éternelle ». Il sait au fond de lui-même qu’il n’y a pas de plus grande richesse que la vie de communion avec Dieu. Mais comment vivre cette communion ? Jésus lui répond : en observant les commandements. L’homme riche est un homme juste qui a été fidèle toute sa vie aux commandements du Seigneur. Mais voilà que Jésus l’invite à le suivre d’une manière plus étroite et parfaite en renonçant à ses biens matériels pour « avoir un trésor au ciel ». Cette histoire nous montre de quelle manière Dieu nous appelle à le connaître et à vivre avec Lui et pour Lui. A tous Dieu demande d’observer ses commandements. A certains il demande encore plus : le détachement radical et total vis-à-vis des biens de ce monde pour suivre Jésus. Que l’on soit laïc vivant dans ce monde ou bien religieux, religieuse, consacré à Dieu par les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, tous nous avons à nous situer d’une manière juste et sage par rapport aux richesses. Pour tous est valable l’appel à une vie simple, sobre et solidaire. Pour tous est valable la mise en garde de saint Paul contre la tentation de faire de l’argent une idole :

« Certes, il y a un grand profit dans la religion si l’on se contente de ce que l’on a. De même que nous n’avons rien apporté dans ce monde, nous n’en pourrons rien emporter. Si nous avons de quoi manger et nous habiller, sachons nous en contenter. Ceux qui veulent s’enrichir tombent dans le piège de la tentation, dans une foule de convoitises absurdes et dangereuses, qui plongent les gens dans la ruine et la perdition. Car la racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent. Pour s’y être attachés, certains se sont égarés loin de la foi et se sont infligés à eux-mêmes des tourments sans nombre. […] Quant aux riches de ce monde, ordonne-leur de ne pas céder à l’orgueil. Qu’ils mettent leur espérance non pas dans des richesses incertaines, mais en Dieu qui nous procure tout en abondance pour que nous en profitions. Qu’ils fassent du bien et deviennent riches du bien qu’ils font ; qu’ils donnent de bon cœur et sachent partager. De cette manière, ils amasseront un trésor pour bien construire leur avenir et obtenir la vraie vie ».

« Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu ».

En affirmant cela, Jésus opère une révolution par rapport à une doctrine présente dans l’Ancien Testament, doctrine selon laquelle Dieu bénit le juste en lui accordant une vie prospère, la richesse étant le signe de la bénédiction divine. Pour comprendre ce changement il ne suffit pas de se référer à l’expérience concrète faite par le peuple d’Israël : certains hommes méchants prospèrent tandis que des justes sont persécutés et vivent dans la misère. Il existe une cohérence profonde entre la référence de Jésus aux commandements et sa sévérité vis-à-vis des richesses. Car il devient très difficile de ne pas tuer et de ne pas voler quand l’amour de l’argent et du profit nous possède. Dans son encyclique Laudato si’, le pape François reprend l’enseignement traditionnel de l’Eglise sur la destination commune des biens :

« Aujourd’hui croyants et non croyants, nous sommes d’accord sur le fait que la terre est essentiellement un héritage commun, dont les fruits doivent bénéficier à tous. Pour les croyants cela devient une question de fidélité au Créateur, puisque Dieu a créé le monde pour tous. Par conséquent, toute approche écologique doit incorporer une perspective sociale qui prenne en compte les droits fondamentaux des plus défavorisés. Le principe de subordination de la propriété privée à la destination universelle des biens et, par conséquent, le droit universel à leur usage, est une ‘‘règle d’or’’ du comportement social, et «le premier principe de tout l’ordre éthico-social». La tradition chrétienne n’a jamais reconnu comme absolu ou intouchable le droit à la propriété privée, et elle a souligné la fonction sociale de toute forme de propriété privée » (n°93).

L’égoïsme qui pousse à vouloir toujours posséder plus et à s’enrichir sans limites est non seulement un manque de sagesse mais il a pour conséquence de voler et de tuer les plus pauvres. A ce propos le pape cite les évêques de Nouvelle-Zélande :

« Pour cette raison, les Évêques de Nouvelle Zélande se sont demandés ce que le commandement «tu ne tueras pas» signifie quand «vingt pour cent de la population mondiale consomment les ressources de telle manière qu’ils volent aux nations pauvres, et aux futures générations, ce dont elles ont besoin pour survivre» (n°95).

Et dans un autre passage de l’encyclique le pape fait allusion à un vol de dimension planétaire, celui de l’accaparement des terres du sud :

« De diverses manières, les peuples en développement, où se trouvent les plus importantes réserves de la biosphère, continuent d’alimenter le développement des pays les plus riches au prix de leur présent et de leur avenir. La terre des pauvres du Sud est riche et peu polluée, mais l’accès à la propriété des biens et aux ressources pour satisfaire les besoins vitaux leur est interdit par un système de relations commerciales et de propriété structurellement pervers » (n°52).

Des spécialistes de l’agriculture et de l’écologie comme Fabrice Nicolino dénoncent cet accaparement par des pays comme la Chine, par des multinationales ou encore par des industriels comme Vincent Bolloré au Cameroun et au Sierra-Leone, et n’hésitent pas à parler d’un « immense crime contre l’humanité ». Nous vivons donc une situation de profonde injustice. D’un côté un homme affamé peut être condamné par la justice en France à payer une amende parce qu’il a pris de la nourriture dans les poubelles des supermarchés, de l’autre un industriel peut piller les ressources d’un pays africain et mettre dans la misère des centaines de personnes sans être nullement inquiété…


Évangile exige de chacun de nous un usage solidaire de nos biens et de nos richesses. Si nous voulons un monde meilleur, un monde ouvert à la justice du Royaume des cieux, nous devons nous engager de toutes nos forces pour la promotion d’une société de la sobriété et du partage.

jeudi 1 octobre 2015

Les animaux dans l'encyclique du pape François Laudato si'


Les animaux dans l’encyclique Laudato si’ du pape François

Les animaux sont cités 24 fois dans l’encyclique, soit de manière générale (les animaux[1], les espèces animales[2], les autres êtres vivants[3], les autres créatures[4], tous les êtres de cette terre[5], la vie sous toutes ses formes[6]), soit de manière spécifique (les oiseaux[7], les insectes[8]). Après le nom générique d’animaux et à égalité avec lui le pape utilise en priorité celui de créature(s). C’est donc en tant que créatures voulues par Dieu qu’il considère les animaux. Seul le chapitre 5 (Quelques lignes d’orientation et d’action) ne mentionne pas les animaux.

L’encyclique remet tout d’abord en cause une fausse interprétation de l’anthropocentrisme. Le pape parle carrément d’un « anthropocentrisme déviant » (n°69) qui est à l’origine de la maltraitance des animaux par l’homme. En citant des passages de la Loi de Moïse (Deutéronome 22, 4.6 et Exode 23,12[9]), il n’hésite pas à condamner « un anthropocentrisme despotique » incompatible avec le message biblique :

« La Bible ne donne pas lieu à un anthropocentrisme despotique qui se désintéresserait des autres créatures » (n°68).

Au n°83 le pape François réaffirme cette thèse à la lumière de la révélation chrétienne dans le Nouveau Testament :

« L’aboutissement de la marche de l’univers se trouve dans la plénitude de Dieu, qui a été atteinte par le Christ ressuscité, axe de la maturation universelle. Nous ajoutons ainsi un argument de plus pour rejeter toute domination despotique et irresponsable de l’être humain sur les autres créatures ».

La différence que Dieu a voulue entre les hommes et les animaux ne doit pas faire naître dans le cœur de l’homme un sentiment d’orgueil le conduisant à mépriser le reste de la création :

« Quand nous insistons pour dire que l’être humain est image de Dieu, cela ne doit pas nous porter à oublier que chaque créature a une fonction et qu’aucune n’est superflue » (n°84).

La thèse essentielle de l’encyclique à propos des animaux consiste à affirmer avec insistance leur valeur en tant que créatures de Dieu :

« Il ne suffit pas de penser aux différentes espèces seulement comme à d’éventuelles ‘ressources’ exploitables, en oubliant qu’elles ont une valeur en elles-mêmes » (n°33).

« En même temps que nous pouvons faire un usage responsable des choses, nous sommes appelés à reconnaître que les autres êtres vivants ont une valeur propre devant Dieu et ‘par leur simple existence ils le bénissent et lui rendent gloire’, puisque ‘le Seigneur se réjouit en ses œuvres’ (Ps 104, 31) » (n°69).

« Aujourd’hui, l’Eglise ne dit pas seulement que les autres créatures sont complètement subordonnées au bien de l’homme, comme si elles n’avaient aucune valeur en elles-mêmes et que nous pouvions en disposer à volonté » (n°69).

En affirmant à trois reprises la valeur que les animaux ont en eux-mêmes au sein de la création, le pape réfute une vision exclusivement utilitariste des espèces animales. Elles n’existent pas seulement pour être au service de l’homme et l’homme n’est pas libre d’en faire ce qu’il veut en fonction de ses intérêts immédiats et égoïstes.
Contre la tradition philosophique issue de Descartes et de Malebranche, l’encyclique rappelle une évidence qui n’aurait jamais dû être oubliée dans le contexte de la foi en Dieu, créateur de tous les êtres vivants :

« Il serait aussi erroné de penser que les autres êtres vivants doivent être considérés comme de purs objets, soumis à la domination humaine arbitraire » (n°82).

Non seulement les animaux ne sont pas des objets privés de valeur objective, mais encore ils n’ont pas été créés d’abord pour l’homme. Au n°83 le pape énonce une thèse qui me semble d’une importance extrême dans le cadre d’une vision chrétienne des rapports entre humains et animaux :

« La fin ultime des autres créatures, ce n’est pas nous. Mais elles avancent toutes, avec nous et par nous, jusqu’au terme commun qui est Dieu, dans une plénitude transcendante où le Christ ressuscité embrasse et illumine tout ; car l’être humain, doué d’intelligence et d’amour, attiré par la plénitude du Christ, est appelé à reconduire toutes les créatures à leur créateur ».

La vocation de l’homme, et en particulier du chrétien, vis-à-vis des autres créatures ne consiste pas à être un despote violent et irresponsable. L’homme est au contraire présenté comme le prêtre de l’univers, celui par lequel et avec lequel, toutes les autres créatures pourront atteindre leur propre fin en Dieu. Cela rejoint ce que le pape dit de saint François dans son introduction à l’encyclique :

« Tout comme cela arrive quand nous tombons amoureux d’une personne, chaque fois que saint François d’Assise regardait le soleil, la lune ou les animaux même les plus petits, sa réaction était de chanter, en incorporant dans sa louange les autres créatures » (n°11).

Nous retrouvons cette belle idée de l’homme prêtre de l’univers dans la « prière chrétienne avec la création » à la fin de l’encyclique :

« Dieu d’amour, montre-nous notre place dans ce monde comme instruments de ton affection pour tous les êtres de cette terre, parce qu’aucun n’est oublié de toi » (n°246).

Nous avons vu que la fin ultime des autres créatures, ce n’est pas l’homme mais le Créateur. Le pape développe la thèse selon laquelle il y aura aussi « une place » au paradis, dans le Royaume de Dieu pour les autres créatures. La résurrection du Christ n’apporte pas seulement le salut aux hommes. Elle est le commencement d’une création nouvelle dans laquelle chaque créature aura sa place :

« Les créatures de ce monde ne se présentent plus à nous comme une réalité purement naturelle, parce que le Ressuscité les enveloppe mystérieusement et les oriente vers un destin de plénitude. Même les fleurs des champs et les oiseaux qu’émerveillé il a contemplé de ses yeux humains[10] sont maintenant remplis de sa présence lumineuse » (n°100).

Oui, même les oiseaux portent en eux la présence lumineuse du Christ depuis le jour de Pâques ! Et les animaux comme les autres créatures participeront à leur manière à la vie éternelle !

« La vie éternelle sera un émerveillement partagé, où chaque créature, transformée d’une manière lumineuse, occupera sa place et aura quelque chose à apporter aux pauvres définitivement libérés » (n°243).

C’est bien parce que chaque créature a sa valeur propre et sa fonction sur cette terre que le pape s’inquiète à de nombreuses reprises de la disparition de certaines espèces animales[11]. Les changements du climat n’affectent pas seulement les hommes mais aussi les animaux (n°25). La perte de biodiversité est due à de multiples facteurs dont certains sont cités par l’encyclique : les agro-toxiques (les pesticides, n°34), la surexploitation commerciale de certaines espèces (on peut penser concrètement à la surpêche, n°35), le commerce de peaux d’animaux en voie d’extinction (n°123) etc. Au n°89 le pape utilise une expression particulièrement forte pour caractériser la perte que peut représenter l’extinction d’une espèce animale :

« Je veux rappeler que ‘Dieu nous a unis si étroitement au monde qui nous entoure, que la désertification du sol est comme une maladie pour chacun et nous pouvons nous lamenter sur l’extinction d’une espèce comme si elle était une mutilation’ ».

L’homme ne peut rester indifférent ni passif face à cette perte de biodiversité tout simplement parce qu’il en est le premier responsable, et d’une certaine manière la première victime, même s’il n’en a pas conscience :

« Chaque année disparaissent des milliers d’espèces végétales et animales que nous ne pourrons plus connaître, que nos enfants ne pourront pas voir, perdues pour toujours. L’immense majorité disparaît pour des raisons qui tiennent à une action humaine. A cause de nous, des milliers d’espèces ne rendront plus gloire à Dieu par leur existence et ne pourront plus nous communiquer leur propre message. Nous n’en avons pas le droit » (n°33).

La disparition de certaines espèces animales constitue donc un appauvrissement de la création divine, une véritable mutilation pour les hommes. Les animaux, de par leur simple existence, rendent gloire à Dieu et nous délivrent un message. Eux, qui ne sont pas dotés comme nous de la parole, nous parlent cependant à leur manière et nous n’avons pas le droit de les condamner au silence, nous privant ainsi nous-mêmes de leur témoignage. Le pape suggère que leur message est important en condamnant notre irresponsabilité vis-à-vis d’eux. Cette conviction, il la réaffirme plus loin dans l’encyclique :

« Diverses convictions de notre foi développées au début de cette encyclique aident à enrichir le sens de cette conversion, comme la conscience que chaque créature reflète quelque chose de Dieu et a un message à nous enseigner » (n°221).

Quel est donc ce message ?

« Tout l’univers matériel est un langage de l’amour de Dieu, de sa tendresse démesurée envers nous. Le sol, l’eau, les montagnes, tout est caresse de Dieu » (n°84).

« Dieu a écrit un beau livre ‘dont les lettres sont représentées par la multitude des créatures présentes dans l’univers’. Les évêques du Canada ont souligné à juste titre qu’aucune créature ne reste en dehors de cette manifestation de Dieu » (n°85).

Dans le deuxième chapitre (n°90.91), le pape François exprime une crainte : que certains militants de la cause animale manquent de cohérence en se désintéressant du sort des hommes.

« Parfois […] il se mène une lutte en faveur d’autres espèces que nous n’engageons pas pour défendre l’égale dignité entre les êtres humains » (n°90).
« L’incohérence est évidente de la part de celui qui lutte contre le trafic d’animaux en voie d’extinction, mais qui reste complètement indifférent face à la traite des personnes, se désintéresse des pauvres, ou s’emploie à détruire un autre être humain qui lui déplaît » (n°91).

L’écologie intégrale défendue par le pape unit la cause des hommes et celle de la nature :

« Le sentiment d’union intime avec les autres êtres de la nature ne peut pas être réel si en même temps il n’y a pas dans le cœur de la tendresse, de la compassion et de la préoccupation pour les autres êtres humains. […] Il faut donc une préoccupation pour l’environnement unie à un amour sincère envers les êtres humains, et à un engagement constant pour les problèmes de société » (n°91).

Pourquoi le pape insiste-t-il tant sur l’union de l’amour pour les animaux et de l’amour pour les hommes (« en même temps ») ? Parce que, comme il ne cesse de le répéter tout au long de son encyclique, « tout est lié[12] »

Au chapitre troisième (La racine humaine de la crise écologique), l’encyclique aborde le thème sensible des expérimentations animales. Le pape admet, en citant le Catéchisme de l’Eglise catholique[13], qu’elles peuvent être légitimes dans certains cas. Le même Catéchisme est à nouveau cité pour rappeler qu’ « il est contraire à la dignité humaine de faire souffrir inutilement les animaux et de gaspiller leurs vies[14] ». La formulation du Catéchisme pose un problème de par son manque de précision. Que signifie dans ce contexte l’adverbe « inutilement », et quelle est l’autorité morale qui va déterminer quels sont les cas concrets dans lesquels la souffrance infligée par l’homme à des animaux est utile ?

Regardons maintenant les passages de l’encyclique qui traitent du type de relation que l’homme doit avoir (ou ne pas avoir) avec les créatures animales. Tout d’abord il y a la référence à Luc 12, 6 :

« Quand on lit dans l’Evangile que Jésus parle des oiseaux, et dit qu’aucun d’eux n’est oublié au regard de Dieu, pourra-t-on encore les maltraiter ou leur faire du mal ? » (n°221).

La réponse à cette interrogation rhétorique est évidente : l’homme n’a pas le droit de maltraiter ou de faire du mal aux animaux car ils sont des créatures de Dieu et l’amour divin s’étend aussi à eux. Dans sa tendresse et sa providence le Créateur n’est pas indifférent aux animaux. Lorsque le pape parle de l’éducation à la responsabilité environnementale, il mentionne l’exigence de « traiter avec attention les autres êtres vivants » (n°211). Un homme qui maltraite les animaux risque fort de maltraiter aussi ses frères humains :

« Il est vrai aussi que l’indifférence ou la cruauté envers les autres créatures de ce monde finissent toujours par s’étendre, d’une manière ou d’une autre, au traitement que nous réservons aux autres êtres humains. Le cœur est unique, et la même misère qui nous porte à maltraiter un animal ne tarde pas à se manifester dans la relation avec les autres personnes. Toute cruauté sur une quelconque créature est contraire à la dignité humaine » (n°92).

Dans le contexte de l’écologie intégrale développée par le pape François, on pourra regretter certains manques ou certaines omissions : l’encyclique ne mentionne pas le problème de la surconsommation de viande, le scandale de l’élevage industriel des animaux (et donc des abattoirs) et l’option végétarienne. Du moins pas de manière explicite…

« Une écologie intégrale est aussi faite de simples gestes quotidiens par lesquels nous rompons la logique de la violence, de l’exploitation, de l’égoïsme. En attendant, le monde de la consommation exacerbée est en même temps le monde du mauvais traitement de la vie sous toutes ses formes » (n°230).

L’élevage industriel des animaux, en particulier celui des vaches laitières, des poulets et des poules pondeuses, des porcs et des lapins, n’est-il pas l’une des expressions les plus horribles de cette logique dénoncée par le pape ? Violence, exploitation et égoïsme. La surconsommation de viande (« la consommation exacerbée ») est en effet inséparable du mauvais traitement infligée à des millions d’animaux considérés comme de simples objets, sources de rendement économique maximal (« mauvais traitement de la vie sous toutes ses formes »).

Au terme de ce parcours je voudrais citer deux passages du chapitre sixième (éducation et spiritualité écologiques) qui me semblent particulièrement significatifs dans le contexte du juste rapport que nous devons entretenir avec les autres êtres vivants sur cette planète terre. Tout d’abord la différence maintenue par le pape entre les hommes et les animaux n’implique pas, nous l’avons déjà vu, un anthropocentrisme despotique et irresponsable. C’est le contraire qui est vrai :

« Cette conversion (écologique) implique aussi la conscience amoureuse de ne pas être déconnecté des autres créatures, de former avec les autres êtres de l’univers une belle communion universelle. […] Le croyant ne comprend pas sa supériorité comme motif de gloire personnelle ou de domination irresponsable, mais comme une capacité différente, lui imposant à son tour une grave responsabilité qui naît de sa foi » (n°220).

La logique de l’exploitation violente et égoïste des animaux doit donc laisser la place à la fraternité entre toutes les créatures :

« J’invite tous les chrétiens à expliciter cette dimension de leur conversion, en permettant que la force et la lumière de la grâce reçue s’étendent aussi à leur relation avec les autres créatures ainsi qu’avec le monde qui les entoure, et suscitent cette fraternité sublime avec toute la création, que saint François d’Assise a vécue d’une manière si lumineuse » (n°221). 


[1] 10 fois
[2] 6 fois
[3] 5 fois
[4] 10 fois
[5] 1 fois
[6] 1 fois
[7] 4 fois, en lien avec Luc 12, 6.
[8] 1 fois
[9] Citation reprise au n°237.
[10] Cf. aussi n°226.
[11] Cf. n° 32 (la perte de biodiversité), 35, 89, 123 et 145.
[12] Cette expression est utilisée 8 fois.
[13] N°2417.
[14] N°2418.