18/02/2024
Marc 1,
12-15
Le récit des tentations de Jésus
au désert marque chaque année le commencement du Carême. C’est l’Esprit qui
inspire à Jésus de faire en quelque sorte une retraite spirituelle de 40 jours
avant de commencer son ministère public. C’est pour lui le temps de la
préparation dans le silence et la prière, mais aussi le temps de l’épreuve
puisque Satan se manifeste pour l’éloigner de sa mission. Contrairement à
Matthieu et à Luc, saint Marc ne nous dit rien du contenu des tentations. Par
contre il est le seul à nous donner ce verset : Il vivait parmi les
bêtes sauvages, et les anges le servaient. C’est par rapport à ce verset
que nous pouvons recevoir la première lecture qui nous parle de l’alliance de
Dieu avec Noé et les animaux : Voici que moi, j’établis mon alliance
avec vous, avec votre descendance après vous, et avec tous les êtres vivants
qui sont avec vous : les oiseaux, le bétail, toutes les bêtes de la terre, tout
ce qui est sorti de l’arche. L’harmonie que Jésus vit au désert avec les
créatures spirituelles, les anges, et les bêtes sauvages est comme une image de
l’alliance avec Noé après le déluge. Le verset de saint Marc nous dépeint une
création réconciliée. La variété des créatures (animales, humaines, angéliques)
n’aboutit pas à une déchirure ou à un conflit mais bien à une réconciliation,
comme celle entrevue par la prophétie d’Isaïe 11 à laquelle je vous renvoie.
Cette réconciliation a lieu parce que Jésus est l’homme parfait, parce qu’il
est saint. Les nombreux récits de vies de saints nous montrant un saint Jérôme,
un saint François ou un saint Gens vivant en bonne entente avec les bêtes
sauvages traduisent à leur manière la même réalité. A la suite du verset de
saint Marc toute une tradition philosophique a compris l’homme comme celui qui
se trouve au milieu entre les créatures purement spirituelles, les anges, et
les créatures animales. L’homme microcosme de la création, à la fois charnel et
spirituel, prêtre et roi de toute la création. C’est notre condition humaine,
chair et esprit, qui fait que nous pouvons être tentés et faibles. Pour les
bêtes sauvages pas de tentation. Quant aux anges Lucifer / Satan, l’auteur des
tentations, fut victime de son orgueil, étant un pur esprit sans être pour
autant Dieu lui-même. En s’inspirant en partie de Montaigne, Pascal a de belles
réflexions dans ses Pensées sur notre condition humaine qui fait le milieu
entre l’ange et la bête. Je le cite :
Il est dangereux de trop faire
voir à l'homme combien il est égal aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur. Il
est encore dangereux de lui trop faire voir sa grandeur sans sa bassesse. Il
est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l'un et l'autre, mais il est
très avantageux de lui représenter l'un et l'autre… Il ne faut pas que l'homme
croie qu'il est égal aux bêtes ni aux anges, ni qu'il ignore l'un et l'autre,
mais qu'il sache l'un et l'autre.
Avec Jésus au désert nous sommes
appelés à nous connaître nous-mêmes, à connaître à la fois notre grandeur et
notre bassesse. Pascal tire de ce principe une application morale : L’homme
n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la
bête. Il nous faut tout autant fuir l’orgueil spirituel que la caricature
de l’humilité que constitue le dénigrement de soi. Dans l’oubli de notre
condition charnelle et mortelle, l’orgueil spirituel nous aveugle et nous
installe dans l’illusion. Nous sommes alors facilement tentés sous couvert de
bien et de perfection spirituelle, en jouant les anges nous perdons notre
dignité humaine. Il ne s’agit pas non plus de se battre la poitrine en
permanence en nous répétant à longueur de journée que nous ne sommes que péché
et bassesse, que nous sommes nuls… Cette attitude mène tout droit au désespoir
et nous éloigne du salut apporté par Jésus. Comme toujours la vertu
authentiquement chrétienne se trouve dans la perfection de l’équilibre,
perfection rappelée par Pascal et qui a pour nom l’humilité. Gardons au cœur le
message de saint Pierre dans la deuxième lecture : Le baptême ne
purifie pas de souillures extérieures, mais il est l’engagement envers Dieu
d’une conscience droite et il sauve par la résurrection de Jésus Christ. Demandons
au Christ la grâce de nous engager envers Dieu dans ce temps du Carême avec une
conscience droite, et à le faire dans la vérité de l’humilité. Par rapport aux
résolutions que nous voulons prendre dans ce chemin qui conduit vers la vie de
Pâques, ne nous fixons pas des objectifs nombreux et irréalisables, mais bien
des progrès humbles, limités et concrets. Demandons-nous avec une conscience
droite ce qui dans notre vie fait obstacle en nous à la grâce du baptême. En
écho au message du pape pour ce Carême regardons ce qui nous empêche d’être
vraiment libres, ce qui freine en nous la libération que Dieu nous offre. C’est
dans cette perspective que le jeûne ne se limitera pas à la nourriture mais
pourra concerner nos divertissements, nos addictions (Smartphone, Internet par
exemple), l’usage de notre langue etc. Pareillement l’aumône ou le partage ne
se limitera pas à un don d’argent, même si ce geste concret est important, mais
favorisera l’ouverture de notre cœur à la générosité sous toutes ses formes
envers notre prochain (visiter une personne isolée ou malade par exemple) … Il
est parfois bien plus difficile de donner de son temps et de sa personne que de
faire un don d’argent… A chacun donc de s’engager avec une conscience droite
envers Dieu dans l’humilité du cœur.
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