Assomption
2021
Chaque
année nous écoutons pour la solennité de l’Assomption de Marie l’Evangile de la
Visitation. En réponse aux paroles d’Elisabeth qui la proclament
« heureuse », Marie chante son cantique, le Magnificat. Cette prière
s’inspire de la riche spiritualité de l’Ancien Testament, en particulier du
cantique d’Anne dans le premier livre de Samuel. Elle est reprise par l’Eglise
dans la prière des Vêpres. Dans sa prière Marie ose affirmer, elle qui est
toute humble :
Désormais
tous les âges me diront bienheureuse.
Dans le
mystère de l’Assomption de Marie, nous célébrons en effet sa béatitude parce
que Dieu l’a associée pleinement à la victoire de son Fils sur la mort. Marie
vit, depuis le jour de son Assomption, depuis le jour de sa mort, dans sa
personne de créature humaine, la pleine et parfaite communion avec Dieu
Trinité. Elle est le modèle de la sainteté évangélique.
Dans la
première partie de son Magnificat, Marie, comblée de grâce, parle d’elle-même.
Elle exalte le Seigneur, elle confesse la grandeur de Dieu, et elle trouve en
lui sa joie. Lorsque la créature humaine reconnaît Dieu dans sa vie, Dieu
créateur et sauveur, elle ouvre son cœur à la joie spirituelle. L’humilité de
Marie a attiré sur elle la bénédiction du Seigneur. Il lui a donné une vocation
unique. Elle est parfaitement consciente de toutes les grâces dont elle a été
comblée et elle demeure dans l’humilité :
Le
Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom !
Dans la
seconde partie de son Magnificat, Marie élargit sa prière à toute la communauté
des croyants et à Israël, le peuple dont elle est issue :
Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux
qui le craignent. La crainte de Dieu dans l’Ancien Testament n’est
pas l’équivalent de la peur. On pourrait caractériser cette attitude
spirituelle par le mot « respect », un respect rempli d’amour et
d’attachement filial. Après avoir évoqué les fidèles sur lesquels Dieu répand
sa miséricorde à toutes les époques de l’histoire, Marie termine son cantique
par l’évocation de son peuple :
Il relève Israël son serviteur, il se
souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et
sa descendance à jamais.
Entre
l’évocation de ceux qui craignent Dieu et celle d’Israël, serviteur du
Seigneur, nous avons trois versets qui peuvent s’appliquer à tous les hommes de
tous les temps :
Déployant la force de son bras, il disperse
les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles.
Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides.
Ces
versets proprement révolutionnaires,
tellement opposés à l’ordre établi et à l’échelle humaine des valeurs,
décrivent l’action de Dieu qui, d’un côté disperse, renverse et renvoie, et, de
l’autre élève et comble. Cela en fonction de qualités du cœur comme l’humilité
ou au contraire de péchés comme l’orgueil, sans oublier l’opposition entre les
affamés et les riches, opposition qui peut se comprendre en même temps au niveau
social et au niveau spirituel. Nous retrouverons la même inspiration dans les
Béatitudes proclamées par le fils de Marie, Jésus. Quand nous méditons ces
versets, nous pensons spontanément qu’ils ne se réalisent pas dans le monde tel
que nous le connaissons. Les superbes et les riches dominent et exploitent les
petits et les pauvres. Et la justice sociale, le partage des richesses, le sens
du bien commun sont des réalités le plus souvent absentes de l’organisation
politique et économique de nos sociétés. C’est précisément en ce sens que le
cantique de Marie est révolutionnaire et prophétique. Révolutionnaire parce
qu’il se situe aux antipodes de l’ordre social établi. Qui mieux que Voltaire a
su décrire cet ordre social, non pas pour le critiquer mais pour le défendre,
lui qui écrivait : « Un pays
bien organisé est celui où le petit nombre fait travailler le grand nombre, est
nourri par lui, et le gouverne ».
Le
décalage entre ce que chante la Vierge Marie au présent et notre réalité
quotidienne donne à son cantique un aspect prophétique. Si les petits sont
humiliés par les grands, si les pauvres sont méprisés par les riches, cela ne
correspond certes pas à la volonté de Dieu. Malgré les apparences, au niveau le
plus profond qui est le spirituel, qui est celui de notre relation avec Dieu,
Dieu est du côté des opprimés et des victimes d’un ordre social injuste et
meurtrier. C’est en ce sens que le cantique de Marie est prophétie. Il annonce
aussi le jugement dernier qui mettra en lumière l’iniquité des méchants et des
égoïstes et la vertu morale des humbles et des petits. Ce que Dieu renverse,
c’est tout simplement le règne de l’argent et le pouvoir qu’il donne, ce qu’il
ne peut pas supporter c’est notre égoïsme et notre indifférence face aux malheurs et aux souffrances de nos
frères en humanité ici et ailleurs. En attendant la réalisation de la justice
de Dieu dans le Royaume, l’Eglise nous offre sa doctrine sociale et nous
interpelle sur notre manière de vivre en chrétiens en ce monde. Que Marie, dans
la lumière du mystère de son Assomption, purifie notre cœur des idoles que sont
la richesse égoïste, le pouvoir qui se sert au lieu de servir, l’ambition
vaniteuse ; qu’elle nous rende attentifs aux vraies valeurs qui sont
celles de l’Evangile, en opposition avec l’esprit du monde : humilité,
sobriété, esprit de service et de dévouement au bien commun, attention à la
qualité de nos relations humaines avec tous, dans le respect, l’estime et
l’amour.
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