C’est avec la célébration de la messe en mémoire de la Cène du Seigneur que nous entrons dans le triduum pascal, sommet de toute notre année liturgique. Alors que notre célébration fait mémoire de l’institution du sacrement de l’eucharistie par Jésus, la liturgie fait le choix de nous montrer Jésus lavant les pieds de ses disciples. L’introduction donnée par Jean à cet événement nous donne la clé de compréhension du mystère :
Avant la fête de la Pâque, sachant que
l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant
aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
L’eucharistie
comme le lavement des pieds sont des signes de l’amour extrême du Seigneur pour
ses disciples. Dans les deux cas il se fait notre serviteur : il nous sert
et nous nourrit dans le banquet eucharistique et il nous sert dans le geste du
lavement des pieds. La charité divine ne se divise pas, comme si d’un côté il y
avait le don des sacrements et de l’autre le service des hommes. Ce qui est le
plus bouleversant, c’est que le service eucharistique du Christ prêtre annonce
un autre service, cette fois dans le banquet du Royaume, dans la gloire du Ciel comme
en témoigne ce passage de saint Luc :
Soyez comme des gens qui attendent leur
maître à son retour des noces, pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à
la porte. Heureux ces serviteurs-là que le maître, à son arrivée, trouvera en
train de veiller. Amen, je vous le dis : c’est lui qui, la ceinture autour des
reins, les fera prendre place à table et passera pour les servir.
Pierre,
nous le voyons, refuse de se laisser servir par son Maître. Il refuse
l’abaissement de Dieu, l’inversion des rôles. Dans la Rome antique, lors de la
fête des Saturnales, la tradition voulait que les maîtres servent leurs
esclaves. N’oublions pas que le geste que Jésus fait en faveur de ses disciples
était en effet effectué par les esclaves. Si le Seigneur fait ce geste, ce
n’est pas seulement pour rappeler son état de serviteur, mais aussi pour nous
donner un exemple inoubliable de service :
Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je
vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux
autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous
aussi, comme j’ai fait pour vous.
La veille
du jour où il donnera sa vie pour nous sauver, le Seigneur nous invite à
réfléchir sur notre esprit de service que ce soit dans la société, dans la
communauté ou dans l’Eglise. Du point de vue chrétien le service est toujours
en vue du bien commun, donc de la communauté, civile ou ecclésiale. Même
lorsque nous nous mettons au service d’une personne, nous contribuons ainsi à
l’unité et à la communion. L’esprit de service exclut la domination sur les
autres, le désir d’exercer un pouvoir sur eux ou encore la recherche de la
gloire humaine. Le service selon l’esprit du Christ a pour caractéristique
essentielle de libérer celui qui bénéficie de ce service. Au lieu d’enfermer et
de rendre dépendant, il ouvre au contraire un chemin de liberté pour celui qui
reçoit ce service. Jésus est un maître, il n’est pas un gourou. Enfin celui qui
sert selon l’esprit du Christ sait, au fond de son cœur, qu’il n’est pas le
propriétaire du service qu’il assume. Il en est simplement le dépositaire pour
un temps. Il ne se considère pas comme indispensable ou irremplaçable, mais a
une vive conscience d’être un serviteur « inutile » pour reprendre
l’expression de l’Evangile :
De même vous aussi, quand vous aurez exécuté
tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes de simples serviteurs :
nous n’avons fait que notre devoir.”
Ce n’est
pas par hasard que la Tradition voit dans la dernière Cène non seulement
l’institution du sacrement de l’eucharistie mais aussi celle du sacerdoce.
Jésus sait qu’il ne sera plus présent physiquement parmi ses disciples. C’est
la raison pour laquelle il remet son service divin entre les mains des Douze
qui sont des hommes faibles et pécheurs. Et les Douze le remettront plus tard à
d’autres etc. C’est la tradition apostolique qui est parvenu jusqu’à nous.
D’une certaine manière, même si cela nous paraît surprenant, Jésus ne s’est pas
considéré comme « irremplaçable », tout Fils de Dieu qu’il était… Il
a voulu que d’autres perpétuent dans le ministère apostolique et dans l’Eglise
sa présence. Certes aucun ministre de l’Eglise ne remplace Jésus. Mais Jésus,
dans la logique de son abaissement et du mystère de son incarnation, a voulu en
quelque sorte s’effacer entre les mains de ses apôtres en leur laissant ainsi
un espace de liberté et d’initiative dans l’Eglise, sous la conduite de
l’Esprit Saint. Au moment de l’Ascension, Jésus fait confiance à ses apôtres
pour qu’ils soient le signe de sa présence parmi les hommes. La grande leçon
d’humble service du lavement des pieds fait que le pape, chef visible de
l’Eglise catholique, aime à se définir depuis saint Grégoire le Grand (590-604)
comme le serviteur des serviteurs de
Dieu. Souvenons-nous en chaque fois que nous nous mettons au service de nos
frères et de la communauté, dans la société comme dans l’Eglise.
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