vendredi 22 décembre 2006

La Nativité du Seigneur

Nativité du Seigneur
25/XII/06
Jean 1, 1-18 (page 216)

Si l’on organisait un sondage pendant le temps de Noël, j’aimerais poser aux chrétiens de notre pays la question suivante : Quelle image vous vient spontanément à l’esprit quand on vous parle de Noël ? Probablement la majorité des réponses donnerait : la crèche. D’autres pourraient répondre, bien que chrétiens, la fête familiale, les cadeaux ou le père Noël… Oui, spontanément nous associons la fête de Noël au récit de la Nativité tel que nous l’avons entendu en saint Luc lors de la messe de la nuit. Car pour une majorité de chrétiens, et c’est encore plus vrai en Provence, la messe de Noël, la « vraie », c’est celle de la nuit, et si elle est à minuit c’est encore mieux !
Nous célébrons la messe du saint jour de Noël, et l’évangéliste Luc passe le relais à son confrère théologien Jean. Nous passons de la crèche de Luc au prologue de Jean, de l’enfant Jésus emmailloté et couché dans une mangeoire au Verbe éternel de Dieu qui se fait chair. C’est bien sûr la même réalité, le même mystère que nous contemplons. Mais la tonalité de la messe du jour est bien différente de celle de la nuit. Avec Jean nous ne sommes plus dans un récit de la naissance du Sauveur mais dans une contemplation théologique du mystère de l’incarnation. Le prologue de Jean est l’un des plus beaux textes de toute la Bible, un texte d’une extraordinaire richesse théologique et spirituelle. Loin de moi l’idée de me lancer en ce saint jour dans un commentaire du prologue. Il me semble cependant que le prologue de Jean nous pose une question essentielle : Pourquoi Noël ? Pourquoi cet extraordinaire et imprévisible mystère de l’incarnation ? La liturgie de la Parole nous offre quelques éléments de réponse. Je vais tenter de les mettre en lumière pour vous aujourd’hui.

Pourquoi Noël ? Tout d’abord parce qu’en cette sainte nuit la plénitude des temps est advenue : « dans les derniers temps, dans ces jours où nous sommes. » Le mystère de Noël trace une frontière dans l’histoire de notre humanité. Désormais il y aura un avant le Christ et un après le Christ. Une naissance, c’est toujours un signe de nouveauté, d’espérance. Mais lorsque c’est le Verbe de Dieu qui se fait chair, il n’y a plus de doute à avoir sur la portée de sa naissance : avec Noël nous entrons dans une ère nouvelle de l’Alliance entre Dieu et les hommes.

Pourquoi Noël ? Pour que Dieu puisse se révéler en plénitude à notre humanité : « Il nous a parlé par ce Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes. » Le prologue de Jean affirme la même vérité : « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique qui est dans le sein du Père, c’est lui qui a conduit à le connaître. » Comme toutes les œuvres de Dieu, Noël n’a pas d’autre explication que l’amour. Le Père, dans son amour, s’abaisse en son Fils, pour se mettre en quelque sorte à notre niveau. Ceux qui voyaient en Dieu un monarque absolu regardant de haut ses créatures devront réviser leur théologie. En son Verbe fait chair Dieu nous regarde face-à-face et se rend visible à nos yeux de chair, si nous acceptons de croire en lui et de lui faire confiance.

Pourquoi Noël ? Pour que nous devenions des fils et des filles de Dieu, pour que nous puissions adorer le Père en esprit et en vérité, pour que nous puissions nous adresser à Lui en disant : « Notre Père ». Si le Fils de Dieu s’est fait homme, c’est bien pour que nous, les hommes, nous puissions devenir fils de Dieu. C’est l’admirable échange du mystère de l’incarnation. Le prologue de Jean nous fait comprendre que la naissance de Jésus en appelle une autre, tout simplement parce qu’il est le Premier-né :
« Tous ceux qui l’ont reçu, ceux qui croient en son Nom, il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu. Ils ne sont pas nés de la chair et du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu. »
Fêter la naissance de Jésus Sauveur, c’est donc fêter dans le même mouvement notre naissance à la vie de fils de Dieu. Oui, nous sommes véritablement nés de Dieu par le sacrement de baptême et par notre foi en Jésus. Notre baptême est une seconde naissance, une nouvelle naissance : une renaissance. Par notre baptême nous entrons dans cette nouvelle ère de l’histoire de notre humanité : une ère de grâce et de vérité. Nous associons habituellement le baptême au mystère de Pâques et nous avons raison. Mais dans le Christ tous les mystères sont unifiés et se renvoient les uns aux autres : Pâques est la plénitude du mystère de l’incarnation. Notre baptême, sacrement pascal comme tous les autres sacrements, prend davantage de sens si nous le considérons aussi dans la perspective du mystère de Noël. Car dans la nuit de la Nativité, Dieu ne nous donne pas seulement un Sauveur, Il nous donne son Fils unique et nous révèle par là le mystère de sa vie trinitaire. Et c’est bien par notre baptême que nous entrons à notre tour dans la vie trinitaire et que nous recevons notre filiation adoptive.
Que la contemplation du Verbe fait chair soit pour nous l’occasion de renouveler profondément notre action de grâces ! Oui, merci, ô Père, de nous faire tes fils et tes filles en Jésus ton Fils unique. Merci pour le don du baptême et de la foi catholique. Donne-nous de comprendre que notre plus grande dignité se trouve dans notre condition de chrétiens ! Que peut-il y avoir en effet de plus grand que d’être fils de Dieu ? Que peut-il y avoir de plus beau que de pouvoir t’appeler : Notre Père ? O Père, nous n’aurons pas assez de toute notre vie pour découvrir ton amour et te rendre grâce… C’est pour cela qu’en Jésus tu nous veux auprès de toi pour toujours ! Le mystère de Noël appelle en effet le mystère de Pâques.
Amen

Quatrième dimanche de l'Avent

4ème dimanche de l’Avent / C
24 XII 06
Luc 1, 39-45 (page 190)

Le troisième dimanche de l’Avent était le dimanche de la joie. Avec le quatrième dimanche de l’Avent nous demeurons dans cette tonalité joyeuse. L’Evangile de cette messe nous rapporte le récit de la Visitation, un mystère qui fait partie des mystères joyeux du rosaire. La liturgie nous fait entendre la première partie de ce récit. Il nous manque ici la prière de Marie : le Magnificat, splendide conclusion à l’événement de la Visitation. Le dernier dimanche avant Noël, celui qui nous prépare directement à la célébration de cette solennité, est donc à la fois joyeux et marial.
Avant d’entrer plus avant dans ce texte évangélique, nous pouvons contempler le mystère de la Visitation dans son aspect fortement symbolique. Car dans cette rencontre entre Marie et Elisabeth il y a bien un mystère divin qui dépasse l’événement pris en lui-même. Une rencontre suppose toujours, au minimum, deux personnes.
D’un côté nous avons celle qui prend l’initiative, celle qui « se mit en route rapidement vers une ville de la montagne de Judée » : Marie. Marie est une jeune fiancée, une vierge. De l’autre côté nous avons Elisabeth, une personne avancée en âge, mariée et sans descendance parce que stérile. Comment ne pas deviner dans cette rencontre entre les deux femmes la rencontre entre la première Alliance et la nouvelle Alliance ? En visitant Elisabeth, Marie vient en quelque sorte accomplir la première Alliance à la fin des temps. La rencontre de la Visitation se déroule en fait entre quatre personnes. Car s’il y a les deux mères, il y a aussi les deux enfants : Jésus et Jean. Et si Jésus et Jean sont là dans le sein de leurs mères respectives, c’est bien parce que Dieu l’a voulu ainsi. Dieu est intervenu pour que la vierge puisse concevoir et pour que la stérile puisse enfanter. A la fin des temps Dieu intervient pour porter à son accomplissement l’ancienne Alliance dans la nouvelle. C’est ici qu’il faudrait nous souvenir des merveilleuses paroles du prologue de Jean que nous entendrons demain :
« Ils ne sont pas nés de la chair et du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu. »
Ce que Jean affirme ici des baptisés et des croyants s’applique d’abord et d’une manière unique à Jésus et à Jean le baptiste. Si leurs naissances sont miraculeuses, ce n’est pas par goût du merveilleux et de l’extraordinaire, mais bien pour nous faire comprendre qu’avec ces enfants une nouvelle ère commence : l’ère chrétienne. Nous sommes bien à la fin des temps, à l’accomplissement de toutes les promesses de Dieu.
Ceci étant dit, nous pouvons maintenant mieux goûter certains détails du récit de saint Luc. Comme souvent dans la Bible, l’événement de la Visitation est à la fois caché et décisif pour notre salut. Puisque mystérieusement nous basculons en quelque sorte du régime de la Loi au temps de la grâce. Nous avons parlé des quatre personnes qui donnent sens à cette belle rencontre dans la maison de Zacharie. N’oublions pas la personne principale, celle sans laquelle ce passage de l’ancien au nouveau, du provisoire au définitif, n’aurait pu se faire. Cette personne est la troisième personne de la Trinité : le Saint-Esprit.
« Alors Elisabeth fut remplie de l’Esprit Saint. »
C’est bien le Saint Esprit qui est l’auteur de toute cette joie humble et cachée : la joie de Jean, la joie de sa mère Elisabeth. Et Marie est pour ainsi dire le canal de cette joie divine. En tant que mère de Jésus et servante du Seigneur, elle est personnellement comblée de joie : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur. » En même temps elle ne peut que rayonner, transmettre cette joie du salut autour d’elle.
A la veille de Noël, nous avons à faire notre l’attitude de l’apôtre Jean au pied de la croix : prendre Marie chez nous en demandant la grâce de croire comme elle-même a cru. Car là où est la Vierge Marie, là est aussi l’Esprit Saint. Et là où est l’Esprit de Dieu là est la joie que nul ne peut nous ravir.
Amen

samedi 16 décembre 2006

Troisième dimanche de l'Avent

Troisième dimanche de l’Avent (Gaudete) / C
17 décembre 06
Luc 3, 10-18 (page 115)

« Tu le vois, Seigneur, ton peuple se prépare à célébrer la naissance de ton Fils ; dirige notre joie vers la joie d’un si grand mystère pour que nous fêtions notre salut avec un cœur vraiment nouveau. »
La prière ou collecte de cette messe nous donne bien la tonalité propre au troisième dimanche de l’Avent : ce dimanche est celui de la joie chrétienne, le dimanche de Gaudete, d’après le premier mot latin de l’antienne d’ouverture qui est en fait une citation de la deuxième lecture : « Soyez dans la joie du Seigneur. »
La liturgie de la Parole nous parle d’une double joie : celle qui doit être la notre en tant que chrétiens, et cela tout particulièrement à l’approche de Noël, et la joie même de Dieu.
C’est la première lecture qui nous révèle cette joie de Dieu, et cela d’une manière très surprenante : Le Seigneur ton Dieu « aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ; il dansera pour toi avec des cris de joie, comme aux jours de fête. » L’Ancien Testament, particulièrement dans le livre des Psaumes, nous avait habitué à la situation inverse : c’est le peuple d’Israël qui danse de joie pour son Dieu. Souvenez-vous de la danse du roi David pour célébrer l’entrée de l’Arche d’Alliance dans Jérusalem[1]. Chez le prophète Sophonie, c’est le Seigneur qui danse pour son peuple personnifié par la fille de Sion, c’est-à-dire Jérusalem. Le catéchisme nous apprend que Dieu est bienheureux et qu’il n’a pas besoin des créatures pour connaître la joie. Dieu jouit en lui-même d’une joie parfaite dans les relations trinitaires : entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Dans le mystère de la Trinité, la joie est associée à la personne du Saint-Esprit, lumière bienheureuse qui donne la joie éternelle.[2] La joie que Dieu veut mettre dans son peuple n’est donc pas de l’ordre de la nécessité mais de la gratuité. Dieu n’a pas besoin de nous pour être parfaitement dans la joie, mais il veut se réjouir en nous et à cause de nous, parce qu’il nous aime ! Quand Sophonie nous montre Dieu qui « dansera » pour son peuple « avec des cris de joie », nous pouvons bien sûr penser à un anthropomorphisme, à une manière humaine de parler de Dieu. Mais en ce temps de l’Avent, nous pouvons déceler dans cette prophétie une annonce de l’Incarnation. Les Evangiles, certes, ne nous montrent pas Jésus en train de danser… Il n’en reste pas moins vrai que Jésus a vécu profondément la joie en accomplissant sa mission de Sauveur pour le peuple : « pour que ma joie soit tout entière en eux.[3] » Dieu veut donc trouver sa joie dans son peuple et dans chacun d’entre nous, et cela, une fois encore, par pur amour.
Si nous comprenons cela, alors nous comprenons notre vocation de chrétiens : nous devons vivre de telle sorte que nous puissions réjouir le cœur de Dieu. Etre pour Dieu des sujets de joie et d’allégresse, telle est la grandeur de notre vocation. Comment pouvons-nous avoir ce pouvoir exorbitant, celui de réjouir le cœur de Dieu ?
Tout d’abord en vivant nous-mêmes, à la suite du Seigneur Jésus, la joie spirituelle. C’est tout le sens de la deuxième lecture. Nous n’avons pas de plus belle manière de dire à Dieu et à Jésus notre reconnaissance, notre action de grâce que de lui offrir joyeusement toute notre personne et notre vie. Le témoignage de la joie chrétienne est le plus efficace de tous les témoignages. Si nous mettons vraiment notre joie en Dieu, alors nous rayonnons la présence du Seigneur autour de nous, nous sommes des foyers de joie divine. Ce qui nous empêche de rayonner la joie chrétienne, c’est essentiellement la faiblesse de notre vie spirituelle et notre péché. Une vie sans prière ne peut être joyeuse de la joie même de Dieu. Quant au péché, s’il peut être source de plaisir et de satisfaction égoïste, il nous conduit toujours à la tristesse. Et c’est là que les paroles de Jean prennent tout leur sens.
Il s’en suit que pour réjouir le coeur de Dieu, nous avons à nous convertir. Non pas à faire des choses extraordinaires ! Ecoutons à nouveau les exhortations de Jean :
« Celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas etc. »
« N’exigez rien de plus que ce qui vous est fixé. »
« Ne faites ni violence ni tort à personne ; et contentez-vous de votre solde. »
Voilà comment nous pouvons être dans la joie et réjouir notre Dieu ! C’est si simple : partager avec les pauvres, se contenter de ce que l’on a, être doux et juste. Il n’y a rien d’extraordinaire dans tout cela. La joie jaillit toujours des réalités les plus simples et les plus essentielles. Le plus difficile est probablement de commencer ce travail de conversion de manière concrète, de ne pas toujours le remettre à demain. Car demain sera le jour du jugement, celui du tri entre le grain et la paille. Les experts qui étudient l’environnement nous préviennent : n’attendons pas qu’il soit trop tard pour changer nos mauvaises habitudes. L’écologie ne peut pas être une option en politique. Eh bien, l’écologie spirituelle dont nous parle Jean n’est pas non plus une option dans la vie chrétienne, c’est bien une question de mort ou de vie. Sous des apparences austères et ascétiques Jean est bien le prophète de la joie.
Il nous propose un test tout simple. Par exemple : lorsque nous aurons plus de joie à partager avec les autres qu’à accumuler des richesses pour nous, alors ce sera le signe que nous sommes sur le bon chemin. De la même manière lorsque nous trouverons notre joie davantage dans ce que nous avons et ce que nous sommes, que dans ce que nous désirons ou rêvons d’être. C’est alors que la paix de Dieu gardera notre coeur et notre intelligence dans le Christ Jésus. Amen

[1] 2 Samuel 6, 14s
[2] Cf. la séquence de Pentecôte
[3] Jean 17, 13

samedi 9 décembre 2006

Deuxième dimanche de l'Avent

Deuxième dimanche de l’Avent / C
10 décembre 2006
Luc 3, 1-6 (page 67)

Comme porte d’entrée dans la liturgie de la Parole de ce dimanche, je vous propose de mettre en lumière un point commun entre la première lecture et l’Evangile.
Nous lisons dans le prophète Baruch :
« Dieu a décidé que les hautes montagnes et les collines éternelles seraient abaissées, et que les vallées seraient comblées : ainsi la terre sera aplanie, afin qu’Israël chemine en sécurité dans la gloire de Dieu. »
Ecoutons maintenant le contenu de la prédication de Jean dans l’Evangile :
« Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route. Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux deviendront droits, les routes déformées seront aplanies ; et tout homme verra le salut de Dieu. »
La source commune à ces deux textes est un passage du chapitre 40 d’Isaïe. Ce chapitre correspond au début du livre de la consolation. C’est la deuxième partie du livre d’Isaïe qui commence avec ces mots :
« Consolez, consolez mon peuple, dit le Seigneur votre Dieu. »
La prophétie d’Isaïe reprise par Baruch puis saint Luc présente à la fois des aspects communs et des différences.
Commençons par ce qui est commun aux deux textes : l’image des montagnes, des collines et des ravins ainsi que la route, le chemin. Il est évident que ces images ont une signification spirituelle. Il suffit pour nous en convaincre de nous reporter à un autre passage du prophète Isaïe :
« Oui, le Seigneur Sabaot aura son jour contre tout orgueil et toute insolence, contre tous ceux qui se croient quelque chose : ils seront abaissés ! Il aura son jour contre les cèdres du Liban, élevés et hautains, contre tous les chênes du Bashan, contre les montagnes hautaines et toutes les collines élevées, contre les hautes tours et les remparts fortifiés, contre les vaisseaux de Tarsis et tous les navires princiers. L’orgueil de l’homme sera abaissé, l’insolence du mortel, humiliée : le Seigneur, lui seul, sera élevé ce jour-là.[1] »
Les collines et les montagnes représentent donc le péché capital d’orgueil. Le jour du Seigneur que nous attendons d’une manière plus intense en ce temps de l’Avent correspondra au jugement de « tous ceux qui se croient quelque chose. » Luc aime les détails historiques pour insister sur le réalisme de l’incarnation. Spirituellement, son introduction à la prédication de Jean va cependant plus loin que la seule histoire. Il cite tous les titres de ces grands personnages : Empereur, Gouverneur, Princes, Grands prêtres. Ce sont les puissants de l’époque. Puis en une phrase laconique Luc nous présente le Précurseur :
« La parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, fils de Zacharie. »
Jean, lui, n’a aucun titre ni aucun pouvoir. Il est simplement le fils de Zacharie. Mais c’est bien à lui que Dieu adresse sa Parole ! Voilà comment le Seigneur abaisse nos montagnes et nos collines d’orgueil.
Vient ensuite l’image de la route, du chemin qui doit être aplani. Le chemin aplani représente la vertu d’humilité par laquelle nous pouvons aller à la rencontre du Seigneur qui vient. Chez Baruch comme chez saint Luc on a l’impression d’avoir affaire à une voie rapide, à une « autoroute du salut ». N’oublions pas que Satan a, lui aussi, son autoroute, celle de la perdition : « Oui, grande ouverte est la porte, large est le chemin qui mène à la perdition, et c’est une foule qui s’y engage.[2] » Comment pouvons-nous savoir si nous sommes sur la bonne autoroute, celle qui nous conduit à la rencontre du Christ ? Sur le chemin de la perdition, il n’y a pas d’humilité. Il y a bien souvent l’orgueil humain. Ce chemin est facile à prendre. Le chemin du Seigneur est celui de la sécurité, pas celui de la facilité. Oui, sur ce chemin nous sommes en sécurité si nous mettons véritablement toute notre confiance et notre espérance dans le Seigneur. Cela ne supprime pas pour autant les obstacles, d’où l’espérance de Paul dans la deuxième lecture :
« Puisque Dieu a si bien commencé chez vous son travail, je suis persuadé qu’il le continuera jusqu’à son achèvement au jour où viendra le Christ Jésus. » Dieu nous donne toujours fidèlement sa grâce. Nous pouvons prendre l’autoroute du Seigneur à un moment donné de notre vie. Le défi consiste à rester sur cette autoroute jusqu’au retour du Christ, jusqu’au jour de notre mort. Jésus nous a prévenus : c’est par notre persévérance que nous serons sauvés.[3]
Nous avons deux signes qui nous permettent de dire : j’ai pris le bon chemin. L’humilité et la persévérance, c’est-à-dire aller jusqu’au bout, ne pas nous décourager en chemin.
Regardons maintenant les différences entre Baruch et saint Luc dans leur citation d’Isaïe.
Baruch parle du chemin d’Israël, Luc du chemin du Seigneur. C’est Dieu qui est premier, c’est Dieu qui est le maître d’œuvre de cette route aplanie sur laquelle il vient à notre rencontre en Jésus.
Baruch parle du salut d’Israël, Luc annonce le salut de Dieu pour tout homme ! Par sa venue en notre chair, le Seigneur Jésus universalise la promesse de salut faite autrefois à Israël. Il montre par là le sens de l’élection d’Israël. Si Israël est choisi parmi tous les peuples, ce n’est pas pour devenir le propriétaire du salut, mais au contraire le témoin de Dieu pour tous. Il en va de même pour nous : l’appel que nous avons reçu du Seigneur nous oblige envers tous nos frères. Préparons pour eux le chemin du Seigneur, dans la confiance et dans l’humilité.
Amen

[1] Isaïe 2, 12-17
[2] Matthieu 7, 13
[3] Luc 21, 19

samedi 2 décembre 2006

Premier dimanche de l'Avent

Premier dimanche de l’Avent / année C
3 décembre 2006
Luc 21, 25-36 ; page 20

Avec le premier dimanche de l’Avent commence une nouvelle année liturgique : c’est le début de notre année chrétienne. Comme nous le savons, le temps de l’Avent a deux objectifs : nous préparer au retour du Christ dans la gloire et nous préparer à la célébration de Noël. Le Christ est venu dans l’humilité et la pauvreté à Noël, il reviendra dans la gloire à la fin des temps. Le temps de l’Avent est probablement trop court pour nous permettre d’assimiler ce double objectif spirituel. En tout cas le premier dimanche de l’Avent est clairement eschatologique : il nous parle de la venue du Seigneur dans la gloire à la fin des temps. Et cette année c’est saint Luc qui nous servira de guide.
L’Evangile de ce dimanche est un passage du chapitre 21 de saint Luc. Malheureusement la liturgie nous fait sauter cinq versets dans ce texte… La première partie de cet Evangile a un aspect terrifiant. Le vocabulaire ne correspond pas trop à une « Bonne nouvelle » : les nations affolées, la peur, la crainte etc. Bref rien de très rassurant ou attirant ! Jésus annonce un ébranlement cosmique qui correspondra avec son retour dans la gloire. La bonne nouvelle est présente puisque notre rédemption approche. Parmi les versets exclus du texte liturgique, il y en a un qui éclaire de manière merveilleuse cet ébranlement cosmique :
« Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas[1]. »
L’ébranlement cosmique de la fin des temps nous rappelle le caractère provisoire de la création telle que nous la connaissons actuellement. Le ciel et la terre ne sont pas des réalités éternelles, ce sont des créations de Dieu. Seule la parole du Christ est éternelle, c’est-à-dire toujours vivante, actuelle, efficace et puissante. C’est toute la différence entre la sphère du divin et la sphère des créatures. Dans le chapitre 8 de sa lettre aux Romains, l’apôtre Paul a de très belles paroles sur la création : elle « aspire de toutes ses forces à voir cette révélation des fils de Dieu. […] Elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage, de la dégradation inévitable, pour connaître la liberté, la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons bien, la création tout entière crie sa souffrance, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore.[2] » A la lumière de ce texte de Paul, l’ébranlement cosmique de l’Evangile ne peut plus être perçu comme un anéantissement de la création. Cet ébranlement est en fait une transfiguration. A la rédemption de l’homme qui approche correspond une nouvelle naissance pour tout l’univers créé.
La seconde partie de l’Evangile est parénétique : il s’agit d’une vigoureuse exhortation à se préparer au retour du Christ dans la gloire. Le grand danger pour les chrétiens que nous sommes est l’alourdissement de notre cœur. L’image est parlante : notre coeur, s’il s’alourdit, tend aux choses d’en bas et oublie les réalités spirituelles. La débauche, l’ivrognerie et les soucis de la vie ne sont que des exemples parmi tant d’autres de ce qui peut contribuer à alourdir notre cœur. Alors comment faire pour que notre cœur soit plus léger ? C’est-à-dire toujours prêt à aller à la rencontre de son Seigneur qui vient. Jésus nous le dit :
« Restez éveillés et priez en tout temps. »
C’est bien par notre vie de prière, personnelle, familiale, communautaire, que nous pouvons toujours nous orienter vers le Seigneur et accueillir sa Parole qui ne passera pas. La prière est l’oxygène du chrétien. Sans prière, le chrétien s’asphyxie et s’endort. Comme le Carême, le temps de l’Avent nous redit l’importance de la vie spirituelle, la place que doit avoir la prière dans notre vie quotidienne. Notre expérience nous enseigne que la fidélité à la prière est une lutte, un combat. Nous savons aussi par expérience que si nous respirons régulièrement le bon air de la prière, notre vie en est peu à peu transformée, transfigurée.
Amen
[1] Luc 21, 33
[2] Romains 8, 19-22

samedi 25 novembre 2006

Le Christ Roi de l'univers

Le Christ, roi de l’univers / année B
26 novembre 2006
Page 1037 ; Jean 18, 33b-37

Pour introduire la méditation que je vous propose en cette fête, permettez-moi de citer un peu longuement les premiers versets du prologue de saint Jean :
« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. L’univers n’a existé que par lui et rien n’a existé sans lui. Ce qui a existé, était vie grâce à lui, et pour les hommes la vie se faisait lumière.[1] »
Ce n’est pas hasard que Jean commence son Evangile avec ces mots : « au commencement »… Il nous renvoie ainsi au début du premier livre de la Bible, le livre de la Genèse :
« Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. »
Jean nous révèle que Dieu est le créateur de toutes choses par sa Parole, par son Verbe. Si Jésus est le Roi de l’univers, c’est d’abord parce qu’il est le Verbe fait chair, celui dans lequel et par lequel Dieu le Père a appelé à la vie toutes les créatures.
Au sommet de sa création, Dieu place l’humanité. Et il confie à l’homme et à la femme une mission bien particulière :
« Développez-vous, multipliez-vous, remplissez la terre et dominez-la. Ayez autorité sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui vont et viennent sur la terre.[2] »
Pourquoi citer ici ce verset du premier récit de Création ? Tout simplement pour mieux comprendre la première lecture :
« Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. »
Dieu donne à l’homme la domination et l’autorité sur toutes les autres créatures. Dieu donne au Fils de l’homme une domination éternelle. La royauté du Christ nous renvoie donc à la royauté de l’homme, et vice-versa. Mais seul le Christ est l’alpha et l’oméga, c’est-à-dire le commencement et la fin, le Tout Puissant.
Et nous savons par le livre de la Genèse que le péché d’Adam et Eve a été un péché d’orgueil. Ils ont voulu égaler Dieu, et de ce fait ils sont tombés. Cette domination que Dieu leur avait donnée sur l’univers va laisser la place à une malédiction : « le sol sera maudit à cause de toi ». Et c’est pour notre humanité une déchéance : « tu es poussière et tu retourneras en poussière. » En péchant l’homme a perdu sa gloire.
C’est le Christ roi de l’univers qui nous avait créé, c’est aussi lui qui dans son immense amour va nous sauver et nous racheter par le mystère de l’incarnation : « Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. »
« A lui qui nous aime, qui nous a délivré de nos péchés par son sang, qui a fait de nous le royaume et les prêtres de Dieu son Père, à lui gloire et puissance pour les siècles des siècles. »
Dans la création originelle, l’homme et la femme participaient à la royauté de Dieu en dominant la terre. Après le péché, c’est le Christ Roi de l’univers qui, par amour, leur redonne une participation à sa propre royauté. Nous savons que c’est par le baptême et la confirmation que nous sommes devenus prêtres, prophètes et rois, participants de la royauté du Christ. Cette royauté ne vient pas de ce monde, elle ne vient pas de la terre. Elle est donnée par Dieu. D’où la nécessité du sacrement de baptême pour en être rendus participants.
Comment pouvons-nous donc honorer le Christ Roi de l’univers ? En exerçant notre royauté baptismale à sa manière, en mettant nos pas dans ses pas :
« Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. » Cette mission pourrait nous sembler bien théorique. Nous savons bien qu’il n’en est rien. Par ses paroles et par ses actes, le Seigneur nous a montré très concrètement ce que pouvait bien signifier : « rendre témoignage à la vérité. » Honorer le Christ Roi, c’est donc chercher à l’accueillir chaque jour dans nos vies, c’est méditer ses paroles et ses exemples pour les faire passer dans nos actes et dans nos choix. La vérité chrétienne n’est pas seulement affaire d’intellect, elle n’est rien si elle ne va pas jusqu’à toucher le coeur, si elle n’a pas le pouvoir de nous mettre en mouvement…
Car c’est « celui qui pratique la vérité qui vient vers la lumière.[3] »
Amen
[1] Jean 1, 1-4
[2] Genèse 1, 28
[3] Jean 3, 21

vendredi 17 novembre 2006

Sermon de BOSSUET sur la Parole de Dieu

Une fois n'est pas coutume, je vous présente un commentaire sur un magnifique sermon de Bossuet, celui sur la Parole de Dieu (1661).
C'est l'occasion de vous faire connaître l'un des plus grands prédicateurs que la France ait connu:
Jacques Bénigne BOSSUET, né à Dijon en 1627, mort à Paris en 1704.

Le ministère de la Parole

Sermon de Bossuet sur la Parole de Dieu

La réforme liturgique voulue par le Concile Vatican II a donné à la Parole de Dieu une place essentielle dans la célébration des sacrements et tout particulièrement dans la célébration du sacrement de l’eucharistie. Les prédicateurs sont ainsi passés du sermon qui abordait l’un ou l’autre point de la foi catholique à l’homélie, c’est-à-dire à une mise en lumière de la Parole de Dieu. La constitution sur la Sainte Liturgie (Sacrosanctum Concilium, 4 décembre 1963) affirme d’une manière significative que le Christ « est là présent dans sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Eglise les Saintes Ecritures » (n°7). Dans la même constitution nous trouvons des expressions maintenant bien connues pour caractériser la liturgie de la Parole et la liturgie eucharistique : « La table de la parole de Dieu » (n°51) et « la table du Corps du Seigneur » (n°48). La conclusion logique de tout cela c’est bien sûr l’unité du sacrement de l’eucharistie : « Les deux parties qui constituent en quelque sorte la messe, c’est-à-dire la liturgie de la parole et la liturgie eucharistique, sont si étroitement unies entre elles qu’elles constituent un seul acte de culte » (n°56). Certains ont voulu voir dans la doctrine des « deux tables » une nouveauté. En fait cet enseignement du Concile s’enracine dans la Tradition patristique. Au 15ème siècle l’Imitation de Jésus-Christ utilise déjà le vocabulaire des « deux tables » : « L’une est la table de l’autel sacré, sur lequel repose un pain sanctifié, c’est-à-dire le Corps précieux de Jésus-Christ. L’autre est la table de la loi divine, qui contient la doctrine sainte, qui enseigne la vraie foi, qui soulève le voile du sanctuaire, et nous conduit avec sûreté jusque dans le Saint des saints » (IV, 11, 4). Au 17ème siècle le grand prédicateur que fut Bossuet développe avec vigueur et génie « cette alliance sacrée qui est entre la chaire et l’autel ». Son sermon sur la Parole de Dieu, donné le 13 mars 1661 à l’occasion du deuxième dimanche de Carême, est en effet une profonde méditation sur « ce rapport admirable entre l’autel et la chaire ». Bossuet part de l’Evangile de la Transfiguration, et tout particulièrement du verset 5 au chapitre 17 de saint Matthieu : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le : Ipsum audite ». La doctrine de Bossuet est nourrie bien sûr par l’Ecriture, la théologie mais aussi par les Pères de l’Eglise, tout particulièrement Saint Augustin qui est cité comme « fondement » de tout le développement. A peine âgé de 34 ans, Bossuet nous livre dans ce sermon une synthèse doctrinale d’une étonnante vérité quant au ministère de la Parole dans l’Eglise et son importance sacrée. Le plan du sermon est le suivant : l’exorde suivi par trois points de développement. Un texte aussi dense et aussi beau ne peut se résumer facilement. Je vous propose toutefois de le parcourir dans ses grandes lignes. Bossuet peut encore aujourd’hui nous aider à participer « consciemment, pieusement et activement à l’action sacrée » par excellence qu’est la célébration de l’eucharistie (Sacrosanctum Concilium, n°48).

Exorde : le rapport admirable entre l’autel et la chaire

Bossuet se propose d’emblée d’approfondir dans son sermon « ce secret rapport entre le mystère de l’Eucharistie et le ministère de la parole ». Et ceci dans un but unique : pour susciter chez les auditeurs de la Parole de Dieu et de la prédication de « saintes dispositions ». Je citerai ici un peu longuement un très beau passage de l’exorde. C’est la thèse du prédicateur, le fondement de tout son développement :
« Le temple de Dieu, mes Sœurs, a deux places augustes et vénérables, je veux dire l’autel et la chaire. Là, se présentent les requêtes ; ici, se publient les ordonnances ; là, les ministres des choses sacrées parlent à Dieu de la part du peuple ; ici, ils parlent au peuple de la part de Dieu ; là, Jésus-Christ se fait adorer dans la vérité de son corps ; il se fait reconnaître ici dans la vérité de sa doctrine. Il y a une très étroite alliance entre ces deux places sacrées, et les œuvres qui s’y accomplissent ont un rapport admirable. Le mystère de l’autel ouvre le cœur pour la chaire ; le ministère de la chaire apprend à s’approcher de l’autel ».

Premier point : auditeurs fidèles et prédicateurs évangéliques

Pour Bossuet « le ministère de la parole » est le « plus grave, le plus important, le plus nécessaire emploi de l’Eglise ». Dans son sermon il s’adresse autant aux prédicateurs qu’aux auditeurs. Et le parallèle qu’il ne cesse de faire entre l’autel et la chaire doit amener les uns et les autres au plus grand respect envers la Parole de Dieu et la sainte prédication qui en découle. Le grand prédicateur qu’est l’aigle de Meaux (Bossuet était évêque de cette ville) s’élève contre une tendance de son époque : la prédication mondaine. Lorsque l’éloquence et les figures de style deviennent la priorité des prédicateurs, alors la sainte prédication est abaissée au rang d’un divertissement futile : « Il y a ici un ordre à garder : la sagesse marche devant comme la maîtresse, l’éloquence s’avance après comme la suivante ». L’éloquence doit donc toujours être secondaire. A la suite de saint Augustin, Bossuet affirme avec force l’éminente dignité du ministère de la prédication. Pour lui les prédicateurs de l’Evangile montent en chaire « dans le même esprit qu’ils vont à l’autel ; il y montent pour célébrer un mystère, et un mystère semblable à celui de l’Eucharistie. Car le corps de Jésus-Christ n’est pas plus réellement dans le sacrement adorable que la vérité de Jésus-Christ est dans la prédication évangélique ». Jésus-Christ est la Vérité. Le prédicateur évangélique doit se soumettre en toutes choses à cette divine vérité. L’auditeur évangélique doit désirer de toutes ses forces la vérité de l’Evangile en écoutant les saintes prédications. « D’où il faut tirer cette conséquence, qui doit faire trembler tout ensemble et les prédicateurs et les auditeurs, que, tel que serait le crime de ceux qui feraient ou exigeraient la célébration des divins mystères autrement que Jésus-Christ ne les a laissés, tel est l’attentat des prédicateurs et tel celui des auditeurs, quand ceux-ci désirent et que ceux-là donnent la parole de l’Evangile autrement que ne l’a déposée entre les mains de son Eglise ce céleste prédicateur que le Père nous ordonne aujourd’hui d’entendre : Ipsum audite. » Qui est donc le prédicateur évangélique ? « Celui qui fait parler Jésus-Christ […], un interprète fidèle qui n’altère, ni ne détourne, ni ne mêle, ni ne diminue sa sainte parole ». Le prédicateur est l’humble serviteur de la Parole de Dieu. Et si à certaines époques les prédicateurs évangéliques se font rares, c’est parce que les chrétiens ne cherchent plus « en vérité la saine doctrine ». Bossuet parle ici d’un mystère : « Ce sont les auditeurs fidèles qui font les prédicateurs évangéliques, parce que, les prédicateurs étant pour les auditeurs, ‘les uns reçoivent d’en haut ce que méritent les autres’ ». Bossuet cite ici saint Pierre Chrysologue pour évoquer ce mystère de l’interaction entre prédicateurs et auditeurs.

Deuxième point : la parole de Dieu doit aller au cœur de l’auditeur

« Le second rapport, Chrétiens, que nous avons remarqué entre la parole de Dieu et l’Eucharistie, c’est que l’une et l’autre doit aller au cœur, quoique par des voies différentes : l’une par la bouche, l’autre par l’oreille ». L’écoute attentive de la parole de Dieu s’impose donc à tout chrétien car « il ne faut pas croire que Jésus-Christ se sente moins outragé quand on écoute sa vérité avec peu d’attention que quand on manie son corps avec peu de soin ». Dans la prédication, il y a le prédicateur visible. Mais n’oublions pas le prédicateur invisible, Dieu lui-même. C’est Lui et Lui seul qui par l’Esprit Saint peut faire que « cette parole sensible et extérieure » aille jusqu’au cœur de l’auditeur : « Outre le son qui frappe l’oreille, il y a une voix secrète qui parle intérieurement, et ce discours spirituel et intérieur, c’est la véritable prédication, sans laquelle tout ce que disent les hommes ne sera qu’un bruit inutile ». Bossuet se réfère encore à saint Augustin pour développer d’une manière admirable la thèse de son deuxième point : « Tant que les lumières de Dieu demeurent simplement à l’intelligence, ce n’est pas encore la leçon de Dieu, ce n’est pas l’école du Saint-Esprit, parce qu’alors, dit saint Augustin, Dieu ne nous enseigne que selon la loi, et non encore selon la grâce ; selon la lettre qui tue, non selon l’esprit qui vivifie. Donc, mes Frères, pour être attentif à la parole de l’Evangile, il ne faut pas ramasser son attention au lieu où se mesurent les périodes, mais au lieu où se règlent les mœurs ; il ne faut pas se recueillir au lieu où l’on goûte les belles pensées, mais au lieu où se produisent les bons désirs ; ce n’est pas même assez se retirer au lieu où se forment les jugements, il faut aller à celui où se prennent les résolutions ». Comment ne pas penser ici à un autre génie spirituel du 17ème siècle français, Blaise Pascal ? « Qu’il y a loin de la connaissance de Dieu à l’aimer. […] C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi. Dieu sensible au cœur, non à la raison ».

Troisième point : la parole de Dieu accueillie dans le cœur nous fait accomplir la volonté de Dieu

Comment savoir si nous écoutons avec attention la parole de Dieu et la sainte prédication ? Comment savoir si nous ouvrons réellement notre cœur à cette divine parole ? Bossuet répond en poursuivant le parallèle avec l’Eucharistie : « Comme nous ne connaissons si nous avons reçu dignement le corps du Sauveur qu’en nous mettant en état qu’il paraisse qu’un Dieu nous nourrit, ainsi nous ne remarquons que nous ayons bien écouté sa sainte parole qu’en vivant de telle manière qu’il paraisse qu’un Dieu nous enseigne ». Bref si la parole de Dieu et le ministère de la prédication ne nous convertissent pas, c’est le signe évident que nous sommes de mauvais auditeurs. Nous écoutons d’une manière distraite et superficielle, nous arrêtant davantage à l’éloquence et à l’aspect du prédicateur qu’au contenu de la vérité évangélique qu’il est chargé de nous transmettre dans toute sa pureté. Nous ne nous laissons pas toucher par la grâce du prédicateur invisible. Le troisième point du sermon avait été annoncé dès l’exorde par une belle comparaison entre la transsubstantiation eucharistique et la transformation des fidèles : « Là, par l’efficace (comprendre : l’efficacité) du Saint-Esprit et par des paroles mystiques, auxquelles on ne doit point penser sans tremblement, se transforment les dons proposés au corps de Notre Seigneur Jésus-Christ ; ici, par le même Esprit et encore par la puissance de la parole divine, doivent être secrètement transformés les fidèles de Jésus-Christ pour être faits son corps et ses membres ». Et Bossuet de conclure sur « ce nouveau rapport entre la doctrine sacrée et l’Eucharistie. Celle-ci, s’approchant des hommes, vient discerner les consciences avec une autorité et un œil de juge ; elle couronne les uns, elle condamne les autres : ainsi la divine parole, ce pain des oreilles, ce corps spirituel de la vérité ; ceux qu’elle ne touche pas, elle les juge ; ceux qu’elle ne convertit pas, elle les condamne ; ceux qu’elle ne nourrit pas, elle les tue. »

Au terme de ce merveilleux parcours sur la parole de Dieu et le ministère de la prédication en compagnie de Bossuet, je lui laisserai une dernière fois la parole. Une parole qui nous appelle à avoir une même vénération, un même respect pour les deux parties constitutives du sacrement de l’Eucharistie que sont la liturgie de la Parole et la liturgie eucharistique :
« Mes Frères, ces mystères sont amis ; ne soyons pas assez téméraires pour en rompre la société. Adorons Jésus-Christ avant qu’il nous parle ; contemplons en respect et en silence ce Verbe divin à l’autel, avant qu’il nous enseigne dans cette chaire. Que nos cœurs seront bien ouverts à la doctrine céleste par cette sainte préparation ! Pratiquez-là, Chrétiens : ainsi Notre Seigneur Jésus-Christ puisse être votre docteur ! »

Père Robert Culat
3. I.2006

33ème dimanche du temps ordinaire

33ème dimanche du temps ordinaire / B
19 novembre 2006
Page 984, Marc 13, 24-32

Dimanche prochain, notre année chrétienne s’achèvera avec la solennité du Christ Roi. C’est dans cette perspective que la liturgie de la Parole nous propose aujourd’hui un passage du discours eschatologique de Jésus en saint Marc. A la fin de notre année liturgique correspond ainsi un enseignement sur la fin des temps, sur le retour du Christ dans la gloire. Il nous est toujours difficile de bien comprendre ces textes eschatologiques. Ils nous renvoient du point de vue du vocabulaire et du contenu au dernier livre de la Bible, l’Apocalypse. Le sens véritable du mot « apocalypse » nous est donné par le premier et le dernier verset de ce livre biblique. Le livre de l’Apocalypse s’ouvre avec les mots suivants :
« Voici la révélation de Jésus-Christ. Dieu lui a donné de montrer à ses serviteurs ce qui doit arriver bientôt. »
Et le dernier livre de la Bible s’achève ainsi :
« Oui, viens, Seigneur Jésus ! Que la grâce du Seigneur Jésus soit avec vous tous. »
Ce qui est donc au centre de ces révélations bibliques, ce ne sont pas d’abord des catastrophes, mais bien la personne de Jésus : Jésus ressuscité, Jésus qui revient dans sa gloire. L’Apôtre Paul parle lui aussi de cette parousie du Christ :
« Alors viendra la fin. Le Christ aura dominé toutes les lois, les forces et les souverains de l’univers, et il remettra le Royaume à Dieu le Père. […] Quand tout lui sera soumis, le Fils se soumettra à celui qui lui a soumis toutes choses, et Dieu sera désormais tout en tous.[1] »
Dieu sera tout en tous : c’est une très belle manière de parler du salut de l’humanité et de la création dans le Royaume du Christ. Ce salut est en germe dans l’Eglise et par l’action de l’Esprit tant que dure notre histoire humaine. Mais lorsque notre histoire et avec elle, la création tout entière, atteindra son terme, c’est alors que le salut du Christ sera pleinement accompli et manifesté :
« Il enverra les anges pour rassembler les élus des quatre coins du monde, de l’extrémité de la terre à l’extrémité du ciel. »
Pour comprendre l’ébranlement cosmique dont il est question dans cet Evangile, reportons-nous à la parole centrale de Jésus, celle qui donne sens à tout ce passage :
« Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. »
A l’ébranlement du ciel et de la terre, il faut donc opposer la stabilité et la permanence de la parole du Christ. Les chartreux ont choisi comme devise : « Stat Crux dum volvitur orbis. » La croix demeure tandis que le monde tourne et passe… Nous préparer à la venue du Christ, c’est donc vivre notre aujourd’hui non pas dans la peur ou dans la recherche de nouvelles révélations, mais dans la foi, l’espérance et la charité. Car c’est bien par ces vertus théologales que nous pouvons nous accrocher à ce qui demeure, et mettre à leur juste place les réalités transitoires de notre monde et de notre histoire.
Je conclurai en faisant allusion au thème de la collecte nationale du Secours Catholique en ce dimanche :
« Rompre la solitude. »
Une enquête du Secours Catholique montre qu’en France et dans notre département la solitude ne cesse de progresser depuis les années 60. Le psaume 101 décrit d’une manière dramatique l’isolement d’un croyant qui s’en remet à Dieu dans la prière :
« Mes jours s’en vont en fumée, mes os comme un brasier sont en feu ; mon cœur se dessèche comme l’herbe fauchée. […] Je ressemble au corbeau du désert, je suis pareil à la hulotte des ruines : je veille la nuit, comme un oiseau solitaire sur un toit. »
Toute la Bible nous rappelle que la vocation de l’homme c’est la communion et l’amour, car « il n’est pas bon que l’homme soit seul. »
Au baptême et à la confirmation, nous avons reçu la charité de Dieu, cet amour qui nous pousse vers les autres pour nous mettre à leur service. Que les bénévoles du Secours Catholique soient en ce jour remerciés pour leur engagement et encouragés par notre offrande. Surtout que chacun d’entre nous ait le souci des personnes souffrant de solitude et d’isolement : dans le cercle familial et dans le voisinage immédiat. Enfin pensons à toutes les personnes malades et âgées qui dans les hôpitaux ou à domicile subissent aussi le poids de la solitude. Une équipe de pastorale de la santé existe dans notre paroisse pour répondre à l’attente de ces frères et sœurs. Comme souvent, « la moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux ! » Que l’Esprit Saint nous éclaire sur notre engagement de chrétiens !
Amen

[1] 1 Corinthiens 15, 24.28

dimanche 12 novembre 2006

32ème dimanche du temps ordinaire

32ème dimanche du TO/B
12 novembre 06
Page 935

L’évangéliste Marc nous invite à méditer en ce dimanche deux petits tableaux : celui dépeignant les scribes, et celui dépeignant la pauvre veuve. Le second tableau oppose les gens riches à la pauvre veuve, j’y reviendrai. Mais il y a aussi une opposition entre les scribes du premier tableau et la veuve du second tableau.
Ce n’est pas sans raison que Jésus souligne l’une des attitudes des scribes :
« Ils dévorent les biens des veuves. »
Cette remarque nous renvoie bien sûr à la pauvre veuve. Les scribes étaient des gens respectés et aisés. Et ils avaient tendance à abuser de leur pouvoir spirituel pour s’en mettre plein les poches, et cela aux dépens des plus pauvres. Dans la mentalité biblique, les plus pauvres ce sont les veuves et les orphelins. Cette fâcheuse tendance à instrumentaliser la spiritualité en vue de gains matériels n’appartient pas qu’au passé. L’Eglise a dû condamner la simonie tant les abus pouvaient être nombreux et scandaleux. C’est la vente des indulgences en vue de la reconstruction de la basilique saint Pierre qui a provoqué la révolte de Luther et le mouvement de la Réforme. Et aujourd’hui certains télévangélistes américains utilisent la foi chrétienne pour s’en mettre plein les poches, et cela en abusant bien souvent de la crédulité des personnes les plus simples et les plus pauvres.
Nous avons donc d’un côté les scribes qui exploitent les veuves, et de l’autre une pauvre veuve qui dépose dans le tronc tout ce qu’elle a pour vivre.
De cette scène, Jésus tire bien plus qu’un simple enseignement sur la générosité ou encore un enseignement de sagesse. Car en comparant les gens riches et la pauvre veuve, la sagesse nous enseigne que ce qui compte ce n’est pas la quantité de notre don, considérée en soi, mais bien le don relatif. C’est-à-dire notre don mis en relation avec notre situation personnelle. Une star du ciné qui donne 1000 euros à une œuvre caritative donne moins qu’un chômeur qui se sacrifie pour faire un don de 50 euros. C’est évident !
La pointe de cet Evangile n’est donc pas à chercher de ce côté-là. Tant que nous ne sommes pas scandalisés par l’attitude de cette pauvre veuve, nous ne pouvons pas comprendre cet Evangile. Car soyons honnêtes, qui d’entre nous, à la sortie de cette messe, serait prêt à donner tout le contenu de son compte en banque ? Or, c’est bien ce que fait cette veuve, en prenant sur son indigence, sur son nécessaire. Et nous pouvons bien qualifier son attitude de folie ou d’irraisonnable…
Avant d’aller plus avant établissons ce qui pourrait nous sembler au premier abord un paradoxe : moins une personne a de biens, plus elle peut être généreuse. Ce sont souvent les personnes riches qui ont le plus de mal à donner… C’est dans une certaine mesure assez logique : au plus notre capital est important, au plus nous risquons de nous y attacher… Et alors il coûte davantage de s’en défaire, même si ce n’est que du superflu…
C’est la deuxième lecture qui peut nous aider à trouver la fine pointe de cette scène évangélique :
« C’est une fois pour toutes, au temps de l’accomplissement, que le Christ s’est manifesté pour détruire le péché par son sacrifice. »
En fait l’offrande de la pauvre veuve est une image du sacrifice du Christ :
« Elle a tout donné, tout ce qu’elle avait pour vivre. » Ce geste est fou, car sans aide extérieure, la veuve se condamne ainsi à mort, car elle n’a littéralement parlant plus rien pour vivre. C’est donc un sacrifice qu’elle fait, et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit d’un holocauste. C’est-à-dire un sacrifice total, dans lequel celui qui offre donne absolument tout et ne garde rien pour lui.
En s’offrant tout entier sur le bois de la croix, le Christ, grand prêtre de la nouvelle Alliance, réalise un holocauste. Non pas avec le sang des animaux, mais avec son propre sang, sa propre vie. Dans l’holocauste il n’y a pas de retour possible en arrière. Ce qui est donné est donné. Les holocaustes de l’ancienne Alliance consistaient à brûler entièrement la victime, à la réduire en cendres.
Le geste de la pauvre veuve est fou car il nous rappelle une autre folie, celle de l’amour divin dans le sacrifice de la Croix :
« C’est que le monde, avec sa sagesse, n’a pas reconnu Dieu quand il mettait en œuvre sa sagesse. Il a donc plu à Dieu de sauver des croyants grâce à une folie que nous proclamons.[1] »
Mis en présence de la pauvre veuve, nous nous sentons bien petits et incapables. Elle nous ouvre cependant un chemin de vie chrétienne : celui du don de soi à la suite du Christ. Un don qui ne triche pas, un don qui ne fait pas semblant, bref un don total, quelle que soit notre vocation et notre état de vie. Notre générosité et notre sens du partage sont des étapes indispensables dans notre apprentissage du don de nous-mêmes. Alors ne négligeons surtout pas de nous exercer dans ces domaines !
Amen
[1] 1 Co 1, 21