Jean 1, 1-18
Hier dans la messe de la nuit de
Noël le verset de l’Evangile de Luc a de nouveau résonné dans nos cœurs :
Marie mit au monde son fils
premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait
pas de place pour eux dans la salle commune.
Aujourd’hui dans la messe du jour
Jean proclame :
Et le Verbe s’est fait chair, il
a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son
Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité.
Le contraste est saisissant entre
d’une part la simplicité de Luc et d’autre part la vision grandiose de Jean.
D’un côté un enfant emmailloté et couché dans une mangeoire, de l’autre le
Verbe éternel qui se fait chair et habite parmi nous. Et pourtant Luc et Jean
nous parlent bien du même mystère, celui de l’incarnation. Le bébé de la crèche
c’est le Verbe de Dieu fait chair. En effet les deux évangélistes nous disent
la même chose : Dieu abolit la distance entre lui et ses créatures, Dieu désire
une communion parfaite avec l’homme, et cela uniquement par surabondance
d’amour. Dieu veut pour chacun d’entre nous la possibilité de vivre en
communion avec lui et de connaître enfin la véritable joie, la véritable paix.
Pourquoi à Bethléem et sous le règne d’Auguste ? Pourquoi pas à un autre
moment de notre histoire humaine ? Seul le Père connaît le pourquoi de
cette divine décision qui divise notre histoire entre un temps avant et un
temps après Noël. Saint Jean dans son magnifique prologue insiste sur la
différence entre l’Ancienne Alliance et la Nouvelle, celle qui commence
précisément avec l’incarnation : La Loi fut donnée par Moïse, la grâce
et la vérité sont venues par Jésus Christ. L’ère chrétienne est celle de la
grâce et de la vérité. Avec le don du Messie la Loi de Dieu se fait intérieure
à chacun de nous puisque Jésus, Fils de Dieu, est notre frère en humanité. Dans
le Christ c’est l’amour miséricordieux et lui seul qui caractérise notre
relation avec Dieu. Jean nous montre aussi que le mystère de l’incarnation ne
supprime pas, bien au contraire, la liberté humaine, donc la nécessité de notre
part de coopérer activement à la grâce de Dieu à l’exemple de Marie et de
Joseph. Le mystère de l’incarnation ne supprime pas le drame de notre possible
refus : Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à
l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu chez lui, et les
siens ne l’ont pas reçu. Saint Luc dit à sa manière la même chose : Il
n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. Chaque fois que nous
célébrons Noël nous sommes amenés à nous poser à nouveau cette question :
Y a-t-il de la place en moi pour accueillir Jésus aujourd’hui ? Jean nous
parle aussi de ceux qui accueillent le mystère avec joie et gratitude : à
tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux
qui croient en son nom. Ils ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté
charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu. En nous parlant
de notre nouvelle naissance dans l’Esprit Jean nous fait comprendre le rapport
entre ce qui est chair et ce qui est esprit. Dans l’incarnation la chair est
honorée, elle est même divinisée puisque le Verbe s’est fait chair. En même
temps la chair n’est rien sans l’esprit. Et Dieu est Esprit. Voilà pourquoi
Jean nous dit que le chrétien n’est pas le fruit d’une volonté humaine mais le
fruit du don de l’Esprit qui seul est capable de nous faire accéder à une
relation renouvelée avec Dieu. Noël unit dans la personne du Verbe fait chair,
dans l’enfant de la crèche, la chair et l’esprit. Le chrétien authentique est
indissociablement terrestre et céleste. Il ne renie jamais son humanité avec
ses fragilités et ses faiblesses puisqu’elle est le lieu de sa rencontre avec
Dieu, le lieu de son salut. Il n’oublie jamais que sans l’Esprit de Dieu il ne
peut pas devenir pleinement homme. C’est en effet dans le Verbe fait chair que
nous est offerte la grâce d’accomplir notre vocation humaine. Le mystère de l’incarnation
a pour but non seulement de nous diviniser mais aussi de nous humaniser. Car en
nous délivrant de l’esclavage du mal et du péché, il nous rend pleinement
humains. Nous comprenons à quel point depuis Noël il est impossible de séparer
Dieu de l’homme et l’homme de Dieu.
Enfin Dieu qui est Esprit,
incorporel et invisible, insaisissable pour notre pensée, se donne en quelque
sorte à voir dans le Verbe fait chair : Dieu, personne ne l’a jamais vu
; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui
qui l’a fait connaître. Cette connaissance-vision de Dieu implique de notre
part la foi : Il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu à ceux qui
croient en son nom. Dans l’Evangile de Jean nous trouvons un dialogue
significatif entre Philippe et Jésus : Philippe lui dit : « Seigneur,
montre-nous le Père ; cela nous suffit. » Jésus lui répond : « Il y a si
longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! Celui qui
m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : “Montre-nous le Père” ? En
l’an de grâce 2025, contrairement à Philippe, nous ne pouvons pas voir Jésus
comme lui le voyait. Depuis l’Ascension le Verbe de Dieu fait chair n’est plus
visible. Il demeure toujours notre frère, avec nous, au milieu de nous.
L’Ascension n’annule pas l’Incarnation. Il s’agit pour nous de le reconnaître
avec les yeux de la foi et de l’amour non seulement dans la grâce des
sacrements, dans l’amitié du cœur à cœur de la prière, dans la vie de l’Eglise
mais aussi dans tout homme que nous rencontrons, en particulier dans ceux qui
parmi nous sont les plus petits et les plus pauvres, ceux qui souffrent dans
leur corps et dans leur âme. Noël nous redit avec force le réalisme de notre
religion qui implique toujours un engagement charnel pour transformer le réel
et en faire la matière du Royaume de Dieu. Ce n’est pas sans raison que Jésus
dit à Nicodème qu’il s’agit pour ses disciples de « faire la
vérité » :
Celui qui fait le mal déteste la
lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient
dénoncées ; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit
manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu.
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