dimanche 25 décembre 2016

NATIVITÉ DU SEIGNEUR 2016


Noël 2016

La solennité de Noël nous met en présence du mystère de l’incarnation. Avec Marie, Joseph, les bergers et les anges, nous contemplons ce nouveau-né qui est fils de Marie et Fils de Dieu. Dans ce mystère, Dieu notre Père se fait notre frère en Jésus. Pour nous aider à méditer cette grande vérité de notre foi, je vous propose d’écouter un passage de la lettre aux Hébreux :

Celui qui sanctifie, et ceux qui sont sanctifiés, doivent tous avoir même origine ; pour cette raison, Jésus n’a pas honte de les appeler ses frères… Puisque les enfants des hommes ont en commun le sang et la chair, Jésus a partagé, lui aussi, pareille condition : ainsi, par sa mort, il a pu réduire à l’impuissance celui qui possédait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable, et il a rendu libres tous ceux qui, par crainte de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves. Car ceux qu’il prend en charge, ce ne sont pas les anges, c’est la descendance d’Abraham. Il lui fallait donc se rendre en tout semblable à ses frères, pour devenir un grand prêtre miséricordieux et digne de foi pour les relations avec Dieu, afin d’enlever les péchés du peuple. Et parce qu’il a souffert jusqu’au bout l’épreuve de sa Passion, il est capable de porter secours à ceux qui subissent une épreuve.

Oui, Jésus est bien notre frère et il nous regarde comme ses frères. Notons comment l’auteur de la lettre aux Hébreux fait le lien entre le mystère de l’incarnation et celui de la rédemption, entre Noël et Pâques. A Noël, le Verbe de Dieu se rend en tout semblable aux hommes, il vient partager notre condition humaine, afin de nous sanctifier et de nous rendre libres par la puissance de son amour. Voici le fondement divin de la fraternité chrétienne : Dieu vient vivre de l’intérieur notre vie humaine, le Père et Maître se fait notre serviteur et notre frère dans l’enfant de la crèche. Cette fraternité nous conduit à la véritable liberté des enfants de Dieu. Pour comprendre en quoi consiste notre liberté chrétienne, nous pouvons nous référer à une discussion entre Jésus et les Juifs dans l’Evangile selon saint Jean :

Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres… Amen, amen, je vous le dis : qui commet le péché est esclave du péché. L’esclave ne demeure pas pour toujours dans la maison ; le fils, lui, y demeure pour toujours. Si donc le Fils vous rend libres, réellement vous serez libres.
Nous le constatons, la suprême liberté c’est d’être libéré du pouvoir du mal, ce qui correspond à la dernière demande du Notre Père. Nous sommes frères et fils, vraiment libres, dans la mesure où nous demeurons fidèles par nos actes et par nos pensées à la parole de Jésus, à Jésus qui est lui-même le Verbe de Dieu.

Si le mystère de l’incarnation est le fondement divin de notre fraternité, Jésus étant notre frère en humanité, il est aussi le fondement divin de notre égalité aux yeux de Dieu. A Noël, par le don de l’enfant dans la crèche, Dieu confirme et fortifie ce qui avait commencé dans la création. Si nous sommes tous des créatures du Père, créées dans, par et pour le Verbe, alors nous sommes tous frères, tous nous avons une égale dignité, tous nous sommes appelés à vivre de la liberté des enfants de Dieu. Jésus a voulu fonder une nouvelle humanité dans laquelle il n’y aurait plus de maîtres ni d’esclaves, plus de dominants ni de dominés, plus d’oppresseurs ni d’opprimés. Et son Eglise, signe du Royaume des cieux, il l’a voulue comme une communauté de frères et de sœurs, dans laquelle la hiérarchie et l’autorité ne sont possibles que dans un esprit d’abaissement et de service :

Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères. Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux. Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ. Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé.

En cette fête, nous avons chanté dans la joie le chant des anges :

Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime.

L’Emmanuel, Dieu avec nous, nouveau-né dans la crèche, nous enseigne que cette paix que nous désirons tant pour nous-mêmes et pour notre monde ne deviendra réalité qu’à la mesure de notre libération intérieure : libération des idoles du pouvoir, de la violence et de l’argent, libération de l’esclavage dans lequel se trouvent ceux qui s’estiment supérieurs aux autres, dans la domination et le mépris. L’Emmanuel nous enseigne que la paix de Dieu dépend de la fraternité humaine. Ce nouveau-né, dans sa pauvreté et sa fragilité, nous invite à abattre les murs de notre orgueil pour répandre sur notre monde blessé et meurtri le remède de la divine humilité.

dimanche 18 décembre 2016

Quatrième dimanche de l'Avent/A


Matthieu 1, 18-24

18/12/16

Le quatrième dimanche de l’Avent nous prépare directement à la célébration de Noël. Et Noël, c’est le mystère de l’incarnation, le mystère d’un Dieu qui se fait proche de nous, qui se fait l’un de nous pour nous apporter le cadeau de son salut. Avec l’incarnation, Dieu notre Père se fait notre frère en Jésus. Les deux noms donnés à l’enfant qui doit naître résument bien la portée du mystère de l’incarnation : cet enfant sera Dieu avec nous (Emmanuel) pour nous sauver (Jésus). Cette naissance de Dieu dans notre humanité ne peut pas se faire sans nous. D’où l’importance de la collaboration, de la coopération de Marie et de Joseph à cette œuvre de salut. L’Evangile de cette liturgie nous rappelle qu’au « oui » de Marie a dû aussi correspondre le « oui » de Joseph, son époux. Si le mystère de l’incarnation exige la libre participation de notre humanité, Jésus étant le fils de Marie, né de la race de David selon la chair, ce mystère est d’abord l’œuvre de Dieu. C’est l’une des significations de la conception virginale rappelée deux fois par saint Matthieu :

Elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint.
L’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint.

La conception virginale est le signe que l’enfant qui va naître sera vraiment Dieu, car conçu dans le sein de Marie par l’Esprit Saint, vrai Dieu et vrai homme, comme nous le proclamons dans notre profession de foi. Un très beau passage du psaume 84 a souvent été interprété comme une annonce du mystère de l’incarnation, et donc de cette collaboration entre le Ciel et la terre :

Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ;
La vérité germera de la terre et du ciel se penchera la justice.

Vous avez peut-être déjà entendu une sentence, attribuée faussement à saint Ignace de Loyola : Prie comme si tout dépendait de Dieu, agis comme si tout dépendait de toi. Elle est en fait une déformation (ou une adaptation) de la maxime d’un jésuite hongrois du 18ème siècle, Hevenesi :

Telle est la première règle de ceux qui agissent: crois en Dieu comme si tout le cours des choses dépendait de toi, en rien de Dieu. Cependant mets tout en œuvre en elles, comme si rien ne devait être fait par toi, et tout de Dieu seul.

Dans son aspect paradoxal, la maxime de Hevenesi indique les conséquences pratiques dans notre vie de notre foi dans le mystère de l’incarnation. Encore une fois, c’est bien de la collaboration entre Dieu et les hommes qu’il s’agit. Voici le commentaire éclairant qu’en fait le père Paul Valadier :


Les deux membres de phrase s'appellent mutuellement dans une tension bénéfique et féconde: la sentence suppose une relation typiquement chrétienne entre Dieu et l'homme, pour parler le langage classique de la théologie entre grâce et volonté. Cette relation n'est ni d'opposition simple (comme si Dieu était d'autant plus reconnu que l'homme est nié), ni de confusion (comme si tout revenait soit à Dieu, soit à l'homme dans un exclusivisme irrespectueux du Verbe fait chair pour que la chair soit divinisée). Elle ne peut être intelligible que si on la pense et on la vit sur l'horizon de l'économie du salut, telle que la tradition chrétienne, catholique notamment, la lit en Jésus-Christ. Jésus-Christ n'est pas lui-même d'autant plus Dieu qu'il serait moins homme, et il n'est pas non plus une ombre humaine qui ferait signe vers un Dieu sans visage. Pleinement porteur de la divinité dans son humanité même, c'est cette humanité concrète qui donne la véritable image et ressemblance de Dieu.

dimanche 27 novembre 2016

Premier dimanche de l'Avent / Année A



Matthieu 24, 37-44

27/11/16

D’après la conception chrétienne du cosmos, le temps commence avec la création, et lorsque l’homme apparaît au terme d’une très longue évolution, l’histoire humaine commence. L’homme, la créature la plus jeune, la dernière venue dans ce long processus de création, est créé à l’image de Dieu et selon sa ressemblance. Il est appelé à vivre une relation d’amitié et de communion avec son Créateur. Le début de la nouvelle année liturgique, avec le premier dimanche de l’Avent, oriente notre regard, non pas vers la fête de Noël, mais vers l’accomplissement de notre histoire humaine à la fin des temps. Remarquons l’emploi du futur dans les lectures de cette liturgie. Le Fils de Dieu s’est manifesté à Noël en vue de notre salut, et il reviendra pour mettre un terme à la création telle que nous la connaissons aujourd’hui. Il viendra inaugurer des cieux nouveaux et une terre nouvelle où la justice habite, selon l’expression de la deuxième lettre de Pierre. L’Avent nous prépare d’abord à ce retour glorieux du Christ en nous donnant comme consigne : veillez et tenez-vous donc prêts ! Même si nous ignorons le moment de cette dernière étape de notre histoire humaine, nous savons avec certitude qu’au terme de notre vie nous vivrons aussi un Avent unique, celui qui nous prépare au passage de notre propre mort. Pour un chrétien cette préparation au Royaume de Dieu n’est pas une attitude passive, comme quand on attend le train sur le quai d’une gare. Notre attente du Royaume de Dieu est vigilante. Veiller est une attitude active qui implique de notre part un désir, celui de voir la justice de Dieu se manifester dans notre vie et dans la création tout entière. Veiller est une attitude active qui mobilise dès maintenant, sans attendre le dernier moment, notre amour et notre volonté pour que vienne le Règne de Dieu. C’est dire, bien sûr, l’importance de notre vie de prière. Les moines et les moniales sont essentiellement des veilleurs au milieu d’un monde, comme celui de l’époque de Noé, qui s’adonne à ses activités en oubliant la plupart du temps que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Nous ne pouvons pas demeurer éveillés dans ce monde, voué aux affaires et au commerce, sans une vie de prière authentique. A cette vie de prière correspond de notre part un engagement constant en faveur de la justice du Royaume de Dieu, c’est le lien entre prière et action, entre spiritualité et combat dans ce monde : revêtons-nous du Christ pour le combat de la lumière. La première lecture nous présente le pèlerinage de toutes les nations à Jérusalem. La ville sainte symbolise dans la perspective de l’Avent l’accomplissement du Royaume de Dieu à la fin des temps. Comment ne pas rêver en écoutant cette magnifique prophétie ? De leurs épées, ils forgeront des socs, et de leurs lances, des faucilles. Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée ; ils n’apprendront plus la guerre. Lorsque la Parole de Dieu nous fait rêver, n’oublions jamais que ce qu’elle nous promet est réel et réalisable. Dans la Jérusalem d’en haut plus de place pour les péchés de haine, de division, de jalousie, de guerre et d’homicide, plus de place pour la folle et dangereuse course aux armements. Si nous marchons dans la lumière du Seigneur en veillant, nous ne pouvons pas nous résigner à accepter notre monde tel qu’il est. La résignation face au mal est toujours le signe d’un manque de foi en la puissance des promesses divines. Isaïe associe d’une manière étroite la Jérusalem à venir avec la paix du Royaume de Dieu. Veiller activement, c’est donc répondre à l’appel de Jésus dans les Béatitudes : Heureux ceux qui sèment la paix, ils seront appelés enfants de Dieu. Le chrétien qui veille sera toujours un résistant face à l’injustice du monde, un altermondialiste qui incarne dès maintenant par sa vie et ses choix la réalisation du Royaume.

dimanche 20 novembre 2016

Le Christ, Roi de l'univers


Colossiens 1, 12-20

20/11/16

Dans la deuxième lecture de ce dimanche, l’apôtre Paul nous parle du royaume du Fils bien-aimé de Dieu. Jésus a proclamé la venue du royaume de Dieu, et Paul nous montre comment le Christ est lui-même roi, partageant avec le Père la royauté. En tant que chrétiens nous avons accès à ce royaume de lumière dans la mesure où nous reconnaissons en Jésus le Christ et le Sauveur. En cette fête du Christ roi de l’univers, l’enseignement de saint Paul nous fait comprendre le mystère de cette royauté du Christ. Jésus, ressuscité et glorifié, est roi à un double titre : par rapport à la création et par rapport à l’Eglise.

Jésus est d’abord le premier-né par rapport à toute créature. C’est en effet par son Fils, sa Parole, que le Père créé tout ce qui existe. Tout est créé par lui et pour lui. Dans la sainte Trinité le Fils est créateur, il est même le modèle et l’exemplaire de toute création, même si Lui n’est pas créé : car c’est en lui que tout a été créé. Ce qui signifie que toute la création, toutes les créatures portent la marque du Fils de Dieu, l’homme portant une image unique et particulière au sein de la création. L’enseignement de saint Paul fonde le titre donné au Christ par cette fête : il est roi de l’univers, et pas seulement de l’humanité. La royauté du Christ est cosmique et universelle, et rien dans la création ne se trouve en dehors de son royaume. Le texte de Paul élargit notre vision de la création et nous préserve d’une conception anthropocentrique de cette même création : ce n’est pas pour l’homme que tout a été créé, mais bien pour le Christ ! Tout a été créé pour lui. Le Christ n’est pas seulement le principe de la création, il en est aussi le but et à la fin, dans le sens de finalité. Dans son encyclique écologique, le pape François tire les conséquences de cette vérité trop souvent oubliée parmi les chrétiens :

L’aboutissement de la marche de l’univers se trouve dans la plénitude de Dieu, qui a été atteinte par le Christ ressuscité, axe de la maturation universelle. Nous ajoutons ainsi un argument de plus pour rejeter toute domination despotique et irresponsable de l’être humain sur les autres créatures. La fin ultime des autres créatures, ce n’est pas nous. Mais elles avancent toutes, avec nous et par nous, jusqu’au terme commun qui est Dieu, dans une plénitude transcendante où le Christ ressuscité embrasse et illumine tout ; car l’être humain, doué d’intelligence et d’amour, attiré par la plénitude du Christ, est appelé à reconduire toutes les créatures à leur Créateur. (n°83)

La royauté de l’homme sur la création est donc subordonnée à celle du Christ Roi et elle ne peut s’exercer, comme participation, qu’en conformité avec la volonté de Dieu créateur. C’est pour cette raison que le pape François qualifie de péché toute domination despotique et irresponsable de l’être humain sur les créatures et la création. C’est le péché contre l’écologie.

Dans la deuxième partie de sa réflexion, saint Paul nous présente le Christ comme roi de l’Eglise : le premier-né d’entre les morts. A ce titre et par sa victoire pascale, Jésus est le commencement d’une création nouvelle. L’Eglise, et chaque chrétien, est le signe de ce royaume dans lequel la création, abimée par le péché de l’homme, retrouvera une splendeur nouvelle. Jésus a souffert la mort de la croix pour donner naissance à un homme nouveau et à une création nouvelle. Son royaume est celui de la paix universelle car il est celui de la réconciliation. Puisque tout est créé pour le Christ, c’est seulement dans le Christ roi que toute chose trouvera son accomplissement total, c’est-à-dire sa perfection et sa sainteté en correspondance avec la volonté de Dieu. Le chrétien qui prend au sérieux l’enseignement écologique de l’Eglise œuvre dès maintenant à la réconciliation entre l’homme et les autres créatures, entre l’homme et la nature. Le chrétien, appelé à être artisan de paix dans ce monde pécheur, divisé et violent, ne sépare pas la paix entre les hommes de la paix entre l’homme et la création. Il s’oppose aussi fermement à la course aux armements, aux guerres, et à ceux qui les décident et en profitent, qu’aux pollutions et aux atteintes à l’environnement, ainsi qu’à tous les manques de respect et de considération envers la vie des autres créatures.

Je terminerai cette réflexion sur notre participation à la royauté du Christ par un passage de la prière du pape François à la fin de Laudato si’ :

Ô Dieu, Un et Trine,
communauté sublime d’amour infini,
apprends-nous à te contempler
dans la beauté de l’univers,
où tout nous parle de toi.
Éveille notre louange et notre gratitude
pour chaque être que tu as créé.
Donne-nous la grâce
de nous sentir intimement unis à tout ce qui existe.
Dieu d’amour, montre-nous
notre place dans ce monde
comme instruments de ton affection
pour tous les êtres de cette terre,
parce qu’aucun n’est oublié de toi.
Seigneur, saisis-nous
par ta puissance et ta lumière
pour protéger toute vie,
pour préparer un avenir meilleur,
pour que vienne
ton Règne de justice, de paix, d’amour et de beauté.
Loué sois-tu.
Amen.



dimanche 6 novembre 2016

TOUSSAINT 2016


La liturgie de la messe, spécialement la prière eucharistique, nous enseigne que Dieu seul est saint. La préface se termine par le chant du Sanctus, par lequel nous proclamons à la suite du prophète Isaïe la sainteté du Dieu Trinité. Les prières eucharistiques 2, 3 et 4 commencent par proclamer la sainteté de Dieu alors que la première prière, le canon romain, proclame sa bonté infinie :
Toi qui es vraiment saint, toi qui es la source de toute sainteté…
Tu es vraiment saint, Dieu de l’univers, et toute la création proclame ta louange, car c’est toi qui donnes la vie, c’est toi qui sanctifies toutes choses, par ton Fils, Jésus-Christ, notre Seigneur, avec la puissance de l’Esprit Saint…
Père très saint, nous proclamons que tu es grand…
Les prières 2 et 3 nous montrent Dieu notre Père comme la source de toute sainteté. Notre sainteté est donc un don de Dieu et une participation à sa propre sainteté. Et ce don de Dieu se concrétise d’une manière particulièrement forte à travers les sacrements, spécialement le baptême et la confirmation. Et comment ne pas rappeler, en cette année de la miséricorde, le sacrement de la confession ou du pardon qui nous remet dans la sainteté de notre baptême lorsque nous avons péché… La troisième prière eucharistique précise que Dieu le Père nous rend saints par son Fils Jésus, avec la puissance de l’Esprit Saint. Dans la prière eucharistique l’Eglise demande d’abord à Dieu de sanctifier le pain et le vin pour qu’ils deviennent le corps et le sang du Seigneur. Ensuite elle demande au Père de sanctifier tous les membres de l’assemblée :
Nous te demandons qu’en ayant part au corps et au sang du Christ, nous soyons rassemblés par l’Esprit Saint en un seul corps…
Que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire, pour que nous obtenions un jour les biens du monde à venir…
C’est donc par la puissance de l’Esprit Saint que le pain et le vin deviennent corps et sang de Jésus, et que les membres de l’assemblée deviennent le Corps du Christ, l’Eglise de Dieu. C’est l’Esprit du Père et du Fils qui nous sanctifie et nous rend semblables à Jésus. Remarquons que dans la sainte Trinité, seule la troisième personne, l’Esprit, est qualifiée de sainte : le Saint Esprit. Cela m’invite à vous parler de la sainteté chrétienne à partir d’un texte de saint Paul dans sa lettre aux Galates :

Voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi.

Si nous comparons ce texte aux Béatitudes, nous trouverons bien des points communs. Paul nous donne ici un critère sûr, le fruit de l’Esprit, pour savoir si nous nous laissons sanctifier par Dieu ou bien si, au contraire, nous résistons et refusons cette grâce. Sommes-nous sur le bon chemin de la sainteté ou pas ? Regardons honnêtement si dans notre vie règnent l’amour, la joie et la paix. La sainteté ne consiste pas seulement à vouloir faire la volonté de Dieu, à désirer ce qui est bon et juste. Elle consiste aussi à souffrir le mal, d’où la patience comme fruit de l’Esprit. La patience des saints et des saintes les a unis à la grande patience du Fils de Dieu, à sa Passion vécue pour chacun d’entre nous : Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux !

En cette solennité de la Toussaint, faisons nôtre la belle prière de l’Eglise à l’Esprit Saint, le Veni Sancte Spiritus :

O lumière bienheureuse,
Viens remplir jusqu’à l’intime
Le cœur de tous tes fidèles.
Sans ta puissance divine,
Il n’est rien en aucun homme,
Rien qui ne soit perverti.
Lave ce qui est souillé,
Baigne ce qui est aride,
Guéris ce qui est blessé.
Assouplis ce qui est raide,
Réchauffe ce qui est froid,
Rends droit ce qui est faussé.

A tous ceux qui ont la foi et qui en toi se confient donne tes sept dons sacrés. Donne mérite et vertu, donne le salut final, donne la joie éternelle. Amen.

dimanche 30 octobre 2016

31ème dimanche du temps ordinaire / C


30/10/16

Luc 19, 1-10

La belle histoire de Zachée illustre une conviction très forte de Jésus : le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. Zachée nous est présenté par saint Luc comme un riche notable de la ville de Jéricho, il est tout de même le chef des collecteurs d’impôts ! Mais sa réputation auprès des Juifs religieux est mauvaise, on le considère comme un pécheur. Peut-être parce que, de par son travail, il pouvait être malhonnête et abuser de sa fonction pour détourner certaines sommes d’argent. Certainement parce qu’il collaborait avec l’occupant romain. Et voilà que survient un événement totalement inattendu : ce notable se met à grimper sur un arbre pour voir Jésus qui passe dans sa ville, au risque de se ridiculiser aux yeux de toute la population ! Les notables ne font habituellement pas ce genre de geste… Mais le Seigneur voit au-delà des apparences, il voit le cœur de cet homme et la motivation profonde qui l’habite. Il ne s’agit pas chez lui d’une simple curiosité, voir Jésus, mais de l’intuition que ce Jésus pourrait donner une nouvelle orientation à sa vie. En entendant le Seigneur s’inviter chez lui, Zachée est rempli de joie. Et voilà qu’au contact de la personne de Jésus, grâce à sa présence aimante, le riche notable se convertit avec une rapidité fulgurante. La rencontre avec le Seigneur le bouleverse et le pousse au détachement et à la générosité : je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus. Les fruits de sa conversion sont magnifiques et admirables. Il comprend que sa richesse est faite pour être partagée avec ceux qui sont pauvres, il reconnaît son péché : il a peut-être été malhonnête, et dans un esprit de réparation véritable, il est prêt à donner quatre fois plus que le tort qu’il a pu causer à autrui. A l’époque des paradis fiscaux et de la recherche du profit illimité au mépris de toute référence morale, l’histoire de Zachée nous paraît très actuelle et nous fait rêver à un monde plus juste et plus fraternel. Etre riche implique une grande responsabilité morale à l’égard de la société et un sérieux examen de conscience sur les moyens utilisés pour aboutir à cette richesse. Il y a en effet des manières de s’enrichir qui sont inacceptables pour un chrétien, et même pour un homme raisonnable. Par exemple la vente d’armes et de stupéfiants ne sont pas des activités commerciales neutres, loin de là. Mais on peut penser au fait que la plus grande partie du commerce international n’est pas équitable et que beaucoup de richesses se sont accumulées à partir d’une nouvelle forme d’esclavagisme et de la négation des droits les plus élémentaires des travailleurs et de leur dignité. Ce n’est pas pour rien qu’un prêtre hollandais, Frans van der Hoff, a eu l’intuition de fonder en 1988 avec un économiste l’association Max Havelaar pour promouvoir le commerce équitable.


Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham. Le commentaire que le Seigneur fait de la conversion de Zachée répond à la parole qu’il lui a adressée alors qu’il était encore sur son arbre : Aujourd’hui, il faut que j’aille demeurer chez toi. Saint Luc nous donne ainsi une belle définition du salut chrétien : le salut, c’est accueillir Jésus chez nous, c’est lui donner la première place dans notre cœur. Et comment savoir si nous accueillons vraiment le Sauveur dans la maison de notre cœur ? En regardant les fruits que la foi produit dans notre vie. Si, comme Zachée, nous sommes capables de détachement et de générosité par rapport à nos propres richesses, si, comme lui, nous sommes touchés par les injustices dont nous pouvons être l’origine, alors c’est le signe certain que nous avons accueilli Jésus en nous. Nous aussi, grâce à Jésus, nous avons la joie d’être de vrais fils d’Abraham !

dimanche 23 octobre 2016

30ème dimanche du temps ordinaire / C


Luc 18, 9-14

23/10/16

La parabole du pharisien et du publicain nous parle d’une tentation propre aux croyants, celle de l’orgueil spirituel. Mais avant d’aborder la parabole au niveau spirituel, nous pouvons déjà en tirer un enseignement au niveau humain, une leçon de sagesse valable pour les croyants comme pour les athées. Car Jésus s’adresse ici particulièrement à certains hommes qui sont convaincus d’être justes et qui méprisent tous les autres. Le mépris est une attitude humaine malheureusement fréquente, conséquence en nous de la blessure du péché originel. C’est une attitude universelle qui peut toucher aussi bien les croyants que les athées. Nous pouvons mépriser les autres pour diverses raisons : celui qui a réussi socialement et qui est riche sera tenté de mépriser les pauvres, celui qui est sportif pourra mépriser celui qui passe son temps dans son canapé à regarder la télé, celui qui a reçu une bonne éducation et qui se cultive intellectuellement chaque jour pourra regarder de haut le travailleur manuel ou la personne manquant de culture etc. A la racine du mépris, il y a toujours cette manie que nous avons de nous comparer les uns aux autres. Il y a aussi cet oubli désastreux que, dans un corps, tous les membres sont utiles les uns aux autres, pour reprendre l’image de saint Paul. Et que, par conséquent, le grand intellectuel a besoin du travail des agriculteurs et des ouvriers pour pouvoir vivre dignement sa vie. Ce qui peut favoriser dans notre société cette culture du mépris (et du complexe de supériorité qui l’accompagne), c’est aussi l’influence de catégories économiques sur nos relations interpersonnelles. Quant à longueur de journée, on entend chanter les vertus supposées de la compétitivité et de la libre concurrence, notre cœur peut être pollué par cette pensée économique qui ne laisse aucune place à la solidarité, à la collaboration et à la coopération. Contre le poison du mépris, nous n’avons que la vertu d’humilité : Qui s’abaisse sera élevé. L’exhortation de saint Paul aux Philippiens doit nous servir de boussole lorsque nous sommes tentés de céder à l’autosatisfaction et aux mépris des autres : ne faites rien par rivalité ou pour la gloire ; ayez l’humilité de croire les autres meilleurs que vous-mêmes. Au lieu de penser chacun à son intérêt, que chacun se préoccupe des autres.


Dans la parabole, Jésus envisage le mépris comme un péché spirituel. En effet le pharisien comme le publicain sont dans le Temple et ils prient. Les détails donnés par le Seigneur nous permettent de saisir le contraste entre deux manières de prier : l’une inspirée par l’orgueil, l’autre par l’humilité. L’orgueil spirituel est capable de pervertir la prière elle-même, et l’une de ses formes les plus élevées, la prière d’action de grâce : Mon Dieu, je te rends grâce parce que… L’objet de l’action grâce du pharisien est incompatible avec l’esprit de la prière. Il n’est plus tourné vers Dieu comme la source de tous les dons, mais il se complaît en lui-même. Au lieu de contempler la bonté de Dieu, il s’admire lui-même comme un modèle de perfection. Son orgueil spirituel le pousse ainsi à l’autojustification, oubliant que la seule justification digne de ce nom vient de Dieu seul. Dans notre prière, il est bon de toujours commencer par la supplication du publicain. C’est la liturgie de la messe qui nous enseigne à faire ainsi, puisqu’au commencement de la célébration nous nous présentons au Seigneur comme un peuple de pécheurs. Ce n’est qu’ensuite que nous pouvons entrer dans l’eucharistie, l’action de grâce de l’Eglise, non pas pour dire à Dieu que nous sommes les meilleurs d’entre les hommes, mais pour le remercier de sa grâce à l’œuvre dans nos vies et dans la vie de l’Eglise. Dans notre prière personnelle, après le temps de la supplication et de la demande de pardon, nous pouvons et devons dire merci à Dieu, mais d’une manière radicalement différente de celle du pharisien. Par exemple : merci, Jésus, parce que tu me fais le don de la foi, parce que tu me donne une vocation et une mission au service de mes frères, parce que tu me donnes ton Esprit d’amour pour que grandisse en moi la compassion et l’empathie. Merci surtout parce que, chaque dimanche, tu me donnes la possibilité d’écouter ta parole de vie dans l’Evangile et de communier à ta personne de Ressuscité.

dimanche 16 octobre 2016

29ème dimanche du temps ordinaire / C


Luc 18, 1-8

16/10/16

La parabole de la veuve et du juge sans justice nous invite à la persévérance dans la prière, il s’agit bien ici de toujours prier sans se décourager. Ce n’est pas la première fois, dans l’évangile selon saint Luc, que le Seigneur aborde ce thème. Immédiatement après avoir transmis la prière du Notre Père à ses disciples, il leur raconte la parabole de l’ami sans gêne qui, de nuit, vient déranger son ami pour lui demander trois pains. La conclusion de cette histoire ressemble à celle de la veuve et du juge : Eh bien ! Je vous le dis : même s’il ne se lève pas pour donner par amitié, il se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami, et il lui donnera tout ce qu’il lui faut. Le point commun entre cet homme et la veuve, c’est l’insistance de leur demande. L’un savait bien que, normalement, on ne dérange pas un ami de nuit pour lui demander du pain ; l’autre savait que le juge était injuste… peu importe, ils ont gagné grâce à leur persévérance.

Ces deux histoires, si proches l’une de l’autre, nous parlent du rapport que nous devons avoir avec Dieu dans notre prière de demande et de supplication. Si les hommes avec toutes leurs imperfections et leurs péchés finissent par craquer quand on leur demande un service ou de l’aide, à plus forte raison le Père infiniment bon accueillera-t-il favorablement notre prière si nous ne nous décourageons pas. Je rappelle ici la conclusion de la première parabole : Quel père parmi vous, quand son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu du poisson ? Ou lui donnera un scorpion quand il demande un œuf ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! Avant de considérer l’application que Jésus tire de l’histoire de la veuve et du juge, remarquons comment le Seigneur oriente vers l’essentiel notre prière de demande. Que devons-nous demander ? Avant toutes choses l’Esprit Saint ! C’est une demande très spirituelle et bien différente de ce que certains peuvent parfois demander : la réussite aux examens, une bonne santé, la richesse etc.


Le Seigneur ajouta : « Écoutez bien ce que dit ce juge dépourvu de justice ! Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ? Les fait-il attendre ? Je vous le déclare : bien vite, il leur fera justice. Cependant, le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? Dans la parabole de ce dimanche, l’objet de notre prière de demande est d’obtenir de Dieu qu’il nous fasse justice. L’expression « faire justice » est assez vague. L’exemple de la veuve permet de mieux la comprendre. Si sur cette terre règne souvent l’injustice, nous pouvons être certains que Dieu, lui, nous fera justice. Comment ? Cela n’est pas précisé. Mais la justice de Dieu suppose que notre prière soit accompagnée de la foi. D’où l’interrogation dramatique de Jésus à la fin. Tout acte de prière véritable est bien sûr un acte de foi. Mais nous savons bien que la foi peut être plus ou moins grande, plus ou moins forte en nous. Souvenons-nous au passage de la prière de demande des disciples : Augmente en nous la foi ! Ces deux paraboles nous donnent donc les caractéristiques essentielles de la prière de demande : la persévérance et la foi. Mais elles nous indiquent aussi quel doit être l’objet de notre prière de demande : l’Esprit Saint et la justice du Père. Il n’est pas inutile de rappeler dans ce contexte que le modèle de toute prière de demande, c’est le Notre Père. C’est la meilleure et la plus parfaite de toutes les prières de demande. Si nous disons du fond de notre cœur au Père, « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel », nous n’avons rien d’autre à ajouter. Avec le Notre Père tout est dit : nous avons là l’essentiel de ce qu’un chrétien doit demander à Dieu et attendre de sa bonté et de sa justice.

samedi 1 octobre 2016

27ème dimanche du temps ordinaire / Messe pour la création


27ème dimanche du temps ordinaire / C
Messe pour la création
2/10/16

Introduction à la célébration :

Nous célébrons en ce dimanche une messe pour la création. De nombreuses motivations nous poussent à le faire. Tout d’abord le pape François a décidé le 6 août 2015 que les catholiques, en communion avec leurs frères orthodoxes, célébreraient chaque premier septembre une journée mondiale de prière pour la création. J’ai repoussé pour notre communauté cette célébration au 2 octobre pour des raisons pratiques mais aussi parce que ce dimanche est proche de la fête de saint François d’Assise, le saint patron des écologistes. Une autre motivation vient du fait que notre paroisse avec ses trois communautés (danoise, anglophone et francophone) fait partie depuis peu du réseau des églises vertes (grøn kirke), ce qui implique une série d’engagements concrets au niveau écologique parmi lesquels une célébration annuelle de la création divine. Le sens de cette messe est à la fois de dire merci au Dieu Trinité pour le don de la création et de nous engager à cultiver la création, à vivre sur cette terre, « notre maison commune », selon le projet du Créateur. Pour citer le pape, « nous ne pouvons pas avoir une spiritualité qui oublie le Dieu tout-puissant et créateur » (Laudato si’[1] 75). J’ai choisi pour la liturgie eucharistique la prière numéro 4 qui met particulièrement en valeur le don de la création et notre place au sein de cette création.
  
Homélie
Dans cette homélie il n’est pas possible de rendre compte de manière exhaustive du message que le pape François nous adresse à travers son encyclique Laudato si’ du 24 mai 2015. Un groupe de lecture et d’étude existe depuis la sortie de ce document dans notre communauté pour ceux qui ont le désir de connaître en profondeur ce document essentiel de l’Eglise. Je vais toutefois tenter une présentation synthétique de l’encyclique pour nourrir notre réflexion, notre prière, mais aussi afin de nous engager concrètement dans la conversion écologique.

Un fil rouge caractérise la pensée du pape : tout est lié dans le monde (LS 16). Pour le dire autrement, il est impossible de séparer la préoccupation pour la sauvegarde de la maison commune du souci pour la justice sociale, d’une vision de l’homme et de sa place dans le monde, ainsi que des questions politiques, économiques et financières. Il s’agit donc d’écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres (LS 49). Notre terre souffre de ce que nous en avons fait un immense dépotoir (LS 21) et aussi parce que nous avons oublié que toutes les créatures sont liées. Chacune doit être valorisée avec affection et admiration, et tous en tant qu’êtres, nous avons besoin les uns des autres (LS 42).

Le pape François aborde la question centrale de l’anthropocentrisme. C’est la vision selon laquelle l’homme est le centre et le sommet de l’univers créé ; tout a été créé pour lui. La révélation biblique a des accents anthropocentriques mais elle est essentiellement christocentrique, donc théocentrique : la fin ultime des autres créatures, ce n’est pas nous (LS 83). Le pape reconnaît que dans la tradition chrétienne s’est développée une interprétation inexacte des récits de la création dans la Genèse, une interprétation aboutissant à un anthropocentrisme despotique qui se désintéresserait des autres créatures (LS 68) et niant que les autres êtres vivants ont une valeur propre devant Dieu (LS 69). Or nous ne sommes pas Dieu. La terre nous précède et nous a été donnée (LS 67). Le chrétien, conscient de cela, ne peut donc que rejeter toute domination despotique et irresponsable de l’être humain sur les autres créatures (LS 83).

Confrontés à un système mondial insoutenable (LS 61), les chrétiens sont appelés à remettre en question l’idée d’une croissance infinie ou illimitée, qui a enthousiasmé beaucoup d’économistes, de financiers et de technologues (LS 106). Tout simplement parce que cette idée suppose le mensonge de la disponibilité infinie des biens de la planète, qui conduit à la « presser » jusqu’aux limites et même au-delà des limites  (LS 106). A une époque où le politique a renoncé à sa fonction de régulation et d’orientation de l’économie et de la finance au nom des règles du libre marché[2], il n’est pas étonnant que l’engagement écologique soit si faible et inefficace : pendant que les uns sont obnubilés uniquement par le profit économique et que d’autres ont pour seule obsession la conservation ou l’accroissement de leur pouvoir, ce que nous avons ce sont des guerres, ou bien des accords fallacieux où préserver l’environnement et protéger les plus faibles est ce qui intéresse le moins les deux parties (LS 198). D’où l’audace du pape qui, d’un côté, appelle certaines parties du monde, les plus riches, à une certaine décroissance (LS 193) et, de l’autre, dénonce le mirage de la croissance durable comme un moyen de distraction et de justification qui enferme les valeurs du discours écologique dans la logique des finances et de la technocratie ; la responsabilité sociale et environnementale des entreprises se réduisant d’ordinaire à une série d’action de marketing et d’image (LS 194).

Quelles indications pratiques le pape nous donne-t-il pour vivre notre conversion écologique[3] ? Il est tout d’abord essentiel de mettre en œuvre un nouveau style de vie, se détachant toujours davantage de la surconsommation et du gaspillage car le monde de la consommation exacerbée est en même temps le monde du mauvais traitement de la vie sous toutes ses formes (LS 230). Nous devons prendre conscience de notre pouvoir en tant que consommateurs. La responsabilité sociale des consommateurs repose sur le fait qu’acheter est non seulement un acte économique mais toujours aussi un acte moral (LS 206). Un changement dans notre manière de consommer, dans nos styles de vie, pourrait réussir à exercer une pression saine sur ceux qui détiennent le pouvoir politique, économique et social (LS 206). En tant que chrétiens nous sommes aussi responsables de l’éducation environnementale qui suppose une critique des mythes de la modernité (individualisme, progrès indéfini, concurrence, consumérisme, marché sans règles), (LS 210). Le pape fait sienne la notion de sobriété heureuse (LS 223-225), inséparable de la redécouverte de la vertu d’humilité. Ainsi la spiritualité chrétienne propose une croissance par la sobriété et une capacité de jouir avec peu. C’est un retour à la simplicité qui nous permet de nous arrêter pour apprécier ce qui est petit, pour remercier des possibilités que la vie offre, sans nous attacher à ce que nous avons ni nous attrister de ce que nous ne possédons pas (LS 222). Pour conclure cette présentation synthétique de l’encyclique, une dernière citation du pape qui nous fait comprendre pourquoi l’engagement écologique est inséparable de notre foi chrétienne, particulièrement lorsque nous affirmons croire en Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre ; bref il s’agit bien d’une question de cohérence entre notre foi et nos choix de vie :

Vivre la vocation de protecteurs de l’œuvre de Dieu est une part essentielle d’une existence vertueuse : cela n’est pas quelque chose d’optionnel ni un aspect secondaire dans l’expérience chrétienne (LS 217).


[1] Dans le texte qui suit : LS.
[2] LS 175
[3] LS 216-221

dimanche 25 septembre 2016

26ème dimanche du temps ordinaire / année C



Luc 16, 19-31

25/09/16

La parabole que nous venons d’entendre nous dépeint deux personnes, l’homme riche et le pauvre Lazare, à deux moments différents, avant leur mort et après. La partie la plus courte est la première, c’est celle consacrée à la vie des deux hommes ici-bas. Jésus souligne le contraste absolu entre la vie de plaisirs menée par le riche et la misère de Lazare, accablé par la faim et la maladie. Aux vêtements de luxe correspondent les plaies, aux festins somptueux, les miettes de pain que le pauvre mendie… Et l’on pourrait ajouter qu’aux amis du riche, partageant ses festins, correspondent les chiens venant lécher les plaies de Lazare : à une vie sociale riche, la solitude du pauvre. Ce n’est pas pour rien que de nombreux pauvres, vivant dans la rue, sont souvent accompagnés par un chien, c’est leur seule compagnie, l’unique forme d’affection qu’ils peuvent recevoir. Le fait que Jésus nomme le pauvre et pas le riche a suscité chez le pape Grégoire le grand ce commentaire : Le nom des riches est ordinairement plus connu parmi le peuple que celui des pauvres. Que signifie donc le fait que le Seigneur, parlant d’un pauvre et d’un riche, donne le nom du pauvre et non celui du riche ? C’est que Dieu connaît les humbles et les approuve, tandis qu’il veut ignorer les orgueilleux… C’est comme s’il disait clairement : « Je connais le pauvre, qui est humble ; je ne connais pas le riche, qui est orgueilleux. Je connais le premier, car je l’approuve ; j’ignore le second, car mon jugement le réprouve. » Lorsque la mort survient, riches et pauvres deviennent égaux. Et c’est à ce moment que commence la deuxième partie de notre parabole. Le contraste qui existait avant la mort se maintient, et même se renforce, mais de manière inversée. Le jugement de Dieu renverse la situation qui était celle du riche et de Lazare avant leur mort : Tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur. Maintenant il trouve ici la consolation, et toi, c’est ton tour de souffrir. Au riche qui mendie une goutte d’eau à Lazare pour soulager ses souffrances, Abraham, se  faisant le porte-parole de Dieu, répond ainsi. La réponse d’Abraham peut poser bien des problèmes d’interprétations. Si nous la comprenons de manière littérale, elle signifie qu’il suffirait de souffrir ici-bas pour connaître les joies du paradis, et que, dans l’autre sens, une vie agréable sur cette terre nous conduirait automatiquement en enfer. Or le bonheur ou le malheur ne sont, par eux-mêmes, ni un vice ni une vertu, pas plus d’ailleurs que la richesse ou la pauvreté. Et il peut exister des riches au cœur humble et des pauvres remplis d’orgueil. La difficulté s’accroit encore, car à aucun moment dans l’histoire, il est dit de manière explicite que le riche est en enfer parce qu’il a refusé de voir Lazare devant sa porte, et que n’ayant pas eu de compassion pour ce pauvre homme, il a été égoïste, refusant de partager avec lui la nourriture surabondante de ses festins. La deuxième partie du dialogue entre le riche et Abraham met au centre l’écoute, c’est-à-dire la mise en pratique, de la Parole de Dieu. Si le riche est en enfer, c’est parce qu’il n’a pas pris au sérieux le message délivré par Moïse et les prophètes. Ses cinq frères suivent le même chemin, et même un ressuscité ne pourrait pas toucher leurs cœurs endurcis et indifférents à la souffrance des autres. C’est donc de manière indirecte que Jésus nous donne la raison de la condamnation du riche. La Loi de Moïse, et encore davantage les Prophètes, ne cessent de rappeler aux membres du peuple de Dieu l’exigence de la justice sociale, de la charité et de la compassion. Les murs d’inégalité et d’injustice construits par les hommes et par les nations entre elles, pour le bonheur d’un tout petit nombre et le malheur de la majorité, ces murs sont transformés par le jugement de Dieu en un abîme infranchissable. A l’inégalité économique et sociale répond dans le Royaume de Dieu l’abîme moral entre ceux qui ont suivi leur conscience et ceux qui, au contraire, ont étouffé en eux la voix de leur conscience. Et le critère de ce jugement, c’est bien comment nous aurons accueilli et mis en pratique l’Evangile de Jésus. Ne soyons pas de ceux qui réclament des signes et des miracles pour pouvoir se convertir et changer de vie. Demandons au Seigneur la grâce de recevoir avec un cœur docile le signe de sa Parole, révélée de manière parfaite et définitive en la personne de Jésus-Christ :


Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. Chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.

dimanche 18 septembre 2016

25ème dimanche du temps ordinaire / année C


Luc 16, 1-13

18/09/16

Saint Luc consacre le chapitre 16 de son Evangile au thème de l’argent. Nous venons d’entendre la parabole qui ouvre ce chapitre. La page évangélique de ce dimanche présente de nombreuses difficultés d’interprétations. Il convient de bien distinguer l’histoire du gérant habile d’une part et les commentaires que Jésus en tire d’autre part.
Nous avons donc tout d’abord la parabole du gérant habile. Cette histoire est ambigüe, et pourrait nous donner l’impression que Jésus approuve la conduite d’un homme malhonnête. Dans une parabole, ce ne sont pas forcément tous les détails de l’histoire qui comptent, mais ce qu’il convient d’appeler la fine pointe du texte, autrement dit son enseignement moral. Ce qui est donc remarquable dans l’attitude de ce gérant, ce n’est pas sa malhonnêteté, mais son habileté qui lui permet de se sortir d’une mauvaise situation. Jésus remarque que les fils de ce monde, ceux pour qui Dieu ne compte pas dans leur vie, sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. Le commentaire qu’il fait suite à la parabole est une invitation faite aux fils de la lumière, c’est-à-dire aux croyants, à devenir habiles en vue du Royaume de Dieu.

C’est à l’occasion de ce commentaire que le Seigneur nous révèle ce qu’il pense à propos de l’argent. L’argent est tout d’abord qualifié de malhonnête, ce qui signifie que, d’un point de vue moral, il revêt une connotation négative. Ceci est en contraste avec toute une tradition propre à l’Ancien Testament qui voyait dans la richesse une bénédiction divine, tout simplement parce que pendant très longtemps les Juifs n’ont pas cru en la possibilité d’une vie après la mort. Si donc l’argent est malhonnête, il n’en est pas moins nécessaire dans la vie qui est la nôtre ici-bas. Et c’est là précisément que le chrétien doit se montrer habile en se faisant des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis nous accueillent dans les demeures éternelles. Oui, un jour, celui de notre mort, nos richesses accumulées ne nous seront plus d’aucune utilité. L’argent n’a pas une valeur éternelle, mais bien temporelle. L’habileté des fils de la lumière consiste à l’utiliser de telle manière qu’il puisse, lui aussi, nous aider à faire notre passage vers la vie éternelle. Qui sont donc ces amis qui nous accueilleront dans le royaume de Dieu dans la mesure où nous aurons utilisé avec habileté l’argent malhonnête ? Ce sont tout simplement les personnes qui auront bénéficié de notre générosité, de notre esprit de solidarité et de partage, et donc en particulier les pauvres, les faibles et les démunis. Si nous accumulons l’argent malhonnête uniquement pour nous, non seulement nous risquons bien d’en faire une idole, mais en plus nous risquons de mépriser la dignité des pauvres, le droit que tout homme a de vivre décemment. C’est ce que nous rappelle la première lecture. Utiliser avec habileté l’argent malhonnête, c’est s’en servir pour vivre la fraternité avec tous nos frères humains.


La conclusion de cette page évangélique est quant à elle d’une clarté absolue : vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. Dans notre esprit, nous concevons spontanément une opposition entre Dieu et Satan, et il est vrai que Satan veut faire échouer le plan de Dieu en nous éloignant de notre Père du ciel. Ici l’argent est comme une incarnation mondaine de Satan. Ici l’argent se fait tentateur. Et cette page d’Evangile est d’une actualité frappante dans un monde où, au nom des lois du marché, on considère comme tout à fait normal que certains hommes, dirigeants de grandes entreprises ou travaillant dans la finance, aient des rémunérations qui dépassent l’imagination, alors que d’autres vivent dans la misère la plus abjecte. Le culte du profit illimité est en effet incompatible avec la morale, et les lois du marché n’ont que faire de la morale. Si l’on peut augmenter les profits en licenciant, en délocalisant, en exploitant les travailleurs encore davantage, en cachant la nocivité ou le danger que représente tel produit ou telle activité pour la santé humaine ou encore pour l’environnement, on le fera sans le moindre regret. Le culte de l’argent s’oppose à Dieu parce qu’il efface en nous la voie de la conscience. Tant que la politique, dans le sens noble du terme, n’aura pas repris le contrôle de l’activité économique afin de l’orienter vers le bien commun, l’argent malhonnête continuera à produire des dégâts sociaux et écologiques considérables. A la suite du pape François et en fidélité avec ses enseignements, il revient aux chrétiens de promouvoir un usage habile de l’argent malhonnête. Il revient aux croyants de soumettre aux principes éthiques l’activité commerciale, de telle sorte que les lois du marché ne soient pas au-dessus de la Loi de Dieu. Il est en effet urgent de susciter une alternative économique qui soit inspirée par la foi chrétienne, une économie solidaire et écologique, au service du développement de tout homme et de tout l’homme. Pour les fils de ce monde, ce discours est une utopie, il est au contraire le seul horizon réaliste pour les fils de la lumière.

dimanche 11 septembre 2016

24ème dimanche du temps ordinaire / année C


Luc 15, 1-32

11/09/16

En cette année de la miséricorde divine, la liturgie de ce dimanche propose à notre méditation les trois paraboles de la miséricorde en saint Luc.


Ces histoires nous parlent de la conversion, du retour à Dieu, mais aussi et surtout de Dieu qui se met à notre recherche pour nous réconcilier avec lui. Dieu notre Père veut que nous vivions une relation d’alliance avec lui, et jamais il ne se résigne à notre refus de vivre dans l’amitié avec lui. Il espère toujours notre retour à la maison comme le père de la parabole. C’est cela qu’affirme le Nouveau Testament en disant que Dieu veut le salut de tous les hommes. Quand nous parlons de conversion et de retour à Dieu, nous devons comprendre que la vie chrétienne nous met dans un état de conversion permanente. Je m’explique. Il y a la grande conversion, celle du début, comme dans le cas de Paul qui ne savait que « blasphémer, persécuter, insulter », mais qui, du jour au lendemain, est devenu disciple puis apôtre de Jésus. Ce changement radical est l’œuvre de la grâce, du don d’amour de Dieu en Jésus-Christ. Et cette grâce a été plus forte que le fanatisme de Saul qui le poussait à persécuter l’Eglise en croyant faire la volonté de Dieu. Mais il y a aussi la conversion, les conversions quotidiennes, de ceux qui sont déjà chrétiens, nos conversions. C’est cela que le Carême vient nous rappeler chaque année. Nous sommes baptisés et nous avons mis notre foi dans le Christ, mais nous mesurons chaque jour combien nous sommes éloignés de la sainteté qui est notre vocation à tous. Dieu veut non seulement notre salut, mais aussi, et c’est inséparable, notre progrès spirituel et moral. Si nous sommes bons, nous pouvons toujours devenir meilleurs. La vie chrétienne est dynamique et elle nous pousse de l’avant. C’est le sens du sacrement du pardon qui nous est offert non seulement pour obtenir le pardon de nos péchés graves mais aussi des péchés dits véniels. La miséricorde divine est un appel à progresser sur ce chemin de perfection sans jamais nous décourager, sans jamais abandonner la lutte spirituelle qui est celle de la vie chrétienne, et cela dans des domaines allant de notre vie de prière personnelle jusqu’à notre vie familiale, sociale, et notre engagement au service du bien commun dans la société. La doctrine sociale de l’Eglise nous aide à progresser dans tous les domaines très concrets de notre vie. Par exemple, à travers son encyclique Laudato si’, le pape François nous demande de faire notre examen de conscience par rapport à l’écologie, et il n’hésite pas à parler de conversion écologique.

Dans les trois paraboles de la miséricorde nous entendons comme un refrain : celui de la joie du ciel, des anges et du Père lui-même lorsque nous revenons vers lui par un acte de conversion, lorsque nous utilisons notre liberté pour dire oui au projet de Dieu pour nous, pour répondre à notre vocation : « Il fallait bien festoyer et se réjouir ». Nous trouvons ici une motivation très forte pour prendre au sérieux toutes les petites conversions quotidiennes. L’amour incompréhensible de Dieu est tel que nous sommes capables de réjouir son cœur, de lui faire plaisir, chaque fois que nous retournons vers lui après nous en être éloignés, chaque fois que nous progressons dans notre vie spirituelle et morale. Voilà le sacrifice qui plaît à Dieu, celui d’un cœur brisé et broyé, d’un cœur qui se laisse toucher par l’Esprit Saint. Rien ne touche plus le cœur de Dieu que notre humilité et le sincère regret que nous avons de nos fautes, de nos péchés et de nos imperfections. Dieu nous donne cet immense pouvoir sur son propre cœur, celui de le réjouir par notre retour à lui. Il nous offre cela dans sa miséricorde. Pourquoi attendre demain pour commencer à prendre au sérieux son appel à la sainteté ?

dimanche 3 juillet 2016

14ème dimanche du temps ordinaire / C


3/07/16

Luc 10, 1-20

Les évangiles nous rapportent que Jésus, dès le commencement de sa prédication, a appelé des hommes à le suivre et à partager sa vie : les Douze, le groupe très proche des apôtres, mais aussi d’autres disciples dont l’évangile de ce jour nous dit qu’ils étaient 72. Comme les apôtres, ces disciples sont envoyés en mission et Jésus leur confie l’évangélisation. L’introduction que saint Luc donne au discours d’envoi en mission a son importance. Tout d’abord la mission ne se vit pas seul mais avec d’autres, deux par deux. C’est le sens de la communauté, le sens de l’Eglise. Ils sont envoyés devant lui dans toutes les villes et localités où lui-même devait aller. Un missionnaire est un éclaireur, un ambassadeur du Christ pour reprendre la parole de saint Paul. Comme Jean le Baptiste, les disciples doivent préparer la venue du Seigneur. Le missionnaire défriche le terrain souvent aride des cœurs humains pour que Jésus puisse être accueilli. C’est un travail de préparation des cœurs qui souligne bien que l’œuvre de la conversion ne peut venir que de Dieu lui-même. Les missionnaires n’ont pas le pouvoir de convertir les hommes. Ils ne sont que des témoins.

Dans les paroles que Jésus leur adresse avant leur départ, nous pouvons souligner la préparation aux difficultés et même à l’échec. Comme des agneaux au milieu des loups : cette expression souligne en même temps la faiblesse des missionnaires et l’hostilité de ceux vers lesquels ils sont envoyés. Jésus est honnête avec eux et les prévient que leur parole sera parfois refusée. Dans ce cas-là ils ne doivent ni insister ni s’imposer, et poursuivre leur route. Le contenu de leur message est très simple : transmettre la paix de Dieu et annoncer la proximité du Règne de Dieu. Oui, en Jésus son Fils, Dieu s’est fait proche de tout homme et tout homme peut donc faire l’expérience de l’amour et de la miséricorde de Dieu au contact de Jésus. Les paroles du Seigneur abordent aussi le pouvoir spirituel qu’il donne à ses disciples. Ils sont comparés à des agneaux mais ils reçoivent un pouvoir spirituel pour être vainqueurs du mal et des esprits mauvais. Evangéliser, c’est en effet libérer les hommes de l’esclavage du mal pour les rendre à Dieu, leur créateur et Père. C’est par rapport à ce pouvoir spirituel qu’il faut comprendre les consignes concernant le dénuement matériel des missionnaires. L’évangélisation telle que la conçoit Jésus ne doit pas s’appuyer sur les pouvoirs du monde (l’argent, les gouvernants etc.). C’est le mystère de la croix rappelé par saint Paul dans la deuxième lecture : par la croix, le monde est à jamais crucifié pour moi, et moi pour le monde. Tout au long de son histoire, l’Eglise s’est souvent appuyée sur les puissances de ce monde afin d’évangéliser, oubliant ainsi les paroles de Jésus. Le christianisme s’est ainsi transformé en chrétienté, un système dans lequel l’Etat et l’Eglise étaient étroitement liés. Et malheureusement l’évangélisation a de nombreuses fois commencé par des conquêtes militaires au cours desquelles les soldats du roi tuaient et massacraient, réduisaient en esclavage, avant que les missionnaires prêchent l’Evangile ! Jésus, dès le départ, met en garde son Eglise contre la tentation de vouloir à tout prix la réussite et cela le plus rapidement possible. Comme toutes les grandes choses, l’évangélisation demande du temps et donc beaucoup de patience. En 2016, dans notre monde très différent de celui que Jésus a connu, il est impossible de retirer à l’Eglise certains moyens matériels, nécessaires à sa mission. Mais l’utilisation de ces moyens matériels et financiers doit toujours être soumise à l’esprit de la mission, tel que Jésus nous le transmet. Se garder de rechercher à tout prix un succès facile et immédiat, se préserver des compromissions avec les pouvoirs politiques et civils, refuser l’usage de la force et des armes etc. Lorsque les disciples rentrent tout joyeux de mission après les premiers succès de l’évangélisation, Jésus les réoriente immédiatement vers l’essentiel. Car ce succès des débuts pourrait les gonfler de vanité et d’orgueil et leur faire oublier que le pouvoir qu’ils ont de libérer du mal et de réconcilier les hommes avec Dieu leur vient du Christ.


Ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans les cieux.

dimanche 26 juin 2016

13ème dimanche du temps ordinaire / année C


26/06/16

Luc 9, 51-62

L’Evangile de ce dimanche marque un tournant décisif dans le ministère public du Seigneur. L’introduction donnée par saint Luc le montre clairement. Jésus commence sa montée vers Jérusalem, et il marche avec courage vers sa Passion et sa mort en croix. Il sait en effet ce qui l’attend à Jérusalem. La première partie de cet évangile concerne l’attitude des disciples tandis que la seconde rassemble des paroles de Jésus sur ce que signifie « marcher avec lui, marcher à sa suite ».

De Galilée pour aller vers Jérusalem, il fallait traverser la Samarie. Or les samaritains étaient mal considérés par les Juifs de Judée et vice-versa. Ils étaient vus comme des schismatiques car ils avaient leur propre temple et ignoraient donc le culte célébré dans le temple unique de Jérusalem. Il n’est donc pas étonnant que les samaritains refusent d’accueillir Jésus et ses disciples, étant donnée cette inimitié entre Juifs et samaritains. Or l’hospitalité dans la Bible est très importante, elle est même un devoir sacré. Ce refus suscite chez Jacques et Jean un désir de vengeance. Il faut que Dieu punisse ces samaritains en faisant tomber sur eux le feu du ciel, comme autrefois il avait puni les habitants de Sodome parce qu’ils n’avaient pas respecté les lois sacrées de l’hospitalité. Jésus refuse cette violence et réprimande ses disciples. Il condamne ainsi d’une manière claire le fanatisme religieux qui a toujours tendance à imposer par la force le culte de Dieu et la morale qui va avec. D’ailleurs, dans le chapitre suivant, nous voyons comment Jésus envisage à nouveau ce cas de refus dans le contexte de l’envoi en mission des disciples. Si les missionnaires sont mal accueillis ou si l’on ne veut pas d’eux à un endroit, que doivent-ils donc faire ? La réponse est claire : s’en aller ailleurs pour continuer leur mission. Dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, allez sur les places et dites : “Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous l’enlevons pour vous la laisser. Toutefois, sachez-le : le règne de Dieu s’est approché.” Je vous le déclare : au dernier jour, Sodome sera mieux traitée que cette ville. Il est intéressant de relever que Jean, juste avant le départ pour Jérusalem, s’était déjà fait remarquer pour son sectarisme : Jean, l’un des Douze, dit à Jésus : « Maître, nous avons vu quelqu’un expulser des démons en ton nom ; nous l’en avons empêché, car il ne marche pas à ta suite avec nous. » Jésus lui répondit : « Ne l’en empêchez pas : qui n’est pas contre vous est pour vous. » Dans l’Eglise du Christ, il n’y a pas de place pour des attitudes et des pensées inspirées par le sectarisme et le fanatisme.


Dans la seconde partie de notre Evangile, Jésus rencontre trois hommes dont deux déclarent vouloir le suivre. Au premier, le Seigneur rappelle la difficulté de cette entreprise alors même qu’il monte à Jérusalem pour y connaître un échec apparent. La route sera rude et il faudra accepter de vivre dans la pauvreté, il faudra surtout être prêt au rejet et au mépris. L’autre homme nous rappelle l’histoire de la vocation d’Elisée dans la première lecture : il veut saluer sa famille avant de suivre Jésus. Etre disciple, c’est non seulement accepter l’échec et le refus, mais c’est aussi mettre l’amour pour le Christ au-dessus de l’amour naturel que nous portons à notre famille. Et certaines vocations de prêtres, de religieux et religieuses, ne peuvent se réaliser qu’au prix d’une rupture avec sa famille, lorsque, par exemple, des parents s’opposent à ce que leurs enfants répondent à un appel particulier du Seigneur. Dans un autre cas, c’est Jésus qui appelle un homme à le suivre. Cet homme vient de perdre son père et veut donc l’honorer par les funérailles. C’était un devoir sacré pour tout Juif d’assurer à ses parents un enterrement digne de ce nom. Face à l’annonce du Règne de Dieu, face à la vocation missionnaire, même ce devoir sacré s’efface. Ici Jésus se montre d’un radicalisme qui choquait certainement les Juifs qui l’entendaient et qui nous choque encore aujourd’hui. N’oublions pas qu’il prononce ces paroles de feu dans un contexte dramatique, celui de sa montée vers Jérusalem. Mais il n’en demeure pas moins vrai, à travers ces trois exemples, que lorsque Jésus appelle une personne à le suivre, il exige un amour sans partage, amour qui implique un détachement radical. Cela montre l’extrême importance que le Seigneur accorde à l’annonce de l’Evangile. Par conséquent cela nous invite aussi à accueillir toujours avec zèle les enseignements de Jésus et à utiliser toute notre liberté et notre volonté pour les mettre en pratique avec la grâce de Dieu.