6/04/2023
Jean 13,
1-15
Le geste
du lavement des pieds a de quoi surprendre et étonner. Alors que c’était un
geste d’accueil et d’hospitalité réalisé dans le vestibule de la maison, Jésus
le réalise au cours du repas. Alors que c’était un geste fait par les esclaves,
Jésus en prend l’initiative et le fait sien. Alors que les disciples acceptent
cette initiative étonnante, seul Pierre, le chef des Douze, refuse. Par ce
geste le Seigneur rompt avec les bonnes convenances en usage dans sa culture.
Ce n’est pas nouveau. Rappelons-nous de la critique qui lui avait été adressée
parce que ses disciples ne se lavaient pas les mains avant de prendre leur
repas ![1]
L’évangéliste insiste sur la conscience de Jésus à ce moment décisif de sa
vie : sachant que… Connaissance
profonde de Jésus mise en contraste avec l’ignorance de Pierre : Ce que je veux faire, tu ne le sais pas
maintenant. Si le Seigneur décide de laver les pieds de ses disciples au
cours du repas (et non pas avant), c’est en toute connaissance de cause. Il ne
s’agit plus du geste d’hygiène et d’accueil pratiqué par les esclaves mais bien
d’un exemple : C’est un exemple que
je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. Cette
attitude physique traduit en effet une disposition spirituelle intérieure. Le
Maître et Seigneur s’abaisse en présence de ses disciples, prélude à
l’abaissement extrême, celui de la crucifixion, supplice réservé aux esclaves.
C’est d’ailleurs une tradition qui existait entre maîtres et esclaves dans la
Rome antique, une fois par an, à l’occasion de la fête des Saturnales : on
inversait les rôles en mémoire de l’âge d’or au cours duquel l’égalité parfaite
régnait entre tous les hommes. Le soir du Jeudi Saint, Jésus nous donne à voir
l’abaissement volontaire, par amour, de la divinité. Dieu utilise le langage du
corps pour nous signifier son projet de communion avec nous, ses créatures. Ce
n’est pas l’abaissement de l’esclave contraint et forcé. C’est un abaissement
plein de grandeur et de dignité. Le corps se met en tenue de service, s’abaisse
au ras du sol, c’est-à-dire au plus bas. Pour laver les pieds de ses disciples
Jésus utilise ses mains… dont Jean nous dit : sachant que le Père a tout remis entre ses mains… Les mains de Jésus
contiennent en quelque sorte tout le poids de l’autorité divine que son Père
partage avec lui. Ce sont les mêmes mains qui lavent les pieds des disciples et
qui prennent le pain et le vin pour en faire le sacrement de l’eucharistie. Par
ce geste du lavement des pieds, à la fois tellement divin et humain, Jésus
renverse la hiérarchie habituelle. Il renverse les puissants de leurs trônes.
Il nous fait comprendre à nouveau, après l’avoir enseigné tant de fois, que la
véritable grandeur, la dignité authentique, consiste non pas à dominer ou
asservir son prochain mais bien à le servir. Et pour servir il faut savoir se
faire tout petit, s’abaisser. Ce geste d’amour a une portée purificatrice, il
sanctifie comme la communion eucharistique nous sanctifie, d’où la remarque du
Seigneur à Pierre : Si je ne te lave
pas, tu n’auras pas de part avec moi. Jésus nous ouvre donc ainsi la voie
divine du service fraternel dans l’humilité et l’abaissement. Nous, ses
disciples, quand nous imitons son exemple, nous nous sanctifions et nous avons
le pouvoir de sanctifier notre prochain dans la mesure où nous lui partageons
quelque chose de l’amour de Jésus. En suivant la voie de la divine charité nous
comprenons la vraie grandeur selon l’Evangile, à l’opposé de celle de ce monde.
Nous entrons dans l’admirable échange par lequel Jésus s’abaisse pour nous
soulever auprès de Dieu et nous rendre de plus en plus semblable à lui par la
divinisation commencée avec le bain du baptême. Quelques années après la mort
de Jésus, un auteur latin, Pline l’ancien, aura cette réflexion qui pourrait
être celle d’un Père de l’Eglise : l’homme
devient dieu pour l’homme en le secourant ; ce chemin est celui de la
gloire éternelle.[2]
Enfin par
ce geste Jésus anticipe une réalité qui sera celle du Royaume des cieux. Qu’il
nous suffise de penser à ce passage de l’Evangile selon saint Luc (12,
37) :
Heureux ces serviteurs-là que le maître, à
son arrivée, trouvera en train de veiller. Amen, je vous le dis : c’est lui
qui, la ceinture autour des reins, les fera prendre place à table et passera
pour les servir.
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