jeudi 1 avril 2021

JEUDI SAINT 2021

 


C’est avec la célébration de la messe en mémoire de la Cène du Seigneur que nous entrons dans le triduum pascal, sommet de toute notre année liturgique. Alors que notre célébration fait mémoire de l’institution du sacrement de l’eucharistie par Jésus, la liturgie fait le choix de nous montrer Jésus lavant les pieds de ses disciples. L’introduction donnée par Jean à cet événement nous donne la clé de compréhension du mystère :

Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.

L’eucharistie comme le lavement des pieds sont des signes de l’amour extrême du Seigneur pour ses disciples. Dans les deux cas il se fait notre serviteur : il nous sert et nous nourrit dans le banquet eucharistique et il nous sert dans le geste du lavement des pieds. La charité divine ne se divise pas, comme si d’un côté il y avait le don des sacrements et de l’autre le service des hommes. Ce qui est le plus bouleversant, c’est que le service eucharistique du Christ prêtre annonce un autre service, cette fois dans le banquet du Royaume, dans la gloire du Ciel comme en témoigne ce passage de saint Luc :

Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces, pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte. Heureux ces serviteurs-là que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Amen, je vous le dis : c’est lui qui, la ceinture autour des reins, les fera prendre place à table et passera pour les servir.

Pierre, nous le voyons, refuse de se laisser servir par son Maître. Il refuse l’abaissement de Dieu, l’inversion des rôles. Dans la Rome antique, lors de la fête des Saturnales, la tradition voulait que les maîtres servent leurs esclaves. N’oublions pas que le geste que Jésus fait en faveur de ses disciples était en effet effectué par les esclaves. Si le Seigneur fait ce geste, ce n’est pas seulement pour rappeler son état de serviteur, mais aussi pour nous donner un exemple inoubliable de service :

Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous.

La veille du jour où il donnera sa vie pour nous sauver, le Seigneur nous invite à réfléchir sur notre esprit de service que ce soit dans la société, dans la communauté ou dans l’Eglise. Du point de vue chrétien le service est toujours en vue du bien commun, donc de la communauté, civile ou ecclésiale. Même lorsque nous nous mettons au service d’une personne, nous contribuons ainsi à l’unité et à la communion. L’esprit de service exclut la domination sur les autres, le désir d’exercer un pouvoir sur eux ou encore la recherche de la gloire humaine. Le service selon l’esprit du Christ a pour caractéristique essentielle de libérer celui qui bénéficie de ce service. Au lieu d’enfermer et de rendre dépendant, il ouvre au contraire un chemin de liberté pour celui qui reçoit ce service. Jésus est un maître, il n’est pas un gourou. Enfin celui qui sert selon l’esprit du Christ sait, au fond de son cœur, qu’il n’est pas le propriétaire du service qu’il assume. Il en est simplement le dépositaire pour un temps. Il ne se considère pas comme indispensable ou irremplaçable, mais a une vive conscience d’être un serviteur « inutile » pour reprendre l’expression de l’Evangile :

De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir.”

Ce n’est pas par hasard que la Tradition voit dans la dernière Cène non seulement l’institution du sacrement de l’eucharistie mais aussi celle du sacerdoce. Jésus sait qu’il ne sera plus présent physiquement parmi ses disciples. C’est la raison pour laquelle il remet son service divin entre les mains des Douze qui sont des hommes faibles et pécheurs. Et les Douze le remettront plus tard à d’autres etc. C’est la tradition apostolique qui est parvenu jusqu’à nous. D’une certaine manière, même si cela nous paraît surprenant, Jésus ne s’est pas considéré comme « irremplaçable », tout Fils de Dieu qu’il était… Il a voulu que d’autres perpétuent dans le ministère apostolique et dans l’Eglise sa présence. Certes aucun ministre de l’Eglise ne remplace Jésus. Mais Jésus, dans la logique de son abaissement et du mystère de son incarnation, a voulu en quelque sorte s’effacer entre les mains de ses apôtres en leur laissant ainsi un espace de liberté et d’initiative dans l’Eglise, sous la conduite de l’Esprit Saint. Au moment de l’Ascension, Jésus fait confiance à ses apôtres pour qu’ils soient le signe de sa présence parmi les hommes. La grande leçon d’humble service du lavement des pieds fait que le pape, chef visible de l’Eglise catholique, aime à se définir depuis saint Grégoire le Grand (590-604) comme le serviteur des serviteurs de Dieu. Souvenons-nous en chaque fois que nous nous mettons au service de nos frères et de la communauté, dans la société comme dans l’Eglise.


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