Matthieu 5, 4
Chaque
année pour la solennité de la Toussaint l’Eglise fait résonner à nos oreilles
l’Evangile des Béatitudes. Cette proclamation de bonheur qui ouvre le discours
sur la montagne en saint Matthieu nous parle d’abord du Christ lui-même. C’est
lui qui a un cœur de pauvre, qui est doux etc. Le chemin de la sainteté
consiste donc à ressembler au Christ, à être pauvre de cœur comme lui. La multitude des saints
connus et inconnus que nous célébrons en ce jour nous montre les diverses
facettes de l’unique Evangile. Chaque saint et sainte incarne plus
particulièrement un aspect de la richesse de l’Evangile, tel saint, tel sainte,
ressemble à Jésus, participe à sa sainteté en mettant en valeur un chemin
d’Evangile : celui de la pauvreté, de la compassion, de la douceur, de la
recherche de la paix ou encore de la justice du Royaume etc. Saint François de
Sales avait exprimé ce mystère d’une manière admirable en notant qu’il n’y a pas d’autre différence entre
l’Evangile et la vie des saints qu’entre une musique notée et une musique
chantée.
Je
voudrais en cette solennité méditer pour vous la troisième béatitude qui me
semble d’une grande actualité :
Heureux
les doux, car ils recevront la terre en héritage.
C’est la
seule béatitude qui mentionne la terre, et non pas le Royaume des cieux ou
Dieu. Jésus cite ici le psaume 36 : les
doux posséderont la terre et jouiront d’une abondante paix. Mais il change
le verbe : recevoir au lieu de posséder ! Bien sûr la terre dont il
est question dans cette béatitude évoque beaucoup plus que notre simple planète
terre ou que la terre promise. Comme le disait le pape François dans sa
catéchèse du 19 février, il y a une
«terre» — permettez-moi le jeu de mots — qui est le Ciel, c’est-à-dire la terre
vers laquelle nous marchons: les nouveaux cieux et la nouvelle terre vers
laquelle nous allons. Il n’en reste pas moins vrai qu’en ce temps de crise
écologique et en cette année où nous célébrons le 5ème anniversaire
de l’encyclique Laudato si’, la
béatitude des doux a quelque chose de significatif à nous dire en mentionnant
la terre comme notre héritage commun. Mais avant de l’évoquer, il convient de
bien comprendre qui sont ces doux
dont nous parle le Seigneur. Tout d’abord douceur et humilité sont des réalités
très proches dans la Bible. Jésus se présente à nous comme celui qui est doux et humble de cœur. Dans sa
catéchèse le pape François explique la signification de la douceur : Le terme «doux» ici utilisé signifie
littéralement doux, docile, gentil, sans violence. Cette béatitude est donc
inséparable d’une autre : Heureux
les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. Pour saint Paul,
la douceur fait partie du fruit multiforme de l’Esprit Saint et il l’associe à
deux reprises à l’humilité et à la patience. Il existe pour nous le risque
d’assimiler la douceur à de la faiblesse ou de la résignation, alors qu’elle
est au contraire une force de caractère, une vertu, qui nous permet de résister
à la colère et à la violence. Le pape François l’explique très bien dans sa
catéchèse :
Le doux n’est pas un lâche, un
«mou» qui se trouve une morale de repli pour rester en dehors des problèmes.
Pas du tout! C’est une personne qui a reçu un héritage et ne veut pas le
disperser. Le doux n’est pas quelqu’un d’accommodant, mais il est le disciple
du Christ qui a appris à défendre une toute autre terre. Il défend sa paix, il
défend sa relation avec Dieu, il défend ses dons, les dons de Dieu, en préservant
la miséricorde, la fraternité, la confiance, l’espérance.
De la même manière que dans le Notre Père le mot pain peut avoir deux
significations, l’une matérielle, l’autre spirituelle, il me semble que dans la
troisième béatitude la terre reçue en héritage se réfère à la terre de la
création et à la terre du salut. La crise écologique actuelle, c’est-à-dire la
crise de notre relation de créatures avec la création, ne provient-elle pas
précisément d’une civilisation qui a ridiculisé la douceur comme inutile et
inefficace, tout en glorifiant la violence qu’elle soit celle des armes ou
celle issue d’une utilisation orgueilleuse des sciences et des
techniques ? Ne serait-il pas urgent de cultiver en nos cœurs la douceur
de l’Evangile pour notre terre et pour toutes les créatures ? Une douceur
qui nous permet de nous engager avec force et détermination pour le respect de
la création et de la terre, notre maison commune. Dans Laudato si’, le pape François souligne la nécessité d’une éducation environnementale incluant une critique des « mythes » de la
modernité (individualisme, progrès indéfini, concurrence, consumérisme, marché
sans règles), fondés sur la raison instrumentale. Il nous parle des différents niveaux de l’équilibre écologique : interne avec soi-même,
solidaire avec les autres, naturel avec tous les êtres vivants, spirituel avec
Dieu (n°210). Dans les jeunes générations en particulier, chez les croyants
comme chez les non-croyants, existe une vive conscience de la nécessité de
cette conversion écologique. Et si la béatitude de la douceur, la vertu
d’humilité, était ce chemin providentiel pour notre temps ? Non plus
posséder ou conquérir la terre et ses merveilles, mais la recevoir avec douceur
comme un don magnifique et la défendre contre un anthropocentrisme despotique et destructeur. Certains de ces jeunes
ont été tués à cause de leur engagement de doux, bien plus nombreux qu’on ne
peut l’imaginer de par le monde mais aussi en France. Pensons par exemple à
Rémi Fraisse mort suite à un tir de grenade en 2014. C’est ici que la béatitude
des doux en rejoint une autre : Heureux
ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux.
1 commentaire:
Rémi Fraisse est mort de façon bien malheureuse lors d'une manifestation violente , personne ne le conteste . Difficile de le classer parmi les doux , quelle que soit la sympathie qu'on ait pour la cause qu'il défendait.
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