dimanche 29 juin 2025

SAINTS PIERRE ET PAUL 2025 / DILEXIT NOS 10

 29 /06/2025

En cette solennité des saints Pierre et Paul nous méditons la cinquième et dernière partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « Amour pour amour ».

Avec cette méditation nous parvenons à la fin de ce cycle de catéchèses sur le Sacré-Cœur. Dans le dernier chapitre de Dilexit nos le pape François nous donne un magnifique enseignement sur la notion de « réparation » (181-204), en s’appuyant fortement sur les enseignements de Jean-Paul II. La réparation offerte au Cœur du Christ a un double aspect : social et personnel. Dans le paragraphe intitulé « La réparation : construire sur les ruines » le pape développe, en citant Jean-Paul II, le sens social de cette pratique spirituelle :

La civilisation du Cœur du Christ pourra être bâtie sur les ruines accumulées par la haine et la violence en nous abandonnant à ce Cœur. Cela implique certainement que nous soyons capables de joindre l’amour filial envers Dieu à l’amour du prochain.

Jean-Paul II avait mis en lumière les structures de péché qui s’opposent gravement à la civilisation de l’amour. Qu’est-ce donc qu’une structure de péché ? Elle se caractérise par la répétition de péchés graves contre le prochain, répétition favorisée par une organisation sociale, politique et commerciale mauvaise en elle-même : La répétition de ces péchés contre les autres finit souvent par renforcer une « structure de péché » nuisant au développement des peuples. Au n°182 le pape définit avec grande clarté la réparation dans son aspect social :

Avec le Christ, nous sommes appelés à construire une nouvelle civilisation de l’amour sur les ruines que nous avons laissées en ce monde par notre péché. Telle est la réparation que le Cœur du Christ attend de nous. Au milieu du désastre laissé par le mal, le Cœur du Christ veut avoir besoin de notre collaboration pour reconstruire le bien et le beau.

Dans ce contexte qui met en avant l’amour évangélique du prochain le pape souligne l’importance pour chaque chrétien de « se reconnaître fautif et de demander pardon », donc la centralité de la vertu d’humilité. Le fidèle qui acquiert par la grâce de Dieu la bonne habitude de reconnaître ses péchés et de demander pardon au prochain offensé, comme nous le rappelle le Notre Père, inverse la tendance naturelle qui consiste à « être indulgent avec soi-même et inflexible avec les autres ». Ainsi « on devient ferme avec soi-même et miséricordieux avec les autres ». La pratique sociale de la réparation est inséparable d’une profonde spiritualité. Au n°184, le pape remarque :

La réparation chrétienne ne peut être comprise uniquement comme un ensemble d’œuvres extérieures, bien qu’indispensables et parfois admirables. Elle exige une mystique, une âme, un sens qui leur donne force, élan et créativité inlassables. Elle a besoin de la vie, du feu et de la lumière qui procèdent du Cœur du Christ.

Cette citation nous sert de transition pour aborder maintenant l’aspect personnel et proprement spirituel de la réparation qui nous engage « dans une relation encore plus directe avec le Cœur du Christ ». Dans le paragraphe « La réparation : un prolongement pour le Cœur du Christ » le pape choisit comme guide sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et son offrande à l’Amour divin. Il pose d’abord le fondement d’une saine compréhension de la réparation :

Puisque le Seigneur tout-puissant, dans sa liberté divine, a voulu avoir besoin de nous, la réparation se comprend comme une libération des obstacles que nous mettons à l’expansion de son amour dans le monde, par notre manque de confiance, de gratitude et de don de soi.

La révolution opérée par la petite Thérèse dans son cheminement spirituel a consisté à voir avant toutes choses en Dieu un Père miséricordieux et non pas un juge. Et pour elle il ne faisait aucun doute que la Justice même (et peut-être encore plus que toute autre) me semble revêtue d’amour ». Le pape décrit très bien ce changement de perspective aux n°195-196 :

Cette insistance sur la justice divine conduit finalement à penser que le sacrifice du Christ est incomplet ou partiellement efficace, ou que sa miséricorde n’est pas assez grande. […] Avec son intuition spirituelle, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus découvre qu’il existe une autre façon de s’offrir selon laquelle il n’est pas nécessaire de satisfaire la justice divine mais de permettre à l’amour infini du Seigneur de se répandre sans entrave. C’est la raison pour laquelle Thérèse dans son acte d’offrande s’offre non pas à la justice divine mais à l’Amour miséricordieux.

Concluons cette dernière méditation avec ces paroles du pape François qui nous appelle à retrouver la beauté de la réparation comme dévotion agréable au Cœur de Jésus :

Sœurs et frères, je propose que nous développions cette forme de réparation qui consiste, en définitive, à offrir au Cœur du Christ une nouvelle possibilité de répandre en ce monde les flammes de son ardente tendresse… Le chemin le plus approprié est que notre amour donne au Seigneur une possibilité de s’étendre en échange de toutes ces fois où il a été rejeté ou nié. Cela se produit en allant au-delà de la simple “consolation” au Christ dont nous avons parlé dans le chapitre précédent, et se traduit par des actes d’amour fraternel par lesquels nous guérissons les blessures de l’Église et du monde. De cette manière, nous offrons de nouvelles expressions de la puissance restauratrice du Cœur du Christ.

dimanche 22 juin 2025

SAINT SACREMENT 2025 / DILEXIT NOS 9

 22 /06/2025

En cette solennité du Saint Sacrement nous méditons la cinquième et dernière partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « Amour pour amour ». Dans ce chapitre le pape montre comment la dévotion au Sacré-Cœur conduit le croyant à « l’engagement communautaire et missionnaire ». La révélation faite à sainte Marguerite-Marie nous permet de comprendre la signification profonde de la parole de Jésus en croix : « J’ai soif ». D’une part le Seigneur révèle sa douleur causée par notre ingratitude et d’autre part sa soif d’être aimé par nous. Le titre du chapitre « amour pour amour » provient des paroles de Marguerite-Marie et sera plus tard repris par Charles de Foucauld :

« Je reçus de mon Dieu des grâces excessives de son amour, et me sentis touchée du désir de quelque retour, et de lui rendre amour pour amour ».

Les numéros 167-171 de l’encyclique montrent comment nous pouvons passer de l’ingratitude qui fait souffrir le Christ à la gratitude à travers notre amour pour les frères, un amour que Charles de Foucauld proclamera universel dans la lignée de l’Evangile. Ecoutons le pape : Nous devons revenir à la Parole de Dieu pour reconnaître que la meilleure réponse à l’amour de son cœur est l’amour pour nos frères. Il n’y a pas d’acte plus grand que nous puissions offrir pour Lui rendre amour pour amour. La Parole de Dieu le dit avec une totale clarté… L’amour pour les frères ne se fabrique pas, il n’est pas le résultat de notre effort naturel mais il exige une transformation de notre cœur égoïste. C’est alors que surgit spontanément la célèbre supplique : “Jésus, rends notre cœur semblable au tien”. C’est pour cette même raison que l’invitation de saint Paul n’est pas : “Efforcez-vous de faire de bonnes œuvres”. Son invitation est plus précisément : « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus » (Ph 2, 5).

Aux numéros 169-170 le pape fait une réflexion historique fort intéressante sur la grande nouveauté que constituait dans l’Empire romain l’amour universel des frères incluant beaucoup de pauvres, d’étrangers et autres laissés-pour-compte qui trouvaient auprès des chrétiens respect, affection et attention. Les premiers chrétiens, minoritaires dans l’Empire romain, ont accompli les paroles de leur Maître et Seigneur : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres qu’ils reconnaitront que vous êtes mes disciples » (Jean 13-35). Cette parole de Jésus s’est effectivement réalisée comme le montre la réaction de l’empereur Julien qui pendant son bref règne (360-363) a tenté de restaurer la vieille religion romaine traditionnelle. Son projet était de transposer dans la religion polythéiste les œuvres de charité chrétiennes :

Cela explique le raisonnement de l’empereur apostat Julien qui se demandait pourquoi les chrétiens étaient si respectés et suivis, et qui pensait que l’une des raisons était leur engagement dans l’assistance des pauvres et des étrangers, puisque l’Empire les ignorait et les méprisait. Il était intolérable pour cet empereur que ses pauvres ne reçoivent aucune aide de sa part, alors que les chrétiens détestés, « en plus de nourrir les leurs, nourrissent encore les nôtres ». Dans une lettre, il ordonna de créer des institutions caritatives pour rivaliser avec les chrétiens et attirer le respect de la société… Mais il n’atteignit pas son objectif, probablement parce qu’il n’y avait pas derrière ces œuvres l’amour chrétien qui permet de reconnaître à toute personne une dignité unique.

La grande nouveauté chrétienne qui a interpellé l’empereur Julien, fortement attaché au paganisme et à la culture gréco-latine, est celle de « la reconnaissance de la dignité de toute personne, aussi et surtout de ces personnes qualifiées d’indignes ». L’honnêteté exige de préciser que cette nouveauté chrétienne n’est pas absolument nouvelle. Elle trouvait en effet des appuis dès le 1er siècle chez les Stoïciens et en particulier chez Sénèque qui enseignait par exemple la pleine humanité des esclaves. Au n°170 le pape affirme combien ce principe nouveau dans l’histoire de l’humanité […] a changé la face du monde en donnant naissance à des institutions qui s’occupent des personnes en situation défavorisée.

Enfin au n°171 le pape enseigne que la contemplation amoureuse du cœur du Christ blessé par amour pour nous nous conduit à une plus grande charité envers tous les souffrants de notre monde :

Regarder la blessure du cœur du Seigneur qui « a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies » nous aide à être plus attentifs aux souffrances et aux besoins des autres, nous rend assez forts pour participer à son œuvre de libération en tant qu’instruments de diffusion de son amour. 

 

dimanche 15 juin 2025

TRINITE 2025 / DILEXIT NOS 8

 

15 /06/2025

En cette solennité de la Sainte Trinité nous méditons la quatrième partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « L’amour qui donne à boire ». Dimanche dernier nous avons parlé des saints français du 17ème siècle qui ont contribué à propager la dévotion au Sacré-Cœur. Les numéros 129 à 142 de l’encyclique présentent la contribution de deux autres saints français : Charles de Foucauld et Thérèse de l’Enfant Jésus. Charles de Foucauld se consacra au Sacré-Cœur en 1889 et il fut le premier ermite de l’Eglise « sous le nom du Sacré-Cœur ». Au n°138 le pape François cite longuement un extrait de la lettre 197 de Thérèse à sa sœur Marie, en ajoutant que cette page devrait être lue mille fois pour sa profondeur, sa clarté et sa beauté :

Mes désirs du martyre ne sont rien, ce ne sont pas eux qui me donnent la confiance illimitée que je sens en mon cœur. Ce sont, à vrai dire, les richesses spirituelles qui rendent injuste, lorsqu’on s’y repose avec complaisance et que l’on croit qu’ils sont quelque chose de grand. [...] Ce qui plaît au bon Dieu, c’est de me voir aimer ma petitesse et ma pauvreté, c’est l’espérance aveugle que j’ai en sa miséricorde… Voilà mon seul trésor. [...] Si vous désirez sentir de la joie, avoir de l’attrait pour la souffrance, c’est votre consolation que vous cherchez […]. Comprenez que pour aimer Jésus, être sa victime d’amour, plus on est faible, sans désirs, ni vertus, plus on est propre aux opérations de cet Amour consumant et transformant. [...] Oh ! que je voudrais pouvoir vous faire comprendre ce que je sens !... C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour ». 

A la fin du quatrième chapitre le pape aborde « la dévotion de la consolation » (n°151-163) en s’appuyant sur une lettre encyclique du pape Pie XI publiée en 1928 (Miserentissimus Redemptor). Le pape François distingue « la consolation » de la « réparation » dont il traite dans le dernier chapitre. Ces deux réalités spirituelles nous sont devenues presque étrangères, et elles peuvent aussi nous apparaitre comme des pratiques étranges, venues d’un autre âge. D’où l’importance de comprendre le message du pape qui, avec beaucoup de pédagogie, les propose à nouveau à notre vie spirituelle. Il commence sagement par les fondements de la consolation, fondements qui se trouvent dans l’unité du mystère pascal et dans sa dimension transcendante :

Le cœur du Ressuscité conserve ces signes du don total qui entraîna une intense souffrance pour nous. Il est donc en quelque sorte inévitable que le croyant veuille réagir non seulement à ce grand amour, mais aussi à la douleur que le Christ a accepté d’endurer pour tant d’amour (151). Le Pape Pie XI a voulu justifier cela en nous invitant à reconnaître que le mystère de la Rédemption par la Passion du Christ transcende, par la grâce de Dieu, toutes les distances de temps et d’espace (153).

La pratique de la consolation du cœur du Christ peut se comprendre dans la mesure où nous sommes rendus « mystiquement présents à ce moment rédempteur de la Passion ». Au n°155 le pape énonce l’objection que beaucoup de croyants peuvent faire à cette dévotion particulière : Quoi qu’il en soit, nous nous demandons comment il est possible d’être en relation avec le Christ vivant, ressuscité, pleinement heureux, et en même temps de le consoler dans sa Passion. Si le Christ ressuscité est parfaitement bienheureux dans la vie de la Sainte Trinité, comment est-il possible de le « consoler » ? Pascal répondrait que le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point… Et le pape reconnaît avec franchise qu’il y a là quelque chose de mystérieux qui dépasse notre logique humaine, et que la Passion du Christ n’est pas un simple fait du passé : nous pouvons y participer par la foi… et que nous nous trouvons sur un chemin mystique qui dépasse les tentatives de la raison et exprime ce que la Parole de Dieu elle-même nous suggère…

A la fin du chapitre le pape associe à la consolation du cœur du Christ dans sa Passion la pratique de la componction (158-160), proche de celle de la contrition. Il en donne la définition suivante :

Le désir nécessaire de consoler le Christ, qui naît de la souffrance en contemplant ce qu’Il a enduré pour nous, se nourrit aussi de la reconnaissance sincère de nos servitudes, de nos attachements, de nos manques de joie dans la foi, de nos vaines recherches et, au-delà de nos péchés concrets, de la non correspondance de nos cœurs à son amour et à son projet. 

La componction du cœur n’a rien à voir avec la culpabilité qui abat ou le scrupule qui paralyse :

Il ne s’agit pas de pleurer sur nous-mêmes, comme nous sommes souvent tentés de le faire. [...] Avoir des larmes de componction c’est au contraire nous repentir sérieusement d’avoir attristé Dieu par le péché ; c’est reconnaître que nous sommes toujours en dette et jamais en crédit [...]. Comme la goutte creuse la pierre, les larmes creusent lentement les cœurs endurcis. On assiste ainsi au miracle de la tristesse, de la bonne tristesse, qui conduit à la douceur [...]. La componction n’est pas tant le fruit de notre exercice, mais elle est une grâce et, comme telle, doit être demandée dans la prière. 

En consolant le Christ par amour pour lui et dans la gratitude pour le grand don de sa vie et de sa personne nous recevons à notre tour sa consolation dans nos épreuves et nos difficultés. Et de là nous sommes poussés à exercer la charité fraternelle. C’est de cette manière que le pape opère la transition entre le chapitre IV (l’expérience spirituelle personnelle) et le chapitre V (l’engagement communautaire et missionnaire) :

162. Mais à un moment donné de cette contemplation du cœur croyant, l’appel dramatique du Seigneur doit retentir : « Consolez, consolez mon peuple » (Is 40, 1). Et nous viennent à l’esprit les paroles de saint Paul qui nous rappelle que Dieu nous console « afin que, par la consolation que nous-mêmes recevons de Dieu, nous puissions consoler les autres en quelque tribulation que ce soit » (2 Co 1, 4).

 

dimanche 8 juin 2025

PENTECOTE 2025 / DILEXIT NOS 7

 

8 /06/2025

En cette solennité de la Pentecôte nous méditons la quatrième partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « L’amour qui donne à boire ». Au n°91 le pape annonce clairement le contenu des deux derniers chapitres de sa lettre encyclique : le 4ème traite de l’expérience spirituelle personnelle tandis que le 5ème et dernier aborde l’engagement communautaire et missionnaire. Dans la partie « L’amour qui donne à boire » le pape réalise une synthèse de la doctrine spirituelle du culte du Sacré-Cœur en partant des Ecritures et en parcourant la tradition spirituelle dans toute sa richesse et sa variété sans oublier l’apport spécifique des jésuites. Il fait résonner plus particulièrement la parole et l’enseignement de 5 figures de sainteté dans la période allant du 17ème   au 20ème siècle : François de Sales, Marguerite-Marie Alacoque, Claude de la Colombière, Charles de Foucauld et enfin Thérèse de l’Enfant Jésus. Avant de mettre en lumière le cœur des enseignements de ces figures de sainteté, une synthèse rapide s’impose pour la partie biblique, patristique ainsi que pour la période médiévale et monastique (n° 92-113). A partir des images bibliques de l’eau les Pères de l’Eglise ont vu dans « la source ouverte » de Zacharie « le côté blessé de Jésus-Christ ». C’est en effet « dans la fontaine débordante de la Croix » que les promesses divines s’accomplissent. Dans un premier temps les Pères de l’Eglise « ont mentionné la blessure du côté de Jésus comme l’origine de l’eau de l’Esprit : la Parole, sa grâce et les sacrements qui la communiquent (102). » A cette compréhension sacramentelle du côté transpercé de Jésus s’est ajoutée à partir de saint Augustin mais surtout avec saint Bernard l’image de la poitrine du Christ comme « symbole de l’union intime avec lui, comme lieu de la rencontre d’amour » (103). L’expérience de l’amour infini du Christ dans la révélation de son cœur, loin de se limiter à la célébration des sacrements, exige du fidèle « une relation directe avec le Christ en demeurant dans son cœur » (108). Saint Bonaventure a réalisé la synthèse entre ces deux lignes spirituelles autour du cœur du Christ, la ligne ecclésiale-sacramentelle et celle de l’expérience spirituelle personnelle du croyant : Tout en présentant le cœur du Christ comme la source des sacrements et de la grâce, il propose que cette contemplation devienne une relation d’amitié, une rencontre personnelle d’amour. (106)

Recueillons maintenant l’essentiel du message laissé par les trois premières figures de sainteté, celles du 17ème siècle : François de Sales, Marguerite-Marie Alacoque et Claude de La Colombière, sans oublier saint Jean Eudes qui, le premier, fit approuver par l’évêque de Rennes la célébration de la fête du cœur adorable de Jésus-Christ. La France, nous le constatons, a joué un rôle éminent et unique dans la propagation du culte du Sacré-Cœur au sein de l’Eglise universelle. Dans le contexte d’une morale rigoriste et d’une religiosité de simple observance (114), François de Sales a mis en avant la dévotion comme une invitation à la relation personnelle où chaque personne se sent unique devant le Christ, prise en compte dans sa réalité irremplaçable, pensée par le Christ et valorisée de manière directe et exclusive (115). Les enseignements essentiels du saint Docteur se résument dans la sainte simplicité, le parfait abandon et « un amour de parfaite et très absolue confiance » (117). De 1673 à 1675 Jésus a révélé l’amour de son cœur à Marguerite-Marie. Le cœur du message transmis par le Christ est le suivant : Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’Il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour… Il me découvrit les merveilles inexplicables de son pur amour, et jusqu’à quel excès il l’avait porté, d’aimer les hommes, dont Il ne recevait que des ingratitudes et méconnaissances. Enfin le jésuite Claude de La Colombière, profondément nourri par la méditation des Evangiles et la contemplation du mystère du Christ dans les Exercices spirituels, a permis une juste compréhension de la révélation du Cœur de Jésus faite à Marguerite Marie. En effet certaines expressions de sainte Marguerite-Marie mal comprises pourraient conduire à une trop grande confiance dans les sacrifices et offrandes personnels. (126). C’est dans une prière composée par saint Claude que nous percevons l’importance de l’abandon et de la confiance en Jésus :

Que les uns attendent leur bonheur ou de leurs richesses, ou de leurs talents ; que les autres s’appuient ou sur l’innocence de leur vie, ou sur la rigueur de leurs pénitences, ou sur le nombre de leurs aumônes, ou sur la ferveur de leurs prières, […] pour moi, Seigneur, toute ma confiance, c’est ma confiance même : cette confiance ne trompe jamais personne […]. Je suis donc assuré que je serai éternellement heureux, parce que j’espère fermement de l’être, et que c’est de vous, ô mon Dieu, que je l’espère.

 

dimanche 1 juin 2025

Septième dimanche de Pâques / DILEXIT NOS 6

1er /06/2025

En ce 7ème dimanche de Pâques nous méditons la troisième partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « Voici le cœur qui a tant aimé ». Dans cette partie le pape insiste fortement sur l’union entre l’amour humain et divin du Christ dans le mystère de son incarnation. La vraie dévotion au Sacré-Cœur de Jésus nous préserve d’une spiritualité désincarnée, d’un nouveau gnosticisme faisant l’apologie d’une spiritualité « sans chair ». D’où la nécessité de comprendre l’amour de Jésus pour les hommes comme « un amour sensible » (n°59-63). Ecoutons le pape au n°60 :

60. Le Fils éternel de Dieu, qui me transcende infiniment, a aussi voulu m’aimer avec un cœur humain. Ses sentiments humains deviennent le sacrement d’un amour infini et définitif. Son cœur n’est donc pas un symbole physique qui n’exprimerait qu’une réalité purement spirituelle ou séparée de la matière. Un regard tourné vers le Cœur du Seigneur contemple une réalité physique, sa chair humaine qui permet au Christ d’avoir des émotions et des sentiments bien humains, comme nous, quoi qu’entièrement transformés par son amour divin. La dévotion doit atteindre l’amour infini de la personne du Fils de Dieu, mais nous devons dire que cet amour est inséparable de son amour humain, et nous sommes aidés en cela par l’image de son cœur de chair.

La contemplation du cœur du Christ nous révèle un triple amour (n°64-69) : « Tout d’abord, l’amour divin infini qui se trouve dans le Christ », ensuite « la dimension spirituelle de l’humanité du Seigneur », et enfin « le symbole de son amour sensible ». Le croyant est capable de percevoir l’unité de ces trois amours, « les liens très étroits qui existent entre l’amour sensible du cœur physique de Jésus et son double amour spirituel, l’humain et le divin ».

La dernière partie du chapitre III s’intitule « approfondissement et actualité » (n°82-91). Le pape part d’une interprétation historique de la révélation du Cœur de Jésus à sainte Marguerite-Marie au 17ème siècle, interprétation faite par Jean-Paul II :

Plus récemment, saint Jean-Paul II a présenté le développement de ce culte au cours des siècles passés comme une réponse à la croissance de formes de spiritualités rigoristes et désincarnées qui oubliaient la miséricorde du Seigneur, mais aussi comme un appel actuel à un monde qui cherche à se construire sans Dieu (n°80).

Pour le pape François « le Sacré-Cœur est une synthèse de l’Evangile » : « Devant le Cœur du Christ il est possible de revenir à la synthèse incarnée de l’Évangile ». C’est en s’imprégnant de cette synthèse évangélique que les croyants pourront se préserver des maladies du rigorisme janséniste, qualifié par Pie XII de « faux mysticisme », et du « transcendantalisme trompeur ». La maladie janséniste, déformation du christianisme authentique, est décrite de la manière suivante au n°86 :

La dévotion au Sacré-Cœur était difficile à comprendre pour de nombreux jansénistes qui méprisaient tout ce qui était humain, affectif, corporel, et qui considéraient en fin de compte que cette dévotion nous éloigne de la pure adoration du Dieu du Très-Haut. Pie XII qualifia de « faux mysticisme » cette attitude élitiste de certains groupes qui voyaient Dieu tellement haut, tellement séparé, tellement distant, qu’ils considéraient les expressions sensibles de la piété populaire comme dangereuses et nécessitant un contrôle ecclésiastique.

Enfin au n°88 le pape montre comment la dévotion au Sacré-Cœur peut nous libérer d’un autre dualisme (le jansénisme, nous l’avons compris, reposait sur le dualisme chair/esprit) :

Le dualisme des communautés et des pasteurs qui se concentrent uniquement sur les activités extérieures, les réformes structurelles dépourvues d’Évangile, les organisations obsessionnelles, les projets mondains, les réflexions sécularisées, les propositions qui se présentent comme des prescriptions que l’on veut parfois imposer à tous. Il en résulte souvent un christianisme qui oublie la tendresse de la foi, la joie du dévouement au service, la ferveur de la mission de personne à personne, la fascination pour la beauté du Christ, la gratitude passionnée pour l’amitié qu’Il offre et pour le sens ultime qu’Il donne à la vie. Il s’agit d’une autre forme de transcendantalisme trompeur, tout aussi désincarné.

C’est avec une référence à la spiritualité de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus que le pape conclut la troisième partie de Dilexit nos :

« À moi, écrit Thérèse, Il a donné sa Miséricorde infinie, et c’est à travers elle que je contemple et adore les autres perfections Divines » C’est pourquoi la prière la plus populaire, adressée comme une flèche au Cœur du Christ, dit simplement : « J’ai confiance en toi ». Aucune autre parole n’est nécessaire. 

jeudi 29 mai 2025

Ascension du Seigneur / année C / DILEXIT NOS 5

 

29/05/2025

En cette solennité de l’Ascension du Seigneur nous méditons la troisième partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ : « Voici le cœur qui a tant aimé ». Ecoutons d’abord l’introduction que le pape donne à sa riche réflexion sur le culte du Sacré-Cœur dans l’Eglise :

48. La dévotion au Cœur du Christ n’est pas le culte d’un organe séparé de la personne de Jésus. Nous contemplons et adorons Jésus-Christ tout entier, le Fils de Dieu fait homme, représenté dans une image où son cœur est mis en évidence. Le cœur de chair est considéré comme l’image ou le signe privilégié du centre le plus intime du Fils incarné et de son amour à la fois divin et humain car, plus que tout autre membre de son corps, il est « signe ou symbole naturel de son immense charité ». 

A plusieurs reprises le pape met en lumière la finalité de la dévotion au cœur du Christ. Il s’agit toujours de vivre plus intensément « une relation d’amitié et d’adoration avec la personne du Christ » (49) qui nous « appelle à une précieuse amitié faite de dialogue, d’affection, de confiance et d’adoration » (51). Il s’agit toujours dans la vénération du Sacré-Cœur d’entretenir avec le Christ « une relation personnelle de rencontre et de dialogue… dans la confiance » (54).

Le paragraphe intitulé « L’adoration du Christ » clarifie le rapport entre le culte du Sacré-Cœur et l’adoration du Christ. Il faut éviter à tout prix la dérive qui consisterait à chosifier le cœur du Christ comme un organe séparé :

Nous ne l’adorons pas isolément mais dans la mesure où, avec ce Cœur, c’est le Fils incarné lui-même qui vit, aime et reçoit notre amour. Par conséquent, tout acte d’amour ou d’adoration envers son Cœur « s’adresse en réalité au Christ Lui-même », puisqu’il renvoie spontanément à Lui et qu’il est « le symbole et l’image expresse de l’amour infini de Jésus-Christ ». 

Au n°49 le pape introduit une riche réflexion sur ce que signifie vénérer l’image du Sacré-Cœur, réflexion développée ensuite dans le paragraphe intitulé « la vénération de son image ». Le débat sur le rôle des images saintes dans l’Eglise est ancien. Il remonte à la crise opposant les iconoclastes et les iconodules, crise résolue par le concile de Nicée II en 787, mais qui resurgit au 16ème siècle lors de la Réforme protestante avec en arrière-fond l’interdiction de l’image dans l’Ancien Testament : Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre (Exode 20). Voici comment le pape clarifie la notion de vénération de l’image du Sacré-Cœur :

Nous vénérons cette image qui le représente, mais l’adoration ne s’adresse qu’au Christ vivant, dans sa divinité et dans toute son humanité, afin de nous laisser étreindre par son amour humain et divin. (49)

55. Le cœur a la particularité d’être perçu non pas comme un organe séparé mais comme un centre intime unificateur et donc comme expression de la totalité de la personne, ce qui n’est pas le cas des autres organes du corps humain. Puisqu’il est le centre intime de la totalité de la personne, et donc une partie représentant le tout, il serait facile de le dénaturer en le contemplant séparément de la figure du Seigneur. L’image du cœur doit nous renvoyer à la totalité de Jésus-Christ en son centre unificateur et, simultanément à partir de ce centre unificateur, elle nous doit nous amener à contempler le Christ dans toute la beauté et la richesse de son humanité et de sa divinité.

Enfin la vénération du Cœur du Christ a un fondement anthropologique évident puisque le symbole du cœur fait écho à « une expérience humaine universelle qui rend cette image unique ». L’Eglise s’appuie en même temps sur la « force symbolique unique » et universelle de l’image du cœur, toujours liée à l’amour, et à la vérité du mystère de l’incarnation (Jésus nous a aimés avec un cœur véritablement humain) pour proposer aux fidèles la vénération du Sacré-Cœur. Au n°57 le pape met à sa juste place l’image dans le contexte de la vénération, elle est « une figure incitative », radicalement différente de la présence eucharistique du Christ :

Il ne s’agit ici que d’une image nous invitant à aller au-delà, nous incitant à élever notre cœur jusqu’à celui du Christ vivant, et à l’unir à lui ; alors que l’Eucharistie est présence réelle devant être adorée. L’image vénérée convoque, indique et porte, afin de nous faire passer du temps dans la rencontre avec le Christ et dans son adoration, comme il nous semble le mieux de l’imaginer. En regardant l’image, nous nous mettons face au Christ et, devant Lui, « l’amour se fixe, contemple le mystère, en profite en silence ».

L’image du Cœur de Jésus, comme toutes les images saintes, n’est qu’un moyen, une aide dans la dévotion. C’est toujours la réalité divine invisible que notre cœur cherche à contempler et à aimer à travers l’ombre de l’image visible, image dans laquelle nous ne devons jamais mettre notre confiance comme le rappelle le concile de Trente. Bref le but du culte du Sacré-Cœur et de la vénération de son image est toujours le développement d’une précieuse amitié avec le Christ faite de dialogue, d’affection, de confiance et d’adoration » (51).

dimanche 25 mai 2025

Sixième dimanche de Pâques / année C / DILEXIT NOS 4

 

25/05/2025

En ce 6ème dimanche de Pâques nous méditons la deuxième partie de l’encyclique du pape François consacrée à l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ. Cette partie nous fait passer de la philosophie aux Evangiles. Il s’agit de contempler les gestes et les paroles d’amour de Jésus, des gestes, un regard et des paroles qui reflètent son cœur : 32. Le Cœur du Christ, symbole du centre personnel d’où jaillit son amour pour nous, est le noyau vivant de la première annonce. Là se trouve l’origine de notre foi, la source qui donne vie aux convictions chrétiennes.

La vérité du mystère de l’Incarnation fait que Jésus, Verbe de Dieu, révèle Dieu non seulement par des paroles mais aussi et d’abord par des gestes : 33. Le Christ n’a pas voulu beaucoup nous expliquer son amour pour nous, mais Il l’a manifesté par ses gestes. Nous sommes les siens, ses frères en humanité, et il nous propose l’appartenance réciproque des amis. Son autre nom, Emmanuel, « Dieu avec nous », est tout un programme de vie et de mission. De fait à travers ses gestes de compassion, de tendresse et de guérison le Christ montre que Dieu est proximité, compassion et tendresse. Ce qui s’est passé de manière limitée dans le temps historique de l’Incarnation dans un lieu précis et au milieu d’un peuple particulier continue maintenant de manière universelle alors que le Christ est ressuscité, dans la gloire bienheureuse de la Sainte Trinité : Ce même Jésus attend aujourd’hui que tu lui donnes la possibilité d’éclairer ton existence, de t’élever, de te remplir de sa force… Il trouve toujours un moyen de se manifester dans ta vie pour que tu puisses le rencontrer.

On pourrait ajouter à la méditation du pape que les gestes du Christ historique ont leur continuation et actualisation dans les gestes sacramentels. Le Ressuscité nous touche encore aujourd’hui par les sacrements de l’Eglise.

Le regard du Christ dans les Evangiles manifeste la qualité de l’attention qu’il prête à tous et à chacun, la densité de ses relations avec les hommes qu’il croise sur son chemin ou qu’il appelle à sa suite. Quant aux paroles de Jésus elles confirment qu’il est vraiment homme. Les sentiments font partie de sa personne et cela jusqu’au trouble intérieur dans le temps de sa Passion. Le pape cite le merveilleux appel de Jésus en Matthieu 11, 28 : Il nous appelle à entrer là où nous pouvons retrouver des forces et la paix : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi, je vous soulagerai ». Saint Paul qui a connu le bouleversement de la conversion par la rencontre avec le Ressuscité sur le chemin de Damas a exprimé la beauté de sa relation avec le Christ par une formule saisissante : « Il m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi ». Enfin il est significatif qu’à trois reprises le pape mentionne la difficulté que nous pouvons avoir dans nos relations avec les autres (difficulté à faire confiance, sentiment d’être ignoré et de ne pas compter aux yeux d’autrui, manque de reconnaissance). A chaque fois le pape François oppose à ces difficultés la présence amoureuse et attentive du Ressuscité. Cela vaut la peine d’écouter ces trois passages qui nous invitent à la confiance totale en Jésus donc en Dieu et qui nous rappellent aussi que nous voulons en tant que chrétiens plaire à Dieu davantage qu’aux hommes, que c’est le regard de Dieu sur nous qui est déterminant et non pas le jugement des hommes…

37. Alors qu’il nous est difficile de faire confiance, du fait que nombre de mensonges, d’agressions et de déceptions nous ont blessés, Jésus nous murmure à l’oreille : « Aie confiance, mon enfant » (Mt 9, 2) … Nous pouvons douter de beaucoup de monde, mais pas de Lui. 

40. Lorsque nous avons l’impression que tout le monde nous ignore, que personne ne s’intéresse à ce qui nous arrive, que nous n’avons d’importance pour personne, Il nous prête attention. 41. C’est justement parce qu’Il est attentif à nous qu’Il est capable de reconnaître chaque bonne intention, chaque bonne petite action que nous faisons… Jésus est attentif de telle sorte qu’Il admire les choses bonnes qu’Il reconnaît en nous… Qu’il est beau de savoir que si les autres ignorent nos bonnes intentions ou les choses positives que nous faisons, Jésus ne les ignore pas, au contraire Il les admire.