Luc 2, 1-14
Le récit de l’évangéliste Luc qui
nous raconte la naissance de Jésus à Bethléem est très simple. L’essentiel est
dit dans le verset 7 du chapitre 2 : Marie mit au monde son fils
premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y
avait pas de place pour eux dans la salle commune. Et ce verset est répété
au verset 12 dans le message de l’ange adressé aux bergers : Voici
le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché
dans une mangeoire. Le grand mystère de l’incarnation est résumé en très
peu de mots, et des mots très simples. Cette simplicité du récit nous parle de
l’humilité, de la petitesse, de la pauvreté de Dieu qui s’unit à notre nature
humaine. Le grand signe de cette union entre Dieu et l’homme, c’est cet enfant
nommé Jésus qui vient de naître dans une mangeoire destinée à nourrir les
animaux de l’étable. Le lieu de la naissance du Messie est un lieu humble et
pauvre parce qu’il n’y avait pas de place pour Marie et Joseph dans la salle
commune. Dieu est non seulement venu à nous dans la pauvreté de la naissance de
son Fils mais aussi parce que cet enfant, dès sa naissance, est en quelque
sorte rejeté en dehors de la salle commune, une manière de dire qu’il n’est pas
accueilli dans la société des hommes dont il est pourtant le Sauveur.
Dans le mot
« incarnation » que l’Eglise utilise pour nous parler du mystère de
Noël nous entendons le mot « chair ». C’est ce que saint Jean
exprimera dans le prologue de son Evangile dans un style très différent de
celui de Luc : Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous. Dieu
est Esprit. Cela signifie qu’Il n’a pas comme nous un corps, et que par
conséquent il est invisible. Il dépasse infiniment les conditions qui sont
celles de notre expérience humaine : l’espace et le temps. La vie de Dieu
en tant qu’Esprit est radicalement différente de notre vie qui s’inscrit
toujours dans un lieu déterminé et dans un temps limité, borné entre le jour de
notre naissance et celui de notre mort. C’est ce Dieu Esprit, nous dit la Bible
dans ses premières pages, qui est à l’origine de tout le monde créé, donc de
toutes les créatures corporelles ainsi que du monde physique. A Noël
Dieu-Esprit épouse la condition humaine, il fait sienne notre chair, Il prend
en quelque sorte corps en naissant de Marie dans l’enfant de la crèche. Le
mystère de l’incarnation réalise en un lieu donné (Bethléem) et en un moment
précis de notre histoire (le règne d’Auguste) la merveilleuse union de l’Esprit
et de la chair, de l’esprit et du corps. Avant la naissance de Jésus il était
possible pour les hommes de vivre une certaine forme de communion avec Dieu
Père et Créateur. A partir de Noël cette communion est réalisée de manière
parfaite et définitive dans l’enfant qui vient de naître. Cet enfant nous ouvre
le chemin d’une nouvelle relation avec Dieu.
Il est éclairant pour nous de
mettre en relation l’incarnation avec la création, Jésus enfant avec Adam, le
premier homme. D’après les récits de la création dans le livre de la Genèse
Dieu crée l’homme et la femme adultes. Adam et Eve n’ont pas d’enfance. Ils
sortent en quelque sorte directement de Dieu qui est en même temps leur père et
leur mère. Dans le mystère de l’incarnation le Sauveur ne se manifeste pas dans
notre humanité directement comme un adulte « tombé du ciel ». Étant
véritablement notre frère en humanité, il vit notre condition humaine
intégralement de la naissance à la mort. Noël est bien le commencement humble
et fragile de la vie du Fils de Dieu parmi nous. En vérité nous sommes bien
plus proches de Jésus que d’Adam, car tous nous sommes nés d’une mère et d’un
père, tous nous avons connu l’enfance avant de devenir adultes. Dans le mystère
de l’incarnation Dieu prend son temps, il entre dans le temps progressif de
notre histoire humaine qui du bébé nous conduit au terme de notre vie terrestre
en passant par la longue maturation de l’enfance, de l’adolescence et de l’âge
adulte. Si la Bible prête à Adam une durée de vie de 930 ans, l’enfant qui
vient de naître dans la crèche mourra jeune et de façon violente. Adam ignore
l’enfance mais vit très vieux, alors que le Christ connaît l’enfance et meurt
avant de faire l’expérience de la vieillesse. L’incarnation que nous célébrons
dans le mystère de Noël nous révèle ainsi l’éternelle jeunesse de Dieu qui ne
craint pas d’être enfant, faible, dépendant et sans parole, pour nous ouvrir le
chemin du salut. Ainsi Dieu est pour chacun de nous un commencement, une
possibilité de renaître chaque jour, quel que soit notre âge… C’est la nouvelle
naissance de chaque chrétien dans le baptême, la foi, l’espérance et la
charité. C’est de l’intérieur et profondément que notre nature humaine est
renouvelée, rajeunie par la manifestation du Fils de Dieu dans notre chair.
L’hiver de Noël est en fait le printemps de notre vie.
En nous, marqués par le péché des
origines et nos propres péchés, l’esprit et la chair ont tendance à se faire la
guerre. Noël nous offre enfin la réconciliation de ce qui constitue la beauté
et la fragile grandeur de notre nature humaine, l’union dans une personne
unique de l’esprit et du corps. Le mystère de l’incarnation unifie ce que nous
avons tendance à opposer ou encore à séparer : non seulement le corps et
l’esprit mais aussi l’homme et Dieu. Le mystère de Noël révèle l’union en Dieu
de ce que nous sommes tentés de considérer comme des réalités incompatibles :
sa justice et sa miséricorde. Noël, c’est la belle et simple manifestation de
l’Amour divin qui aime à pardonner et à réconcilier, de l’Amour qui recherche
toujours la communion avec nous. Nous comprenons ainsi la signification
profonde du chant des anges : Oui, gloire à Dieu au plus haut des cieux,
et paix sur la terre aux hommes qu’Il aime ! Car désormais la gloire de
Dieu et le salut des hommes sont inséparables parce qu’en Jésus Dieu et l’homme
sont unis d’une manière unique et indestructible. C’est ce qui faisait dire à
saint Irénée de Lyon en une magnifique formule dont il avait l’art :
La gloire de Dieu c'est l'homme vivant, et la vie de l'homme
c'est la vision de Dieu : si déjà la révélation de Dieu par la création
procure la vie à tous les êtres qui vivent sur la terre, combien plus la
manifestation du Père par le Verbe procure-t-elle la vie à ceux qui voient
Dieu.
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